Language of document : ECLI:EU:C:2020:31

ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

21 janvier 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 6, paragraphe 1 – Notion d’“autorité judiciaire d’émission” – Protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire C‑813/19 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel, chambre de l’instruction, d’Aix-en-Provence (France), par décision du 5 novembre 2019, parvenue à la Cour le 5 novembre 2019, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

MN

en présence de :

RJA,

RJO,

FD,

BG,

PG,

KL,

LK,

MJ,

NI,

OH,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský, F. Biltgen et N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 5 novembre 2019, parvenue à la Cour le même jour, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 12 novembre 2019 de la troisième chambre de faire droit à ladite demande,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure en annulation, notamment, d’un mandat d’arrêt européen émis le 21 janvier 2019 par le parquet d’Aix-en-Provence (France) aux fins de poursuites pénales engagées à l’encontre de MN.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 5, 6 et 12 de la décision-cadre 2002/584 sont libellés comme suit :

« (5)      L’objectif assigné à l’Union [européenne] de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(6)      Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

[...]

(12)      La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [UE] et reflétés dans la [c]harte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son chapitre VI. [...]

[...] »

4        L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [UE]. »

5        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ladite décision-cadre, intitulé « Détermination des autorités judiciaires compétentes » :

« L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État. »

 Le droit français

 La Constitution

6        L’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose :

« Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.

Une loi organique porte statut des magistrats.

Les magistrats du siège sont inamovibles. »

 L’ordonnance no 58-1270 portant loi organique relative au statut de la magistrature

7        L’article 1er de l’ordonnance no 58-1270 portant loi organique relative au statut de la magistrature, du 22 décembre 1958 (JORF du 23 décembre 1958, p. 11551), décrit le corps judiciaire.

8        L’article 5 de cette ordonnance dispose que « [l]es magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la [J]ustice. À l’audience, leur parole est libre ».

 Le code de procédure pénale

9        L’article 1er du code de procédure pénale (ci-après le « CPP ») dispose :

« L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

[...] »

10      Le titre Ier, intitulé « Des autorités chargées de la conduite de la politique pénale, de l’action publique et de l’instruction », du livre Ier du CPP comprend notamment les articles 30, 31, 33, 35 et 36 de celui-ci. L’article 30 de ce code énonce :

« Le ministre de la [J]ustice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.

À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.

Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.

[...] »

11      Aux termes de l’article 31 du CPP, « [l]e ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ».

12      L’article 33 du CPP dispose :

« [Le ministère public] est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44. Il développe librement les observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice. »

13      L’article 35 du CPP prévoit :

« Le procureur général veille à l’application de la loi pénale dans toute l’étendue du ressort de la cour d’appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort.

Il anime et coordonne l’action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la [J]ustice au contexte propre au ressort. Il procède à l’évaluation de leur application par les procureurs de la République.

[...]

Il informe, au moins une fois par an, l’assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la [J]ustice en application du deuxième alinéa de l’article 30.

Le procureur général a, dans l’exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique. »

14      Aux termes de l’article 36 du CPP, « [l]e procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes ».

15      L’article 170 du CPP, qui figure dans la section 10, intitulée « Des nullités de l’information », du chapitre Ier du titre III du livre Ier de ce code, dispose :

« En toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. »

16      L’article 171 du CPP prévoit :

« Il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. »

17      En vertu de l’article 173, troisième alinéa, première phrase, du CPP, une partie à la procédure peut, si elle estime qu’une nullité a été commise, saisir la chambre de l’instruction par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d’instruction qui transmet le dossier de la procédure au président de la chambre de l’instruction.

18      Le livre IV du CPP, consacré à « [q]uelques procédures particulières », comprend, notamment, un titre X, intitulé « De l’entraide judiciaire internationale », lequel est subdivisé en sept chapitres, dont le chapitre IV est intitulé « Du mandat d’arrêt européen, des procédures de remise entre États membres de l’Union [...] résultant de la décision-cadre [2002/584] et des procédures de remise résultant d’accords conclus par l’Union [...] avec d’autres États ». Ce chapitre vise à transposer la décision-cadre 2002/584 en droit français et comprend les articles 695-11 et suivants du CPP.

