Language of document : ECLI:EU:C:2020:985

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 3 décembre 2020 (1)

Affaire C650/18

Hongrie

contre

Parlement européen

« Recours en annulation – Article 7, paragraphe 1, TUE – Proposition motivée du Parlement européen – Compétence de la Cour – Article 263 TFUE – Article 269 TFUE – Résolution relative à une proposition invitant le Conseil à constater l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs communes de l’Union – Règles relatives au calcul des votes visées à l’article 354 TFUE et à l’article 178 du règlement intérieur du Parlement – Notion de “suffrages exprimés” – Exclusion des abstentions »






I.      Introduction

1.        Le 12 septembre 2018, le Parlement européen a adopté une résolution relative à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (ci-après la « résolution attaquée ») (2). Par son recours, la Hongrie demande l’annulation de cette résolution au titre de l’article 263 TFUE.

2.        Ce recours soulève deux questions juridiques essentielles. Premièrement, les propositions motivées adoptées au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE relèvent-elles du contrôle juridictionnel visé à l’article 263 TFUE compte tenu, notamment, de l’article 269 TFUE ? Deuxièmement, si tel est effectivement le cas, comment faut-il comptabiliser les abstentions au Parlement afin de déterminer si la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, que requiert l’article 354 TFUE, est atteinte ?

II.    Le cadre juridique

A.      Les traités de l’Union

3.        L’article 7 TUE prévoit ce qui suit :

« 1.      Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

2.      Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

3.      Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

4.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

5.      Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 [TFUE]. »

4.        Conformément à l’article 263 TFUE, la Cour contrôle la légalité des actes du Parlement destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.

5.        Par ailleurs, l’article 269 TFUE dispose :

« La Cour de justice n’est compétente pour se prononcer sur la légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 [TUE] que sur demande de l’État membre qui fait l’objet d’une constatation du Conseil européen ou du Conseil, et qu’en ce qui concerne le respect des seules prescriptions de procédure prévues par ledit article.

Cette demande doit être faite dans un délai d’un mois à compter de ladite constatation. La Cour statue dans un délai d’un mois à compter de la date de la demande. »

6.        Conformément à la règle générale de vote applicable au sein du Parlement énoncée à l’article 231 TFUE, sauf dispositions contraires des traités, le Parlement statue à la majorité des suffrages exprimés. Le règlement intérieur fixe le quorum.

7.        En vertu de l’article 354 TFUE :

« Aux fins de l’article 7 [TUE] relatif à la suspension de certains droits résultant de l’appartenance à l’Union, le membre du Conseil européen ou du Conseil représentant l’État membre en cause ne prend pas part au vote et l’État membre en cause n’est pas pris en compte dans le calcul du tiers ou des quatre cinquièmes des États membres prévu aux paragraphes 1 et 2 dudit article. L’abstention de membres présents ou représentés ne fait pas obstacle à l’adoption des décisions visées au paragraphe 2 dudit article.

Pour l’adoption des décisions visées à l’article 7, paragraphes 3 et 4, [TUE], la majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du présent traité.

Lorsque, à la suite d’une décision de suspension des droits de vote adoptée conformément à l’article 7, paragraphe 3, [TUE], le Conseil statue, à la majorité qualifiée, sur la base d’une des dispositions des traités, cette majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du présent traité ou, si le Conseil agit sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conformément à l’article 238, paragraphe 3, point a).

Aux fins de l’article 7 [TUE], le Parlement européen statue à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui le composent. »

8.        Aux termes de l’« article unique » du protocole no 24 sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne (dit « protocole Aznar ») :

« Vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l’Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d’origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile. En conséquence, toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un État membre ne peut être prise en considération ou déclarée admissible pour instruction par un autre État membre que dans les cas suivants :

a)      si l’État membre dont le demandeur est ressortissant, invoquant l’article 15 de la convention [de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950], prend, après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, des mesures dérogeant, sur son territoire, à ses obligations au titre de cette convention ;

b)      si la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, [TUE] a été déclenchée et jusqu’à ce que le Conseil, ou le cas échéant le Conseil européen, prenne une décision à ce sujet à l’égard de l’État membre dont le demandeur est ressortissant ;

c)      si le Conseil a adopté une décision conformément à l’article 7, paragraphe 1, [TUE] à l’égard de l’État membre dont le demandeur est le ressortissant ou si le Conseil européen a adopté une décision conformément à l’article 7, paragraphe 2, dudit traité à l’égard de l’État membre dont le demandeur est le ressortissant ;

[...] »

B.      Le règlement intérieur du Parlement

9.        Aux termes de l’article 83 du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur ») (3), intitulé « Violation des valeurs et principes fondamentaux par un État membre » :

« 1.      Le Parlement peut, sur la base d’un rapport spécifique de la commission compétente, établi en vertu des articles 45 et 52 du présent règlement intérieur :

a)      mettre aux voix une proposition motivée invitant le Conseil à agir conformément à l’article 7, paragraphe 1, [TUE] ;

b)      mettre aux voix une proposition invitant la Commission ou les États membres à présenter une proposition conformément à l’article 7, paragraphe 2, [TUE] ;

c)      mettre aux voix une proposition invitant le Conseil à agir conformément à l’article 7, paragraphe 3, ou, ensuite, à l’article 7, paragraphe 4, [TUE].

2.      Toute demande d’approbation formulée par le Conseil concernant une proposition présentée conformément à l’article 7, paragraphes 1 et 2, [TUE] est annoncée au Parlement, accompagnée des observations éventuelles transmises par l’État membre concerné, et est renvoyée à la commission compétente, conformément à l’article 99 du présent règlement intérieur. Le Parlement se prononce, à l’exception de cas urgents et justifiés, sur proposition de la commission compétente.

3.      Conformément à l’article 354 [TFUE], les décisions visées aux paragraphes 1 et 2 requièrent la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, constituant la majorité des membres qui composent le Parlement.

[...] »

10.      En vertu de l’article 178 du règlement intérieur, qui portait sur le « vote » :

« 1.      Le Parlement vote, en règle générale, à main levée.

Toutefois, le président peut à tout instant décider d’avoir recours au système de vote électronique pour les votes.

[...]

3.      Pour l’adoption ou le rejet, seules les voix “pour” et “contre” entrent dans le calcul des suffrages exprimés, sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique.

[...] »

11.      L’article 226, paragraphe 1, du règlement intérieur, relatif à l’application de ce règlement, prévoyait ce qui suit :

« En cas de doute quant à l’application ou à l’interprétation du présent règlement intérieur, le président peut renvoyer la question, pour examen, à la commission compétente.

Les présidents des commissions peuvent agir de même lorsqu’un tel doute survient dans le cadre des travaux des commissions et en rapport avec ceux-ci. »

III. Les faits à l’origine du litige et la procédure devant la Cour

12.      Le 17 mai 2017, le Parlement, défendeur dans la présente affaire, a adopté une résolution chargeant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (ci-après la « commission LIBE ») d’élaborer un rapport spécifique en vue du vote en séance plénière d’une proposition motivée invitant le Conseil à agir conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE à l’égard de la Hongrie (ci-après la « requérante ») (4).

13.      Le 4 juillet 2018, la commission LIBE a adopté le rapport susmentionné (5), également désigné comme le « rapport Sargentini », du nom de son rapporteur.

14.      Le 7 septembre 2018, à la demande du président du Parlement, le service juridique du Parlement lui a remis un avis juridique visant à clarifier les règles de comptage des votes applicables à la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, TUE, et notamment à préciser si les abstentions doivent être comptées comme des suffrages exprimés aux fins de déterminer si la majorité des deux tiers des suffrages exprimés qui est requise est atteinte.

15.      Dans une lettre du 10 septembre 2018, le représentant permanent de la Hongrie auprès de l’Union européenne a informé le secrétaire général du Parlement que le gouvernement hongrois considérait que les abstentions devraient être prises en compte lors du vote de la résolution attaquée.

16.      Le même jour, le secrétaire général adjoint du Parlement a informé par courriel les députés au Parlement (ci-après les « députés ») que seuls les votes exprimés en faveur de la résolution attaquée et ceux exprimés contre celle-ci seraient pris en compte.

17.      Le 12 septembre 2018, le Parlement a adopté la résolution attaquée. Le résultat des suffrages était de 448 voix pour la résolution et 197 voix contre. Il y a eu 48 abstentions.

18.      Par son recours, la requérante demande à la Cour d’annuler la résolution attaquée et de condamner le Parlement aux dépens.

19.      Le Parlement demande à la Cour de rejeter le recours comme manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé et de condamner la requérante aux dépens.

20.      Par ordonnance du 14 mai 2019, la Cour a décidé, à la demande du Parlement, de retirer du dossier l’avis du service juridique du Parlement figurant à l’annexe 5 de la requête. Elle a également rejeté la demande de divulgation de ce document introduite par la Hongrie (6).

21.      Par décision de la Cour du 22 mai 2019, la République de Pologne (ci-après l’« intervenante ») a été admise à intervenir au soutien de la requérante.

22.      La requérante, le Parlement et l’intervenante ont participé à l’audience qui s’est tenue le 29 juin 2020.

IV.    Analyse

23.      Les présentes conclusions sont structurées de la manière suivante. Je commencerai par examiner la question de la recevabilité du recours en annulation. En résumé, cette question requiert de déterminer si les propositions motivées qui déclenchent la procédure de l’article 7 TUE peuvent faire l’objet d’un contrôle au titre des dispositions ordinaires de l’article 263 TFUE et si l’article 269 TFUE est susceptible d’affecter, d’une manière ou d’une autre, cette thèse générale (titre A). Je m’attacherai ensuite au fond de l’affaire en me concentrant plus particulièrement sur les premier et troisième moyens du recours : comment faut-il tenir compte des abstentions des députés afin de vérifier si la résolution attaquée a obtenu la majorité des deux tiers des suffrages exprimés requise par l’article 354 TFUE ? (titre B) Comme je ne vois rien d’anormal dans l’interprétation des règles pertinentes ni dans leur mise en pratique par le Parlement dans le cadre de la présente affaire, je proposerai à la Cour de rejeter le recours comme non fondé.

A.      Sur la recevabilité

1.      Les arguments des parties

a)      La requérante

24.      Selon la requérante, la résolution attaquée peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE dès lors qu’elle produit des effets juridiques et politiques importants à trois égards. Premièrement, non seulement la résolution attaquée stigmatise l’État membre concerné, mais elle ouvre également la possibilité pour le Conseil de procéder à une constatation concernant cet État membre en application de l’article 7, paragraphe 1, TUE. Deuxièmement, cette résolution entraîne automatiquement la perte du statut de pays d’origine sûr dans les affaires en matière de droit d’asile. Troisièmement, elle compromet l’exécution d’instruments de coopération entre États membres, tels que les mandats d’arrêt européens.

