Division de la Presse et de l'Information

COMMUNIQUE DE PRESSE nº 8/99

23 février 1999

Conclusions de l'Avocat général Philippe Léger dans l'affaire C-249/97

G. Gruber / Silhouette International Schmied GmbH & Co. KG

SELON L'OPINION DE L'AVOCAT GENERAL LEGER, LES CONSEQUENCES DE LA LEGISLATION AUTRICHIENNE CONCERNANT LES FEMMES CESSANT LEUR ACTIVITE POUR ELEVER UN ENFANT SONT DISCRIMINATOIRES


L'Avocat général conclut à la non compatibilité de la législation autrichienne sur les salariés avec le droit communautaire, dans certains de ses aspects concernant la démission des femmes cessant leur activité pour élever leur enfant.

Mme Gruber a travaillé comme ouvrière pour Silhouette International Schmied GmbH & Co. KG (Autriche), du 23 juin 1986 au 13 décembre 1995. Elle est mère de deux enfants, nés le 1er octobre 1993 et le 19 mai 1995. Depuis l'automne 1993, elle a bénéficié des périodes successives de congé de maternité (prévues avant et après l'accouchement) et de congé parental. A l'issue de ce congé parental, confrontée à des difficultés dans l'organisation de la garde de ses enfants tenant à l'absence de structures d'accueil (telles que des crèches) et bien qu'elle ait manifesté son réel désir de poursuivre son activité salariée, Mme Gruber a dû démissionner pour élever ses enfants.

Selon le droit autrichien, un travailleur féminin cessant son activité pour éléver son enfant et ayant été employé au moins cinq ans sans interruption, peut prétendre au versement d'une indemnité, dans la limite d'un plafond. Son montant maximum correspond à l'équivalent de la moitié de l'indemnité de congédiement qui serait due en application de la législation sur la cessation d'une relation de travail d'une durée ininterrompue de trois ans. Des raisons de santé ou encore la faute de l'employeur sont considérés, par exemple, comme des "motifs graves" par la législation autrichienne, susceptibles de permettre à un salarié de démissionner et de percevoir la totalité de l'indemnité.

Silhouette a payé à Mme Gruber la moitié de l'indemnité de congédiement légale, pour un montant de 34 243 öS. Affirmant que sa démission a été motivée par des "motifs graves" tenant à l'absence de structures d'accueil des enfants de moins de trois ans dans sa région de résidence (le Land fédéral de Haute-Autriche), Mme Gruber a introduit un recours contre cette décision devant le Landesgericht Linz et a sollicité le versement d'une indemnité de congédiement correspondant au double de celle qui lui a été versée.

Elle prétend que l'application des dispositions nationales aboutit à une discrimination indirecte des travailleurs féminins, prohibée par le droit communautaire, qui établit le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail.

Le Tribunal autrichien a posé à la Cour de justice des questions préjudicielles.

L'audience de plaidoirie s'étant déroulée à l'issue de la procédure écrite, c'est à l'Avocat général de formuler des conclusions.

L'Avocat général précise tout d'abord que si aucune disposition de droit communautaire n'impose aux Etats membres de prévoir une indemnisation pour les travailleurs interrompant leur activité pour élever leurs enfants, l'existence de telles dispositions doit être appréciée conformément au principe d'égalité de traitement entre travailleurs féminins et travailleurs masculins, les indemnités de congédiement constituant une forme de "rémunération" au sens du droit communautaire.

Il remarque que la législation autrichienne ne constitue pas une mesure directement discriminatoire à l'égard des travailleurs féminins, dans la mesure où elle a vocation à s'appliquer indistinctement et dans les mêmes conditions aux travailleurs féminins et aux travailleurs masculins.

Dans ces conditions, il vérifie si l'octroi d'une telle indemnité constitue une mesure indirectement discrimatoire à l'égard des travailleurs féminins en examinant si l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes et si cette mesure est ou non justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Selon l'Avocat général le fait, pour un travailleur comme Mme Gruber, de ne percevoir que la moitié de l'indemnité de licenciement à laquelle a droit un autre travailleur placé de la même manière dans une situation caracterisée par le fait qu'il ne lui est pas raisonnablement possible de poursuivre sa relation de travail pour toutes sortes de raison, constitue un net désavantage, aggravé par l'exigence du respect de conditions supplémentaires (durée d'activité de cinq et non pas de trois ans).

L'Avocat général fait état de statistiques incontestées fournies par le Landesgericht Linz qui constate que ce sont en majorité des femmes qui doivent mettre fin à leur relation de travail pour élever leurs enfants, en raison du manque de structures d'accueil pour ceux-ci (en 1994, seulement 30% des femmes concernées ont repris leur travail immédiatement à l'issue du congé parental). La situation touche donc essentiellement les travailleurs féminins.

Le gouvernement autrichien, appelé à justifier les mesures en cause par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, affirme que ces mesures ont précisément pour but de permettre aux travailleurs qui souhaitent interrompre leur contrat de travail pour élever leurs enfants, de bénéficier d'une certaine indemnité; ces mesures serait donc motivée par des objectifs de politique sociale. Le gouvernement autrichien n'indique cependant pas les raisons pour lesquelles une telle motivation ne peut jamais être considérée par le juge national comme un "motif grave" ouvrant droit au versement de l'intégralité de l'indemnité de congédiement. L'Avocat général écarte par ailleurs la prise en compte de l'incidence financière pour les entreprises du versement éventuel de la totalité de l'indemnité (et non plus de la moitié), des considérations d'ordre budgétaire ne pouvant pas constituer une justification objective à une discrimination en matière de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins.

L'Avocat général conclut donc au caractère discriminatoire à l'égard des travailleurs féminins d'une législation conduisant à faire bénéficier des travailleurs masculins de conditions plus favorables (possibilité d'obtenir le versement d'une indemnité complète en invoquant des motivations susceptibles d'être reconnues comme des "motifs graves").

NB: l'opinion de l'Avocat général n'est pas contraignante. Son rôle consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice. Langues disponibles : allemand et français.

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