Language of document : ECLI:EU:C:2018:791

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 3 octobre 2018 (1)

Affaire C449/17

A & G Fahrschul-Akademie GmbH

contre

Finanzamt Wolfenbüttel

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité et taxes – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 132, paragraphe 1, sous i) et j) – Exonération de l’enseignement scolaire ou universitaire – Notions d’“enseignement scolaire ou universitaire”, organismes reconnus comme ayant des fins comparables et leçons données, à titre personnel, par des enseignants – Application de ces notions à l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 – Société à responsabilité limitée exploitant un centre d’apprentissage de la conduite »






 Introduction

1.        Dans la société actuelle, l’aptitude à conduire un véhicule est quasiment aussi universelle que la capacité de lire et d’écrire : presque tout le monde dispose du permis de conduire. Cependant, cela justifie‑t‑il d’exonérer fiscalement les cours de conduite dans les mêmes conditions que l’enseignement de la lecture et de l’écriture ? C’est ainsi que se présente, résumée à l’extrême, la problématique dont a été saisie la Cour en l’espèce.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2.        Conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2) :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[…]

i)      l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ;

j)      les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l’enseignement scolaire ou universitaire ».

 Le droit allemand

3.        L’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112 a été transposé en droit allemand par l’article 4, paragraphe 21, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires). Conformément aux informations figurant dans la demande de décision préjudicielle, cette disposition ne permet pas, dans son état actuel, l’exonération des centres d’apprentissage de la conduite.

4.        Les dispositions du Gesetz über das Fahrlehrerwesen (loi sur le statut des moniteurs de conduite) définissent l’habilitation à l’exercice de la profession de moniteur de conduite et à l’exploitation d’un centre d’apprentissage de la conduite.

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

5.        A & G Fahrschul-Akademie GmbH (ci-après la « société A & G Fahrschul-Akademie ») est une société de droit allemand exploitant un centre d’apprentissage de la conduite. Au cours de l’exercice fiscal 2010, cette société a soumis à la TVA une transaction effectuée dans le cadre de ses activités. Mais, par un courrier du 22 décembre 2014 adressé au Finanzamt Wolfenbüttel (centre des impôts de Wolfenbüttel, Allemagne), elle a demandé la régularisation de la TVA et la réduction à 0 euro, en invoquant l’exonération visée à l’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112.

6.        Le centre des impôts de Wolfenbüttel a rejeté la demande de la société A & G Fahrschul-Akademie. Celle-ci a formé un recours juridictionnel contre cette décision, qui a toutefois été rejeté. La société a donc formé un pourvoi en « Revision » contre le jugement de la juridiction de première instance devant la juridiction de renvoi.

7.        Dans ces circonstances, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La notion d’“enseignement scolaire ou universitaire”, visée à l’article 132, paragraphe 1, sous i) et sous j), de la directive [2006/112] comprend-elle l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question :

La reconnaissance à la requérante de la qualité d’organisme ayant des fins comparables au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive [2006/112] peut-elle découler des dispositions légales relatives à l’examen des moniteurs de conduite et à l’octroi de la licence de moniteur de conduite et de la licence d’auto-école présentes dans la loi […] relative aux moniteurs de conduite […], ainsi que de l’intérêt du public à ce que les élèves d’auto-écoles soient formés de sorte à devenir des usagers de la route sûrs, responsables et sensibilisés à l’environnement ?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question :

La notion “d’enseignant donnant des leçons à titre personnel”, au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive [2006/112], suppose-t-elle que l’assujetti soit un entrepreneur individuel ?

