Présentation

Avant-propos

La composition

Les compétences

La procédure

La Cour de justice dans l'ordre juridique de l'Union européenne

Avant-propos

Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, l'Union européenne s'est dotée d'une personnalité juridique et a repris les compétences auparavant conférées à la Communauté européenne. Le droit communautaire est donc devenu le droit de l'Union comprenant également toutes les dispositions adoptées par le passé en vertu du traité sur l'Union européenne dans sa version antérieure au traité de Lisbonne. Dans la présentation qui suit, le terme droit communautaire sera néanmoins utilisé lorsqu'il est fait référence à la jurisprudence de la Cour de justice antérieure à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

À côté de l'Union européenne, la Communauté européenne de l'Energie atomique (Euratom) continue à exister. Étant donné que les compétences de la Cour de justice relatives à l'Euratom sont, en principe, les mêmes que celles exercées dans le cadre de l'Union européenne - et pour rendre la présentation qui suit plus lisible - toute référence au droit de l'Union couvrira également le droit de l'Euratom.

 

La composition

La grande salle de la Cour de justice   La Cour de justice est composée de 27 juges et de 11 avocats généraux. Les juges et les avocats généraux sont désignés d'un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d'un comité chargé de donner un avis sur l'adéquation des candidats proposés à l'exercice des fonctions en cause. Leur mandat est de six ans, renouvelable. Ils sont choisis parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leur pays respectif, des plus hautes fonctions juridictionnelles ou qui possèdent des compétences notoires.


Les juges de la Cour de justice désignent parmi eux le président et le vice-président pour une période renouvelable de trois ans. Le président dirige les travaux de la Cour de justice et préside les audiences et les délibérations des plus grandes formations de jugement. Le vice-président assiste le président dans l'exercice de ses fonctions et le remplace en cas d'empêchement.

Les avocats généraux assistent la Cour. Ils sont chargés de présenter, en toute impartialité et en toute indépendance, un avis juridique, dénommé «conclusions», dans les affaires dont ils sont saisis.

Le greffier est le secrétaire général de l'institution dont il dirige les services sous l'autorité du président de la Cour.

La Cour peut siéger en assemblée plénière, en grande chambre (quinze juges) ou en chambre à cinq ou à trois juges.

L'assemblée plénière est saisie des cas particuliers prévus par le statut de la Cour (notamment lorsqu'elle doit déclarer démissionnaire le Médiateur européen ou prononcer la démission d'office d'un commissaire européen ayant manqué aux obligations qui lui incombent) et lorsqu'elle estime qu'une affaire revêt une importance exceptionnelle.

Elle siège en grande chambre lorsqu'un État membre ou une institution qui est partie à l'instance le demande ainsi que pour les affaires particulièrement complexes ou importantes.

Les autres affaires sont examinées par des chambres à cinq ou à trois juges. Les présidents des chambres à cinq juges sont élus pour trois ans et ceux des chambres à trois juges pour un an.

 

Les compétences

Pour mener à bien sa tâche, la Cour a été dotée de compétences juridictionnelles bien définies, qu'elle exerce dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel et de diverses catégories de recours.

Les diverses formes de procédures

  •  Le renvoi préjudiciel

La Cour de justice travaille en collaboration avec l'ensemble des juridictions des États membres, lesquelles sont les juges de droit commun du droit de l'Union. Pour assurer une application effective et homogène de la législation de l'Union et éviter toute interprétation divergente, les juges nationaux peuvent, et parfois doivent, se tourner vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d'interprétation du droit de l'Union, afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale. La demande préjudicielle peut aussi viser le contrôle de la validité d'un acte du droit de l'Union.

La Cour de justice répond non pas par un simple avis, mais par un arrêt ou une ordonnance motivée. La juridiction nationale destinataire est liée par l'interprétation donnée quand elle tranche le litige pendant devant elle. L'arrêt de la Cour de justice lie de la même manière les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème identique.

