Language of document : ECLI:EU:F:2011:7

ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE
(première chambre)

4 février 2011 (*)

« Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement – Réforme du régime des pensions – Recours tardif – Irrecevabilité »

Dans l’affaire F‑34/10,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 41 du règlement du personnel de la Banque européenne d’investissement,

Oscar Orlando Arango Jaramillo, agent de la Banque européenne d’investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), et les 34 autres agents dont les noms figurent en annexe, représentés par Mes B. Cortese, C. Cortese et F. Spitaleri, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. C. Gómez de la Cruz et T. Gilliams, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de M. S. Gervasoni, président, M. H. Kreppel (rapporteur) et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 26 mai 2010 par voie électronique (le dépôt de l’original étant intervenu le 1er juin suivant), les requérants demandent l’annulation de leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010, en tant qu’ils révèlent les décisions de la Banque européenne d’investissement (BEI) d’augmenter leurs cotisations au régime des pensions, ainsi que la condamnation de la BEI à leur verser des dommages-intérêts.

 Faits à l’origine du litige

2        Les requérants sont des agents de la BEI.

3        Depuis le 1er janvier 2007, les bulletins de rémunération des agents de la BEI ne sont plus édités dans leur présentation traditionnelle sur papier mais sur support électronique. Les bulletins de rémunération sont désormais introduits chaque mois dans le système informatique « Peoplesoft » de la BEI et sont ainsi consultables par chaque agent à partir de son ordinateur professionnel.

4        Le samedi 13 février 2010, les bulletins de rémunération du mois de février 2010 ont été introduits dans le système informatique « Peoplesoft ». Ces bulletins mettaient en évidence, par rapport aux bulletins du mois de janvier 2010, une hausse du taux des contributions au régime des pensions, hausse résultant de décisions prises par la BEI dans le cadre de la réforme du régime des pensions de ses agents.

 Conclusions des parties et procédure

5        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010 ;

–        condamner la BEI au versement d’un euro symbolique, à titre de réparation de leur préjudice moral ;

–        condamner la BEI aux dépens.

6        Par acte séparé adressé au greffe du Tribunal, la BEI a, en application de l’article 78 du règlement de procédure, demandé au Tribunal de statuer sur l’irrecevabilité du recours, sans engager le débat sur le fond. Dans cette demande, la BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation comme irrecevable ;

–        condamner les requérants au paiement des dépens du présent recours conformément à l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure.

7        Les requérants ont fait part de leurs conclusions et arguments sur l’exception d’irrecevabilité présentée par la BEI.

8        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BEI ;

–        joindre au fond l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

9        Conformément à l’article 78, paragraphe 2, du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur la demande est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces produites par les parties, le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

10      La BEI fait valoir que le recours serait irrecevable en raison de son introduction tardive. La BEI explique que, les bulletins de rémunération du mois de février 2010 ayant été portés à la connaissance des requérants par voie électronique le 13 février 2010, le délai de trois mois et dix jours dont, par analogie avec l’article 91 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), les intéressés disposaient pour introduire le recours aurait expiré le 25 mai 2010, compte tenu de ce que le 23 mai 2010 était un dimanche et le 24 mai 2010 un jour férié. Or, la requête ne serait parvenue au greffe du Tribunal que le 26 mai 2010, soit postérieurement à l’expiration dudit délai.

11      En réponse, les requérants rappellent à titre liminaire que le règlement du personnel de la BEI, adopté le 20 avril 1960 par le conseil d’administration de la Banque (ci-après le « règlement du personnel »), ne comporte aucune disposition concernant le délai de recours pour les agents de la BEI et que, du fait de cette absence, le délai figurant à l’article 91 du statut, inapplicable en l’espèce, ne pourrait tout au plus que servir d’inspiration au Tribunal pour évaluer si le présent recours a été introduit dans un délai raisonnable.