4)      En cas de réponse négative aux deuxième et troisième questions :

La qualité d’un enseignant en tant qu’“enseignant donnant des leçons à titre personnel”, au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive [2006/112], suppose-t-elle uniquement qu’il agit pour son propre compte et sous sa propre responsabilité, ou bien dépend-elle également d’autres conditions ? »

8.        La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 26 juillet 2017. Des observations ont été présentées par : la société A & G Fahrschul-Akademie, les gouvernements allemand, espagnol, italien, autrichien, portugais et finlandais, ainsi que la Commission européenne. La société A & G Fahrschul-Akademie, les gouvernements allemand et espagnol ainsi que la Commission étaient représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 20 juin 2018.

 L’analyse

9.        La juridiction de renvoi a saisi la Cour de quatre questions préjudicielles, afin de déterminer si les activités consistant à dispenser des cours de conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 peuvent faire l’objet d’une exonération sur la base de l’article 132, paragraphe 1, sous i) ou j), de la directive 2006/112. J’aborderai successivement ces quatre questions. Cependant, la réponse à la première question est primordiale ici, dans la mesure où elle oriente la réponse aux autres questions.

 La première question préjudicielle

10.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite voir déterminer si l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 relève de la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.

11.      L’opinion des parties à la procédure qui ont déposé des observations en l’espèce reste divisée sur la question de savoir si l’enseignement de la conduite automobile peut être considéré comme un enseignement scolaire ou universitaire. Les gouvernements allemand, autrichien, portugais et finlandais, ainsi que la Commission, proposent plus ou moins fermement de répondre par la négative à cette question. En revanche, la société A & G Fahrschul-Akademie, ainsi que les gouvernements espagnol et italien, suggèrent une réponse positive (3).

12.      Je partage le premier point de vue. À mon avis, la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » ne couvre pas l’enseignement de la conduite automobile. Cela ressort à la fois de l’interprétation littérale et de l’interprétation téléologique de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.

 Le libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112

13.      Force est de constater que les auteurs de la version en langue polonaise de la directive 2006/112 ont fait preuve de créativité en utilisant à son article 132, paragraphe 1, sous i), la formule « kształcenie powszechne lub wyższe » (enseignement universel ou supérieur). En effet, la grande majorité des autres versions linguistiques de cette disposition utilise une expression qu’il conviendrait plutôt de traduire comme « enseignement scolaire ou universitaire » : « enseignement scolaire ou universitaire » dans la version en langue française, « school or university education » dans la version en langue anglaise, « Schul- und Hochschulunterricht » dans la version en langue allemande, etc. Or, paradoxalement, cet écart terminologique permet de mieux comprendre encore l’intention du législateur de l’Union s’agissant de la portée de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive citée : il s’agit d’un enseignement universel, c’est-à-dire accessible à tous – voire obligatoire aux niveaux inférieurs –, et général, c’est-à-dire portant sur une étendue de connaissances très large, dispensé dans le cadre du système scolaire et universitaire existant dans tous les États membres. Ce système, dénommé dans certains pays « Éducation nationale », scindé en étapes que l’on peut en substance définir comme enseignement primaire, secondaire et supérieur, assure à la population dans son ensemble un large capital de connaissances et de compétences permettant de se comporter utilement dans la société contemporaine, tant sur le plan privé que professionnel.

14.      Ce système d’enseignement universel se caractérise entre autres par le fait qu’il est réglementé de manière précise et complète par la législation. Celle-ci définit la structure du système scolaire et les modalités de fonctionnement des écoles, les programmes d’enseignement, les qualifications des enseignants ou, enfin, les conditions d’obtention des diplômes.