C'est aussi dans le cadre des renvois préjudiciels que tout citoyen européen peut faire préciser les règles de l'Union qui le concernent. En effet, bien que ce renvoi ne puisse être formé que par une juridiction nationale, toutes les parties déjà présentes devant cette dernière juridiction, les États membres et les institutions de l'Union peuvent participer à la procédure engagée devant la Cour de justice. C'est ainsi que plusieurs grands principes du droit de l'Union ont été énoncés sur la base de questions préjudicielles, parfois posées par des juridictions nationales de première instance.

  •  Le recours en manquement

Il permet à la Cour de justice de contrôler le respect par les États membres des obligations qui leur incombent en vertu du droit de l'Union. La saisine de la Cour de justice est précédée d'une procédure préalable engagée par la Commission qui consiste à donner à l'État membre concerné l'occasion de répondre aux griefs qui lui sont adressés. Si cette procédure n'amène pas l'État membre à mettre fin au manquement, un recours pour violation du droit de l'Union peut être introduit auprès de la Cour de justice.

Ce recours peut être engagé soit par la Commission - c'est, en pratique, le cas le plus fréquent - soit par un État membre. Si la Cour de justice constate le manquement, l'État est tenu d'y mettre fin sans délai. Si, après une nouvelle saisine par la Commission, la Cour de justice constate que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire et/ou d'une astreinte. Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d'une directive à la Commission, sur proposition de cette dernière, une sanction pécuniaire peut être infligée par la Cour à l'État membre concerné dès le stade du premier arrêt en manquement.

  •  Le recours en annulation

Par ce recours, le requérant demande l'annulation d'un acte d'une institution, d'un organe ou d'un organisme de l'Union (notamment règlement, directive, décision). À la Cour de justice sont réservés les recours formés par un État membre contre le Parlement européen et/ou contre le Conseil (sauf pour les actes de ce dernier en matière d'aides d'État, de dumping et de compétences d'exécution) ou introduits par une institution de l'Union contre une autre institution. Le Tribunal est compétent pour connaître, en première instance, de tous les autres recours de ce type et, notamment, des recours formés par les particuliers.

  • Le recours en carence

Ce recours permet de contrôler la légalité de l'inaction des institutions, d'un organe ou d'un organisme de l'Union. Il ne peut pas, cependant, être introduit avant que l'institution concernée ait été invitée à agir. Lorsque l'illégalité de l'omission est constatée, il appartient à l'institution visée de mettre fin à la carence par des mesures appropriées. La compétence pour le recours en carence est partagée entre la Cour de justice et le Tribunal selon les mêmes critères que pour les recours en annulation.

  • Le pourvoi

La Cour de justice peut être saisie de pourvois, limités aux questions de droit, contre les arrêts et ordonnances du Tribunal. Si le pourvoi est recevable et fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans le cas où l'affaire est en état d'être jugée, la Cour peut trancher elle-même le litige. Dans le cas contraire, elle renvoie l'affaire au Tribunal, qui est lié par la décision rendue par la Cour dans le cadre du pourvoi.

 

La procédure

Quelle que soit la nature de l'affaire, elle comprend une phase écrite et, le cas échéant, une phase orale, qui est publique. Il convient cependant de faire une distinction entre, d'une part, la procédure de renvoi préjudiciel et, d'autre part, celle des autres recours(recours directs et pourvois).

La saisine de la Cour et la procédure écrite

  •   dans les renvois préjudiciels

La juridiction nationale soumet à la Cour de justice des questions relatives à l'interprétation ou à la validité d'une disposition du droit de l'Union, généralement sous la forme d'une décision juridictionnelle conformément aux règles nationales de procédure. Une fois la demande traduite dans toutes les langues de l'Union par le service de traduction de la Cour, le greffe la notifie aux parties impliquées dans l'affaire au principal, mais aussi à tous les États membres et aux institutions de l'Union. Il fait publier au Journal officiel une communication indiquant, notamment, les parties en cause et le contenu des questions. Les parties, les États membres et les institutions disposent de deux mois pour soumettre à la Cour de justice leurs observations écrites.