12      Les requérants font ensuite valoir que, dans l’hypothèse où le Tribunal s’inspirerait du délai visé à l’article 91 du statut, le délai de recours contre leurs bulletins de rémunération de février 2010 aurait commencé à courir non pas à la date à laquelle lesdits bulletins leur ont été notifiés par voie électronique sur leurs messageries professionnelles, soit le samedi 13 février 2010, mais le premier jour non férié suivant, soit le lundi 15 février 2010. Ainsi le délai de recours aurait-il expiré trois mois et dix jours après le 15 février 2010, soit le 25 mai 2010. Or, le recours aurait été envoyé le 25 mai 2010 par voie électronique, soit avant le terme du délai. Les requérants ajoutent que la circonstance que le recours ait été enregistré sur le serveur du greffe du Tribunal le 26 mai 2010 à 00 h 00, et non le 25 mai 2010, résulterait d’un cas fortuit, en l’espèce une durée anormalement longue de transmission du recours audit serveur, et précisent à cet égard que le recours, qui avait été envoyé au même moment à deux autres adresses électroniques, serait parvenu à ces dernières le 25 mai 2010 à 23 h 59. À titre subsidiaire, les requérants invoquent l’existence d’une force majeure, en faisant valoir qu’une panne électrique serait survenue dans les locaux professionnels de leurs mandataires le 25 mai 2010 dans la soirée et n’aurait pris fin qu’une dizaine de minutes avant minuit, ce qui aurait retardé l’opération d’envoi du recours.

13      Enfin, et en tout état de cause, compte tenu de l’absence de dispositions relatives au délai de recours dans le règlement du personnel et eu égard au fait que le recours est parvenu au greffe du Tribunal par voie électronique « quelques instants » après l’expiration d’un délai qui ne peut tout au plus servir que d’inspiration, le principe du droit à un recours effectif interdirait de conclure à la tardiveté du présent recours.

 Appréciation du Tribunal

14      Il importe à titre liminaire de relever qu’en l’absence dans le traité FUE et dans le règlement du personnel de toute indication sur le délai de recours applicable aux litiges entre la BEI et ses agents, le juge de l’Union, après avoir mis en balance, d’une part, le droit du justiciable à une protection juridictionnelle effective, d’autre part, l’exigence de sécurité juridique, juge de manière constante que les litiges entre la BEI et ses agents doivent être portés devant lui dans un délai raisonnable et estime, en s’inspirant des conditions relatives aux délais de recours définies par l’article 91 du statut, qu’un délai de trois mois doit, en principe, être considéré comme raisonnable (arrêt du Tribunal de première instance du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, points 97 à 99, 100, 101, 107 et 119, et la jurisprudence citée).

15      En l’espèce, il y a lieu de relever que, dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants font expressément valoir que le délai de recours contre leurs bulletins de rémunération de février 2010 a commencé à courir le lundi 15 février 2010, soit le premier jour non férié suivant celui où lesdits bulletins ont été introduits dans le système informatique « Peoplesoft » de la BEI (le samedi 13 février 2010). En effet, selon les intéressés, c’est à cette date du 15 février 2010 qu’il leur a été possible de connaître le contenu de leurs bulletins de rémunération de février 2010.

16      Ainsi, au regard des considérations rappelées ci-dessus et compte tenu du délai de distance forfaitaire de dix jours visé à l’article 100, paragraphe 3, du règlement de procédure, les requérants disposaient-ils, pour introduire leur recours, d’un délai expirant le lundi 25 mai 2010, étant précisé qu’un recours doit être regardé comme introduit non pas lorsqu’il est envoyé à l’institution, mais lorsqu’il parvient à celle-ci.

17      Or, il ressort des pièces du dossier que le présent recours n’est parvenu par voie électronique à la messagerie du greffe du Tribunal que le 26 mai 2010 à 00 h 00, soit après l’expiration du délai de recours tel que calculé ci-dessus.

18      Les requérants prétendent néanmoins qu’au regard des circonstances particulières de l’espèce, en particulier de l’absence de toute disposition textuelle relative aux délais de recours des agents de la BEI, l’application stricte du délai de recours de droit commun de trois mois et dix jours aurait pour effet de porter atteinte à leur droit à un recours effectif.