15.      Dans la majorité des États membres, ce système d’enseignement repose sur des écoles publiques, dans lesquelles l’enseignement est souvent dispensé gratuitement ou partiellement gratuitement. Dans ce cas d’enseignement à titre gratuit, le problème de l’assujettissement à la TVA ne se pose évidemment pas. Des écoles privées, fournissant des services d’éducation à titre onéreux, peuvent cependant compléter les systèmes d’écoles publiques. Il arrive que, même dans les écoles publiques, certains services d’éducation soient payants. Ces services devraient en principe être soumis à la TVA. Mais, afin d’éviter, d’une part, une augmentation du coût de ces services pour les bénéficiaires et, d’autre part, une distorsion de la concurrence entre les acteurs des secteurs public et privé, le législateur de l’Union a introduit l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, en ce qui concerne les activités décrites comme « enseignement scolaire ou universitaire ». Il convient donc de comprendre cette disposition en ce sens que si, dans le cadre du système d’enseignement scolaire ou universitaire d’un État membre, certains services sont fournis à titre onéreux, que ce soit par des écoles publiques (« organismes de droit public » conformément à la terminologie de cette disposition) ou par des écoles privées (« autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables »), ces services sont exonérés de la TVA.

16.      En revanche, l’enseignement de la conduite automobile n’est pas, ainsi qu’il ressort des informations contenues dans la demande de décision préjudicielle en l’espèce, un élément du système d’enseignement universel en Allemagne. Il en est de même, pour autant que je sache, dans les autres États membres. Il s’agit d’un service consistant à transmettre certaines compétences spécialisées, permettant d’obtenir le permis de conduire des véhicules à moteur sur la voie publique. Ce service est fourni à titre onéreux par des spécialistes, comme la société A & G Fahrschul-Akademie, qui – même si dans certaines langues ils sont dénommés « écoles » (« auto-école », « Fahrschule ») – ne relèvent pas du système scolaire des différents États membres.

17.      La notion d’« enseignement scolaire ou universitaire », visée à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 ne comprend donc pas les services qui ne relèvent pas du système scolaire en vigueur dans les différents États membres et qui sont fournis par des acteurs ne relevant pas du système scolaire de ces États, comme l’enseignement de la conduite automobile dispensé par un centre spécialisé.

 L’objectif de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112

18.      À mon avis, il ne serait pas non plus conforme à la finalité de cette disposition de faire relever les centres d’apprentissage de la conduite automobile de la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire », ni de l’exonération qu’elle prévoit.

19.      L’article 132 de la directive 2006/112 figure au chapitre 2, intitulé « Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général », du titre IX de celle-ci. Partant, l’exonération prévue dans cet article et donc également à son paragraphe 1, sous i), est justifiée par l’intérêt général, aux fins duquel sont exercées les activités visées par ces exonérations.

20.      En ce qui concerne les services d’enseignement général au niveau primaire, secondaire et supérieur, cet intérêt général est assez évident. Il est nécessaire de posséder un certain capital de connaissances et de compétences pour vivre dans la société contemporaine, ce qui n’est pas seulement dans l’intérêt de chaque individu mais également de la société dans son ensemble, dès lors que cela permet son fonctionnement non faussé. Pour cette raison, l’enseignement est même obligatoire jusqu’à un certain niveau. Cependant, l’intérêt général ne se limite pas à assurer l’enseignement seulement au niveau obligatoire. En effet, les sociétés contemporaines ne pourraient pas fonctionner et se développer économiquement, culturellement et politiquement, sans un certain nombre de personnes disposant de qualifications élevées, dépassant significativement le niveau de l’enseignement obligatoire. Ce n’est pas par hasard qu’elles sont définies comme les sociétés du savoir (4).

21.      Pour ces raisons, les États modernes, dont les États membres, investissent d’énormes ressources financières dans la constitution et le développement de systèmes d’enseignement. Il serait donc intrinsèquement contradictoire qu’ils limitent en même temps l’accès à ce système, en augmentant le coût des services fournis dans ce cadre par une taxation. Cela serait également contraire au principe de l’égalité, dès lors que cela rendrait l’accès au système d’enseignement plus difficile pour les personnes les plus modestes. Il convient enfin de rappeler que le coût de l’éducation des enfants est habituellement supporté par les parents. Il s’agit souvent d’un coût très élevé, qui n’est pas ponctuel : il doit être supporté sur une longue durée. Si ce coût dépassait les capacités financières des parents, ceux-ci pourraient renoncer à assurer une éducation à leurs enfants, voire refuser d’avoir des enfants, ce qui engendrerait des problèmes démographiques, que connaissent déjà de nombreux États membres.