19      Le paragraphe 1er de la section 2 de ce chapitre IV, lequel comprend trois articles, décrit les conditions d’émission du mandat d’arrêt européen. L’article 695-16 du CPP, qui est le premier de ces articles, prévoit, à son premier alinéa :

« Le ministère public près la juridiction d’instruction, de jugement ou d’application des peines ayant décerné un mandat d’arrêt met celui-ci à exécution sous la forme d’un mandat d’arrêt européen soit à la demande de la juridiction, soit d’office, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles 695-12 à 695-15. »

20      Le paragraphe 2 de cette section, intitulé « Effets du mandat d’arrêt européen », se compose des articles 695-18 à 695-21 et décrit, notamment, les droits de la personne recherchée lorsque le ministère public qui a émis le mandat d’arrêt européen a obtenu la remise de celle-ci.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      Dans le cadre de poursuites pénales, engagées en France contre plusieurs personnes pour des infractions de vols aggravés, MN a été désigné, par une de ces personnes, comme ayant participé à au moins un de ces faits. MN étant en fuite, un mandat d’arrêt européen a été émis contre lui par le parquet d’Aix-en-Provence, le 21 janvier 2019, en exécution d’un mandat d’arrêt national délivré par le juge d’instruction d’Aix-en-Provence le 16 janvier 2019.

22      MN a été appréhendé en Slovénie le 28 mars 2019 et a été remis aux autorités françaises le 12 avril 2019. Le même jour, il a d’abord été présenté au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny (France) pour, ensuite, être écroué en attendant son transfèrement devant le juge d’instruction d’Aix-en-Provence. Le 14 avril 2019, MN a comparu devant ce juge d’instruction en vue de sa mise en examen. Il a été interrogé par le juge d’instruction, le 23 mai 2019, sur les faits pour lesquels il est poursuivi. MN est en détention provisoire depuis le 12 avril 2019.

23      Aux fins de l’annulation d’un acte de procédure, sollicitée par MN, la juridiction de renvoi a été saisie sur le fondement des articles 170 et suivants du CPP. Devant cette juridiction, MN a également contesté la validité du mandat d’arrêt européen émis contre lui. Il a demandé d’en prononcer l’annulation ainsi que de tous les actes adoptés en exécution de ce mandat et d’ordonner sa remise en liberté.

24      Au soutien de cette demande, MN a invoqué trois moyens, tirés, le premier, de ce que les règles statutaires et organisationnelles auxquelles sont soumis les magistrats du ministère public français ne garantissent pas leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, dans l’exercice de leurs fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, le deuxième, de l’absence de voie de recours dirigé contre la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen, susceptible de satisfaire pleinement aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective et, le troisième, de ce que les magistrats du ministère public français ne sont pas une « autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584.

25      La juridiction de renvoi estime que les précisions apportées par la Cour dans son arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456), ne sont pas de nature à permettre de répondre à ces moyens et de statuer sur la validité du mandat d’arrêt européen en cause au principal.

26      Dans ces conditions, la cour d’appel, chambre de l’instruction, d’Aix-en-Provence (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les conditions d’émission d’un mandat d’arrêt européen par le parquet français, telles que prévues par les dispositions des articles 695-16 et suivants du [CPP], satisfont-elles pleinement aux exigences d’une protection juridictionnelle effective au sens du droit de l’Union [...] ?