19      À cet égard, il est vrai que le droit à un recours effectif est garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle, conformément à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, a la même valeur juridique que les traités. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l’exigence d’un contrôle juridictionnel constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, point 39).

20      Toutefois, il importe d’abord de relever que l’application stricte de règles de délais aux recours des agents de la BEI ne saurait, par elle-même, affecter le droit à un recours effectif, de telles règles visant à assurer le respect, en particulier, du principe de sécurité juridique et à éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir ordonnance de la Cour du 17 mai 2002, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑406/01, point 20 ; voir également Cour eur. D. H., arrêt Labergère c. France du 26 décembre 2006, n° 16846/02, § 17).

21      Ensuite, il ressort des pièces du dossier que les requérants, pour conclure à la recevabilité de leur requête, ont expressément fait référence, dans celle-ci, à l’arrêt De Nicola/BEI, précité, avant d’ajouter qu’« un délai de trois mois à compter du moment où l’agent a pris connaissance de l’acte [était] sans doute à qualifier de délai raisonnable ». Le libellé de la requête met donc en évidence que, lors de l’introduction de celle-ci, les requérants avaient connaissance de la jurisprudence rappelée au point 14 ci-dessus en matière de fixation du délai de recours dans les litiges entre la BEI et ses agents. Par ailleurs, après avoir reçu la communication du greffe du Tribunal concernant l’inscription au registre de la présente affaire, les requérants, constatant que cette communication faisait état d’un dépôt de la requête au 26 mai 2010, ont sollicité du greffe qu’il substitue à cette date celle du 25 mai 2010. Or, il est vraisemblable qu’une telle démarche, rejetée par le greffe du Tribunal, ait été motivée par le fait que, pour les requérants, il était important, au regard de la recevabilité de leur recours, que celui-ci fût regardé comme introduit le 25 mai 2010 et non le 26 mai 2010.

22      Les requérants se prévalent enfin, à titre subsidiaire, de l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure pour prétendre qu’aucune déchéance tirée de l’expiration du délai de recours ne pourrait leur être opposée.

23      À cet égard, il importe de rappeler que les notions de cas fortuit et de force majeure comportent un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à l’opérateur, et un élément subjectif tenant à l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir à des sacrifices excessifs. En particulier, l’opérateur doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus (arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, point 32).

24      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le recours a été envoyé par voie électronique le 25 mai 2010 à 23 h 59 et est parvenu à l’adresse électronique du greffe du Tribunal le 26 mai 2010 à 00 h 00, soit moins de deux minutes plus tard. Or, un tel délai d’acheminement ne saurait être considéré comme un événement anormal au sens de la jurisprudence susmentionnée, compte tenu des perturbations susceptibles d’affecter la transmission des messages électroniques et résultant, par exemple, de dysfonctionnements affectant les fournisseurs d’accès de l’expéditeur ou du destinataire des messages. En tout état de cause, ledit délai constituerait-il un événement anormal que les requérants ne pourraient pour autant se prévaloir de l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure, dès lors que, en ayant envoyé la requête dans l’ultime minute précédant l’expiration du délai de recours, ils ne sauraient être regardés comme ayant fait preuve de la diligence attendue de justiciables normalement avisés en vue de respecter les délais de procédure. Enfin, si les requérants font valoir qu’une panne électrique serait survenue dans les locaux professionnels de leurs mandataires le 25 mai 2010 dans la soirée, ce qui aurait retardé l’envoi du recours, une telle circonstance, dépourvue de toute précision factuelle, n’est en outre établie par aucune pièce du dossier.

25      Il s’ensuit que le recours, du fait de sa tardiveté, doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

26      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

27      Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que les requérants ont succombé en leur recours. En outre, la BEI a, dans ses conclusions, expressément demandé que les requérants soient condamnés aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, les requérants devront donc supporter l’ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérants supportent l’ensemble des dépens.

Fait à Luxembourg, le 4 février 2011.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Gervasoni

ANNEXE

Compte tenu du nombre élevé de requérants dans cette affaire, leurs noms ne sont pas repris dans la présente annexe.


* Langue de procédure : le français.