  •  dans les recours directs et les pourvois

La Cour doit être saisie de l'affaire par une requête adressée à son greffe. Le greffier fait publier une communication relative au recours au Journal officiel de l'Union européenne, en précisant les moyens et les conclusions du requérant. La requête est signifiée aux autres parties, qui disposent de deux mois pour déposer un mémoire en défense ou en réponse. Le cas échéant le requérant aura droit à une réplique et le défendeur à une duplique. Les délais de production de ces documents doivent être respectés.

Dans les deux types de recours, un juge rapporteur et un avocat général, chargés de suivre le déroulement de l'affaire, sont désignés respectivement par le président et le premier avocat général.

Les mesures préparatoires

Dans toutes les procédures, une fois la procédure écrite clôturée, les parties peuvent indiquer, dans un délai de trois semaines, si et pourquoi elles souhaitent la tenue d'une audience de plaidoirie. La Cour décide, sur proposition du juge rapporteur et après avoir entendu l'avocat général, si l'affaire nécessite des mesures d'instruction, à quelle formation de jugement il y a lieu de renvoyer l'affaire et s'il y a lieu de tenir une audience de plaidoiries dont le président fixera la date.

L'audience publique et les conclusions de l'avocat général

Lorsqu'il a été décidé de tenir une audience de plaidoiries, l'affaire est plaidée en audience publique, devant la formation de jugement et l'avocat général. Les juges et l'avocat général peuvent poser aux parties les questions qu'ils jugent opportunes. Quelques semaines plus tard, les conclusions de l'avocat général sont présentées devant la Cour de justice, à nouveau en audience publique. Il y analyse en détail les aspects notamment juridiques du litige et propose en toute indépendance à la Cour de justice la réponse qu'il estime devoir être apportée au problème posé. C'est ainsi que se termine la phase orale de la procédure. Lorsqu'il est considéré que l'affaire ne soulève aucune question de droit nouvelle, la Cour peut décider, l'avocat général entendu, que l'affaire sera jugée sans conclusions.

Les arrêts

Les juges délibèrent sur la base d'un projet d'arrêt établi par le juge rapporteur. Chaque juge de la formation de jugement concernée peut proposer des modifications. Les décisions de la Cour de justice sont prises à la majorité et il n'est pas fait état des éventuelles opinions dissidentes. Seuls les juges ayant assisté au délibéré oral au cours duquel l'arrêt est adopté signent celui-ci, sans préjudice de la règle selon laquelle le juge le moins ancien de la formation de jugement ne signe pas l'arrêt si cette formation se trouve en nombre pair. Les arrêts sont prononcés en audience publique. Les arrêts et les conclusions des avocats généraux sont disponibles sur le site Internet CURIA le jour même de leur prononcé ou de leur lecture. Ils sont, dans la plupart des cas, publiés ultérieurement au Recueil de la jurisprudence.

Les procédures spécifiques

  • La procédure simplifiée

Lorsqu'une question préjudicielle est identique à une question sur laquelle la Cour de justice a déjà été amenée à se prononcer ou lorsque la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable ou peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l'avocat général, statuer par voie d'ordonnance motivée, en faisant notamment référence à l'arrêt déjà rendu sur cette question ou à la jurisprudence pertinente.

  • La procédure accélérée

La procédure accélérée permet à la Cour de justice de statuer rapidement dans les affaires présentant une urgence extrême en réduisant les délais au maximum et en accordant à ces affaires une priorité absolue. À la suite d'une demande introduite par l'une des parties, il appartient au président de la Cour de décider, sur proposition du juge rapporteur et après avoir entendu l'avocat général et les autres parties, si une urgence particulière justifie le recours à la procédure accélérée. Une telle procédure est également prévue pour les renvois préjudiciels. Dans ce cas, la demande est faite par la juridiction nationale qui saisit la Cour et doit exposer, dans sa demande, les circonstances établissant l'urgence extraordinaire à statuer sur la question posée à titre préjudiciel.