22.      L’ensemble des considérations qui précèdent permet de justifier l’exonération de l’enseignement scolaire et universitaire prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.

23.      En revanche, comme le relève à juste titre le gouvernement allemand dans ses observations, il est difficile de distinguer l’intérêt général qui justifierait d’exonérer de la TVA l’enseignement de la conduite de véhicules à moteur. Cette compétence est certes très utile, mais son acquisition est dans l’intérêt des individus et non dans l’intérêt de la société dans son ensemble. En effet, cette compétence ne conditionne pas le bon fonctionnement de la société, à quelque égard que ce soit, au même titre que la possession par l’ensemble de la population d’un certain niveau minimal d’éducation.

24.      Certes, dans certaines conditions, par exemple dans les zones mal desservies par les transports en commun, ou s’agissant de l’exercice de certaines professions, il peut être nécessaire d’avoir son propre véhicule pour se déplacer. Cependant, l’acquisition de l’autorisation indispensable à cet effet est surtout dans l’intérêt des individus et non dans l’intérêt général, et ne justifie pas l’exonération de la TVA. Dans la même optique, des biens essentiels pour répondre à des besoins vitaux, comme les aliments, les vêtements et les logements ne sont pas exonérés, et sont tout au plus soumis à un taux réduit. En outre, pour circuler avec son propre véhicule, il ne suffit pas d’obtenir le permis à cet effet, mais il faut également acquérir ce véhicule propre. Faudrait-il pour cette raison exonérer de la taxe l’acquisition de voitures ?

25.      En ce qui concerne l’enseignement de la conduite automobile, le risque que la concurrence soit faussée parce qu’il est soumis à la taxe ne se présente pas non plus, dès lors qu’il n’existe aucun système d’organismes publics fournissant ce type de services à titre gratuit, avec lesquels les organismes privés devraient entrer en concurrence. Contrairement au système scolaire, l’enseignement de la conduite de véhicules est en principe dispensé à titre onéreux.

26.      Enfin, je ne suis pas convaincu par l’argument soulevé notamment par la société A & G Fahrschul-Akademie, selon lequel il relèverait de l’intérêt général de réduire, par une formation appropriée des conducteurs, le nombre d’accidents et d’améliorer ainsi la sécurité de la circulation routière.

27.      La circulation des véhicules sur les voies publiques entraîne naturellement certains risques, tels le danger des accidents et leurs conséquences. En vue de réduire ces risques, l’État réglemente la possibilité de conduire un véhicule en exigeant l’obtention du permis à cet effet. L’objectif en est précisément que les personnes qui conduisent des véhicules disposent des connaissances et des compétences leur permettant de le faire en toute sécurité. L’intérêt général consistant à assurer la sécurité de la circulation routière est donc préservé ici par l’exigence de disposer du permis de conduire. En revanche, l’acquisition de la connaissance et des compétences nécessaires pour obtenir ce permis, en participant à un cours de conduite, est dans l’intérêt des personnes concernées elles-mêmes.

28.      Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les exonérations de la TVA prévues à l’article 132, paragraphe 1, de la 2006/112 concernent des activités exercées dans l’intérêt général, cet intérêt général constituant également la justification de ces exonérations. Ces dispositions ne sauraient donc être interprétées en ce sens qu’elles s’étendent à l’exonération d’activités qui ne sont pas exercées dans l’intérêt général. Cette exigence ne découle pas seulement du principe de l’interprétation stricte des exceptions, comme les exonérations de TVA. En effet, le régime de la TVA repose sur la taxation généralisée de toutes les transactions à chaque stade du cycle économique, la charge économique de la taxe étant supportée au stade de la consommation. Toute exonération de la taxe perturbe le bon fonctionnement de ce système. C’est pourquoi de telles exonérations ne devraient être appliquées que lorsqu’elles sont nécessaires ou justifiées par une finalité particulière, par exemple la réduction du coût de services fournis dans l’intérêt général. En revanche, il conviendrait d’éviter les exonérations dans des situations où la taxation est possible et ne s’oppose pas à ce type de finalités particulières (5).

