Language of document : ECLI:EU:F:2015:9

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE
(première chambre)

17 mars 2015

Affaire F‑73/13

AX

contre

Banque centrale européenne (BCE)

« Fonction publique – Personnel de la BCE – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Licenciement – Droits de la défense – Accès au dossier disciplinaire – Accès aux informations et documents relatifs à d’autres services – Délai raisonnable – Légalité de la composition du comité disciplinaire – Rôle consultatif du comité disciplinaire – Aggravation de la sanction par rapport à celle recommandée – Obligation de motivation – Gestion d’un service – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité de la sanction – Circonstances atténuantes – Circonstances aggravantes – Exception d’illégalité »

Objet :      Recours, introduit au titre de l’article 36.2 du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, annexé au traité UE et au traité FUE, par lequel AX demande notamment, d’une part, l’annulation de la décision du directoire de la Banque centrale européenne (BCE, ou ci-après la « Banque »), du 28 mai 2013, lui infligeant la sanction disciplinaire du licenciement avec préavis ainsi que, d’autre part, l’octroi d’un montant de 20 000 euros au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

Décision :      Le recours est rejeté. AX supporte ses propres dépens et est condamné aux dépens exposés par la Banque centrale européenne.

Sommaire

1.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Application par analogie de la jurisprudence développée dans le cadre du statut des fonctionnaires

[Statut des fonctionnaires ; conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 9, c)]

2.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Procédure contradictoire – Respect des droits de la défense – Communication du dossier à l’intéressé – Portée – Limites

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, b) ; conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.2 et 8.3.11]

3.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Sanction – Légalité – Absence de procédure disciplinaire diligentée à l’égard d’un autre agent pour des faits analogues – Absence d’incidence

(Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.17)

4.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Respect des droits de la défense – Obligation de communiquer à l’intéressé un rapport préparé par un panel d’enquête avant l’ouverture de la procédure disciplinaire et ne figurant pas dans le dossier disciplinaire – Absence

(Règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.2 et 8.3.11 ; circulaire nº 1/2006 de la Banque centrale européenne, art. 6, § 14)

5.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Comité disciplinaire – Composition – Directeur général ou directeur général adjoint de la direction générale des ressources humaines – Admissibilité

(Statut des fonctionnaires, annexe IX, section 2 ; protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, art. 36.2 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.5 et 8.3.7)

6.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Respect des droits de la défense – Principe de la présomption d’innocence – Portée

(Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.15)

7.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Délais – Obligation de l’administration d’agir dans un délai raisonnable – Appréciation

(Règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.2)

8.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Sanction – Obligation de motivation – Portée

(Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.17)

9.      Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Sanction – Pouvoir d’appréciation du directoire – Limites – Respect du principe de proportionnalité – Contrôle juridictionnel – Limites

(Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45 ; règles applicables au personnel de la Banque centrale européenne, art. 8.3.17)

10.    Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Droits et obligations – Obligation de loyauté – Portée – Révocation d’un agent ayant porté atteinte de manière irrémédiable au lien de confiance l’unissant à la Banque – Admissibilité

[Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 4, a), et 44 ; code de conduite de la Banque centrale européenne, art. 2, 2.2, 4.1, 4.2 et 5.1]

11.    Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Régime disciplinaire – Sanction – Circonstance atténuante – Appréciation dans le cas d’un agent exerçant des fonctions managériales

(Conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, art. 45)

12.    Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Liberté d’association – Portée – Obligation de négociation collective – Absence

(Art. 13 TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 28 ; protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, art. 36.1)

1.      Dès lors que, aux termes de l’article 9, sous c), des conditions d’emploi de la Banque centrale européenne, les principes consacrés par les règlements, les règles et la jurisprudence applicables au personnel des institutions de l’Union sont dûment pris en considération pour l’interprétation des droits et obligations prévus par lesdites conditions d’emploi, le juge de l’Union peut, dans la mesure où la procédure disciplinaire prévue dans le corpus normatif applicable aux agents de la Banque présente certaines analogies avec celle prévue par le statut des fonctionnaires de l’Union, appliquer par analogie, si nécessaire, la jurisprudence développée en lien avec la procédure disciplinaire statutaire.