25.      En outre, la requérante estime que la résolution attaquée fixe la position définitive du Parlement. L’implication ultérieure du Parlement dans le cadre de la procédure de l’article 7 TUE, par son approbation des constatations du Conseil, diffère de sa proposition initiale. Elle concerne un autre acte, adopté par une autre institution, dont le contenu et l’objet sont différents. La procédure de l’article 7 TUE ne saurait être comparée à une procédure législative. La résolution attaquée n’est donc pas comparable aux propositions législatives de la Commission. La procédure de l’article 7 TUE est une procédure de sanction unique dont toutes les étapes emportent des effets juridiques même si l’étape suivante n’est pas déclenchée. Il n’est pas du tout certain qu’il puisse être remédié ultérieurement à l’illégalité qui affecte la résolution attaquée, dans la mesure où rien ne garantit que le Conseil finira par adopter une décision.

26.      La requérante considère que l’article 269 TFUE ne rend pas le recours en annulation dirigé contre la résolution attaquée irrecevable. Cette disposition ne s’applique qu’aux actes juridiques qui y sont mentionnés. Elle n’est donc pas applicable à la résolution attaquée. Elle instaure une exception aux règles générales en matière de recours et devrait, dès lors, faire l’objet d’une interprétation stricte. L’article 269 TFUE devrait être interprété à la lumière des modifications de nature constitutionnelle apportées par le traité de Lisbonne qui ont étendu la compétence de la Cour à tous les domaines couverts par le droit de l’Union. Chaque étape de la procédure de l’article 7 TUE doit respecter toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union. Ainsi, l’article 269 TFUE ne saurait être interprété comme exonérant la résolution attaquée d’un contrôle juridictionnel, notamment dans le cadre d’une procédure visant à protéger l’État de droit, à tout le moins au regard des règles de compétence et de procédure.

b)      Le Parlement

27.      Selon le Parlement, le recours en annulation contre la résolution attaquée est irrecevable. Il soutient que l’article 269 TFUE, qui constitue une lex specialis, par rapport à la lex generalis que représente l’article 263 TFUE, est applicable en l’espèce. L’article 269 TFUE est une des dispositions qui limitent la compétence de la Cour dans des domaines spécifiques. Il exclut la résolution attaquée du contrôle juridictionnel de la Cour. Les auteurs des traités n’ont pas souhaité que les actes relevant de la procédure de l’article 7 TUE fassent l’objet d’un contrôle juridictionnel étendu.

28.      La procédure de l’article 7 TUE constitue une garantie politique extraordinaire qui échappe, dans une large mesure, au contrôle de la Cour. Parmi les divers actes susceptibles d’être adoptés en vertu de l’article 7 TUE, seules les constatations du Conseil européen ou du Conseil peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 269 TFUE. Il serait notamment illogique que des actes préparatoires puissent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel complet au titre de l’article 263 TFUE alors que les constatations ne sont soumises qu’à un contrôle limité au titre de l’article 269 TFUE. Cela signifierait que le débat politique qui doit avoir lieu au sein du Conseil se tiendrait devant un juge. La Cour peut examiner d’éventuelles irrégularités de procédure commises lors de l’adoption d’un acte tel que la résolution attaquée, mais à un stade ultérieur, lors du contrôle juridictionnel des constatations du Conseil ou du Conseil européen.

29.      Si la Cour devait adopter une approche différente, le Parlement reste d’avis que la résolution en cause n’est pas attaquable du fait de son absence d’effets juridiques. En premier lieu, la résolution n’entraîne aucune modification de la situation juridique de la requérante. Le Conseil est entièrement libre de suivre, ou de ne pas suivre, la proposition du Parlement. En second lieu, même si la résolution attaquée peut avoir une incidence sur la possibilité, pour les ressortissants hongrois, d’introduire une demande d’asile dans un autre État membre, cela ne devrait pas préjuger de la décision finale que cet État membre pourrait prendre à cet égard. En tout état de cause, la résolution attaquée est une mesure intermédiaire qui échappe à tout recours juridictionnel. Elle ne présente pas la position définitive du Parlement puisque, en vertu de l’article 7 TUE, ce dernier doit approuver la constatation proposée par le Conseil à un stade ultérieur de la procédure. Elle est comparable aux propositions présentées par la Commission dans le cadre de la procédure législative ordinaire.

c)      La partie intervenante

30.      La partie intervenante soutient que la demande de contrôle juridictionnel de la résolution attaquée est recevable en vertu de l’article 263 TFUE. Il ne s’agit pas d’un acte préparatoire à une constatation du Conseil adoptée en vertu de l’article 7, paragraphe 1, TUE. Dès lors, les irrégularités de procédure dont il est allégué qu’elles ont entaché l’adoption de la résolution attaquée ne sauraient être invoquées ultérieurement au soutien d’affirmations selon lesquelles le Conseil a violé les exigences procédurales en procédant à la constatation au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE. La proposition motivée du Parlement adoptée en vertu de l’article 7, paragraphe 1, TUE ne saurait être assimilée aux propositions présentées par la Commission dans le cadre du processus législatif. Dans le cadre de ce dernier processus, les propositions de la Commission limitent le pouvoir d’appréciation du Conseil. Tel n’est pas le cas des propositions motivées du Parlement au titre de l’article 7 TUE. Le fait que le Parlement soit à nouveau impliqué à un stade ultérieur de la procédure confirme le caractère autonome des propositions motivées.

31.      La possibilité de soumettre la résolution attaquée à un contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE n’est contraire ni à l’interprétation historique ni à l’interprétation téléologique de l’article 269 TFUE. À la différence de l’ancien article 46 TUE, l’article 269 TFUE ne limite pas la compétence de la Cour à une liste exhaustive d’actes. L’article 269 TFUE tend à limiter le contrôle juridictionnel des seuls actes discrétionnaires revêtant une importance politique majeure, tels que les constatations visées à l’article 7, paragraphe 1, TUE. Les autres actes adoptés en vertu de l’article 7 TUE peuvent donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE.

32.      Quant aux propositions motivées, compte tenu de l’importance de leurs effets politiques et juridiques, elles ne sauraient échapper au contrôle juridictionnel, tout au moins en ce qui concerne le respect des règles de procédure. L’absence de limitation dans le temps des effets négatifs des propositions motivées justifie également le contrôle juridictionnel. Si les propositions motivées échappaient au contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE, d’autres actes, tels que les décisions du Conseil adoptées en vertu de l’article 7, paragraphe 3, TUE, qui suspendent les droits d’un État membre, ne seraient pas non plus susceptibles de recours. L’objectif de la procédure prévue à l’article 7 TUE, qui est d’inciter un État membre à respecter les valeurs de l’Union, serait tout à fait compromis si les mesures visant à atteindre cet objectif devaient elles-mêmes porter atteinte aux droits des individus, y compris aux droits qui découlent de la citoyenneté de l’Union.

2.      Appréciation

a)      Le constat initial : un système complet de voies de recours

33.      Il est de jurisprudence constante que l’Union est une Union de droit dans laquelle tout acte de ses institutions est soumis au contrôle de la conformité avec, notamment, les traités, les principes généraux du droit ainsi que les droits fondamentaux (7). À cette fin, le traité FUE a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union, en le confiant au juge de l’Union (8).

34.      Naturellement, un tel système de recours complet est ouvert à tout requérant, qu’il s’agisse d’un particulier, d’une institution ou d’un État membre. Les États membres peuvent donc invoquer, pour leur propre compte, le principe de la protection juridictionnelle effective (9). En outre, conformément à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, en sa qualité de requérant privilégié, un État membre ne doit pas apporter la preuve d’un intérêt direct et individuel. En effet, pour que son recours au titre de l’article 263 TFUE soit recevable, il suffit en principe à l’État membre d’établir qu’un acte, en l’espèce un acte du Parlement, est destiné à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Un État membre peut donc attaquer un acte de l’Union, même si cet acte ne produit pas d’effets juridiques à son propre égard (10).

35.      L’existence d’un système de recours complet a une conséquence importante. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour est compétente par défaut à l’égard de tous les actes pris par les institutions de l’Union, du moins à l’égard de ceux qui sont destinés à produire des effets juridiques. Dès lors, ce n’est que lorsque les traités prévoient explicitement des exceptions que la Cour n’est pas compétente. Par exemple, l’article 275, premier alinéa, TFUE et l’article 276 TFUE prévoient de telles exceptions pour ce qui concerne, respectivement, la politique étrangère et de sécurité commune et les opérations de maintien de l’ordre menées dans les États membres.

36.      Toutefois, même dans ces hypothèses, la Cour a insisté sur le fait que l’article 19 TUE lui confère une compétence générale pour assurer, en matière d’interprétation et d’application des traités, le respect du droit. Dès lors, toute dérogation à cette règle de compétence générale doit faire l’objet d’une interprétation stricte (11).

37.      En résumé, en vertu du traité de Lisbonne, la règle générale est d’une simplicité absolue : à moins que ce traité ne l’exclue clairement et expressément, la Cour est compétente à l’égard de tous les actes de l’Union. En outre, une telle exclusion expresse doit être interprétée de manière restrictive.

b)      L’article 7 TUE et les actes adoptés dans ce cadre

38.      L’article 7 TUE, initialement désigné comme article F.1 TUE, a été instauré par le traité d’Amsterdam en 1997. L’article 7, paragraphe 1, TUE constitue la première phase de la procédure en cas de risque clair de violation grave par un État membre des valeurs communes consacrées à l’article 2 TUE. L’article 7, paragraphe 2, TUE régit la phase suivante dans laquelle une violation grave et persistante par un État membre des valeurs définies à l’article 2 TUE peut être constatée. Enfin, l’article 7, paragraphe 3, TUE prévoit que des sanctions peuvent être prises à l’encontre de l’État membre concerné.

39.      L’article 7 TUE prévoit l’adoption d’un certain nombre d’actes juridiques par l’institution concernée (ou les institutions concernées) à chacune de ces étapes. Premièrement, la procédure de l’article 7, paragraphe 1, TUE est déclenchée par une proposition motivée émanant d’un tiers des États membres, du Parlement ou de la Commission, qui invite le Conseil à agir. Deuxièmement, le Conseil peut alors adresser des recommandations à l’État membre concerné. Troisièmement, le Conseil peut procéder à la constatation de l’existence d’un risque clair de violation grave, par cet État membre, des valeurs de l’article 2 TUE, sous réserve de l’approbation du Parlement.

40.      L’article 7, paragraphe 2, TUE suit dans une large mesure le même schéma (avec toutefois quelques différences mineures), mais conduit à la constatation qu’il existe déjà une violation. Sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission, le Conseil européen peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE. Le Parlement donne son approbation et l’État membre concerné est invité à présenter des observations.

41.      Enfin, l’article 7, paragraphe 3, TUE peut être considéré comme l’aboutissement des deux étapes précédentes et permet finalement d’adopter une décision visant à suspendre certains des droits de l’État membre concerné, y compris ses droits de vote. L’article 7, paragraphe 4, TUE complète cette procédure, en permettant d’adopter par la suite une décision modifiant les mesures de suspension ou y mettant fin pour répondre à un changement de situation.