29.      Pour ces raisons, j’estime qu’il n’est pas justifié d’exonérer de la TVA les services d’enseignement de la conduite de véhicules, à la lumière des finalités poursuivies par l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.

 La jurisprudence de la Cour concernant les exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112

30.      Je n’ai pas l’intention d’effectuer ici un examen complet de la jurisprudence de la Cour concernant les exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112, car à mon sens ce n’est pas nécessaire. Cependant, tant la juridiction de renvoi que certaines parties à la procédure, notamment la société A & G Fahrschul-Akademie et les gouvernements espagnol et italien, citent certaines prises de position tirées d’arrêts de la Cour, qui, à leur sens, pourraient aboutir à d’autres résultats que ceux que je présente dans mon raisonnement ci-dessus. Cela impose donc quelques explications.

31.      Premièrement, dans l’arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388), la Cour répondait à la question de savoir si les activités de recherche scientifique à titre onéreux pouvaient être considérées comme des prestations de services étroitement liées à l’enseignement universitaire au sens de l’article 13, partie A, paragraphe 1, sous i), de la directive 77/388/CEE (6). À cette occasion, la Cour a considéré que la notion de « services étroitement liés à l’enseignement scolaire ou universitaire » ne requiert pas une interprétation particulièrement stricte (7). Cependant, à mon sens, il convient de ne pas tirer de cette considération des conclusions excessives. Le législateur de l’Union a utilisé à dessein dans cette disposition la notion générale de « services étroitement liés » afin qu’il soit possible d’exonérer, au stade de l’application du droit, différents types de services qui, en pratique, peuvent être liés aux activités d’éducation proprement dites. Par exemple, des services de restauration, s’ils sont fournis par les élèves d’un établissement d’enseignement dans le cadre du programme de formation, peuvent constituer de tels services (8). Il serait donc contraire à la volonté du législateur et à l’objectif de cette disposition que la Cour donne une définition précise de cette notion. Cela ne signifie toutefois pas qu’il y ait lieu d’interpréter de manière aussi libérale les autres notions utilisées à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, notamment celles qui, comme la notion d’« enseignement scolaire et universitaire », définissent la portée de l’exonération de la TVA prévue à cette disposition.

32.      Deuxièmement, la société A & G Fahrschul-Akademie ainsi que les gouvernements espagnol et italien font référence à une considération de la Cour qu’il est utile de citer ici dans son intégralité. En effet, la Cour a considéré que la notion d’« enseignement scolaire et universitaire » au sens de l’actuel article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112 « ne se limite pas aux seuls enseignements qui conduisent à des examens en vue de l’obtention d’une qualification ou qui permettent d’acquérir une formation en vue de l’exercice d’une activité professionnelle, mais comprend d’autres activités dans lesquelles l’instruction est donnée dans des écoles ou des universités en vue de développer les connaissances et les aptitudes des élèves ou des étudiants, pourvu que ces activités ne revêtent pas un caractère purement récréatif » (9).

33.      Les parties à la procédure citées ci-dessus déduisent de cette considération que toute activité consistant à transmettre des connaissances ou des compétences, pour autant qu’elle n’ait pas un caractère purement récréatif, est exonérée conformément à la disposition en cause. Dès lors que l’enseignement de la conduite automobile n’a évidemment pas un caractère ni une finalité exclusivement récréatifs, cette exonération devrait également couvrir l’activité des centres d’apprentissage de la conduite.

34.      Or, à mon avis, cette lecture repose sur une interprétation sélective d’un extrait de l’arrêt de la Cour détaché de son contexte.