(voir points 102 et 103)

2.      Si les dispositions applicables aux agents de la Banque centrale européenne prévoient au bénéfice de l’agent faisant l’objet d’une procédure disciplinaire un accès, en principe sans restriction, aux éléments du dossier disciplinaire, y compris aux éléments en sa faveur, elles ne prévoient toutefois pas un accès illimité de cet agent à toute information ou à tout document se trouvant dans l’enceinte de la Banque ou pouvant être reconstitués à partir de documents existants ou informations disponibles dans cette enceinte. En effet, s’agissant de ce dernier type d’informations ou de documents reconstitués, qui ne sont pas considérés, en principe, comme faisant partie intégrante du dossier disciplinaire, les règles applicables au personnel ne prévoient pas leur communication d’office à l’intéressé.

Le droit d’accès au dossier disciplinaire, prévu par le corpus normatif applicable au personnel de la Banque, répond aux exigences fixées par le droit de l’Union et notamment par l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par la jurisprudence de l’Union en matière de procédure disciplinaire. En effet, le caractère contradictoire d’une procédure disciplinaire, telle que celle se déroulant devant le comité disciplinaire de la Banque, et les droits de la défense dans une telle procédure exigent certes que l’intéressé et, le cas échéant, son avocat puissent prendre connaissance de tous les éléments de faits sur lesquels la décision disciplinaire a été fondée, et cela en temps utile pour présenter leurs observations. Ainsi, le respect des droits de la défense exige que la partie intéressée soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la pertinence des faits, mais également qu’elle puisse prendre position, à tout le moins, sur les documents retenus par l’institution de l’Union et qui révèlent des faits importants pour l’exercice de ses droits de la défense. Cependant, l’exigence d’un accès de l’intéressé aux documents le concernant ne saurait s’appliquer qu’aux documents utilisés dans la procédure disciplinaire et/ou dans la décision finale de l’administration. Par conséquent, aux fins du principe du respect des droits de la défense, l’administration n’est pas nécessairement tenue de fournir d’autres documents.

À cet égard, il n’appartient ni à la Banque ni au comité disciplinaire de se prononcer sur la pertinence ou l’intérêt que certains documents pourraient revêtir pour la défense d’un membre du personnel puisqu’il ne saurait être exclu que les documents jugés non pertinents par la Banque ou le comité disciplinaire puissent présenter un intérêt pour celui-ci. Partant, ni la Banque ni le comité disciplinaire ne sauraient exclure unilatéralement de la procédure administrative des documents susceptibles d’être utilisés à décharge par l’intéressé.

(voir points 114, 115 et 120)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêts ICI/Commission, T‑36/91, EU:T:1995:118, point 93 ; N/Commission, T‑273/94, EU:T:1997:71, point 89 ; Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, EU:T:1998:40, point 81, et Kaufring e.a./Commission, T‑186/97, T‑187/97, T‑190/97 à T‑192/97, T‑210/97, T‑211/97, T‑216/97 à T‑218/97, T‑279/97, T‑280/97, T‑293/97 et T‑147/99, EU:T:2001:133, points 179 et 185

3.      La responsabilité d’un membre du personnel de la Banque centrale européenne contre lequel une procédure disciplinaire a été ouverte doit faire l’objet d’un examen individuel et autonome, c’est-à-dire indépendamment de l’éventuelle légalité ou illégalité de la décision ou de l’absence de décision prise à l’encontre d’autres membres du personnel. Ainsi, un agent ne saurait utilement invoquer le fait qu’aucune procédure disciplinaire n’ait été diligentée à l’égard d’un ou de plusieurs autres agents, pour des faits analogues à ceux retenus à sa charge, pour contester la sanction dont lui-même a fait l’objet.

