Division de la Presse et de l'Information

COMMUNIQUE DE PRESSE Nº23/1997

7 mai 1997

Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires jointes C-321/94 à C-324/94
Jacques PISTRE et autres / Ministère Public

LA DÉNOMINATION "DE MONTAGNE" NE SAURAIT ETRE RÉSERVÉE AUX PRODUITS NATIONAUX

Suite à un contrôle dans un supermarché d'Albi, certains fabricants de produits de charcuterie du Tarn ont été traduits en 1991 devant le tribunal de police de Castres pour avoir utilisé l'appellation "montagne" sans l'autorisation administrative préalable exigée par les textes français. En effet, en application de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, une autorisation administrative doit être obtenue pour utiliser cet étiquetage précis. Pour bénéficier de cette étiquette "montagne", les matières premières et tous les stades de fabrication des produits doivent provenir de et se dérouler en France. Suite à une condamnation par la Cour d'appel de Toulouse, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie et pour la première fois a interrogé la Cour de justice des Communautés européennes sur la compatibilité de la loi française avec le droit communautaire.

Le premier texte applicable aurait pu être un règlement communautaire du 14 juillet 1992 relatif aux appellations d'origine et aux indications géographiques: les produits qui recherchent une appellation d'origine communautaire doivent présenter un lien direct entre leurs caractéristiques ou leur qualité et une origine géographique spécifique.

La Cour estime que la dénomination "montagne" revêt un caractère général qui transcende les frontières nationales et ne constitue pas une indication de provenance au sens du règlement. Cette dénomination ne constitue pas non plus une indication de provenance telle que précisée par la jurisprudence de la Cour. La réglementation nationale en cause est donc trop éloignée de l'objet du règlement pour que celui-ci s'oppose à son maintien.

Se posait ensuite la question de la compatibilité de la loi française de 1985 avec les articles 30 et 36 du traité CE relatifs à la libre circulation des marchandises entre les États membres.

Comme indiqué ci-dessus, l'appellation "montagne" au regard de la loi française était limitée au moment des faits, aux produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales. La Cour estime donc que cette réglementation est discriminatoire à l'encontre des marchandises importées des autres États membres qui ne pourront jamais user du qualificatif "montagne"; elle estime que l'application de cette mesure nationale peut avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres et rappelle que toute réglementation commerciale susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire est interdite.

UNE REGLEMENTATION NATIONALE QUI RÉSERVE L'UTILISATION DE LA DÉNOMINATION "MONTAGNE" AUX SEULS PRODUITS FABRIQUÉS SUR LE TERRITOIRE NATIONAL ET ÉLABORÉS A PARTIR DES MATIERES PREMIERES NATIONALES EST CONTRAIRE AU DROIT COMMUNAUTAIRE


I. FAITS ET CADRE JURIDIQUE

Monsieur Jacques Pistre, Madame Michèle Barthes et Messieurs Yves Milhau et Didier Oberti, ressortissants français, sont les gérants de sociétés fabriquant et commercialisant en France des produits de salaisons. Ces sociétés françaises sont établies à Lacaune, dans le département du Tarn.

Ils ont été poursuivis pour avoir commercialisé, en 1991, de la charcuterie sous un étiquetage faisant mention des dénominations "de montagne" ou "séchés à la montagne" ou "Monts de Lacaune", alors qu'ils n'avaient pas obtenu l'autorisation administrative préalable exigée par la loi française du 9 janvier 1985 et son décret d'application du 26 février 1988 permettant de faire référence à la "montagne" pour des produits de charcuterie.

La loi du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne, a pour objet le développement des zones montagneuses. Pour atteindre son but, elle envisage différentes actions dont la possibilité d'utiliser une indication de provenance "montagne'. Cette indication et les références géographiques spécifiques aux zones de montagne sont protégées et ne peuvent être utilisées pour tous les produits mis sur le marché que dans des conditions fixées par décret.

Pour qu'un produit puisse bénéficier de l'indication "provenance montagne", il faut qu'il s'agisse d'un produit agricole ou alimentaire respectant des procédés de fabrication déterminés par arrêté ministériel, dont la production, l'élevage, l'engraissage, l'abattage, la préparation, la fabrication, l'affinage et le conditionnement se font dans une zone de montagne française et qu'il ait reçu autorisation par arrêté conjoint du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation après avis de la Commission régionale des produits alimentaires de qualité.