35.      En effet, en premier lieu, cette interprétation néglige les termes « dans des écoles ou des universités » figurant dans l’extrait cité. Or, ces termes renvoient directement au libellé de l’actuel article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112, conformément auquel, dans les versions linguistiques autres que la version polonaise, l’enseignement scolaire ou universitaire est exonéré. Il convient d’interpréter cette notion, comme je l’ai indiqué aux points 13 à 17 des présentes conclusions, comme se référant au système d’enseignement général dans les écoles primaires, secondaires et supérieures. Par conséquent, on ne saurait déduire de l’extrait cité de l’arrêt de la Cour qu’une activité qui n’est pas exercée dans le cadre de ce système peut être exonérée, pourvu qu’elle ne revête pas un caractère purement récréatif.

36.      En second lieu, la Cour ne s’est pas prononcée dans ces arrêts sur l’appartenance des organismes en cause à ce système d’enseignement (10), mais sur la possibilité d’exonérer la matière enseignée en cause. À cet égard, la Cour est parvenue à la conclusion que cette exonération peut porter non seulement sur des matières relevant de la formation de base conforme au programme obligatoire dans le type d’école en question, mais également sur d’autres activités, pourvu qu’elles ne revêtent pas un caractère purement récréatif. Cela à condition toutefois que cet enseignement soit dispensé dans le cadre d’un système d’enseignement dans des écoles ou des universités, et non complètement en-dehors de ce système.

37.      Certes, dans l’arrêt du 14 juin 2007, Haderer (C‑445/05, EU:C:2007:344), la Cour a admis, semble-t-il, que l’enseignement dans un type particulier d’organismes, tels que, en Allemagne, les universités dites « populaires » (Volkshochschule), soit exonéré. Cependant, il convient de souligner que la Cour répondait dans cette affaire à des questions de la juridiction de renvoi reposant sur l’hypothèse que ce type d’organismes relève du système d’enseignement scolaire ou universitaire au sens de l’actuel article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112. La Cour a, du reste, laissé cette interrogation soumise par l’administration fiscale partie à la procédure au principal, au règlement définitif de la juridiction de renvoi. Donc, si l’on peut se demander si les activités de la Volkshochschule relèvent de l’enseignement scolaire ou universitaire, il ne fait aucun doute selon moi que les activités des centres d’apprentissage de la conduite ne relèvent pas de ce système d’enseignement.

38.      Enfin, il est possible de déduire de la jurisprudence de la Cour que la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous i) et j), de la directive 2006/112, ne devrait pas être interprétée par référence aux systèmes d’enseignement dans les divers États membres, dès lors que ces systèmes peuvent différer, ce qui engendrerait des divergences d’application des exonérations prévues dans ces dispositions, contrairement à l’objectif de cette directive (11). Il ne convient toutefois pas de considérer ce principe comme absolu, dès lors que l’article 132, paragraphe 1, sous i), de ladite directive fait inévitablement référence aux systèmes nationaux d’enseignement, en énonçant qu’est exonérée une activité exercée « par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ». Dans le contexte de l’espèce, cette considération de la Cour signifie uniquement, à mon avis, que le fait que, dans une certaine langue, les centres d’apprentissage de la conduite automobile sont dénommés « écoles » ne signifie pas automatiquement qu’il convient de les considérer comme dispensant un enseignement scolaire ou universitaire au sens de la disposition citée.

 L’enseignement de la conduite automobile en tant que formation professionnelle

39.      Le gouvernement espagnol fait valoir que l’enseignement de la conduite de véhicules devrait être exonéré de la TVA sur la base de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, non pas en tant qu’enseignement scolaire ou universitaire, mais en tant que formation professionnelle. Selon l’argumentation de ce gouvernement, le droit de conduire un véhicule est nécessaire pour l’exercice de certaines professions, et souvent même pour se rendre sur le lieu de travail.