(voir points 123 et 228)

Référence à :

Cour : arrêts Williams/Cour des comptes, 134/84, EU:C:1985:297, point 14, et de Compte/Parlement, C‑326/91 P, EU:C:1994:218, point 52

Tribunal de première instance : arrêt de Compte/Parlement, T‑26/89, EU:T:1991:54, point 170

4.      Le rapport d’activités d’un panel d’enquête constitué par le directoire de la Banque centrale européenne à la suite des dénonciations d’un lanceur d’alerte ayant initialement révélé à l’administration certains dysfonctionnements au sein d’une division de l’institution ne saurait être considéré comme un rapport ayant été endossé par la Banque, à la différence du rapport disciplinaire de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, ou être considéré comme constituant un rapport motivé au sens de l’article 6, paragraphe 14, de la circulaire nº 1/2006 établissant les règles régissant les enquêtes administratives au sein de la Banque.

En effet, compte tenu du caractère préliminaire des constatations et conclusions pouvant potentiellement figurer dans le rapport d’activités du panel, ainsi que de l’intérêt légitime de préserver l’anonymat du lanceur d’alerte, ce rapport revêt la nature d’une note préparatoire, rédigée avant l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Partant, en tant que document interne, cette note préparatoire ne fait pas partie du dossier disciplinaire et, en application des règles applicables au personnel de la Banque, sa communication à un membre du personnel faisant l’objet d’une procédure disciplinaire n’est pas nécessaire à la sauvegarde de ses droits de la défense.

Dès lors, le comité disciplinaire n’exerce pas son pouvoir d’appréciation en la matière d’une façon erronée lorsqu’il considère que, dans la mesure où le dossier disciplinaire contient suffisamment d’éléments tant sur les faits reprochés à l’intéressé qu’à l’appui des arguments en défense de ce dernier, l’intégration de ce document contenant les appréciations provisoires du panel ne présente pas de plus-value et allongerait indûment la procédure. Par ailleurs, il ne saurait être considéré que, parce que le comité disciplinaire a accepté de réclamer ledit rapport à la Banque et de l’examiner pour pouvoir répondre à une demande d’accès de l’intéressé, ledit rapport serait alors devenu un élément constitutif du dossier disciplinaire et que le comité disciplinaire se serait nécessairement appuyé sur ledit rapport aux fins d’adopter son avis.

En tout état de cause, si l’administration a l’obligation de communiquer à une personne concernée par une procédure disciplinaire les documents sur lesquels elle se fonde expressément pour adopter une décision faisant grief et que, s’agissant de la Banque, elle est tenue, en vertu de l’article 8.3.11 des règles applicables au personnel, de lui permettre de prendre copie de toutes les pièces de la procédure, y compris de celles qui sont de nature à la disculper, le défaut de divulgation de certains documents n’est susceptible de conduire à l’annulation de la décision disciplinaire que si les griefs formulés ne pouvaient être prouvés que par référence à ces derniers documents et que, en d’autres termes, le défaut de divulgation des documents signalés par la personne concernée a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure disciplinaire et le contenu de la décision disciplinaire.

(voir points 135 à 139)

Référence à :

Cour : arrêts R./Commission, 255/83 et 256/83, EU:C:1985:324, point 24, et Tzoanos/Commission, C‑191/98 P, EU:C:1999:565, points 34 et 35

Tribunal de première instance : arrêts Y/Cour de justice, T‑500/93, EU:T:1996:94, point 45 ; N/Commission, EU:T:1997:71, point 92, et E/Commission, T‑24/98 et T‑241/99, EU:T:2001:175, points 92 et 93