  • La procédure préjudicielle d'urgence (PPU)

Cette procédure permet à la Cour de justice de traiter dans un délai considérablement raccourci les questions les plus sensibles relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice (coopération policière et judiciaire en matière civile et pénale ainsi que visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes). Les affaires soumises à la PPU sont confiées à une chambre à cinq juges spécialement désignée et la phase écrite se déroule, dans la pratique, essentiellement par voie électronique et est extrêmement réduite, tant dans sa durée que dans le nombre d'acteurs autorisés à soumettre des observations écrites, la plupart des acteurs intervenant lors de la phase orale de la procédure, qui est obligatoire.

  • Le référé

Le référé vise à obtenir le sursis à l'exécution d'un acte d'une institution, faisant également l'objet d'un recours, ou toute autre mesure provisoire nécessaire pour prévenir un préjudice grave et irréparable au détriment d'une partie.

Les frais de la procédure

La procédure devant la Cour de justice est exempte de frais. En revanche, les frais de l'avocat habilité à exercer devant une juridiction d'un État membre, par lequel les parties doivent se faire représenter, ne sont pas pris en charge par la Cour. Cependant, si une partie se trouve dans l'impossibilité de faire face en totalité ou en partie aux frais de l'instance, elle peut, sans être représentée par un avocat, demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle. La demande doit être accompagnée de tous les renseignements nécessaires établissant la nécessité de l’aide juridictionnelle.

Le régime linguistique

Dans les recours directs, la langue utilisée pour la requête (qui peut être l'une des 24 langues officielles de l'Union européenne) sera en principe la langue de procédure de l'affaire, c'est-à-dire la langue dans laquelle elle se déroulera. Dans les pourvois, la langue de procédure est celle de l’arrêt ou de l’ordonnance du Tribunal qui fait l’objet du pourvoi. S'agissant des renvois préjudiciels, la langue de la procédure est celle de la juridiction nationale qui s'adresse à la Cour de justice. Les débats qui ont lieu lors des audiences sont interprétés simultanément, selon les besoins, dans différentes langues officielles de l'Union européenne. Les juges délibèrent, sans interprètes, dans une langue commune qui, traditionnellement, est le français.

Schéma de procédure

La procédure devant la Cour de justice 

Recours directs et pourvois

 

Renvois préjudiciels

Procédure écrite

Requête

Signification de la requête au défendeur par le greffe

Communication du recours au Journal officiel de l'UE (série C)

[Mesures provisoires]

[Intervention]

Mémoire en défense/réponse

[Exception d'irrecevabilité]

[Réplique et duplique]

[Demande d'assistance judiciaire]

Désignation du juge rapporteur et de l'avocat général

Décision de renvoi de la juridiction nationale

Traduction vers les autres langues officielles de l'Union européenne

Communication des questions préjudicielles au Journal officiel de l'UE (série C)

Notification aux parties en cause, aux États membres, aux institutions de l'Union, aux États de l'EEE et à l'Autorité de surveillance AELE

Observations écrites des parties, des États et des institutions

Le juge rapporteur prépare le rapport préalable

Réunion générale des juges et avocats généraux

Renvoi de l'affaire à une formation de jugement
[Mesures d'instruction]

Phase orale

[Conclusions de l'avocat général]

Délibéré des juges

ARRÊT

Les étapes facultatives de la procédure sont indiquées entre parenthèses.
Les caractères gras indiquent un document public.

La Cour de justice dans l'ordre juridique de l'Union européenne

Pour construire l'Europe, les États (aujourd'hui au nombre de 27) ont conclu entre eux des traités instituant des Communautés européennes, puis une Union européenne, dotées d'institutions qui adoptent des règles de droit dans des domaines déterminés.