2)      Le parquet français répond-il aux exigences requises pour pouvoir être qualifié d’“autorité judiciaire d’émission” au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre [2002/584] ? »

 Sur la procédure d’urgence

27      Il convient de relever, d’une part, que le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584, qui relève du titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et qu’il est donc susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

28      S’agissant, d’autre part, du critère relatif à l’urgence, il importe, selon une jurisprudence constante de la Cour, de prendre en considération la circonstance que la personne concernée dans l’affaire au principal est, à la date d’introduction de la demande de décision préjudicielle, privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal [voir, en ce sens, arrêts du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 38 ainsi que jurisprudence citée, et du 9 octobre 2019, NJ (Parquet de Vienne), C‑489/19 PPU, EU:C:2019:849, point 24].

29      En l’occurrence, il découle de la demande de décision préjudicielle que la mesure de détention dont MN fait l’objet a été ordonnée dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre lui et que la réponse aux questions préjudicielles est nécessaire, selon la juridiction de renvoi, en vue de statuer sur la validité de ce mandat d’arrêt. Ainsi, le maintien en détention de MN sur la base du mandat d’arrêt européen en cause au principal dépend des réponses apportées par la Cour aux questions posées par la juridiction de renvoi.

30      Dans ces conditions, la troisième chambre de la Cour a décidé, le 12 novembre 2019, sur proposition de la juge rapporteure, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur les questions préjudicielles

31      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

32      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

33      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il est satisfait aux conditions de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, tel qu’interprété par la Cour dans sa jurisprudence et, notamment, dans l’arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456),  lorsque le parquet français émet un mandat d’arrêt européen. Plus particulièrement, d’une part, elle souhaite savoir si les magistrats du parquet français, placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques ainsi que sous l’autorité du ministre de la Justice en vertu des règles statutaires et organisationnelles auxquelles ils sont soumis, peuvent être qualifiés d’« autorité judiciaire d’émission » au sens de cette disposition. D’autre part, elle cherche à déterminer si les conditions d’émission du mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales par le parquet français satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, dès lors qu’un juge contrôle et examine le caractère proportionné de la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen avant son adoption et si, à défaut, tel est le cas lorsqu’un contrôle juridictionnel peut également être exercé sur cette décision, après la remise effective de la personne recherchée.

 Sur la notion d’« autorité judiciaire d’émission »

34      Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, l’« autorité judiciaire d’émission » est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

35      Selon la jurisprudence de la Cour, si, conformément au principe d’autonomie procédurale, les États membres peuvent désigner, selon leur droit national, l’« autorité judiciaire » ayant compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen, le sens et la portée de cette notion ne sauraient être laissés à l’appréciation de chaque État membre, ladite notion requérant, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte à la fois des termes de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, du contexte dans lequel il s’insère et de l’objectif poursuivi par cette décision-cadre [arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 51 ainsi que jurisprudence citée].

36      Ainsi, la Cour a dit pour droit que la notion d’« autorité judiciaire d’émission » , au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, est susceptible d’englober les autorités d’un État membre qui, sans nécessairement être des juges ou des juridictions, participent à l’administration de la justice pénale de cet État membre, à la différence, notamment, des ministères ou des services de police, qui relèvent du pouvoir exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, points 50 et 51]. En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’autorité judiciaire d’émission doit agir de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen. Cette indépendance requiert l’existence de règles statutaires et organisationnelles propres à garantir que l’autorité judiciaire d’émission ne soit pas exposée, dans le cadre de l’adoption d’une décision d’émettre un tel mandat d’arrêt, à un quelconque risque d’être soumise à des instructions individuelles extérieures au pouvoir judiciaire, émanant notamment du pouvoir exécutif [voir, en ce sens, arrêts du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 74, ainsi que du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 52].

37      Cette exigence d’indépendance ne prohibe pas, toutefois, les instructions internes qui peuvent être données aux magistrats du parquet par leurs supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes magistrats du parquet, sur la base du lien de subordination qui régit le fonctionnement du ministère public [arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 56].

38      En l’occurrence, il ressort des règles statutaires et organisationnelles du ministère public français citées par la décision de renvoi, que les membres du parquet, qui, en France, ont la qualité de magistrats, participent à l’administration de la justice pénale.