5.      La Banque centrale européenne peut, dans le cadre de son autonomie institutionnelle, prévoir un régime disciplinaire comportant un comité disciplinaire dont les règles relatives à la composition s’écartent, même substantiellement, de celles figurant à la section 2 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires en ce qui concerne le conseil de discipline prévu pour les fonctionnaires et autres agents de l’Union. À cet égard, même s’il n’est pas prévu, dans l’article 8.3.5 des règles applicables au personnel de la Banque, le même équilibre, entre les membres désignés par l’administration et ceux désignés par la représentation du personnel, que celui prévu par le statut des fonctionnaires, il existe, dans le contexte non statutaire de la Banque, des garanties suffisantes d’impartialité et d’objectivité de l’avis que le comité disciplinaire est amené à formuler et à adopter à l’intention du directoire : premièrement, la composition du comité disciplinaire, notamment l’origine interservices de ses membres, deuxièmement, la circonstance qu’il est prévu, à l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel, que les délibérations et travaux du comité disciplinaire ont un caractère personnel et confidentiel et que les membres dudit comité agissent à titre personnel et exercent leurs fonctions en toute indépendance, troisièmement, le caractère collégial des délibérations et, enfin, quatrièmement, la possibilité pour l’intéressé de demander la récusation de l’un des membres.

À cet égard, la circonstance que le directeur général ou le directeur général adjoint de la direction générale des ressources humaines soit membre de droit du comité disciplinaire n’implique pas qu’il exerce ou puisse exercer un pouvoir déterminant sur tous les membres du personnel et, partant, sur les délibérations du comité disciplinaire. Par ailleurs, il est acceptable, dans un contexte non statutaire tel que celui qui caractérise les relations de travail entre la Banque et ses agents, que les intérêts de la Banque soient représentés au comité disciplinaire par un tel membre du personnel, d’autant plus que le directeur général de la direction générale des ressources humaines ne siège pas au directoire, organe décisionnel en matière disciplinaire.

Dans ces conditions, il ne saurait être fait grief à l’un des membres du comité désignés par l’administration d’avoir, lors de l’audition d’une personne concernée par une procédure disciplinaire par le comité disciplinaire, interrogé l’intéressé dans un sens que celle-ci a perçu comme étant à charge. En effet, un tel comportement, à le supposer avéré, ne trahirait pas forcément un parti pris, mais pourrait s’expliquer par la volonté de contribuer au débat de manière contradictoire en confrontant la personne concernée aux griefs qui lui sont reprochés. Or, même si ladite personne a pu subjectivement percevoir les interventions du directeur général adjoint de la direction générale des ressources humaines, lors de son audition, comme étant formulées sur un ton accusateur, ceci ne traduit pas, en tant que tel, une méconnaissance des droits de la défense ou du principe de la présomption d’innocence.

Il ne peut non plus être affirmé péremptoirement que, en raison de ses fonctions, le directeur général ou le directeur général adjoint de la direction générale des ressources humaines est nécessairement dans une situation de conflit d’intérêts, à savoir la situation dans laquelle un agent est amené, dans l’exercice de ses fonctions, à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance. En outre, l’article 8.3.5 des règles applicables au personnel confie la présidence du comité disciplinaire non pas audit directeur général ou audit directeur général adjoint, mais à une personne extérieure de la Banque, même si cette personne ne dispose pas d’un droit de vote. En tout état de cause, le contrôle juridictionnel du juge de l’Union dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 36.2 du protocole sur les statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque permet d’exercer un recours adéquat et effectif devant un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, permettant de remédier, le cas échéant, à des insuffisances et défaillances dans la composition du comité disciplinaire.

(voir points 148 et 150 à 157)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêts X/BCE, T‑333/99, EU:T:2001:251 ; Onidi/Commission, T‑197/00, EU:T:2002:135, point 132 ; Zavvos/Commission, T‑21/01, EU:T:2002:177, point 336, et Giannini/Commission, T‑100/04, EU:T:2008:68, point 223

Tribunal de l’Union européenne : arrêt Andreasen/Commission, T‑17/08 P, EU:T:2010:374, point 145

6.      S’agissant de la procédure disciplinaire applicable aux agents de la Banque centrale européenne, une violation de la présomption d’innocence ne peut être constatée qu’en présence d’éléments de nature à démontrer que l’administration avait décidé, dès le début de ladite procédure, d’infliger, en tout état de cause, une sanction à la personne concernée, indépendamment des explications fournies par cette personne. À cet égard, la circonstance que deux membres du comité disciplinaire se sont exprimés dans le sens que les manquements reprochés étaient motivés par la poursuite d’un intérêt personnel de la personne concernée n’est nullement de nature à démontrer une violation du principe de la présomption d’innocence. En effet, pareille position n’est que le reflet du principe de collégialité des débats et de la possibilité d’émettre une opinion divergente à l’avis définitif rendu, à la majorité, par le comité disciplinaire. De même, le fait que le directoire a décidé de retenir l’une des sanctions disciplinaires les plus lourdes prévues par les règles applicables au personnel ne démontre pas, en soi, que la présomption d’innocence ait été méconnue au cours de la procédure disciplinaire.

(voir points 162, 166 et 167)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêt Pessoa e Costa/Commission, T‑166/02, EU:T:2003:73, point 56

7.      En matière disciplinaire, la Banque centrale européenne ou, selon les cas, l’Office européen de lutte antifraude ont l’obligation d’agir avec diligence, dès le moment où ils prennent connaissance de faits et conduites susceptibles de constituer des infractions aux obligations incombant aux agents de la Banque afin d’apprécier s’il convient d’ouvrir une enquête, puis, dans l’affirmative, dans la conduite de cette enquête et, s’agissant de la Banque, dans la conduite de la procédure disciplinaire. Partant, la Banque doit, dans l’application de sa procédure disciplinaire, veiller à ce que chaque acte adopté intervienne dans un délai raisonnable par rapport au précédent. À cet égard, il ne saurait être question d’une violation du principe du délai raisonnable s’agissant d’une procédure disciplinaire dans le cadre de laquelle le temps écoulé entre chaque acte de poursuite et l’acte suivant a été tout à fait raisonnable et où, s’il y a pu avoir du retard, celui-ci était dû à la nécessité de respecter les droits de la défense de la personne concernée et de répondre aux nombreux commentaires et observations que son conseil a présentés.

Par ailleurs, bien qu’il soit vrai que, durant les investigations antérieures à l’ouverture d’une procédure disciplinaire et durant la procédure disciplinaire, la personne concernée est placée dans une situation d’attente et d’incertitude, notamment quant à son avenir professionnel, cet aspect ne saurait affecter la validité de la décision disciplinaire, étant donné que cette situation est inhérente à toute procédure disciplinaire et que l’ouverture de celle-ci est justifiée par l’intérêt de l’Union, lequel commande à la Banque, face à des allégations jetant le doute sur la probité de ses agents, qu’elle prenne les mesures qui s’imposent, y compris la suspension de la personne concernée, afin de s’assurer du caractère irréprochable de la conduite professionnelle de celle-ci.

(voir points 173, 175, 182 et 184)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêts Teixeira Neves/Cour de justice, T‑259/97, EU:T:2000:208, point 125, et Pessoa e Costa/Commission, EU:T:2003:73, point 66

Tribunal de la fonction publique : arrêts Kerstens/Commission, F‑12/10, EU:F:2012:29, points 124 et 125, et Goetz/Comité des régions, F‑89/11, EU:F:2013:83, point 126

8.      En matière disciplinaire, si la sanction infligée à un agent de la Banque centrale européenne est finalement plus sévère que celle suggérée par le comité disciplinaire, eu égard aux exigences propres à toute procédure disciplinaire, la décision de la Banque doit, même dans le cadre d’une relation d’emploi uniquement contractuelle, préciser les motifs qui ont conduit la Banque à s’écarter de l’avis émis par son comité disciplinaire. Il est satisfait à cette obligation dans le cas où le directoire de la Banque explique les raisons pour lesquelles il a retenu une sanction plus lourde que celle sur laquelle les membres du comité disciplinaire avaient réussi à se mettre d’accord par consensus. À cet égard, la circonstance que la sanction retenue par le directoire corresponde à celle pour laquelle penchaient deux des quatre membres à voix délibérative du comité disciplinaire n’est pas, en soi, de nature à vicier la décision disciplinaire sous l’angle de l’obligation de motivation.

Par ailleurs, le directoire n’est pas lié par l’avis du comité disciplinaire, ainsi que l’indique expressément l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel de la Banque. Par conséquent, même si la majorité du comité disciplinaire est d’accord sur le fait que, de son point de vue, une rupture de la relation de confiance peut être constatée par le directoire uniquement si ce dernier estime qu’un intérêt personnel a été poursuivi par la personne concernée, le directoire peut, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation dans la définition de ses exigences en termes d’intégrité à l’égard du personnel de la Banque, considérer que la rupture de la relation de confiance est consommée, y compris en dehors de l’hypothèse suggérée par le comité disciplinaire, c’est-à-dire même en l’absence de la preuve de la poursuite d’un intérêt personnel par la personne concernée.

(voir points 190, 196 et 197)

Référence à :

Cour : arrêt F./Commission, 228/83, EU:C:1985:28, point 35

Tribunal de première instance : arrêt N/Commission, T‑198/02, EU:T:2004:101, point 95

Tribunal de la fonction publique : arrêt EH/Commission, F‑42/14, EU:F:2014:250, point 132

9.      S’agissant de l’évaluation de la gravité des manquements constatés par le comité disciplinaire de la Banque centrale européenne à la charge d’un agent de la Banque et du choix de la sanction qui apparaît, au vu de ces manquements, comme étant la plus appropriée, ceux-ci relèvent en principe du large pouvoir d’appréciation de la Banque, à moins que la sanction infligée ne soit disproportionnée par rapport aux faits révélés. Ainsi, cette institution dispose du pouvoir de procéder à une appréciation de la responsabilité de son agent, différente de celle portée par son comité disciplinaire, ainsi que de choisir, par suite, la sanction disciplinaire qu’elle estime adéquate pour sanctionner les fautes disciplinaires retenues. Une fois la matérialité des faits établie, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont jouit la Banque en matière disciplinaire, le contrôle juridictionnel doit se limiter à une vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

S’agissant de la proportionnalité de la sanction disciplinaire par rapport à la gravité des faits retenus, le juge de l’Union doit prendre en considération le fait que la détermination de la sanction doit être fondée sur une évaluation globale par la Banque de tous les faits concrets et circonstances propres à chaque cas individuel, étant souligné que, à l’instar du statut des fonctionnaires, le corpus normatif applicable au personnel de la Banque, notamment l’article 45 des conditions d’emploi, ne prévoit pas de rapport fixe entre les sanctions qui y sont indiquées et les différents manquements possibles aux obligations professionnelles et qu’il ne précise pas dans quelle mesure l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes doit intervenir dans le choix de la sanction. À cet égard, l’administration dispose du pouvoir de procéder à une appréciation de la responsabilité de son agent, différente de celle portée par le comité disciplinaire, ainsi que de choisir, par suite, la sanction disciplinaire qu’elle estime adéquate pour sanctionner les fautes disciplinaires retenues. L’examen du juge de première instance est, dès lors, limité à la question de savoir si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par la Banque a été effectuée de façon proportionnée, étant précisé que, lors de cet examen, le juge ne saurait se substituer à la Banque quant aux jugements de valeur portés à cet égard par celle-ci et quant au choix de la sanction disciplinaire qui lui appartient.

(voir points 205 à 207 et 245)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêts Y/Cour de justice, EU:T:1996:94, point 56 ; Tzikis/Commission, EU:T:2000:130, point 48 ; E/Commission, EU:T:2001:175, points 85 et 86 ; X/BCE, EU:T:2001:251, points 221 et 222, et Afari/BCE, T‑11/03, EU:T:2004:77, point 203

Tribunal de l’Union européenne : arrêt BG/Médiateur, T‑406/12 P, EU:T:2014:273, point 64

Tribunal de la fonction publique : arrêts Nijs/Cour des comptes, F‑77/09, EU:F:2011:2, point 132, et EH/Commission, EU:F:2014:250, points 92 et 93

10.    L’article 4, sous a), des conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne et les articles 2, 2.2, 4.1, 4.2 et 5.1 du code de conduite de la Banque ont pour objet de garantir que les agents de la Banque, par leur comportement, présentent une image de dignité conforme à la conduite particulièrement correcte et respectueuse qu’il est légitime d’attendre des membres du personnel d’une institution publique internationale, même engagés sur une base contractuelle. En particulier, l’obligation figurant audit article 4, sous a), d’adopter une conduite convenant à leurs fonctions et à la nature d’organe de l’Union de la Banque doit être interprétée comme imposant au personnel de la Banque des devoirs notamment de loyauté et de dignité, similaires à ceux qui s’appliquent aux fonctionnaires de l’Union.

À cet égard, il se dégage du corpus normatif applicable au personnel de la Banque une obligation de loyauté de l’agent de la Banque à l’égard de son employeur institutionnel, qui doit le conduire, d’autant plus s’il a un grade élevé, à faire preuve d’un comportement au-dessus de tout soupçon, afin que les liens de confiance existant entre la Banque et lui-même soient toujours préservés. Or, compte tenu de l’importance de la relation de confiance existant entre l’Union et ses agents en ce qui concerne tant le fonctionnement intérieur de l’Union que son image à l’extérieur et au vu de la généralité des termes des dispositions de l’article 4, sous a), des conditions d’emploi du personnel de la Banque et de celles du code de conduite, celles-ci couvrent toute circonstance ou tout comportement dont l’agent de la Banque doit raisonnablement comprendre, au vu de son grade et des fonctions qu’il exerce ainsi que des circonstances propres de l’affaire, qu’il est de nature à apparaître, aux yeux de tiers, comme étant susceptible de provoquer une confusion quant aux intérêts poursuivis par l’Union qu’il est censé servir.

Par ailleurs, au regard de sa responsabilité dans la conduite de la politique monétaire de l’Union, la Banque base effectivement sa réputation extérieure sur un rôle d’administration modèle, efficace et responsable, impliquant qu’elle s’entoure d’un personnel doté d’une intégrité irréprochable. Ceci est d’ailleurs rappelé au point 2.2 du code de conduite en vertu duquel les agents de la Banque doivent être conscients de l’importance de leurs devoirs et de leurs missions, prendre en compte l’attente du public concernant leur comportement moral, se conduire de manière à maintenir et à renforcer la confiance du public dans la Banque et contribuer à l’efficacité de l’administration de la Banque. De telles obligations revêtent une importance capitale pour l’accomplissement des objectifs assignés à une institution bancaire et constituent un élément essentiel du comportement que le personnel de cette institution doit observer pour préserver l’indépendance et la dignité de celle-ci.

Dès lors, dans le cas où un agent de la Banque occupant des fonctions managériales et ayant des responsabilités accrues dans la préservation de la réputation et des intérêts financiers de l’institution a ordonné l’achat de biens sur le budget de la Banque dans le cadre de la poursuite d’un intérêt personnel, la Banque peut considérer que l’agent a irrémédiablement porté atteinte à la relation de confiance l’unissant à la Banque. En effet, dans une telle situation, la Banque peut, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui est le sien dans la définition de ses exigences en termes d’intégrité de son personnel, considérer que, malgré le souhait de l’intéressé de poursuivre la relation de travail, il est exclu de pouvoir rétablir cette relation de confiance, rendant, par conséquent, plus difficile, voire impossible, l’accomplissement, en collaboration avec cet agent, de missions dévolues à la Banque par l’Union. À cet égard, la Banque peut, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation et au regard de la nature contractuelle du lien d’emploi qui l’unit à son agent, estimer qu’une sanction plus clémente serait insuffisante au regard des faits commis par une personne ayant eu la charge d’un budget centralisé conséquent et que, compte tenu du caractère délibéré et grave des manquements aux obligations professionnelles commis par l’un de ses managers, desquels un comportement exemplaire est attendu, le lien de confiance est définitivement rompu.

(voir points 209, 210, 231 à 234, 236 et 237)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêts Williams/Cour des comptes, T‑146/94, EU:T:1996:34, point 65 ; N/Commission, EU:T:1997:71, points 127 et 129 ; Yasse/BEI, T‑141/97, EU:T:1999:177, points 108 et 110 ; Afari/BCE, EU:T:2004:77, point 193

Tribunal de la fonction publique : arrêt Gomes Moreira/ECDC, F‑80/11, EU:F:2013:159, points 63 et 67

11.    En matière disciplinaire, ne sauraient constituer une circonstance atténuante aux manquements à des obligations professionnelles reprochés à un agent de la Banque centrale européenne exerçant des fonctions de manager les éventuelles carences des supérieurs hiérarchiques, dans leur rôle de supervision, et des autres services de la Banque, dans la surveillance budgétaire et financière de la division de l’intéressé, lequel demeure responsable de ses actes. De même, si la Banque est tenue, en vertu de l’article 45 des conditions d’emploi, de prendre en compte la conduite du membre du personnel tout au long de sa carrière, cette prise en compte ne vaut pas nécessairement reconnaissance d’une circonstance atténuante. Or, il pouvait être légitime pour la Banque de considérer que les faits revêtaient une gravité telle que, même si les états de service de la personne concernée avaient été exceptionnels, cette circonstance aurait été sans effet. En particulier, il ne saurait être admis que, sous couvert de contribuer à la réalisation d’économies globales substantielles au profit du budget de fonctionnement d’une institution, un agent puisse s’estimer affranchi des règles élémentaires de bonne gestion budgétaire et financière au motif que ses activités non autorisées ne concernent que de faibles montants par rapport au budget dont il a la charge. En effet, quel que soit le montant en cause, toute dépense publique doit être effectuée conformément aux règles de rigueur budgétaire et comptable.

Par ailleurs, un argument selon lequel la personne concernée n’aurait pas bénéficié d’une formation ciblée sur la gestion budgétaire et les règles d’achats est inopérant en ce que cette éventuelle insuffisance ne permettait pas à l’intéressé d’agir aux mépris des règles explicites édictées par la Banque centrale européenne dans ses textes internes.

(voir points 222, 225 et 226)

Référence à :

Cour : arrêt R./Commission, EU:C:1985:324, point 44

Tribunal de première instance : arrêts Z/Parlement, T‑242/97, EU:T:1999:92, point 115 ; Yasse/BEI, EU:T:1999:177, point 114, et X/BCE, EU:T:2001:251, point 233

Tribunal de la fonction publique : arrêt EH/Commission, EU:F:2014:250, point 119

12.    Ni l’article 6, paragraphe 2, de la charte sociale européenne, ni l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ni l’article 11 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’imposent l’obligation d’instaurer une procédure de négociation collective ou de conférer aux syndicats pour la défense des intérêts économiques et sociaux des travailleurs un pouvoir de codécision aux fins de l’élaboration des conditions d’emploi des travailleurs. Ainsi, les conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne et les règles applicables audit personnel pouvaient être adoptées unilatéralement par la Banque et être modifiées après consultation du comité du personnel, étant entendu qu’il n’existe pas d’obligation de procéder en la matière par la voie de conventions collectives signées par la Banque et les organisations syndicales représentatives de son personnel. En effet, en tant qu’institution de l’Union visée à l’article 13 UE et en application du protocole sur les statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne, cette dernière est habilitée à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel.

(voir points 252 et 253)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : arrêts Cerafogli/BCE, F‑84/08, EU:F:2010:134, point 47, et Heath/BCE, F‑121/10, EU:F:2011:174, point 121