La Cour de justice de l'Union européenne constitue l'institution juridictionnelle de l'Union et de la Communauté européenne de l'Energie atomique (CEEA). Elle est composée de deux juridictions: la Cour de justice et le Tribunal, dont la mission première consiste à examiner la légalité des actes de l'Union et à assurer une interprétation et une application uniformes du droit de celle-ci.

Au fil de sa jurisprudence, la Cour de justice a dégagé l'obligation pour les administrations et les juges nationaux d'appliquer pleinement le droit de l'Union à l'intérieur de leur sphère de compétence et de protéger les droits conférés par celui-ci aux citoyens (application directe du droit de l'Union), en laissant inappliquée toute disposition contraire du droit national, qu'elle soit antérieure ou postérieure à la norme de l'Union (primauté du droit de l'Union sur le droit national).

La Cour a également reconnu le principe de la responsabilité des États membres pour la violation du droit de l'Union qui constitue, d'une part, un élément qui renforce de façon décisive la protection des droits conférés aux particuliers par les normes de l'Union et, d'autre part, un facteur susceptible de contribuer à une mise en œuvre plus diligente de ces normes par les États membres. Les violations commises par ces derniers sont ainsi susceptibles de donner naissance à des obligations de réparation qui peuvent, dans certains cas, avoir de lourdes répercussions sur leurs finances publiques. En outre, tout manquement d'un État membre au droit de l'Union est susceptible d'être porté devant la Cour et, en cas de non-exécution d'un arrêt constatant un tel manquement, celle-ci peut lui infliger une astreinte et/ou le paiement d'une somme forfaitaire. Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d'une directive à la Commission et sur proposition de celle-ci, une sanction pécuniaire peut être infligée par la Cour de justice à un État membre dès le stade du premier arrêt en manquement.

La Cour de justice œuvre également en collaboration avec le juge national, juge de droit commun du droit de l'Union. Tout juge national, appelé à trancher un litige concernant le droit de l'Union., peut, et parfois doit, soumettre à la Cour de justice des questions préjudicielles. La Cour est alors amenée à donner son interprétation d'une règle de droit de l'Union ou à en contrôler la légalité.

L'évolution de sa jurisprudence illustre la contribution de la Cour à la création d'un espace juridique qui concerne les citoyens en protégeant les droits que la législation de l'Union leur confère dans différents aspects de leur vie quotidienne.

Principes fondamentaux établis par la jurisprudence

Dans une jurisprudence (initiée par l'arrêt Van Gend & Loos en 1963), la Cour a introduit le principe de l'effet direct du droit communautaire dans les États membres, qui permet actuellement aux citoyens européens d'invoquer directement des règles du droit de l'Union devant leurs juridictions nationales.

Important des marchandises d'Allemagne aux Pays-Bas, l'entreprise de transport Van Gend & Loos devait acquitter des droits de douane qu'elle estimait contraires à la règle du traité CEE interdisant aux États membres d'augmenter les droits de douane dans leurs relations commerciales mutuelles. Le recours posait la question du conflit entre une législation nationale et les règles du traité CEE. Saisie par une juridiction néerlandaise, la Cour a tranché la question en affirmant la doctrine de l'effet direct, conférant de la sorte à l'entreprise de transport une garantie directe de ses droits au titre du droit communautaire devant la juridiction nationale.

En 1964, l'arrêt Costa a établi la primauté du droit communautaire sur la législation interne. Dans cette affaire, une juridiction italienne avait demandé à la Cour de justice si la loi italienne de nationalisation du secteur de la production et de la distribution d'énergie électrique était compatible avec un certain nombre de règles du traité CEE. La Cour a introduit la doctrine de la primauté du droit communautaire en la fondant sur la spécificité de l'ordre juridique communautaire appelé à recevoir une application uniforme dans tous les États membres.