Par jugements du 26 mai 1992, le tribunal de police de Castres a relaxé les prévenus des fins de poursuite, estimant que cette réglementation relative à l'indication de provenance "montagne" était contraire au principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité CEE, devenu traité CE.

Sur appel du ministère public, la cour d'appel de Toulouse a infirmé les jugements du tribunal de police et a déclaré les prévenus coupables. La Cour d'appel a constaté que, bien que les dispositions attaquées

aient limité l'emploi des références à la provenance montagne à certains produits nationaux, elles n'étaient pas, en dépit de la différence de traitement entre produits nationaux et produits importés qui en résultait, de nature à empêcher les importations. En conséquence, les prévenus ont été condamnés à, respectivement, 87, 139, 215 et 62 amendes de FF 30, chacune.

Les prévenus se sont pourvus en cassation contre ces arrêts. Devant la Cour de Cassation, ils ont notamment fait valoir que les dispositions en cause, du fait qu'elles subordonnent la mise en vente d'un produit à une autorisation administrative préalable, constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au commerce entre États membres contraires aux articles 30 et 36 du traité.

Estimant que se pose la question de la compatibilité de la législation nationale avec les dispositions du règlement (CEE) nº 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, la Cour de cassation, chambre criminelle, pour la première fois, a demandé à la Cour de justice si les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité CE et du règlement précité s'opposent ou non à l'application de cette législation nationale.

II. DÉCISION DE LA COUR

Le règlement nº 2081/92

Ce règlement communautaire harmonise le domaine de la protection des appellations d'origine et des indications géographiques eu égard aux produits agricoles et denrées alimentaires entrant dans son champ d'application. Il crée un cadre communautaire et définit les appellations d'origine et les indications géographiques dont la protection communautaire peut être obtenue selon des règles établies par ce texte. La protection des appellations d'origine et des indications géographiques présuppose un enregistrement auprès de la Commission européenne, lequel exige que les produits en cause remplissent les conditions du règlement.

La Cour constate qu'une réglementation nationale telle que celle en cause qui fixe des conditions d'utilisation pour les produits agricoles et alimentaires de la dénomination "montagne", ne peut pas être considérée comme couvrant une appellation d'origine ou une indication géographique au sens du règlement.

En effet, la dénomination "montagne" revêt un caractère tout à fait général qui transcende les frontières nationales alors que, selon le règlement, un lien direct doit exister entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son origine géographique spécifique.

Plus généralement, la dénomination "montagne" ne constitue pas davantage une indication de provenance, telle que définie par la jurisprudence de la Cour, destinée à informer le consommateur que le produit qui en est revêtu provient d'un lieu, d'une région ou d'un pays déterminé.

La Cour conclut alors que la réglementation nationale, qui se limite à donner une protection générale à une dénomination évoquant chez les consommateurs des qualités liées abstraitement à la provenance des produits zones de montagne, est trop éloignée de l'objet matériel du règlement communautaire pour que celui-ci s'oppose à son maintien.

Les articles 30 et 36 du traité CE

En premier lieu, la Cour rappelle que toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, est interdite.

Dès lors, s'il est vrai que l'application d'une mesure nationale n'ayant effectivement aucun lien avec l'importation des marchandises ne relève pas du domaine de l'article 30 du traité, cette disposition ne peut toutefois pas être écartée pour la seule raison, que, dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre.

En effet, l'application de la mesure nationale peut également avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres, notamment lorsque la mesure en cause favorise la commercialisation des marchandises d'origine nationale au détriment des marchandises importées. Dans de telles circonstances, l'application de la mesure, même limitée aux seuls producteurs nationaux, crée et maintient par elle-même une différence de traitement entre ces deux catégories de marchandises entravant, au moins potentiellement, le commerce intracommunautaire.

La Cour constate ensuite que, étant donné que la réglementation nationale est susceptible d'être appliquée aux produits importés, celle-ci constitue une entrave aux échanges intracommunautaires.

La Cour relève alors qu'une telle réglementation est discriminatoire à l'encontre des marchandises importées des autres Etats membres dans la mesure où elle réserve l'utilisation de la dénomination "montagne" aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir des matières premières nationales, aucun des motifs énumérés à l'article 36 du traité ne permettant de justifier une telle réglementation.

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