39      S’agissant de la question de savoir si ces magistrats du parquet français agissent de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, il découle de l’arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, points 54 et 55), que tel est le cas.

40      À cet égard, il résulte du point 54 de cet arrêt que l’article 64 de la Constitution garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire, dont les magistrats du parquet font partie, et que, en vertu de l’article 30 du CPP, le ministère public exerce ses fonctions de manière objective à l’abri de toute instruction individuelle émanant du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice pouvant seulement adresser à ces magistrats des instructions générales de politique pénale qui ne sauraient en aucun cas avoir pour effet d’empêcher un magistrat du parquet d’exercer son pouvoir d’appréciation quant au caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen. En outre, conformément à l’article 31 du CPP, le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi dans le respect du principe d’impartialité.

41      De tels éléments suffisent à démontrer, selon la Cour, que, en France, les magistrats du parquet disposent du pouvoir d’apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge [arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 55].

42      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 en ce sens que relèvent de la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de cette disposition, les magistrats du parquet français, placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques ainsi que sous l’autorité du ministre de la Justice en vertu des règles statutaires et organisationnelles auxquelles ils sont soumis, dès lors que leur statut leur confère une garantie d’indépendance, notamment par rapport au pouvoir exécutif, dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen.

 Sur le droit à une protection juridictionnelle effective

43      S’agissant du droit à une protection juridictionnelle effective, il découle de la jurisprudence de la Cour que le système du mandat d’arrêt européen comporte une protection à deux niveaux des droits en matière de procédure et des droits fondamentaux dont doit bénéficier la personne recherchée, dès lors que, à la protection judiciaire prévue au premier niveau, lors de l’adoption d’une décision nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, s’ajoute celle devant être assurée au second niveau, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, laquelle peut intervenir, le cas échéant, dans des délais brefs, après l’adoption de ladite décision judiciaire nationale [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

44      Ainsi, s’agissant d’une mesure qui, telle que l’émission d’un mandat d’arrêt européen, est de nature à porter atteinte au droit à la liberté de la personne concernée, cette protection implique qu’une décision satisfaisant aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective soit adoptée, à tout le moins, à l’un des deux niveaux de ladite protection [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 68].

45      Quant au second niveau de protection des droits de la personne concernée, la Cour a déjà jugé que celui-ci implique que l’autorité judiciaire d’émission – à laquelle il incombe d’assurer ce second niveau de protection même si le mandat d’arrêt européen se fonde sur une décision nationale rendue par une juridiction – contrôle le respect des conditions nécessaires à cette émission et examine de façon objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge, et sans être exposée au risque d’être soumise à des instructions extérieures, notamment de la part du pouvoir exécutif, si ladite émission revêt un caractère proportionné [voir, en ce sens, arrêts du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, points 71 à 73, et du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 61].

46      Par ailleurs, lorsque le droit de l’État membre d’émission attribue la compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen à une autorité qui, tel que c’est le cas dans le litige au principal, tout en participant à l’administration de la justice de cet État membre, n’est pas elle-même une juridiction, la décision d’émettre un tel mandat d’arrêt et, notamment, le caractère proportionné d’une telle décision doivent pouvoir être soumis, dans ledit État membre, à un recours juridictionnel qui satisfait pleinement aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 75].

47      Ce recours contre la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen prise par une telle autorité a pour objectif de garantir que le contrôle du respect des conditions nécessaires à l’émission d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales et, notamment, son caractère proportionné est exercé dans le cadre d’une procédure qui respecte les exigences découlant d’une protection juridictionnelle effective. Il revient dès lors aux États membres de veiller à ce que leurs ordres juridiques garantissent de manière effective le niveau de protection juridictionnelle requis par la décision-cadre 2002/584, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, au moyen de règles procédurales qu’ils mettent en œuvre et qui peuvent différer d’un système à l’autre [arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, points 63 et 64].