En 1991, dans l'arrêt Francovich e.a., la Cour a développé une autre notion fondamentale, à savoir celle de la responsabilité d'un État membre à l'égard des particuliers pour les dommages qui leur auraient été causés par une violation du droit communautaire par cet État. Depuis 1991, les citoyens européens disposent donc d'une action en réparation contre l'État qui enfreint une règle communautaire.

Deux citoyens italiens, auxquels leurs employeurs en faillite devaient des rémunérations, avaient engagé des actions en invoquant la carence de l'État italien qui n'avait pas transposé les dispositions communautaires protégeant les travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de leur employeur. Saisie par une juridiction italienne, la Cour a indiqué que la directive en question visait à conférer aux particuliers des droits dont ils avaient été privés du fait de la carence de l'État qui ne l'avait pas transposée et elle a ainsi tracé la voie d'une action en réparation contre l'État lui-même.

La Cour dans la vie du citoyen de l'Union

Parmi les milliers d'arrêts rendus par la Cour, la plupart, notamment tous ceux rendus à titre préjudiciel, ont manifestement des conséquences importantes dans la vie quotidienne des citoyens de l'Union. Quelques-uns d'entre eux sont cités ci-après à titre d'exemple dans les domaines les plus importants du droit de l'Union.

  • Libre circulation des marchandises

Depuis l'arrêt Cassis de Dijon, rendu en 1979, relatif au principe de la libre circulation des marchandises, les commerçants peuvent importer dans leur pays tout produit provenant d'un autre pays de l'Union - à condition qu'il y ait été légalement produit et commercialisé et qu'aucune raison impérieuse, tirée, par exemple, de la protection de la santé ou de l'environnement, ne s'oppose à son importation dans le pays de consommation.

  • Libre circulation des personnes

De nombreux arrêts ont été rendus dans le domaine de la libre circulation des personnes.

Dans l'arrêt Kraus (1993), la Cour a affirmé que la situation d'un ressortissant communautaire titulaire d'un diplôme universitaire de troisième cycle, qui a été obtenu dans un autre État membre et qui facilite l'accès à une profession ou à l'exercice d'une activité économique, est régie par le droit communautaire, même en ce qui concerne les rapports de ce ressortissant avec son État membre d'origine. Ainsi, si un État membre peut soumettre l'utilisation de ce titre sur son territoire à une autorisation administrative, la procédure d'autorisation doit avoir pour seul but de vérifier si celui-ci a été régulièrement délivré.

Parmi les arrêts rendus dans ce domaine, l'un des plus connus est l'arrêt Bosman (1995), dans lequel la Cour a statué, à la demande d'une juridiction belge, sur la compatibilité de règles de fédérations de football avec la libre circulation des travailleurs. Elle a indiqué que le sport pratiqué à un niveau professionnel est une activité économique dont l'exercice ne peut pas être entravé par des règles régissant le transfert des joueurs ou limitant le nombre de joueurs ressortissants d'autres États membres. Cette dernière considération a été étendue, par des arrêts ultérieurs, à la situation des sportifs professionnels en provenance de pays tiers ayant conclu un accord d'association (arrêt Deutscher Handballbund, 2003) ou de partenariat (arrêt Simutenkov, 2005) avec les Communautés européennes.

  • Libre prestation des services

Un arrêt de 1989 sur la libre prestation des services concernait un touriste britannique qui avait été agressé et sérieusement blessé dans le métro parisien. Saisie par une juridiction française, la Cour a décidé que, en tant que touriste, il était bénéficiaire de services hors de son pays et relevait du principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit dans le droit communautaire. Il avait dès lors droit à la même indemnisation que celle à laquelle un ressortissant français pouvait prétendre (arrêt Cowan).

Saisie par des juridictions luxembourgeoises, la Cour a déclaré qu'une législation nationale aboutissant à refuser à un assuré le remboursement des frais d'un traitement dentaire au motif qu'il a été dispensé dans un autre État membre, constitue une entrave injustifiée à la libre prestation des services (arrêt Kohll, 1998) et qu'un refus de remboursement des frais liés à l'achat de lunettes à l'étranger est considéré comme une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises (arrêt Decker, 1998).