42.      Il en résulte que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE, les institutions peuvent adopter, outre les propositions motivées de l’article 7, paragraphe 1, TUE, un large éventail d’actes juridiques avant que le Conseil ne finisse, le cas échéant, par adopter des mesures de sanction au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE. Il semble clair que, a priori, la procédure de l’article 7 TUE n’est probablement pas un exercice rapide ni simple ; mais sa structure répond à une certaine logique. En particulier, les cascades individuelles de décisions obéissent à un schéma déterminé que reflète également la terminologie choisie.

c)      L’article 269 TFUE : une clause d’exclusion de compétence ?

43.      Comment l’article 269 TFUE, qui, avec l’article 263 TFUE, se trouve au cœur du présent recours en annulation, s’inscrit-il dans le système complet de voies de recours de l’Union dans le cadre de la procédure spécifique de l’article 7 TUE susmentionnée ? S’agit-il, comme le soutient le Parlement, d’une lex specialis qui s’applique à l’ensemble de la procédure de l’article 7 TUE et exclut du contrôle juridictionnel tous les actes adoptés dans ce cadre, à l’exception de ceux qui sont expressément énumérés à l’article 269 TFUE ? Ou s’agit-il plutôt, comme le soutiennent la requérante et l’intervenante, d’une exception aux règles contentieuses ordinaires qui ne réserve un type de recours spécifique que pour cette dernière catégorie d’actes, sans exclure le contrôle des autres actes adoptés en vertu de l’article 7 TUE ?

44.      Le texte (section 1 ci-dessous), le contexte historique (section 2 ci-dessous) et surtout le système et la logique (section 3 ci-dessous) de l’article 269 TFUE me portent à conclure que cette disposition ne constitue pas, en réalité, une clause d’exclusion de compétence. Dans le système et la logique fondés sur la qualité pour agir au titre de l’article 263 TFUE, en particulier compte tenu du fait que les actes préparatoires sont exclus du contrôle juridictionnel, l’article 269 TFUE produit plutôt un effet inverse : il confirme expressément la compétence de la Cour et lui confère donc compétence (bien que de manière limitée) à l’égard de catégories spécifiques d’actes (les constatations du Conseil ou du Conseil européen) qui pourraient en être exclues en vertu des règles ordinaires. L’article 269 TFUE ne régit donc pas, et par conséquent ne fait pas obstacle à, l’introduction d’un recours en annulation à l’encontre d’autres actes visés à l’article 7 TUE, à savoir les actes auxquels l’article 269 TFUE ne fait pas référence, y compris la proposition motivée du Parlement au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE. Les règles ordinaires de l’article 263 TFUE s’appliquent à ces actes.

1)      Le texte

45.      Le libellé de l’article 269 TFUE fait référence au contrôle juridictionnel d’un « acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 [TUE] ». Outre cette limitation institutionnelle de son champ d’application, ce contrôle est encore restreint de deux manières : d’une part, en ce qui concerne le requérant potentiel (seul l’État membre concerné peut demander un contrôle juridictionnel) et, d’autre part, en ce qui concerne la portée du contrôle (qui est limité aux questions de procédure dans la mesure où la Cour n’est appelée à contrôler que le respect des prescriptions de procédure prévues à l’article 7 TUE).

46.      En ce qui concerne la définition positive précise du champ d’application de l’article 269 TFUE, les catégories d’actes visées par cette disposition couvrent à première vue un spectre assez large : « un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 [TUE] ». Sur la base de ce premier alinéa, l’article 269 TFUE pourrait donc viser tout acte adopté par ces deux institutions dans le cadre de la procédure de l’article 7 TUE : non seulement les constatations (visées à l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE) et les recommandations (visées à l’article 7, paragraphe 1, TUE), mais également des actes qui ne sont pas expressément mentionnés à l’article 7 TUE et que le Conseil européen ou le Conseil pourraient adopter.

47.      Toutefois, la lecture combinée des premier et second alinéas de l’article 269 TFUE montre assez clairement que cette disposition ne s’applique qu’aux constatations du Conseil européen ou du Conseil. En effet, cet article requiert également que la demande de contrôle juridictionnel émane de « l’État membre qui fait l’objet d’une constatation [...] dans un délai d’un mois à compter de ladite constatation » (mise en italique par mes soins).

48.      En revanche, en ce qui concerne la définition négative du champ d’application de l’article 269 TFUE, compte tenu de son libellé, il est certain que cette disposition ne vise tout simplement pas les actes, autres que les constatations, qui pourraient être adoptés sur la base de l’article 7 TUE par des institutions autres que le Conseil européen ou le Conseil. L’article 269 TFUE n’évoque pas, en effet, les actes que le Parlement ou la Commission pourraient adopter en vertu de l’article 7 TUE.

2)      Le contexte historique

49.      Le libellé de l’actuel article 269 TFUE reflète en grande partie l’article III-371 du traité établissant une Constitution pour l’Europe initial. Il semble toutefois que cette disposition particulière n’ait pas fait l’objet d’un exposé spécifique dans les travaux préparatoires de la Convention européenne (12).

50.      Les parties ont évoqué un autre parallèle historique, que le Parlement a notamment invoqué au soutien de la thèse selon laquelle l’actuel article 269 TFUE tend à exclure l’intégralité de la procédure de l’article 7 TUE du contrôle juridictionnel. Cela concerne l’ancien article 46, sous e), TUE qui a précédé l’article 269 TFUE.

51.      Conformément au traité de Nice, l’ancien article 46, sous e), TUE prévoyait : « [l]es dispositions [des traités] qui sont relatives à la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes et à l’exercice de cette compétence ne sont applicables qu’aux [...] seules prescriptions de procédure contenues dans l’article 7 [TUE], la Cour statuant à la demande de l’État membre concerné et dans un délai d’un mois à compter de la date de la constatation du Conseil prévue par [cet] article ».

52.      Il est vrai que le libellé de l’ancien article 46, sous e), TUE présente des similitudes avec celui de l’article 269 TFUE. Les deux dispositions limitent le contrôle juridictionnel aux seules prescriptions de procédure contenues dans l’article 7 TUE. Elles prévoient toutes deux que ce contrôle s’effectue, à la demande de l’État membre concerné, dans un délai d’un mois à compter de la date d’une constatation. Toutefois, les similitudes s’arrêtent là.

53.      Premièrement, sur le plan textuel, la seule évidence qui découle de la teneur de l’ancien article 46, sous e), TUE est que, dans le cadre de l’article 7 TUE, la Cour ne pouvait exercer ses compétences (donc, notamment, sa compétence de contrôle et d’annulation au titre du prédécesseur de l’article 263 TFUE) qu’en ce qui concerne les seules prescriptions de procédure visées à l’article 7 TUE. Ainsi, le champ d’application matériel de l’ancien article 46, sous e), TUE n’était pas totalement clair puisqu’il n’était pas précisé à quels actes exactement cette disposition s’appliquait ni si d’autres actes que les constatations pouvaient en relever (et être soumis au type de contrôle qu’elle prévoyait). En revanche, comme il a été indiqué précédemment (13), le champ d’application de l’article 269 TFUE est non seulement plus étroit, mais également plus clair que celui de l’ancien article 46, sous e), TUE. À la différence de ce dernier, l’article 269 TFUE n’aborde pas l’éventuel contrôle (ou non-contrôle) d’autres types d’actes adoptés dans le cadre de l’article 7 TUE, sur la base d’un autre chef de compétence tel que l’article 263 TFUE.

54.      Deuxièmement, la raison d’être de l’ancien article 46 TUE dans son ensemble, initialement inséré dans le traité de Maastricht avec la création de l’Union européenne (14), a disparu dans le traité de Lisbonne. Cet article était étroitement lié à la « structure en piliers » : il établissait la compétence de la Cour et la limitait en ce qui concerne les matières intergouvernementales antérieurement régies par le traité UE, prévoyant ainsi un certain nombre d’exceptions à la compétence de la Cour (15). À l’époque, la nature particulière de l’Union européenne, par opposition à la Communauté européenne, justifiait cette limitation de la compétence de la Cour dans des domaines qui, tout comme la procédure de l’article 7 TUE, ne relevaient pas du pilier communautaire.

55.      L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a entraîné un changement de paradigme, rendant inutile toute discussion sur les éventuelles similitudes textuelles entre l’actuel article 269 TFUE et l’ancien article 46, sous e), TUE. L’article 269 TFUE ne peut tout simplement pas être considéré comme n’étant que le successeur de l’ancien article 46, sous e), TUE qui reprendrait sa portée, sa finalité et son esprit, car l’ensemble des fondements sur lesquels reposait l’ancien article 46 TUE a disparu. Ainsi, il n’existe plus de disposition générale énumérant les différents domaines dans lesquels la Cour n’a pas de compétence compte tenu de la structure en piliers. À la place, le traité de Lisbonne a introduit une règle de compétence générale qui ne connaît que des exclusions spécifiques et limitativement énumérées (16).

56.      En résumé, l’argument tiré de l’ancien article 46 TUE et de ce qui était auparavant la portée d’une exclusion parallèle n’a guère de poids. En fait, il pourrait s’agir, le cas échéant, d’un argument a contrario, mais certainement pas d’un argument par analogie.

3)      Le système

57.      Des arguments systémiques peuvent expliquer pourquoi l’article 269 TFUE ne saurait être interprété comme excluant quoi que ce soit de la compétence de la Cour. Cette disposition confère plutôt positivement une compétence en y incluant expressément quelque chose.

58.      Premièrement, l’article 269 TFUE ne figure pas parmi les exceptions à la compétence de la Cour visées dans la sixième partie, titre I, chapitre 1, section 5, TFUE, aux côtés des articles 274, 275 et 276 TFUE. Il se trouve au contraire parmi les dispositions relatives à la compétence de la Cour : après l’article 268 TFUE (qui confère compétence à la Cour en matière de responsabilité extracontractuelle de l’Union) et avant l’article 270 TFUE (qui confère compétence à la Cour pour les litiges entre l’Union et ses agents).

59.      Deuxièmement, les termes utilisés confirment également ce placement systémique. En effet, contrairement aux termes employés dans les véritables exclusions (les termes « la Cour [...] n’est pas compétente » figurant à l’article 275 TFUE et à l’article 276 TFUE), l’article 269 TFUE est une disposition qui attribue des compétences de manière positive (« la Cour [...] est compétente ») (17).

60.      Troisièmement, et c’est le plus important, cela soulève la question suivante : pourquoi fallait-il alors attribuer positivement, ou plutôt confirmer, la compétence de la Cour à l’égard des décisions du Conseil ou du Conseil européen adoptées en vertu de l’article 7, paragraphe 1 ou 2, TUE, tout en limitant la portée de cette compétence ?

61.      Selon moi, cette confirmation explicite s’imposait précisément en raison de la jurisprudence plus classique en matière de qualité pour agir et d’accès au contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE. Sur la base de cette jurisprudence (18), les constatations au titre de l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE pourraient être considérées comme des mesures préparatoires à la décision finale de suspension au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE. On pourrait dès lors considérer qu’elles sont exclues du contrôle juridictionnel. Afin de lever toute incertitude, a fortiori dans un domaine politique sensible où la Cour risquerait, par défaut, de manifester une certaine réticence à exercer son contrôle (19), il était raisonnable de prévoir clairement un contrôle restreint des actes considérés comme devant être, en tout état de cause, soumis au contrôle juridictionnel.