40.      Cependant, je ne partage pas ce point de vue, en tout cas en ce qui concerne le cas d’espèce.

41.      Ainsi qu’il ressort du renvoi préjudiciel, la procédure au principal concerne l’éventuelle exonération de la TVA de l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1. Les catégories de permis de conduire sont actuellement harmonisées en droit de l’Union en vertu de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire (12). La catégorie B concerne les voitures et camionnettes (13), et la catégorie C1 les véhicules utilitaires légers (14).

42.      Concernant le permis de conduire B, il s’agit de la catégorie de base du permis de conduire, requis pour conduire des voitures destinées à l’usage privé. La possession du permis de conduire de cette catégorie peut effectivement, comme l’estime le gouvernement espagnol, être nécessaire pour exercer certaines professions, par exemple pour la prestation de services de taxis. Cependant, c’est le cas de nombreuses compétences, à commencer par la capacité de lire et d’écrire. Cela justifie-t-il de considérer l’enseignement de l’écriture comme une formation professionnelle ? À mon avis, seules les activités qui mènent à l’obtention de connaissances ou de compétences utilisées exclusivement ou principalement aux fins d’une activité professionnelle, ou éventuellement celles qui s’adressent spécifiquement aux personnes envisageant d’obtenir des compétences déterminées pour des raisons professionnelles, peuvent être considérées comme une formation professionnelle. En revanche, considérer un certain type de formation comme une formation professionnelle pour la simple raison que les compétences obtenues au cours de celle-ci peuvent être également utilisées dans le cadre d’une activité professionnelle étendrait de manière potentiellement illimitée la portée de cette notion. En poussant ce raisonnement à l’absurde, il peut être nécessaire d’acquérir une quelconque compétence pour exercer, par exemple, la profession de formateur à cette même compétence. Pour cette raison, à mon avis, l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire de la classe B ne saurait être considéré comme une formation professionnelle.

43.      En ce qui concerne le permis de conduire C1, la situation est plus complexe. Le permis de conduire de cette catégorie habilite à conduire des camions dont la masse maximale autorisée ne dépasse pas 7 500 kg. Ces véhicules sont utilisés principalement pour le transport de marchandises par route à titre onéreux, c’est-à-dire pour une activité professionnelle. Cependant, le permis de cette catégorie peut être nécessaire également à des fins privées : par exemple, pour conduire certains camping-cars, étant donné que leur masse dépasse souvent 3 500 kg. En conséquence, l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition du permis de conduire des véhicules de catégorie C1 pourrait être considéré comme une formation professionnelle, si la juridiction nationale établissait par exemple qu’il s’adresse à des personnes envisageant d’exercer des activités dans le domaine du transport de marchandises par route et qu’il fait partie intégrante de la formation de ces personnes. En l’espèce, il ne ressort toutefois pas du renvoi préjudiciel que la juridiction de renvoi ait fait cette constatation, et les questions préjudicielles ne portent clairement pas sur l’interprétation de la notion de « formation professionnelle » dans le contexte de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112. Rien ne permet donc de considérer, dans le cadre de la présente espèce, l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des véhicules de catégorie C1 comme une formation professionnelle.

 Considérations finales et proposition de réponse

44.      Comme j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner ci-dessus, les dispositions concernant le permis de conduire sont harmonisées en droit de l’Union en vertu de la directive 2006/126. L’article 2, paragraphe 1, de cette directive, établit le principe de la reconnaissance mutuelle des permis de conduire délivrés dans tous les États membres. Cela signifie que toute personne résidant sur le territoire de l’Union européenne peut obtenir un permis de conduire dans n’importe quel État membre et l’utiliser dans tous les États membres, y compris dans l’État membre de sa résidence actuelle. Les centres d’apprentissage de la conduite dans les différents États membres peuvent donc être directement en concurrence entre eux. Pour cette raison, il importe grandement, à mon avis, que la Cour donne une réponse claire à la question relative à la possibilité de les exonérer de la TVA, sans renvoyer à d’autres constatations des juridictions nationales, étant donné que des décisions nationales divergentes sur l’exonération en cause seraient susceptibles de créer des distorsions de cette concurrence. Une telle solution claire devrait être d’autant plus aisée que, en pratique, l’organisation de l’enseignement de la conduite est, pour autant que je sache, similaire dans tous les États membres, en ce sens qu’elle repose sur des centres spécialisés, privés et indépendants du système d’enseignement général, dont l’activité principale est de dispenser cet enseignement à titre onéreux.