  • Égalité de traitement et droits sociaux

Une hôtesse de l'air avait engagé une action contre son employeur en raison de la discrimination dans la rémunération qu'elle percevait par rapport à ses collègues de sexe masculin qui accomplissaient le même travail. Saisie par une juridiction belge, la Cour a décidé, en 1976, que la règle du traité imposant le principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs féminins et masculins pour un même travail avait un effet direct (arrêt Defrenne).

En interprétant les règles communautaires concernant l'égalité de traitement entre hommes et femmes, la Cour a contribué à la protection des femmes contre le licenciement lié à la maternité. Ne pouvant plus travailler en raison de difficultés liées à sa grossesse, une femme fut licenciée. En 1998, la Cour a déclaré ce licenciement contraire au droit communautaire. Le licenciement d'une femme au cours de sa grossesse en raison d'absences causées par une maladie liée à la grossesse même est une discrimination interdite fondée sur le sexe (arrêt Brown).

Afin de garantir la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, il est nécessaire que ceux-ci puissent disposer d'un congé annuel payé. En 1999, le syndicat britannique BECTU a contesté la réglementation britannique, qui privait de ce droit des travailleurs ayant des contrats de travail de courte durée, au motif qu'elle n'était pas conforme à une directive communautaire concernant l'aménagement du temps de travail. La Cour a conclu (arrêt BECTU, 2001) que le droit au congé annuel payé est un droit social directement conféré à tous les travailleurs par le droit communautaire et qu'aucun travailleur ne peut en être privé.

  • Droits fondamentaux

En jugeant que le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect, la Cour a considérablement contribué à l'augmentation des standards de protection de ces droits. À cet égard, elle s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des instruments internationaux sur la protection des droits de l'homme, notamment la convention européenne des droits de l'homme, auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. Dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, elle pourra appliquer et interpréter la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, à laquelle le traité de Lisbonne reconnaît la même valeur juridique que les traités.

Après de nombreux attentats terroristes contre des policiers, le port d'armes des forces de police a été introduit en Irlande du Nord. Toutefois, pour des raisons de sécurité publique, le port d'armes n'a pas été autorisé (sur la base d'un certificat délivré par le ministère compétent et inattaquable devant les autorités judiciaires) aux femmes exerçant dans la police. En conséquence, aucun contrat d'emploi à temps complet n'a plus été offert à une femme dans la police nord-irlandaise. Saisie par une juridiction du Royaume-Uni, la Cour a décidé que l'exclusion de tout pouvoir de contrôle du juge sur un certificat d'une autorité nationale s'oppose au principe d'un recours juridictionnel effectif reconnu à toute personne qui s'estime lésée par une discrimination fondée sur le sexe (arrêt Johnston, 1986).

  • Citoyenneté de l'Union

Quant à la citoyenneté de l'Union qui, selon le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, est reconnue à toute personne ayant la nationalité d'un État membre, la Cour a confirmé que celle-ci implique le droit de séjourner sur le territoire d'un autre État membre. Ainsi, un ressortissant mineur d'un État membre, qui dispose d'une assurance maladie et de ressources suffisantes, bénéficie également d'un tel droit de séjour. Elle a souligné que le droit communautaire n'exige pas du mineur qu'il dispose lui-même de ressources nécessaires et que le refus d'accorder dans le même temps à sa mère, ressortissante d'un pays tiers, un droit de séjour priverait de tout effet utile le droit de séjour de l'enfant (arrêt Zhu et Chen, 2004).

Dans le même arrêt, la Cour a précisé que, même dans le cas où l'acquisition de la nationalité d'un État membre a pour but de procurer un droit de séjour en vertu du droit communautaire à un ressortissant d'un État tiers, un État membre ne peut pas restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre.