Language of document : ECLI:EU:C:2010:343

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

16 juin 2010 (*)

«Article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure – Adhésion à l’Union européenne – Libre prestation des services – Directive 96/71/CE – Détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services – Entreprise de travail intérimaire – Exigence d’un siège sur le territoire de l’État membre dans lequel la prestation est fournie»

Dans l’affaire C‑298/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Fővárosi Bíróság (Hongrie), par décision du 2 juin 2009, parvenue à la Cour le 29 juillet 2009, dans la procédure

RANI Slovakia s. r. o.

contre

Hankook Tire Magyarország kft,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme P. Lindh, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

la Cour se proposant de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 1, sous c), CE, 49 CE, 52 CE et 54 CE, ainsi que des dispositions de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant RANI Slovakia s. r. o. (ci-après «RANI Slovakia») à Hankook Tire Magyarország kft (ci-après «Hankook Tire») à la suite de la résiliation par cette dernière du contrat qu’elle avait conclu avec RANI Slovakia pour obtenir la mise à disposition, à titre temporaire, de 400 travailleurs.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

 L’acte d’adhésion

3        L’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République Slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci-après l’«acte d’adhésion»), prévoit à son article 2, figurant dans la première partie dudit acte, intitulée «Les principes»:

«Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte.»

4        L’article 24 de l’acte d’adhésion, figurant sous le titre I, intitulé «Les mesures transitoires», de la quatrième partie dudit acte, est libellé comme suit: 

«Les mesures énumérées dans la liste figurant aux annexes V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII et XIV du présent acte sont applicables en ce qui concerne les nouveaux États membres dans les conditions définies par lesdites annexes.»

5        Les mesures transitoires visées audit article 24 sont énumérées, en ce qui concerne la République de Hongrie, dans la liste figurant à l’annexe X de l’acte d’adhésion. Cette liste ne comporte aucune condition spécifique pour ce qui est de l’applicabilité, dans cet État membre, des dispositions du droit de l’Union régissant la libre prestation des services.

6        L’article 53 de l’acte d’adhésion, figurant sous le titre II, intitulé «Applicabilité des actes des institutions», de la cinquième partie dudit acte, dispose: 

«Dès l’adhésion, les nouveaux États membres sont considérés comme étant destinataires des directives et des décisions, au sens de l’article 249 du traité CE […], pour autant que ces directives […] aient été adressées à tous les États membres actuels. Sauf en ce qui concerne les directives et les décisions qui entrent en vigueur en vertu de l’article 254, paragraphes 1 et 2, du traité CE, les nouveaux États membres sont considérés comme ayant reçu notification de ces directives et décisions au moment de l’adhésion.»

7        L’article 54 de l’acte d’adhésion, figurant sous ce même titre II, prévoit:

«Les nouveaux États membres mettent en vigueur les mesures qui leur sont nécessaires pour se conformer, dès l’adhésion, aux dispositions des directives […] au sens de l’article 249 du traité CE […], à moins qu’un autre délai ne soit prévu dans les annexes visées à l’article 24, ou dans d’autres dispositions du présent acte ou de ses annexes.»

 La directive 96/71

8        Les deuxième, sixième, treizième, dix-huitième et dix-neuvième considérants de la directive 96/71 énoncent:

«(2)      considérant que, en ce qui concerne la prestation de services, toute restriction fondée sur la nationalité ou des conditions de résidence est interdite par le traité depuis la fin de la période de transition;

[…]

(6)      considérant que la transnationalisation de la relation de travail soulève des problèmes quant au droit applicable à cette relation de travail et qu’il convient, dans l’intérêt des parties, de prévoir les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail envisagée;

[…]

(13)      considérant que les législations des États membres doivent être coordonnées de manière à prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale que doivent observer, dans le pays d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs en vue d’effectuer un travail à titre temporaire sur le territoire de l’État membre de la prestation; qu’une telle coordination ne peut être assurée que par le droit communautaire;

[…]

(18)      considérant qu’il convient de respecter le principe selon lequel les entreprises établies en dehors de la Communauté ne doivent pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies sur le territoire d’un État membre;

(19)      considérant que, sans préjudice d’autres dispositions communautaires, la présente directive n’entraîne pas l’obligation de reconnaître légalement l’existence d’entreprises de travail temporaire, ni [ne] porte atteinte à l’application, par des États membres, de leur législation relative à la mise à disposition de travailleurs et d’entreprises de travail temporaire auprès d’entreprises non établies sur leur territoire, mais y exerçant des activités dans le cadre d’une prestation de services».

9        En vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71, celle-ci s’applique aux entreprises établies dans l’Union européenne qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs en vue d’effectuer, à titre temporaire, un travail sur le territoire d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel ils accomplissent habituellement leur travail. Il est précisé, au paragraphe 3, sous c), du même article, que ladite directive s’applique dans des circonstances où une entreprise de travail intérimaire ou une entreprise qui met un travailleur à disposition détache un travailleur auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

10      Le paragraphe 4 de ce même article 1er dispose que les entreprises établies dans un État non membre ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies dans un État membre.

11      En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 96/71, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant, entre autres, les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire, en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté. Il est précisé au paragraphe 9 du même article que les États membres peuvent prévoir que les entreprises en cause garantissent aux travailleurs au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de ladite directive le bénéfice des conditions qui sont applicables aux travailleurs intérimaires dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté.

 La réglementation nationale

12      L’article 193, C, sous a) à c), de la loi XXII de 1992, portant code du travail (A Munka Törvénykönyvéről szóló 1992 évi XXII. törvény, ci-après le «code du travail»), régit le travail intérimaire. Il contient les définitions suivantes:

«a)      ‘Prêt de main-d’œuvre’ (travail intérimaire): activité dans le cadre de laquelle un prêteur met à la disposition d’un emprunteur, en échange d’une contrepartie, un travailleur qui a un lien d’emploi avec lui aux fins du prêt;

b)      ‘Prêteur’: employeur qui détache des travailleurs ayant un lien d’emploi avec lui auprès d’un emprunteur et exerce, conjointement avec l’emprunteur, les droits et obligations de l’employeur;

c)      ‘Emprunteur’: employeur qui, dans le cadre d’un prêt, emploie des travailleurs détachés et exerce, conjointement avec le prêteur, les droits et obligations de l’employeur.»

13      L’article 193, D, paragraphe 1, du code du travail précise que le prêteur ne peut être qu’une société commerciale à responsabilité limitée, une entreprise d’intérêt général ou une coopérative – s’agissant de travailleurs qui n’en sont pas adhérents – ayant son siège sur le territoire national, qui répond aux conditions fixées par ledit code ou d’autres législations et qui est inscrite dans le registre de l’office national de l’emploi. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 2001.

14      Le décret gouvernemental 118/2001 (VI.30) porte sur l’inscription dans le registre et les conditions d’exercice de l’activité de travail intérimaire et d’intermédiaire en matière d’emploi.

15      En vertu de l’article 3, paragraphe 2, dudit décret, le prêteur au sens de l’article 193, D, paragraphe 1, du code du travail peut exercer l’activité de travail intermédiaire dans les conditions prescrites par celui-ci. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, dudit décret, le service de l’emploi territorialement compétent inscrit le prêteur ou l’intermédiaire dans le registre si les conditions prescrites par cette disposition sont remplies. En application de l’article 9, paragraphe 1, du même décret, le prêteur peut entreprendre son activité dès que la décision d’inscription est devenue définitive.

16      Selon la juridiction de renvoi, en application de la réglementation nationale en vigueur, une société ayant son siège dans un État membre autre que la République de Hongrie ne peut pas exercer, sur le territoire de cette dernière, l’activité d’entreprise de travail intérimaire.

  Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Le 27 avril 2007, dans le cadre du démarrage de sa nouvelle usine en Hongrie, Hankook Tire a conclu un contrat de travail intérimaire (un contrat de prêt de main-d’œuvre) avec RANI Slovakia (ci-après le «contrat»). Par ce contrat, cette dernière société, en tant que «prêteur», s’engageait à mettre à la disposition de Hankook Tire, en tant qu’«emprunteur», contre rémunération, 400 travailleurs répondant à certaines conditions. Ces derniers étaient censés exercer leurs fonctions pendant une période indéterminée débutant le 2 mai 2007.

18      Le 25 juin 2007, Hankook Tire a annoncé à RANI Slovakia qu’elle allait intégrer, dans ses effectifs, quinze travailleurs mis à disposition jusqu’alors par cette dernière société.

19      Le 18 juillet 2007, Hankook Tire a proposé à RANI Slovakia de mettre fin au contrat d’un commun accord. Cette dernière n’ayant pas accepté cette proposition, ces sociétés ont considéré que le contrat avait été résilié par Hankook Tire à compter de cette date et ont soldé les comptes concernant les quinze travailleurs intégrés.

20      Soutenant que le contrat avait été résilié sans motif valable et de manière illégale, RANI Slovakia a introduit un recours devant la juridiction de renvoi. Elle demande que Hankook Tire soit condamnée à lui verser une indemnité de 306 129 091 HUF (environ 1 096 608 euros au taux de change actuel) à titre de dommages et intérêts pour les dépenses réalisées en vue d’exécuter ledit contrat et pour compenser son manque à gagner.

21      Hankook Tire conclut au rejet du recours. Selon elle, le contrat est contraire au droit hongrois et, partant, invalide. La réglementation interne applicable réserverait l’exercice d’activité d’entreprise de travail intérimaire aux seules sociétés ayant leur siège sur le territoire national. Le contrat étant invalide, aucune indemnisation ne saurait être revendiquée. Par ailleurs, cette société soutient que RANI Slovakia n’était pas en mesure d’exécuter ledit contrat. En effet, en deux mois, cette dernière n’aurait pu mettre à la disposition de Hankook Tire que quinze travailleurs.

22      La juridiction de renvoi considère que le contrat porte sur une activité interdite par la réglementation nationale aux sociétés ayant leur siège à l’étranger. En application de celle-ci, le contrat serait illégal et, partant, nul et non avenu. Ladite juridiction émet cependant quelques doutes, à la suite d’une interrogation soulevée par RANI Slovakia, quant à la conformité de cette réglementation avec les dispositions du traité CEE régissant la libre prestation des services ainsi qu’avec celles de la directive 96/71.

23      Dans ces conditions, le Fővárosi Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Compte tenu des articles 3, sous c), et 59 du traité de Rome, est-il possible d’interpréter le dix-neuvième considérant de la directive 96/71 […] en ce sens que – s’agissant de l’activité d’entreprise de travail intérimaire – un État membre est libre de fixer dans son droit national les conditions qui sont imposées à l’employeur (l’entreprise) pour être autorisé à poursuivre une telle activité sur le territoire de l’État membre en cause et, dans ce contexte, le droit national peut-il restreindre l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux sociétés établies sur le territoire national?

2)      Est-il possible d’interpréter l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 96/71 […] en ce sens que l’entreprise établie dans l’État membre en question peut, en ce qui concerne l’autorisation de l’activité, bénéficier d’un traitement plus avantageux qu’une entreprise établie dans un autre État membre?

3)      Est-il possible d’interpréter les dispositions combinées des articles 59, 62 et 63 du traité de Rome en ce sens que les restrictions existantes au moment de l’adhésion à l’Union européenne peuvent être maintenues et ne doivent pas être considérées comme étant contraires au droit communautaire tant que le Conseil [de l’Union européenne] n’a pas adopté un programme et une directive pour mettre en œuvre celui-ci, en vue de fixer les conditions de la libéralisation de la catégorie de prestation en cause?

4)      Si la réponse aux questions précédentes est négative, existe-t-il un intérêt général qui permet de justifier la restriction selon laquelle l’activité d’entreprise de travail intérimaire ne peut être exercée que par une société établie sur le territoire de l’État membre en cause, et cette restriction est-elle alors compatible avec les articles 59 et 65 du traité de Rome?»

 Sur les questions préjudicielles

24      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande si la libre prestation des services, consacrée aux articles 59 du traité CEE (devenu article 59 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 49 CE), 62 du traité CEE (devenu article 62 du traité CE, abrogé par le traité d’Amsterdam) ainsi que 63 du traité CEE (devenu article 63 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 52 CE), et mise en œuvre notamment par les dispositions de la directive 96/71, s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle faisant l’objet du litige au principal, qui réserve le droit d’exercer l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux seules sociétés établies sur le territoire national.

25      En vertu de l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut statuer par voie d’ordonnance motivée.

 Observations liminaires

26      En ce qui concerne le cadre juridique national, le gouvernement hongrois considère que la description, par la juridiction de renvoi, de la réglementation interne applicable est incomplète, voire erronée. Selon ce gouvernement, cette réglementation ainsi que les pratiques nationales permettent aux sociétés établies dans les États membres de détacher des travailleurs ressortissants des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), en vue de fournir des services de travail intérimaire en Hongrie sans imposer à ces dernières le respect de formalités particulières. Ladite réglementation ne serait applicable qu’aux sociétés nationales et viserait à régir les conditions afférentes à la forme sociale de celles-ci. Il serait exclu d’imposer de telles conditions à des sociétés ayant leur siège sur le territoire d’un autre État membre. En effet, en application des dispositions nationales portant transposition de la directive 96/71, de telles sociétés détachant des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services ne devraient observer qu’un «noyau dur» de règles protectrices. Or, la réglementation en cause au principal ne ferait pas partie de telles règles. Par ailleurs, des entreprises de travail intérimaire ayant leur siège dans des États membres autres que la République de Hongrie exerceraient l’activité en cause sur le territoire de celle-ci depuis des années.

27      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction de renvoi est correcte. En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et celles des États membres, le contexte réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2000, Corsten, C-58/98, Rec. p. I-7919, point 24; du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10; du 4 décembre 2008, Jobra, C-330/07, Rec. p. I-9099, point 17, ainsi que du 23 avril 2009, Angelidaki e.a., C‑378/07 à C-380/07, Rec. p. I‑3071, point 48).

28      Dès lors, l’examen du présent renvoi préjudiciel doit être effectué en partant de la prémisse, retenue par la juridiction de renvoi, selon laquelle la réglementation en cause au principal réserve l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux sociétés ayant leur siège sur le territoire national.

29      Par ailleurs, quand bien même la pratique administrative nationale n’empêcherait pas une société ayant son siège dans un autre État membre d’exercer l’activité d’entreprise de travail intérimaire en Hongrie, cette seule circonstance ne saurait être de nature à dissiper les doutes exprimés par la juridiction de renvoi concernant la compatibilité de la réglementation en cause au principal avec le principe de la libre prestation des services. En effet, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations découlant du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 7 mars 1996, Commission/France, C-334/94, Rec. p. I-1307, point 30, et du 4 juin 2009, SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, C‑102/08, Rec. p. I‑4629, point 43).

30      Quant à l’ordre d’examen des questions posées par la juridiction de renvoi, il convient de relever que la troisième question se rapporte aux conditions d’application en Hongrie des dispositions du droit de l’Union régissant la libre prestation des services pour ce qui est de l’activité d’entreprise de travail intérimaire. Les première, deuxième et quatrième questions, quant à elles, sont relatives au point de savoir si le principe de la libre prestation des services s’oppose à une réglementation nationale interdisant l’activité en cause aux sociétés ayant leur siège sur le territoire d’un État membre autre que la République de Hongrie. La troisième question conduisant la Cour à se prononcer sur les conditions de l’adhésion de ce dernier État à l’Union, il est justifié de l’examiner avant d’aborder les autres questions.

 Sur la troisième question

31      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si les dispositions communautaires régissant la libre prestation des services peuvent être interprétées en ce sens qu’une réglementation d’un État membre portant sur l’activité d’entreprise de travail intérimaire, en vigueur à la date de l’adhésion de cet État à l’Union, reste valide tant que le Conseil n’a pas adopté un programme ou des directives aux fins de mettre en œuvre ces dispositions, en vue de fixer les conditions de la libéralisation de la catégorie de prestation de services en cause.

32      Il ressort de la décision de renvoi que cette question est posée dans le cadre d’un litige mettant en cause la légalité d’une réglementation hongroise réservant l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux sociétés ayant leur siège sur le territoire de la République de Hongrie, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2001, soit à une date antérieure à l’adhésion de cet État membre à l’Union, laquelle est intervenue le 1er mai 2004. La juridiction de renvoi se demande à cet égard s’il peut être déduit des dispositions du traité CEE régissant la suppression progressive des obstacles à la réalisation de la libre prestation des services, au cours d’une période de transition à compter de l’entrée en vigueur de ce traité, que les restrictions existantes applicables dans un État membre au moment de l’adhésion de celui-ci à l’Union demeurent légales aussi longtemps que des mesures réglementaires n’ont pas été adoptées par le législateur communautaire en vue de les supprimer. En effet, aux termes de l’article 63 du traité CEE, le Conseil devait adopter, selon certaines modalités que cet article précisait, un programme général pour la suppression des restrictions à la libre prestation des services.

33      À cet égard, il convient de rappeler que le programme visé par ledit article 63 a été arrêté le 18 décembre 1961 (JO 1962, 2, p. 32) et plusieurs directives ont été adoptées pour sa mise en œuvre. Quant à la période de transition prévue par les dispositions du traité CEE relatives à la libre prestation des services, elle est arrivée à expiration le 1er janvier 1970. Ainsi, tant à la date d’adhésion de la République de Hongrie à l’Union, le 1er mai 2004, qu’à l’époque des faits du litige au principal, qui se sont déroulés au cours de l’année 2007, les dispositions trouvant à s’appliquer étaient celles prévues aux articles 49 CE à 54 CE.

34      Selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE est devenu d’application directe dans les ordres juridiques des États membres à la fin de la période de transition, sans que son applicabilité soit subordonnée à l’harmonisation ou à la coordination des législations des États membres (voir, en ce sens, arrêts du 4 décembre 1986, Commission/France, 220/83, Rec. p. 3663, point 16; Commission/Allemagne, 205/84, Rec. p. 3755, point 25, et Commission/Irlande, 206/84, Rec. p. 3817, point 16).

35      La Cour a également jugé que, dans la mesure où ledit article vise à l’élimination des restrictions à la libre prestation des services résultant de la circonstance que le prestataire est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie, elle confère aux particuliers des droits qu’ils peuvent faire valoir en justice et que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, notamment, arrêts du 3 décembre 1974, van Binsbergen, 33/74, Rec. p. 1299, point 27; du 14 juillet 1976, Donà, 13/76, Rec. p. 1333, point 20, et du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C-341/05, Rec. p. I‑11767, point 97).

36      Selon une jurisprudence bien établie, l’activité consistant, pour une entreprise, à mettre à disposition, contre rémunération, de la main-d’œuvre qui reste au service de ladite entreprise sans qu’aucun contrat de travail soit conclu avec l’utilisateur de cette main-d’œuvre constitue un service au sens de l’article 50, premier alinéa, CE (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, Rec. p. 3305, point 9).

37      Or, il est constant que l’acte d’adhésion ne prévoit aucune condition spécifique quant à l’applicabilité, dans l’ordre juridique de la République de Hongrie, des dispositions du traité CE régissant la libre prestation des services. Il en est ainsi également en ce qui concerne l’applicabilité, dans cet État membre, des dispositions de la directive 96/71.

38      En l’absence de telles conditions, les dispositions visées au point précédent sont devenues applicables à cet État membre dès la date de son adhésion à l’Union, conformément aux articles 2, 53 et 54 dudit acte (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS, C‑122/96, Rec. p. I-5325, point 14; ordonnance du 17 septembre 2009, Pannon GSM Távközlési, C-143/09, point 17, ainsi que arrêt du 12 novembre 2009, Elektrownia Pątnów II, C-441/08, non encore publié au Recueil, point 32).

39      Il convient dès lors de répondre à la troisième question que les articles 49 CE à 54 CE ne sauraient être interprétés en ce sens qu’une réglementation d’un État membre portant sur l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire, en vigueur à la date de l’adhésion de cet État à l’Union, reste valide tant que le Conseil n’a pas adopté un programme ou des directives aux fins de mettre en œuvre ces dispositions, en vue de fixer les conditions de la libéralisation de la catégorie de prestation de services en cause. 

 Sur les première et deuxième questions

40      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si les dispositions de la directive 96/71 peuvent être interprétées en ce sens qu’elles permettent à un État membre soit de réserver l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux sociétés ayant leur siège sur le territoire national, soit d’accorder à ces dernières un traitement plus avantageux, en ce qui concerne l’autorisation de l’activité en cause, que celui octroyé aux entreprises établies dans un autre État membre.

41      La juridiction de renvoi se réfère, en particulier, au dix-neuvième considérant de la directive 96/71 qui précise que celle-ci ne vise pas à obliger les États membres de reconnaître légalement l’existence d’entreprises de travail temporaire. Elle renvoie, en outre, à l’article 1er, paragraphe 4, de cette directive selon lequel les entreprises établies dans un État non membre ne peuvent obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies dans un État membre. Or, la question se poserait de savoir si ladite disposition, dans la mesure où elle n’interdit que le fait d’accorder à des entreprises établies en dehors de l’Union un traitement plus favorable que celui octroyé aux entreprises ayant leur siège dans l’Union, pourrait être interprétée en ce sens qu’il est loisible de favoriser des sociétés nationales par rapport aux sociétés établies dans un autre État membre.

42      Il convient de relever d’emblée que, dans ses observations écrites, le gouvernement néerlandais a relevé que le litige au principal oppose deux particuliers. Ainsi, se poserait la question de l’effet direct horizontal des dispositions de ladite directive, au sens de la jurisprudence découlant des arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723, point 48), du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, Rec. p. I-3325, points 20 et 26), du 7 janvier 2004, Wells (C-201/02, Rec. p. I-723, point 56) ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I-8835, point 109). 

43      En tout état de cause, il convient d’examiner si les dispositions visées par la juridiction de renvoi peuvent être utilement invoquées dans des circonstances telles que celles du litige au principal.

44      À cet égard, il importe de rappeler que la directive 96/71 a été adoptée, en vue de prévoir, dans l’intérêt des employeurs et de leur personnel, les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail lorsqu’une entreprise établie dans un État membre donné détache des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre, à titre temporaire, dans le cadre d’une prestation de services (voir, notamment, arrêt Laval un Partneri, précité, point 58).

45      Ainsi que l’énonce le treizième considérant la directive 96/71, celle-ci vise à coordonner les législations des États membres de manière à «prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale» que doivent observer, dans l’État membre d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs transfrontaliers en vue de fournir des services (voir, en ce sens, arrêts Laval un Partneri, précité, point 59, et du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg, C-319/06, Rec. p. I-4323, point 24). À cet effet, l’article 3, paragraphe 1, de cette même directive contient une énumération limitative des matières relatives aux conditions de travail et d’emploi pour lesquelles les États membres peuvent faire prévaloir les règles en vigueur dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt Commission/Luxembourg, précité, points 25 et 26).

46      En revanche, la directive 96/71 n’a pas harmonisé le contenu matériel de ces règles nationales. Ce contenu peut dès lors, en principe, être défini par les États membres (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑490/04, Rec. p. I‑6095, point 19, ainsi que Laval un Partneri, précité, point 60). Il incombe toutefois à ceux-ci, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les dispositions du traité CE et les principes généraux du droit communautaire, y compris l’article 49 CE (voir, en ce sens, arrêts du 12 octobre 2004, Wolff & Müller, C-60/03, Rec. p. I‑9553, point 30; du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 19, et Commission/Luxembourg, précité, point 33). Au demeurant, le dix-neuvième considérant de la directive 96/71 souligne que celle-ci s’applique sans préjudice d’autres dispositions du droit communautaire.

47      Dans la mesure où un État membre permet aux sociétés ayant leur siège sur le territoire national d’exercer l’activité d’entreprise de travail intérimaire, il doit respecter les articles 49 CE à 54 CE qui interdisent, en ce qui concerne la prestation des services, toute restriction fondée sur la nationalité ou des conditions de résidence (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 83). Ce principe est, par ailleurs rappelé au deuxième considérant de la directive 96/71.

48      Ainsi, le dix-neuvième considérant de ladite directive ne saurait être interprété en ce sens qu’un État membre pourrait réserver l’exercice de l’activité en cause aux seules sociétés ayant leur siège sur le territoire national.

49      Quant à l’incidence de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 96/71 sur la solution du litige au principal, il convient de constater que cette disposition ne saurait non plus être interprétée en ce sens. Ainsi qu’il a été rappelé au point 47 de la présente ordonnance, les articles 49 CE à 54 CE interdisent, en ce qui concerne la prestation des services, toute restriction fondée sur la nationalité ou des conditions de résidence.

50      En outre, il y a lieu d’observer que ladite disposition porte sur le traitement des entreprises établies en dehors de l’Union par rapport à celles ayant leur siège dans l’Union. Or, le litige au principal oppose des sociétés qui sont toutes deux établies dans un État membre.

51      Dans de telles circonstances, il convient de répondre aux première et deuxième questions que ni le dix-neuvième considérant de la directive 96/71 ni l’article 1er, paragraphe 4, de celle-ci ne sauraient être interprétés en ce sens qu’un État membre pourrait réserver l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux seules sociétés ayant leur siège sur le territoire national ou accorder à ces dernières un traitement plus avantageux, en ce qui concerne l’autorisation de l’activité en cause, que celui octroyé aux entreprises établies dans un autre État membre. 

 Sur la quatrième question

52      La quatrième question est posée dans l’hypothèse où les autres questions appellent une réponse négative. La juridiction de renvoi se demande si une restriction à la libre prestation des services, telle que celle prévue par la réglementation en cause au principal, peut être justifiée par un intérêt général reconnu par le droit de l’Union.

53      Il découle d’une jurisprudence constante que la condition selon laquelle une entreprise doit créer un établissement stable ou une filiale dans l’État membre où la prestation est exécutée constitue une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE. Pour que soit admise une telle exigence, qui, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, est en fait la négation même de la liberté fondamentale de prestation des services, il faut établir qu’elle constitue une condition indispensable pour atteindre l’objectif recherché, reconnu par le droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 9 juillet 1997, Parodi, C-222/95, Rec. p. I‑3899, point 31, et du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C-452/04, Rec. p. I‑9521, point 46).

54      Dans ses observations écrites, la République de Hongrie, faisant valoir que la description du cadre juridique national effectuée par la juridiction de renvoi est incomplète, voire erronée, n’a pas considéré qu’il était pertinent d’exposer les motifs pouvant relever de l’une des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier la réglementation en cause au principal.

55      La juridiction de renvoi ne fait pas non plus mention d’un intérêt général de nature à justifier la restriction en cause. Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que Hankook Tire s’est référée, devant cette juridiction, à la circonstance que les règles régissant l’exercice de l’activité de travail intérimaire peuvent varier d’un État membre à l’autre, en fonction de considérations de protection du marché du travail national, ainsi qu’à l’existence de conditions différentes ou plus strictes dans les législations d’autres États membres, justifiées par la protection des travailleurs.

56      S’il est vrai que l’objectif de la protection des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts Webb, précité, point 19; du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda, C‑288/89, Rec. p. I-4007, point 14; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I‑8453, point 36, ainsi que du 7 février 2002, Commission/Italie, C‑279/00, Rec. p. I‑1425, point 19), il n’en demeure pas moins que l’exigence de la présence du siège sur le territoire national, telle qu’elle découle de la réglementation en cause au principal, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 20).

57      Dans ce contexte, il convient de rappeler que la directive 96/71 s’applique précisément dans l’hypothèse où une entreprise, qui n’a pas de siège sur le territoire d’un État membre autre que celui dans lequel elle est établie, détache, sur le territoire de l’État membre d’accueil, des travailleurs en vue d’y effectuer à titre temporaire un travail et que cette directive vise à coordonner les législations des États membres de manière à prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale de tels travailleurs que doit observer, dans ledit État d’accueil, l’entreprise en cause.

58      Dans ces conditions, il convient de répondre à la quatrième question que les articles 49 CE à 54 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui réserve l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux entreprises ayant leur siège sur le territoire national.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:

1)      Les articles 49 CE à 54 CE ne sauraient être interprétés en ce sens qu’une réglementation d’un État membre portant sur l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire, en vigueur à la date de l’adhésion de cet État à l’Union européenne, reste valide tant que le Conseil de l’Union européenne n’a pas adopté un programme ou des directives aux fins de mettre en œuvre ces dispositions, en vue de fixer les conditions de la libéralisation de la catégorie de prestation de services en cause. 

2)      Ni le dix-neuvième considérant de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, ni l’article 1er, paragraphe 4, de celle-ci ne sauraient être interprétés en ce sens qu’un État membre pourrait réserver l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux seules sociétés ayant leur siège sur le territoire national ou accorder à ces dernières un traitement plus avantageux, en ce qui concerne l’autorisation de l’activité en cause, que celui octroyé aux entreprises établies dans un autre État membre. 

3)      Les articles 49 CE à 54 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui réserve l’exercice de l’activité d’entreprise de travail intérimaire aux entreprises ayant leur siège sur le territoire national.

Signatures


* Langue de procédure: le hongrois.