62.      Envisagé en termes aussi systémiques, l’article 269 TFUE est certes une forme de lex specialis, mais bien différente de celle suggérée par le Parlement. Il ne s’agit pas, et ne peut logiquement pas s’agir, d’exclure tout simplement du contrôle juridictionnel tous les actes qui n’y sont pas expressément mentionnés, mais qui sont néanmoins adoptés en vertu de l’article 7 TUE. L’article 269 TFUE constitue une confirmation ou une attribution de compétence spéciale à l’égard de certains types d’actes qu’il énumère et qui risquaient d’échapper au contrôle juridictionnel. Cela signifie toutefois également que les actes qu’il ne mentionne pas expressément ne relèvent pas de cet article, mais des règles générales de l’article 263 TFUE.

4)      La logique globale

63.      Un autre argument systémique mérite d’être évoqué. Cet argument porte sur les conséquences (il)logiques auxquelles conduirait l’interprétation proposée par le Parlement.

64.      À supposer que le Parlement ait raison et que l’article 269 TFUE doive être compris, à l’encontre de son libellé, de son contexte et de sa logique systémique, comme indiquant, en substance, que « la Cour de justice n’est pas compétente pour contrôler les actes adoptés en vertu de l’article 7 TUE, à l’exception des constatations adoptées par le Conseil européen ou par le Conseil », la question qui, logiquement, se pose alors est celle du contrôle juridictionnel d’éventuelles décisions de suspension adoptées par le Conseil en vertu de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

65.      Lors de l’audience, le Parlement a confirmé que, selon lui, tout acte adopté au titre de l’article 7 TUE autre que les constatations échapperait au contrôle juridictionnel, y compris les décisions relatives aux sanctions prises par le Conseil en vertu de l’article 7, paragraphe 3, TUE. Le Parlement a, en substance, soutenu que si l’État membre concerné est autorisé, en vertu de l’article 269 TFUE, à contester les constatations, y compris une constatation adoptée par le Conseil européen au titre de l’article 7, paragraphe 2, TUE, toute illégalité éventuelle devrait être établie à ce stade. Si la Cour annule une constatation au titre de l’article 7, paragraphe 2, TUE, aucune décision de suspension ne peut être prise en vertu de l’article 7, paragraphe 3, TUE. Si la constatation n’est pas annulée, elle constituera une base juridique solide pour une décision de suspension au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE, celle-ci n’étant pour l’essentiel qu’une décision politique, non susceptible de recours.

66.      Selon moi, cette interprétation est indéfendable.

67.      Premièrement, il convient de rappeler une nouvelle fois que l’Union est une Union « de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité » (20). L’article 7 TUE met en place une procédure spécifiquement destinée à assurer le respect de l’état de droit par les États membres. La protection juridictionnelle est l’un des principaux principes de l’état de droit. La Cour a récemment rappelé, sur la base de l’article 2 TUE, que « l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un tel État de droit » (21). Cet argument structurel revêt une importance particulière dans le contexte de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

68.      Deuxièmement, il serait illogique de soumettre, conformément à l’interprétation de l’article 269 TFUE proposée par le Parlement, à un contrôle juridictionnel limité des constatations qui peuvent s’analyser comme des actes préparatoires à une suspension des droits, mais de faire échapper l’acte final (par exemple une décision de suspension) à tout contrôle. De plus, à la différence des étapes précédentes de la procédure de l’article 7 TUE, le pouvoir (politique) discrétionnaire du Conseil est en fait expressément limité par le traité UE à cette étape précise : lorsqu’il décide de suspendre des droits (et détermine quels droits découlant de l’application des traités, autres que les droits de vote au Conseil, sont suspendus), « le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales ».

69.      Ainsi, aux stades où le Conseil dispose, à première vue, d’un pouvoir politique discrétionnaire illimité, ses décisions pourraient être contrôlées. Néanmoins, lorsque le pouvoir discrétionnaire du Conseil est encadré et commence à avoir une réelle incidence, il n’y aurait pas de contrôle. Cela renverserait complètement la logique du contrôle juridictionnel (qui prévaut d’ordinaire) : il serait possible de contester des actes préparatoires à caractère essentiellement politique (sous forme de constatations), mais pas la (les) décision(s) finale(s) (et dont le contenu est sans doute plus juridique), qui pourrai(en)t effectivement « affecter » des tiers et qui est (sont) soumise(s) à certains critères matériels au-delà des considérations politiques.

70.      Troisièmement, force est de constater que les décisions au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE seraient, pour leur part, des actes juridiques définitifs, susceptibles de produire des effets juridiques non seulement à l’égard de l’État membre concerné, mais également à l’égard des tiers, des particuliers, expressément visés à cette disposition. L’article 7, paragraphe 3, TUE laisse au Conseil un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer quels droits des États membres seront suspendus, comment le faire et dans quelle mesure. À nouveau, sans considérer comment, ni dans quelle mesure, un tel contrôle initié de manière individuelle pourrait se dérouler, il serait plutôt curieux que, par exemple, le gel d’avoirs et d’autres mesures restrictives prises à l’égard d’un particulier soient susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au titre de l’article 275, second alinéa, TFUE, mais que les décisions prises au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE, qui pourraient en définitive entraîner des effets juridiques tout aussi voire plus défavorables, ne puissent pas être contrôlées.

71.      Je reconnais évidemment que, comme l’a soutenu le Parlement lors de l’audience, la présente affaire ne porte pas sur la possibilité de soumettre une décision de suspension au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE à un contrôle juridictionnel. Toutefois, ce point contribue à mettre en exergue le fait que la position globale du Parlement quant à l’interprétation proposée de l’article 269 TFUE est dénuée de fondement. À cet égard, le sort des actes visés à l’article 7, paragraphe 1, TUE adoptés avant toute constatation au titre de cette même disposition et de tout autre acte ultérieur adopté après une constatation au titre de l’article 7, paragraphe 2, TUE ainsi que la logique globale de l’article 7 TUE doivent garder une certaine cohérence.

72.      C’est pourquoi la même logique doit s’appliquer à la relation entre l’article 269 et l’article 263 TFUE, laquelle doit alors également s’appliquer à l’article 7 TUE, considéré dans son ensemble. Pour parvenir à cette conclusion, il n’est pas nécessaire de prendre des mesures audacieuses pour établir de nouvelles voies de recours, comme l’arrêt Les Verts/Parlement (22), invoqué à plusieurs reprises par la requérante et l’intervenante, pourrait le laisser entendre. En l’espèce, il suffit simplement de ne pas succomber à la logique de cloisonnement de l’accès au contrôle qu’invoque le Parlement et qui reviendrait à scinder l’article 7 TUE, pour ce qui est de l’accès au contrôle juridictionnel, en boucles déconnectées qui relèveraient de réglementations différentes, ou plutôt ne relèveraient d’aucune réglementation.

5)      Conclusion intermédiaire : l’article 269 TFUE en tant que clause d’attribution d’une (certaine forme de) compétence

73.      Au terme d’une interprétation textuelle, historique, systémique et logique, j’estime que l’article 269 TFUE ne précise et ne régit la compétence de la Cour qu’en ce qui concerne le contrôle juridictionnel des constatations. Tout autre acte adopté en vertu de l’article 7 TUE auquel il n’est pas expressément fait référence à l’article 269 TFUE relève du contrôle juridictionnel ordinaire, à savoir de l’article 263 TFUE, et doit être examiné sur cette base.

74.      Avant de procéder à cet examen dans le contexte spécifique de la proposition motivée de l’article 7, paragraphe 1, TUE en cause, j’aimerais conclure par quelques considérations générales sur les raisons pour lesquelles une telle conclusion n’est pas susceptible d’aboutir à ce que la Cour soit submergée d’affaires de nature typiquement politique, ce qui paralyserait toute procédure au titre de l’article 7 TUE.

75.      Premièrement, en vertu de l’article 263 TFUE, divers « autres actes » non cités à l’article 269 TFUE sont susceptibles de constituer des actes préparatoires au sens de la jurisprudence classique relative à l’article 263 TFUE. Ces actes échappent donc à tout contrôle juridictionnel.

76.      Deuxièmement, pour pouvoir contester ces actes, pour autant qu’il ne s’agisse pas seulement d’actes préparatoires, tout requérant non privilégié au titre de l’article 263 TFUE devra démontrer qu’il est individuellement et directement concerné par ces actes. Il est difficile d’imaginer que des requérants particuliers puissent satisfaire ces critères, en particulier celui de l’affectation directe, à l’égard d’autres actes que l’éventuelle décision ultime de suspension au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

77.      Troisièmement, le contrôle juridictionnel n’est pas nécessairement un contrôle approfondi. Tel n’est pas le cas non seulement compte tenu des quatre moyens énumérés à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE qui délimitent la portée éventuelle d’un recours, mais également compte tenu du caractère spécifique et politique de l’article 7 TUE. Certes, il est de jurisprudence constante qu’il doit être reconnu aux institutions de l’Union un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elles adoptent des mesures dans des domaines qui impliquent de leur part des choix notamment de nature politique et des appréciations complexes (23).

78.      En résumé, les considérations qui précèdent m’amènent à conclure qu’il est très peu probable que le risque allégué de voir un débat essentiellement politique se déplacer du Conseil à la Cour, ce qui affecterait le bon déroulement et l’efficacité de l’ensemble de la procédure de l’article 7 TUE, se concrétise en raison de l’interprétation du lien entre les articles 263 et 269 TFUE qui est proposée ici.

d)      Sur le contrôle juridictionnel des propositions motivées au sens de l’article 7, paragraphe 1, TUE, sur la base de l’article 263 TFUE

79.      La résolution attaquée est une proposition motivée au sens de l’article 7, paragraphe 1, TUE, adoptée par le Parlement le 12 septembre 2018. Cette proposition a déclenché la première phase de l’article 7 TUE, permettant ainsi au Conseil d’adopter une éventuelle constatation, au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, reconnaissant l’existence d’un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union. Toutefois, à la date d’introduction du recours en annulation et, à ma connaissance, à la date de présentation des présentes conclusions, le Conseil n’a pas donné suite, ni dans un sens ni dans un autre, à cette proposition motivée.

80.      La proposition motivée de l’article 7, paragraphe 1, TUE relève de la phase initiale de la procédure au titre de l’article 7 TUE. Plusieurs étapes la séparent donc de l’adoption d’une décision de suspension au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE, ou même, auparavant, d’une constatation au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE. Ne faudrait-il donc pas considérer qu’une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE ne constitue qu’un acte préliminaire qui échappe au contrôle juridictionnel visé à l’article 263 TFUE ?

81.      À mon sens, tel n’est pas le cas. Une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE n’est ni un simple acte préparatoire ni un acte dépourvu d’effets juridiques (propres, autonomes). En effet, non seulement elle fixe définitivement la position du Parlement [point 1) ci-dessous], mais il n’est pas non plus possible de corriger à des stades ultérieurs les erreurs de procédure qui pourraient l’entacher [point 2) ci-dessous]. Et surtout, la proposition motivée n’est pas seulement destinée à produire des effets de droit, mais à produire effectivement et clairement de tels effets (autonomes) à l’égard des tiers, au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE [point 3) ci-dessous].

1)      La position du Parlement est définitivement fixée

82.      Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, un acte n’est attaquable que s’il fixe définitivement la position de l’institution qui l’a adopté (24). La requérante et l’intervenante considèrent que tel est le cas, tandis que le Parlement défend la position opposée. Selon lui, la résolution attaquée est comparable à une proposition législative de la Commission.

83.      Je ne partage pas la position du Parlement.

84.      Tout d’abord, il convient de souligner que la jurisprudence susmentionnée s’est développée principalement dans des affaires portant sur des procédures administratives complexes, notamment économiques, impliquant des appréciations d’ordre technique, notamment de la part de la Commission. On conçoit mal, d’emblée, que les mêmes règles puissent s’appliquer aux procédures législatives et a fortiori constitutionnelles. Néanmoins, puisque ce courant jurisprudentiel a été invoqué et débattu lors de l’audience, le fait qu’un acte n’est susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel que lorsqu’il fixe une position définitive de l’institution qui l’a adopté peut peut-être constituer un point de départ et être considéré comme une règle générale valable pour tous les types de procédures (25).

85.      Sur le plan formel, la résolution attaquée pourrait faire penser aux propositions législatives de la Commission qui, tout au moins selon le Tribunal, ne sauraient être regardées comme des actes attaquables (26). L’annexe à la résolution attaquée contient en effet une « proposition de décision du Conseil constatant, conformément à l’article 7, paragraphe 1, [TUE], l’existence d’un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée ».

86.      Là s’arrête cependant l’analogie avec les propositions législatives de la Commission. Tout d’abord, les propositions motivées ne doivent pas nécessairement avoir la même forme que la résolution attaquée et inclure un véritable projet de constatation du Conseil en annexe. Elles peuvent plus simplement prendre la forme d’une résolution sans projet de constatation annexé, mais comportant un simple exposé des motifs (27), le texte de l’article 7, paragraphe 1, TUE requérant une proposition motivée, mais pas nécessairement un projet de constatation.

87.      Ensuite, et sur un plan plus structurel, la résolution attaquée n’est tout simplement pas comparable à une proposition législative de la Commission. En effet, l’article 7 TUE prévoit une procédure de sanction à caractère constitutionnel dirigée contre un État membre particulier, ce qui est très différent d’une procédure législative générale qui tend à donner forme à des politiques (28). De plus, et c’est bien plus important, il est évident que les propositions législatives de la Commission ne fixent pas la position définitive de cette dernière. Ces propositions constituent plutôt le point de départ de l’ensemble du débat législatif qui doit se tenir entre plusieurs institutions, dont la Commission.

88.      Une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE est une toute autre chose. Il ne s’agit pas d’une invitation à négocier, à délibérer collectivement sur le texte et sur ses dispositions particulières, qu’illustre parfaitement le va-et-vient caractéristique de la procédure législative. La proposition motivée visée à l’article 7, paragraphe 1, TUE exprime la position définitive de son auteur : une institution transmet à une autre le témoin métaphorique dans la procédure par étapes qu’est l’article 7 TUE. C’est la position finale (et donc irrévocable) de l’un des participants de cette course de relais. Elle déclenche la procédure (et pas seulement de manière provisoire).

89.      Toutefois, à la différence d’une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE émanant de la Commission, cette institution n’est pas impliquée, du moins pas explicitement, dans les étapes suivantes de la procédure, le Parlement est quant à lui tenu d’approuver les éventuelles constatations adoptées tant au titre de l’article 7, paragraphe 1, que de l’article 7, paragraphe 2, TUE.

90.      J’estime que cette approbation ultérieure n’affecte pas le caractère définitif de la proposition motivée initiale du Parlement. Avant tout, par ces deux approbations, il n’est pas demandé au Parlement de reconsidérer sa proposition motivée, s’il en a effectivement émis une. Ces deux actes ont en effet des objets différents : alors que la proposition motivée déclenche la procédure de l’article 7, paragraphe 1, TUE, l’approbation requise porte sur la teneur de la constatation du Conseil et sur la conclusion que ce dernier en tire qu’il existe soit un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union par un État membre, soit une violation grave de ces valeurs par un État membre.

91.      Par ailleurs, le Parlement n’est qu’un des trois acteurs visés à l’article 7, paragraphe 1, TUE qui peuvent, en adoptant une proposition motivée, déclencher la procédure de l’article 7 TUE. Il est donc raisonnable de considérer qu’une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE devrait toujours avoir la même valeur, quel que soit l’organe qui l’a adoptée. Le fait que l’un de ces trois organes susceptibles de déclencher la procédure joue un rôle par la suite en donnant son consentement devrait être sans pertinence. Il serait assez illogique que le fait quelque peu circonstanciel que, en l’espèce, la procédure a été déclenchée par le Parlement et non par la Commission ou par un tiers des États membres soit pris en considération et combiné avec ce qui semble avoir été la volonté des auteurs du traité d’attribuer au Parlement une place spéciale dans l’ensemble de la procédure, pour aboutir à l’exact opposé de ce qui a été prévu, à savoir que le rôle du Parlement dans la procédure s’en trouve non pas renforcé, mais plutôt amoindri. Or, tel serait le résultat si l’on considérait que la proposition motivée du Parlement est de « moindre valeur » ou qu’elle est « moins définitive » que celle de la Commission ou d’un tiers des États membres et qu’elle peut être indirectement remise en question, voire annulée, par l’approbation d’une proposition différente qui est requise du Parlement à un stade ultérieur de la procédure.

92.      Cette dernière situation est d’ailleurs peu vraisemblable : supposons, à titre purement hypothétique, que le Parlement émette une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, invitant le Conseil à constater l’existence d’un risque clair de violation grave par un État membre. Toutefois, lorsque son approbation est ensuite requise, le Parlement la refuse pour une raison quelconque : il pourrait ne pas être d’accord avec le texte de la constatation proposée ou, après avoir obtenu de nouvelles informations ou même après l’audition de l’État membre par le Conseil, ne plus être convaincu qu’il existe effectivement un risque ; ou encore la majorité du Parlement pourrait penser que la série de recommandations proposées par le Conseil suffirait pour le moment à remédier à la situation. Dans chacun de ces cas, et peut-être également dans d’autres situations, le refus d’approuver aurait-il des répercussions sur le caractère définitif de la proposition motivée précédemment adoptée ? La position antérieure du Parlement en deviendrait-elle « moins définitive » ? Je ne le pense pas.

93.      Il en résulte que, en adoptant une proposition motivée au sens de l’article 7, paragraphe 1, TUE, le Parlement fixe sa position définitive quant au déclenchement de la procédure de l’article 7 TUE.

2)      Peut-il y être remédié ultérieurement ?

94.      Il ressort d’une jurisprudence constante qu’un acte intermédiaire n’est pas susceptible de recours s’il est établi que l’illégalité attachée à cet acte pourra être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d’élaboration. Dans de telles conditions, le recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure assurera une protection juridictionnelle suffisante. Toutefois, si cette dernière condition n’est pas satisfaite, il sera considéré que l’acte intermédiaire – indépendamment du point de savoir si celui-ci exprime une opinion provisoire de l’institution concernée – produit des effets juridiques autonomes et, partant, doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation (29).

95.      Cette jurisprudence, qui a été reprise dans des procédures administratives (économiques), constitue une exception interne à la situation décrite dans la sous-section précédente des présentes conclusions. Elle ouvre la voie à des recours juridictionnels à l’encontre d’actes qui ne fixent pas une position définitive, mais qui produisent néanmoins des effets juridiques autonomes. Puisque j’ai suggéré, au point précédent des présentes conclusions, que la résolution attaquée fixe la position finale du Parlement et qu’elle ne constitue donc pas un simple acte préparatoire, je n’aborde cette question que par souci d’exhaustivité, dans la mesure où les parties l’ont invoquée et analysée.

96.      Dans le cadre d’une procédure constitutionnelle par étapes telle que celle de l’article 7 TUE, il peut en effet sembler raisonnable, surtout lorsqu’on l’envisage de façon générale et abstraite, d’attendre qu’une décision mettant fin à cette procédure soit adoptée avant de contester toute irrégularité préalable qui aurait été commise au cours de ladite procédure.

97.      Néanmoins, cette thèse ne résiste pas à une analyse plus approfondie.

98.      Premièrement, il est difficile d’imaginer comment il serait possible d’imputer des illégalités à tous les acteurs constitutionnels de manière transversale, en l’espèce en reprochant au Conseil européen ou au Conseil une irrégularité de procédure que le Parlement aurait commise lors de l’adoption de la proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, puis de demander l’annulation, par exemple, d’une décision de suspension du Conseil au titre de l’article 7, paragraphe 3, TUE en raison de cette irrégularité antérieure du Parlement. Cela ne fait que souligner le fait que l’approche « holistique » du contrôle juridictionnel ne pourrait fonctionner correctement que pour des procédures complexes, au sein d’une même institution, ou d’un même type d’institutions, par exemple pour différentes décisions individuelles de l’administration publique qui se combinent pour aboutir à une décision finale intégrée. Cette logique est toutefois proprement inapplicable à une série de décisions distinctes, autonomes et de natures différentes, qui émanent de plusieurs acteurs constitutionnels.

99.      Deuxièmement, on n’aperçoit pas d’emblée quelle est en fait la décision mettant fin à la procédure dans le contexte de l’article 7 TUE. D’un côté, si l’on envisage l’article 7 TUE dans son ensemble, la décision mettant fin à la procédure déclenchée par une proposition motivée pourrait être la constatation adoptée en vertu de l’article 7, paragraphe 1 ou 2, TUE, comme le suggère la partie défenderesse (cycle interne). D’un autre côté, ce pourrait également être, et ce serait peut-être plus probable, la décision ultime d’imposer des sanctions sur la base de l’article 7, paragraphe 3, TUE (cycle externe) (30). De plus, l’étendue du contrôle juridictionnel est susceptible de varier selon la décision qui est réputée mettre fin à la procédure. En effet, si la « décision » pertinente est la constatation au titre de l’article 7, paragraphe 1 ou 2, TUE, l’article 269 TFUE est applicable, et le contrôle prévu à cette disposition serait mis en œuvre. En revanche, s’il s’agit de la décision adoptée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, TUE, il est procédé à un contrôle ordinaire au titre de l’article 263 TFUE.

100. Troisièmement, et c’est peut-être le plus important, il se peut qu’il n’y ait jamais de décision mettant fin à la procédure, indépendamment de la disposition pertinente. L’article 7, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 2, TUE, tout au moins dans leur libellé, n’obligent pas le Conseil à agir à la suite d’une proposition motivée. Ils ne prévoient pas non plus que les effets de la proposition motivée s’éteignent au terme d’un délai raisonnable si rien ne se produit. Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que le principe de sécurité juridique exige que les institutions de l’Union exercent leurs pouvoirs dans un délai raisonnable (31). Je ne m’engagerai certainement pas sur ce terrain miné qu’est le débat sur le point de savoir si le Conseil peut être juridiquement tenu d’adopter une constatation dans un délai raisonnable (ou de refuser expressément de le faire) et si une telle obligation peut découler du principe de coopération loyale (32).

101. Pour les besoins des présentes conclusions, il suffit simplement de constater qu’il serait absolument kafkaïen de subordonner l’accès au contrôle juridictionnel à l’éventuelle adoption d’une décision définitive de nature inconnue et de considérer que, dans l’intervalle, les effets de la proposition motivée se maintiennent pendant une durée indéterminée. Un tel scénario ne correspondrait pas à la description d’une union de droit dans laquelle « l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un État de droit » (33).

102. Il me faut donc conclure que la protection juridictionnelle effective exige que les propositions motivées puissent faire l’objet d’un contrôle au titre de l’article 263 TFUE, pour autant qu’elles produisent des effets de droit (autonomes), une question que je vais enfin aborder.

3)      Effets juridiques (autonomes)

103. Selon moi, la proposition motivée en cause dans la présente affaire a déclenché la procédure de l’article 7 TUE et, de ce point de vue, elle produit déjà certains effets juridiques ou était certainement destinée à en produire. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la condition visée à l’article 263, premier alinéa, TFUE, la résolution attaquée produit effectivement au moins deux types d’effets juridiques supplémentaires en sa qualité de proposition motivée au sens de l’article 7, paragraphe 1, TUE.

104. Premièrement, en vertu de l’article unique, sous b), du protocole no 24 sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne, introduit par le traité d’Amsterdam, lorsque la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, TUE a été déclenchée, et jusqu’à ce que le Conseil prenne une décision à ce sujet à l’égard de l’État membre dont le demandeur est ressortissant, cet État membre ne peut plus être considéré comme un pays d’origine sûr vis-à-vis des autres États membres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile. En conséquence, toute demande d’asile introduite par un ressortissant de cet État membre peut être prise en considération sur le fond par un autre État membre de l’Union.

105. Il ne fait aucun doute qu’une telle conséquence constitue un effet juridique (contraignant) des propositions motivées à l’égard non seulement de l’État membre concerné, mais également de tous les autres États membres, des institutions de l’Union et des ressortissants de cet État. Si le protocole no 24 est mis en œuvre, un État membre perd effectivement le statut de pays sûr à l’égard des autres États membres (et éventuellement aussi vis-à-vis des pays tiers). Le fait que le Conseil puisse prendre position à l’égard de la proposition motivée reste sans incidence sur cet effet.

106. Certes, on pourrait se demander s’il est opportun qu’une proposition motivée déclenchant l’article 7, paragraphe 1, TUE produise déjà un effet aussi important. On pourrait même tenter de minimiser l’importance du protocole dit « Aznar », en suggérant qu’il a été adopté à une période et à des fins différentes.

107. Il serait, selon moi, inapproprié qu’une juridiction apporte son soutien à une telle position, compte tenu de la lettre très claire de la loi. L’intention des rédacteurs du protocole dit « Aznar », qui a la même valeur juridique que les traités (34), est claire. Cette disposition et sa mise en œuvre ont été valablement déclenchées par l’adoption de la proposition motivée du Parlement.

108. De plus, je trouve que l’argumentation du Parlement, qui revient à suggérer, en substance, que l’activation du protocole no 24 ne peut conférer aux particuliers aucun droit directement applicable, ou que les autorités publiques des autres États membres disposent encore d’une marge d’appréciation quant à la question de savoir s’ils accorderont ou non, en fin de compte, une protection internationale aux demandeurs en provenance de Hongrie, n’est pas pertinente.

109. Selon moi, un tel argument confond la qualité pour agir des particuliers (et notamment la condition de l’affectation directe) avec les intérêts d’un État membre. Premièrement, d’une part, un État membre est un requérant privilégié. Il n’est pas tenu de démontrer qu’il est directement affecté. D’autre part, même si c’était le cas, quod non, cela affecterait cet État, et non pas ses ressortissants ni les autorités administratives d’autres États. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le fait de se voir privée du statut de pays sûr affecte la Hongrie puisque cela implique clairement que les demandes de protection internationale introduites par ses ressortissants dans d’autres États membres peuvent être traitées sur le fond. La question de savoir si une demande sera finalement accueillie est tout à fait différente. En effet, pour recourir à une analogie tirée du domaine des obligations souveraines, cela reviendrait à modifier la notation d’un pays de AAA à B du jour au lendemain, puis à suggérer que ce pays n’est pas affecté par cette rétrogradation parce qu’un certain nombre de ses ressortissants ont encore un peu d’argent. Si cette suggestion peut être techniquement correcte, elle est également dénuée de pertinence au regard de l’objet de la plainte.

110. Deuxièmement, un autre type d’effet juridique attaché à la proposition motivée visée à l’article 7, paragraphe 1, TUE découle de la jurisprudence de la Cour. L’existence d’une proposition motivée peut en effet avoir une incidence sur la confiance et la reconnaissance mutuelles au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, en particulier dans le cadre de l’exécution des mandats d’arrêt européens, mais son incidence n’est certainement pas limitée à ce seul domaine du droit.

111. Dans son arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (35), la Cour a jugé que, lorsqu’il existe un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable en raison de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission, l’autorité d’exécution peut, à la suite d’une appréciation au cas par cas, refuser la remise d’une personne s’il existe des motifs sérieux de croire que cette personne court un tel risque en cas de remise à cet État. Cette autorité d’exécution peut parvenir à une telle conclusion si elle « dispose d’éléments, tels que ceux figurant dans une proposition motivée de la Commission, adoptée en application de l’article 7, paragraphe 1, TUE, tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable » (36).

112. Certes, la décision de refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen ne sera pas automatique. La proposition motivée n’est qu’un des documents dont une juridiction nationale peut tenir compte pour effectuer sa propre appréciation (37).Quoi qu’il en soit, la Cour a souligné, dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), qu’une proposition motivée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, TUE constitue un élément particulièrement pertinent (38). Certes, cet arrêt faisait référence à une proposition motivée émanant de la Commission. Toutefois, cette affirmation n’a, à mon sens, été formulée que dans le cadre factuel dudit arrêt. Je ne l’interprète certainement pas comme une indication de la volonté de distinguer la proposition motivée de la Commission de celles qui pourraient être adoptées par les deux autres acteurs visés à l’article 7, paragraphe 1, TUE (39).

113. Aucune conséquence automatique n’est donc attachée à l’existence d’une proposition motivée en la matière. Il est néanmoins difficile de soutenir qu’un élément qui, selon le prononcé faisant autorité de la Cour, est susceptible de constituer un motif pour refuser la confiance mutuelle et suspendre la reconnaissance mutuelle ne produit pas d’effets juridiques. Un document indubitablement juridique, et non un simple fait, qui peut légalement être utilisé pour écarter plusieurs obligations essentielles de droit primaire et de droit dérivé incombant aux États membres en vertu du droit de l’Union, est-il dépourvu d’effets juridiques ?

114. Une telle suggestion ne me paraît pas pouvoir être retenue. En effet, concrètement, l’importance de telles déclarations faisant autorité provenant d’un niveau européen peut difficilement être sous-estimée. Il est peu probable qu’une juridiction pénale d’un État membre, typiquement une juridiction pénale de première instance compétente pour connaître des demandes de remise, ait la capacité ou s’estime compétente pour exercer un contrôle complet de la qualité de l’État de droit dans un autre État membre. Dès lors, si de tels acteurs sont expressément invités à se fonder sur une déclaration des institutions européennes, lorsqu’il est question de défendre ces affirmations et d’en accepter les conséquences nécessaires au niveau de l’Union, qui inclut la possibilité d’un accès raisonnable à une juridiction (40), le pouvoir précédemment exercé qui a commencé à produire des effets juridiques ne peut pas disparaître soudainement dans un « brouillard reniant toute connaissance », pour rappeler les X-Files.

115. La Hongrie a un intérêt certain à agir contre la résolution attaquée. Cette résolution ne se limite pas à déclencher l’article 7, paragraphe 1, TUE, habilitant ainsi le Conseil à constater un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union par un État membre. Elle emporte également des conséquences juridiques autonomes à l’égard de cet État membre.

116. Le recours en annulation introduit par la requérante contre la résolution attaquée au titre de l’article 263 TFUE est donc recevable.

B.      Sur le fond

117. La requérante a soulevé quatre moyens de fond à l’encontre de la résolution attaquée. J’examinerai tout d’abord (ensemble) les deux moyens qui suggèrent, en substance, que le Parlement aurait dû tenir compte des abstentions lors du calcul des suffrages exprimés pour déterminer si la majorité requise était atteinte. J’aborderai ensuite les deux autres moyens.

1.      Sur les premier et troisième moyens

a)      Les arguments des parties

118. Dans son premier moyen, la requérante soutient que la résolution attaquée n’aurait pas été adoptée si les abstentions avaient été dûment prises en compte. L’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur prévoit que seules les voix « pour » et « contre » sont prises en compte dans le calcul des suffrages exprimés, avec la réserve suivante, introduite en 2016 : « sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique ». L’article 354 TFUE, qui s’applique aux actes adoptés par le Parlement en vertu de l’article 7 TUE, prévoit une telle majorité spécifique, à savoir une majorité des deux tiers des voix exprimées et de la majorité des membres du Parlement. L’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur doit être interprété conformément à l’article 354 TFUE en ce sens qu’il impose de tenir compte des abstentions.

119. Pour le Parlement, la non-prise en compte des abstentions ne viole pas l’article 354 TFUE ni l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur. De par le monde, les assemblées appliquent des règles diverses en ce qui concerne la prise en compte des abstentions. En vertu de l’article 232 TFUE, le Parlement peut décider de son organisation et de son fonctionnement. L’article 354 TFUE ne précisant pas la manière dont il convient de traiter les abstentions, il appartient au Parlement d’en décider. À cet égard, ce dernier a toujours suivi une pratique cohérente consistant à ne pas considérer les abstentions comme des suffrages exprimés. La révision du règlement intérieur en 2016 n’avait pas pour but d’introduire une exception à la règle générale en vertu de laquelle les abstentions ne sont pas prises en considération.

120. Selon l’intervenante, l’article 354, quatrième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il impose l’obligation de tenir compte des abstentions, compte tenu de l’article 354, premier alinéa, TFUE. Dès lors que ce dernier prévoit expressément que les abstentions au sein du Conseil ou du Conseil européen ne font pas obstacle à l’adoption d’une décision, l’absence d’une telle réserve à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE suggère que les abstentions doivent être prises en considération.

121. Par son troisième moyen, la requérante fait valoir que, du fait de la non-prise en considération des abstentions, les députés n’ont pas été mis en mesure d’exercer leur fonction de représentants des citoyens, ce qui constitue une violation des principes de démocratie et d’égalité de traitement entre les députés. Ces derniers devraient pouvoir exprimer leurs opinions politiques de diverses manières. En outre, ils n’ont pas été dûment informés des modalités de vote puisque ces informations ne leur ont été communiquées, par un simple courriel, qu’un jour et demi avant le vote.

122. Selon le Parlement, ce troisième moyen doit être déclaré manifestement non fondé. Le fait de ne pas prendre en compte les abstentions ne constituerait pas une inégalité de traitement entre les députés. Ceux-ci disposent tous du même droit de vote et sont libres de voter conformément à leurs opinions politiques et en ayant connaissance de l’influence que leur vote aura sur le résultat final. En outre, en l’espèce, les députés étaient en mesure d’opérer un choix en connaissance de cause puisqu’ils avaient été informés, avant le vote, de la manière dont les votes seraient comptabilisés.

b)      Analyse

123. Alors que le premier moyen de la requérante est tiré de ce que la résolution attaquée a violé l’article 354 TFUE et l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur, le troisième moyen porte sur la violation des principes de démocratie et d’égalité, au titre, respectivement, de l’article 2 TUE et de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les deux moyens se résument néanmoins, en substance, à la même question, celle de savoir si la non-prise en considération des abstentions est compatible avec diverses dispositions du droit de l’Union. Il est dès lors préférable de les examiner conjointement.

124. En vertu de l’article 231 TFUE, « [s]auf dispositions contraires des traités, le Parlement européen statue à la majorité des suffrages exprimés ». L’article 7 TUE comporte une exception à cette règle. En vertu de l’article 7, paragraphe 5, TUE, « [l]es modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 [TFUE] ».

125. Conformément à l’article 354, quatrième alinéa, TFUE, « [a]ux fins de l’article 7 [TUE], le Parlement européen statue à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui le composent ». Il en découle que l’article 354 TFUE requiert deux types de majorité aux fins de l’adoption de propositions motivées invitant le Conseil à agir au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE : une majorité de deux tiers des suffrages exprimés et la majorité des députés (41).

126. Seul le premier type de majorité est ici en cause. La divergence entre les parties à la procédure réside dans la définition des « suffrages exprimés ». La requérante et l’intervenante estiment que les « suffrages exprimés » incluent les abstentions tandis que le Parlement soutient que cette notion ne vise que les votes « pour » ou « contre » la proposition.

127. Selon moi, le Parlement a raison sur ce point.

128. En premier lieu, dans le langage courant, le terme « abstention » vient du mot latin abstinere, qui signifie « se tenir loin », « s’éloigner » ou « s’abstenir ». Dans le même sens, l’Oxford Dictionary of English définit le verbe « s’abstenir » de la manière suivante : « formally decline to vote either for or against a proposal or motion » (refuser formellement de voter pour ou contre une proposition ou une motion). Dès lors, la personne qui s’abstient ne souhaite pas que son vote soit comptabilisé pour ou contre une proposition. Elle souhaite simplement ne pas être présente (ou se comporte comme si elle ne l’était pas). Elle refuse d’exprimer un suffrage et souhaite qu’il soit considéré qu’elle n’a pas voté.

129. Quant au sens naturel de la notion de « suffrage exprimé », il implique que la personne a activement exprimé son point de vue en choisissant parmi les différentes possibilités. Ce choix peut alors prendre la forme d’un vote pour ou contre quelqu’un ou quelque chose, qu’il s’agisse d’une résolution, d’une loi ou d’un rapport.

130. Il résulte de l’acception combinée des termes « abstention » et « suffrage exprimé » que, en principe, ceux-ci s’excluent mutuellement. Cette conclusion logique n’est pas remise en question par d’autres règles spécifiques établies à d’autres fins, qui peuvent demander aux députés d’exprimer activement leur abstention (42). Ces règles concernent clairement des domaines très différents. Il est tout simplement impossible de s’appuyer sur un raisonnement « par analogie » avec ces règles spécifiques pour interpréter les règles générales de vote.

131. En deuxième lieu, dans sa version en vigueur au moment de l’adoption de la résolution attaquée, l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur, qui est une disposition générale en matière de vote, énonce que pour l’adoption ou le rejet d’un texte, seules les voix « pour » et « contre » sont prises en compte dans le calcul des suffrages exprimés, sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique. Cette disposition exclut clairement, par principe, les abstentions. Ce faisant, le Parlement a exercé son pouvoir d’organisation et de fonctionnement propre, comme le lui permet l’article 232 TFUE.

132. Le fait que, lors de la révision du règlement intérieur en 2016, la réserve « sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique » a été ajoutée à l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur ne change rien à cet égard. La formulation retenue dans cette disposition est ouverte et contient simplement une ouverture législative et un renvoi à d’autres dispositions.

133. Toutefois, aucune des dispositions du droit primaire invoquées par la requérante ne permet de conclure que l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur devrait, à la lumière de ces dispositions du droit primaire, être interprété en ce sens qu’il obligerait le Parlement à tenir compte des abstentions en tant que suffrages exprimés aux fins du calcul de la majorité de deux tiers nécessaire pour l’adoption d’une proposition motivée, telle que la résolution attaquée, prévue à l’article 7, paragraphe 1, TUE.

134. Interrogée sur ce point précis lors de l’audience, la requérante a seulement fait référence à l’article 354 TFUE. En effet, cette disposition prévoit une majorité spécifique (une majorité de deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui composent le Parlement), mais elle ne prévoit pas de règle dérogatoire spécifique quant à la manière de comptabiliser les « suffrages exprimés ». À ce stade, le raisonnement de la requérante devient quelque peu circulaire, coincé dans des références croisées entre les mêmes dispositions qui en fait n’indiquent pas autre chose. En résumé, l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur a ouvert une possibilité qui ne s’est jamais concrétisée.

135. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il est difficile de concevoir que, en décidant librement et souverainement de s’abstenir, les députés se trouveraient dans l’incapacité d’exercer leurs fonctions en tant que représentants des citoyens. La décision de s’abstenir était, après tout, leur choix (politique). Par ailleurs, les abstentions des députés sont en soi une manière d’exprimer une opinion politique. Même si elles ne sont pas comptabilisées comme des suffrages exprimés, elles ont généralement une incidence directe sur le calcul du nombre de voix nécessaire pour atteindre la majorité requise (43). Elles sont également importantes en matière de légitimité politique. En général, plus le taux d’abstention est élevé, moins la décision politique est légitime, même si, en définitive, elle est adoptée.

136. En quatrième et dernier lieu, s’agissant spécifiquement du troisième moyen de la requérante, on peut certes considérer que le principe de démocratie exige légalement la prévisibilité des règles de vote. Lorsqu’ils votent, les députés doivent avoir connaissance des règles applicables au processus de vote. Par exemple, ils devraient certainement savoir avant le vote quelles en sont les modalités.

137. Or, en l’espèce, je ne vois pas en quoi ces exigences n’auraient pas été respectées. Il est constant que les députés ont été informés un jour et demi avant le vote du fait que les abstentions ne seraient pas comptabilisées comme des suffrages exprimés. Sans vouloir entrer dans le débat sur ce qui constitue un laps de temps suffisant en politique, cette information relative à l’organisation d’un vote effectif a certainement été communiquée en temps utile. Je ne perçois pas non plus en quoi, au xxie siècle, la décision de communiquer cette information dans un courriel adressé aux députés ne serait pas tout à fait appropriée au regard de la nature et de la fonction de cette information.

138. Selon moi, les premier et troisième moyens ne sont donc pas fondés.

2.      Sur le deuxième moyen

139. Le requérant fait valoir que le fait que le président du Parlement a omis de demander l’avis de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement (ci‑après la « commission AFCO ») sur la manière d’interpréter le règlement intérieur a porté atteinte à la sécurité juridique dès lors que, avant et après le vote, l’interprétation de ce règlement était incertaine. En omettant de consulter la commission AFCO sur la méthode de vote, le président du Parlement n’aurait pas respecté l’obligation de dissiper les incertitudes. Cela a gravement compromis la possibilité pour les membres du Parlement d’exercer leurs droits de représentation du peuple en matière de vote.

140. Selon le Parlement, le deuxième moyen doit être considéré comme manifestement non fondé. La requérante n’invoque pas une violation de la sécurité juridique. Il n’apparaît pas clairement si le deuxième moyen soulève la question de l’invalidité de l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur au regard de la sécurité juridique ou de la décision du président de consulter le service juridique, mais pas la commission AFCO, ou le non-respect de formes substantielles lors de l’adoption de la résolution. En tout état de cause, le président n’est pas tenu de consulter la commission AFCO sur l’interprétation de l’article 178, paragraphe 3, du règlement intérieur.

141. Le deuxième moyen est manifestement non fondé.

142. Le règlement intérieur du Parlement ne prévoit aucune obligation de consulter la commission AFCO, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, afin d’interpréter les règles de vote. L’article 226, paragraphe 1, de ce règlement prévoit en effet qu’« [e]n cas de doute quant à l’application ou à l’interprétation du présent règlement intérieur, le président peut renvoyer la question, pour examen, à la commission compétente » (44). Dès lors, la résolution attaquée pouvait être mise au vote sans que la commission AFCO soit impliquée au préalable.

143. Rien n’oblige le président du Parlement à procéder de la manière indiquée par la requérante. Faire référence, dans ce contexte, au principe de sécurité juridique ne change rien à cette conclusion. En outre, en vue de garantir la sécurité juridique, non seulement le président a sollicité l’avis du service juridique du Parlement (45), alors même qu’il n’était pas obligé de le faire, mais tous les membres du Parlement ont été informés, avant le vote, de la manière dont les votes seraient comptabilisés (46).

3.      Sur le quatrième moyen

144. Selon la requérante, la résolution attaquée viole les principes de coopération loyale, de bonne foi, de sécurité juridique et de confiance légitime. En établissant sa proposition de résolution, le Parlement n’aurait pas dû se prévaloir de procédures d’infraction engagées à l’encontre de la requérante et toujours pendantes devant, ou clôturées par, la Commission. Dès lors que la Commission, en tant que gardienne des traités, n’a pas considéré qu’il se justifiait de déclencher une procédure au titre de l’article 7 TUE, une autre institution de l’Union ne peut se fonder sur des procédures d’infraction clôturées pour déclencher la procédure de l’article 7 TUE.

145. Pour sa part, le Parlement estime que ce moyen doit être déclaré manifestement non fondé. Aucune base juridique ne permet de conclure que des procédures d’infraction pendantes ou clôturées empêchent de déclencher la procédure de l’article 7 TUE. Conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE, le Parlement dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les faits sur lesquels il fonde sa position.

146. Le quatrième moyen est manifestement non fondé.

147. L’article 7, paragraphe 1, TUE ne limite pas les raisons sur la base desquelles une proposition motivée peut être adoptée. Il ne pourrait pas non plus être sérieusement soutenu qu’une autre disposition du droit de l’Union, y compris le devoir de coopération loyale, limite d’une manière ou d’une autre les sources sur lesquelles une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE pourrait être fondée. Cette proposition devant être motivée, le Parlement doit s’appuyer sur des éléments objectifs suggérant l’existence d’un tel risque. La constatation antérieure d’une infraction ou de plusieurs infractions peut indubitablement constituer un tel élément et ainsi contribuer à déclencher une procédure contre l’État membre concerné au titre de l’article 7 TUE pour autant que de telles infractions méconnaissent les valeurs de l’Union. Ainsi, en se fondant sur des procédures d’infraction, qu’elles soient clôturées ou pendantes, la résolution attaquée n’a violé aucun des principes sur lesquels s’appuie la requérante dans son quatrième moyen.

V.      Dépens

148. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Puisque la requérante succombe et que le Parlement conclut à la condamnation de la requérante aux dépens, cette dernière doit être condamnée aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, la partie intervenante supporte ses propres dépens.

VI.    Conclusion

149. Je propose à la Cour de :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la Hongrie aux dépens ; et

–        condamner la République de Pologne à ses propres dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Résolution P8_TA-PROV (2018) 0340 [2017/2131(INL)].


3      Dans la version applicable durant la session des années 2014-2019, telle que modifiée par la décision du Parlement européen du 13 décembre 2016 sur la révision générale du règlement du Parlement.


4      Résolution sur la situation en Hongrie, P8_TA(2017)0216.


5      Rapport A8‑0250/2018 relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, [TUE], l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée [2017/2131(INL)].


6      Ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement (C‑650/18, non publiée, EU :C :2019 :438).


7      Voir, par exemple, arrêts du 26 juin 2012, Pologne/Commission (C‑336/09 P, EU :C :2012 :386, point 36 et jurisprudence citée) ; du 6 octobre 2015, Schrems (C‑362/14, EU :C :2015 :650, point 60), ; ainsi que du 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. (C‑426/16, EU :C :2018 :335, point 38).


8      Voir, par exemple, arrêts du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU :C :2013 :625, points 91 et 92) ; du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑244/16 P, EU :C :2018 :177, point 102), et du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU :C :2019 :923, point 54).


9      Voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 décembre 2017, Allemagne / Conseil (C‑600/14, EU :C :2017 :935, point 108), et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission (C‑575/18 P, EU :C :2020 :530, point 52).


10      Voir, par exemple, ordonnance du 27 novembre 2001, Portugal/Commission (C‑208/99, EU :C :2001 :638, point 23).


11      Voir, par exemple, en ce qui concerne l’article 275, premier alinéa, TFUE, arrêts du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU :C :2014 :2025, point 70) ; du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a. (C‑455/14 P, EU :C :2016 :569, point 40), et du 25 juin 2020, CSUE/KF (C‑14/19 P, EU :C :2020 :492, point 66). Pour une analyse détaillée de l’étendue de la compétence de la Cour dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, voir mes conclusions dans l’affaire CSUE/KF (C‑14/19 P, EU :C :2020 :220, points 51 à 89).


12      En particulier, le cercle de discussion sur la Cour de justice n’a examiné que l’exclusion du contrôle juridictionnel portant sur la politique étrangère et de sécurité commune (CONV 689/1/03/REV 1).


13      Voir points 45 à 48 des présentes conclusions.


14      Ancien article L TUE.


15      Non seulement au niveau de la procédure de l’article 7 TUE, mais également et surtout en ce qui concernait les deuxième et troisième piliers non communautaires (politique étrangère et de sécurité commune, et coopération en matière de justice et affaires intérieures).


16      Voir point 37 des présentes conclusions.


17      L’article 269 TFUE est rédigé comme une clause de compétence dans la plupart des versions linguistiques, notamment dans les versions en langues tchèque, allemande, espagnole, italienne ou anglaise. Bien qu’elle soit rédigée sous une forme négative (« la Cour de justice n’est compétente [...] que [...] »), la version en langue française ne suggère nullement que la Cour n’est pas compétente en ce qui concerne des actes autres que ceux qui sont adoptés par le Conseil européen ou le Conseil. Son libellé précise seulement que le contrôle juridictionnel de ces derniers actes est effectué selon les modalités particulières et limitées précisées par l’article 269 TFUE.


18      Nous l’examinerons dans ce contexte précis aux points 82 à 102 des présentes conclusions.


19      Sur l’étendue du contrôle juridictionnel exercé par la Cour en fonction du domaine concerné, voir arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission (C‑418/18 P, EU :C :2019 :1113, points 87 à 97). Voir également, en ce qui concerne un autre type d’acte politique du Parlement, arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement (C‑261/13 P, EU :C :2014 :2423, point 24), dans lequel la Cour a considéré que le Parlement dispose d’un large pouvoir d’appréciation, de nature politique, quant aux suites à donner à une pétition. Elle a dès lors jugé qu’une décision prise dans ce cadre échappe au contrôle juridictionnel.


20      Voir, notamment, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, EU :C :1986 :166, point 23), et du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU :C :2008 :461, point 281). Mise en italique par mes soins.


21      Voir, notamment, arrêts du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a. (C‑455/14 P, EU :C :2016 :569, point 41), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU :C :2017 :236, points 72 et 73), dans lesquels la Cour a justifié sa compétence malgré l’article 275, paragraphe 1, TFUE.


22      Arrêt du 23 avril 1986 (294/83, EU :C :1986 :166).


23      Voir, notamment, arrêts du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU :C :2017 :631, points 123 et 124, ainsi que jurisprudence citée), et du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission (C‑418/18 P, EU :C :2019 :1113, point 95).


24      Voir, notamment, arrêts du 22 juin 2000, PaysBas/Commission (C‑147/96, EU :C :2000 :335, point 26), et du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission (C‑521/06 P, EU :C :2008 :422, point 42).


25      Voir, notamment, à cet égard, à propos de la procédure budgétaire, arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil (302/87, EU :C :1988 :461, points 23 et 24).


26      Voir, à cet égard, la proposition de règlement soumise par la Commission au Conseil qui fait l’objet de l’ordonnance du 15 mai 1997, Berthu/Commission (T‑175/96, EU :T :1997 :72, point 21).


27      Par exemple, la proposition motivée de la Commission relative à l’état de droit en République de Pologne contenait un très long exposé des motifs suivi d’un très bref projet de constatation [COM(2017)835 final].


28      Elle se distingue a fortiori d’une procédure administrative. Par conséquent, et par exemple, j’estime que la jurisprudence en matière d’aides d’État (par exemple l’arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU :C :2001 :528, points 62 à 63) n’a qu’une pertinence limitée à cet égard.


29      Voir, notamment, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission (C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU :C :2011 :656, points 53 et 54).


30      Voir les termes dans lesquels l’article 354, paragraphe 1, TFUE désigne cette procédure : « article 7 du traité sur l’Union européenne relatif à la suspension de certains droits résultant de l’appartenance à l’Union ». Ce libellé suggère clairement que les mesures de sanction constituent le « pinacle » de l’article 7 TUE.


31      Voir, notamment, arrêts du 13 novembre 2014, Nencini/Parlement (C‑447/13 P, EU :C :2014 :2372, point 48), et du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement (C‑566/14 P, EU :C :2016 :437, point 96).


32      Voir, notamment, par analogie, arrêts du 12 février 2015, Parlement/Conseil (C‑48/14, EU :C :2015 :91, points 57 et 58), ainsi que du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU :C :2018 :483, point 90). Voir également conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Commission/PaysBas (C‑523/04, EU :C :2006 :717, points 52 à 126) concernant l’allégation par le Royaume des Pays‑Bas, en matière de coopération loyale, du caractère tardif de la décision de la Commission d’introduire une procédure en manquement à l’encontre de cet État membre.


33      Voir, notamment, arrêts du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a. (C‑455/14 P, EU :C :2016 :569, point 41), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU :C :2017 :236, points 72 et 73).


34      Voir, par exemple, avis 2/13 (Adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), du 18 décembre 2014 (EU :C :2014 :2454, point 161), et arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz (C‑690/15, EU :C :2017 :355, point 40).


35      Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑216/18 PPU, EU :C :2018 :586).


36      Voir arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU :C :2018 :586, point 79). Mise en italique par mes soins.


37      Alors que le scénario envisagé par la Cour n’est plus une simple hypothèse. Voir, notamment, la décision du 17 février 2020 de l’Oberlandesgericht Karlsruhe (tribunal régional supérieur de Karlsruhe, Allemagne) (301 AR 156/19), et la demande de décision préjudicielle présentée par le Rechtbank Amsterdam (Pays-Bas) le 3 septembre 2020 qui fait l’objet de l’affaire C‑412/20 PPU.


38      Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑216/18 PPU, EU :C :2018 :586, point 61). « [...] Les informations figurant dans une proposition motivée récemment adressée par la Commission au Conseil sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, TUE constituent des éléments particulièrement pertinents aux fins de cette évaluation »(mise en italique par mes soins).


39      Dans la même veine, voir point 91 des présentes conclusions. Dans la logique de l’article 7, paragraphe 1, TUE, une proposition motivée l’est indépendamment duquel des trois acteurs elle émane.


40      Dans le même ordre d’idées, sur la nécessaire corrélation entre l’action de l’Union, d’une part, et le nécessaire accès à un tribunal pour contester cette action, d’autre part, voir mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU :C :2020 :588, points 80 et 126 à 136).


41      Voir, également, article 83, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement, cité au point 9 des présentes conclusions.


42      Telles que celles de l’article 180, paragraphe 3, du règlement intérieur qui régit le vote par appel nominal en cas de défaillance du système de vote électronique, qui prévoit alors, logiquement, trois options à exprimer (« oui », « non » ou « abstention ») ; ou d’éventuelles règles particulières relatives à la rémunération des membres du Parlement qui sont nécessaires afin de tenir compte de leur présence au Parlement, et auxquelles il sera satisfait même si leur vote n’est pas enregistré comme « oui » ou comme « non » lors des votes individuels.


43      En général, les abstentions réduisent le nombre de voix « pour » nécessaire en cas de vote à la majorité simple des membres présents. C’est également la raison pour laquelle des majorités spécifiques, requérant non seulement la présence d’un certain nombre de membres exprimant leur vote, mais également qu’un certain seuil soit atteint par rapport à l’ensemble des membres qui constituent l’assemblée législative, sont prévues pour certains types de votes.


44      Mise en italique par mes soins. Plus généralement, l’article 83, paragraphe 1, du règlement intérieur, qui prévoit la procédure que doit suivre le Parlement pour adopter une proposition motivée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, impose uniquement l’établissement d’un rapport spécifique de la commission compétente (à savoir la commission LIBE et non la commission AFCO) préalablement au vote. L’intervention formelle de la commission compétente n’est envisagée que plus tard, au stade de l’approbation par le Parlement d’une constatation du Conseil et dans le cadre des mesures de suivi après cette approbation (voir article 83, paragraphes 2, 4 et 5, du règlement intérieur).


45      Voir point 14 des présentes conclusions.


46      Voir points 16 et 137 des présentes conclusions.