48      À cet égard, il importe de souligner que l’instauration d’un droit de recours distinct contre la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen prise par une autorité judiciaire autre qu’une juridiction ne constitue qu’une possibilité, dès lors que la décision-cadre 2002/584 n’empêche pas un État membre d’appliquer ses règles procédurales à l’égard de l’émission d’un mandat d’arrêt européen pour autant qu’il n’est pas fait échec à l’objectif de cette décision-cadre et aux exigences découlant de celle-ci [arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours), C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, points 65 et 66 ainsi que jurisprudence citée].

49      S’agissant, en particulier, de l’ensemble des règles procédurales existant dans l’ordre juridique français, permettant le contrôle juridictionnel du caractère proportionné de la décision du ministère public d’émettre un mandat d’arrêt européen, il découle de l’arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, points 67 à 71), que le système mis en place par ces règles répond à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective.

50      En effet, aux points 67 et 68 de cet arrêt, il a été constaté que l’émission d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales procède nécessairement, dans l’ordre juridique français, d’un mandat d’arrêt national décerné par une juridiction, généralement le juge d’instruction, et que, lorsqu’un tel mandat d’arrêt européen est émis par le ministère public, la juridiction ayant décerné le mandat d’arrêt national sur la base duquel le mandat d’arrêt européen a été émis demande concomitamment au ministère public d’émettre un mandat d’arrêt européen et opère une appréciation des conditions nécessaires à l’émission d’un tel mandat d’arrêt européen et notamment de son caractère proportionné.

51      En outre, la Cour a fait observer au point 69 dudit arrêt que, dans ce même ordre juridique français, la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen peut, en tant qu’acte de procédure, faire l’objet d’une action en nullité sur le fondement des articles 170 et suivants du CPP, tout en soulignant qu’une telle action, ouverte aussi longtemps que se déroule l’instruction pénale, permet aux parties à la procédure de faire respecter leurs droits.

52      Par ailleurs, la constatation selon laquelle le système mis en place par l’ensemble des règles procédurales existant dans l’ordre juridique français répond à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective, telle qu’elle ressort du point 49 de la présente ordonnance, ne saurait être remise en cause par le fait que ladite action en nullité, telle que celle en cause au principal, n’est ouverte qu’aux parties à la procédure, ce qui implique que, lorsque le mandat d’arrêt européen est émis à l’encontre d’une personne qui n’est pas encore partie à la procédure, celle-ci ne pourra exercer l’action en nullité qu’après sa remise effective et sa comparution devant le juge d’instruction, ainsi que la Cour l’a relevé au point 69 de l’arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077).

53      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que relèvent de la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de cette disposition, les magistrats du parquet français, placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques, ainsi que sous l’autorité du ministre de la Justice en vertu des règles statutaires et organisationnelles auxquelles ils sont soumis, dès lors que leur statut leur confère une garantie d’indépendance, notamment par rapport au pouvoir exécutif, dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen. La décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que les exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne à l’encontre de laquelle est émis un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales sont satisfaites dès lors que, selon la législation de l’État membre d’émission, les conditions de délivrance de ce mandat et, notamment, son caractère proportionné font l’objet d’un contrôle juridictionnel dans cet État membre.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, doit être interprété en ce sens que relèvent de la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de cette disposition, les magistrats du parquet français, placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques ainsi que sous l’autorité du ministre de la Justice en vertu des règles statutaires et organisationnelles auxquelles ils sont soumis, dès lors que leur statut leur confère une garantie d’indépendance, notamment par rapport au pouvoir exécutif, dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen.

La décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que les exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne à l’encontre de laquelle est émis un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales sont satisfaites dès lors que, selon la législation de l’État membre d’émission, les conditions de délivrance de ce mandat et, notamment, son caractère proportionné font l’objet d’un contrôle juridictionnel dans cet État membre.

Fait à Luxembourg, le 21 janvier 2020.

Le greffier

Le président de la IIIème chambre

A. Calot Escobar

 

A. Prechal


*      Langue de procédure : le français.