45.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question qu’il convient d’interpréter l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, en ce sens que l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 ne relève pas de la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » au sens de cette disposition.

 La deuxième question préjudicielle

46.      Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi semble partir de la prémisse selon laquelle l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, serait soumise à une condition distincte et indépendante d’application, à savoir que les organismes exerçant des activités dans le domaine de l’enseignement scolaire ou universitaire soient considérés comme ayant des fins comparables à celles des organismes de droit public qui exercent ces activités. En effet, cette juridiction souhaite savoir, en cas de réponse affirmative à la première question, sur quelle base les centres d’apprentissage de la conduite peuvent être considérés comme de tels « [organismes] ayant des fins comparables ».

47.      Or, à mon avis, ces deux aspects sont indissociablement liés. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, il convient d’interpréter la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » au sens de la disposition citée comme comprenant les systèmes d’enseignement universel et général dispensé dans les écoles et universités, existant dans tous les États membres. Chaque organisme dispensant un enseignement dans le cadre d’un tel système a, en ce sens, des fins comparables à celles des organismes de droit public : en effet, le libellé de cette disposition repose sur l’hypothèse que ce système est en principe créé par des organismes de droit public. Cependant, même si le système d’enseignement scolaire et universitaire reposait, dans un État membre donné, exclusivement sur des organismes de droit privé, il conviendrait de considérer ceux-ci comme ayant des fins comparables au sens de ladite disposition et bénéficiant de l’exonération. En revanche, si les activités de l’organisme ne relèvent pas de l’enseignement scolaire ou universitaire, cet organisme ne peut pas, par définition, être considéré comme ayant des fins comparables à celles des organismes de droit public dispensant un tel enseignement, indépendamment de la question de savoir dans quelle mesure ses activités sont réglementées par une législation.

 Les troisième et quatrième questions préjudicielles

48.      Par les troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir s’il convient de considérer l’enseignement de la conduite automobile organisé par un organisme, tel que la société A & G Fahrschul-Akademie, comme des leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l’enseignement scolaire ou universitaire, au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112. La juridiction de renvoi pose ces questions, comme il convient de le présumer, en cas de réponse négative à la deuxième question préjudicielle, mais affirmative à la première. Eu égard à la réponse que je propose de donner à la première question préjudicielle, il n’est pas utile en principe de répondre aux troisième et quatrième questions. J’estime cependant nécessaire d’ajouter quelques explications concernant l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive citée.

49.      Cette disposition complète l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la même directive. L’enseignement scolaire et universitaire est en principe dispensé par des organismes désignés à cette fin, généralement les écoles et les universités. Il arrive cependant que certaines activités complémentaires, bien que concernant les mêmes matières, soient dispensées individuellement par les enseignants à certains élèves, en-dehors du programme normal des activités prévues dans ces écoles. En outre, certains élèves, pour des raisons de santé ou autres, ne suivent pas l’enseignement de la manière normale, c’est-à-dire à l’école, mais individuellement, souvent à la maison. Ces activités ne feraient pas l’objet de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, car elles ne sont pas exercées par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes. L’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive citée vise à remédier à cette lacune.

50.      Il en ressort donc, à mon avis, deux conclusions.

51.      Premièrement, il convient d’interpréter la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » utilisée à l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112, de la même manière que la notion identique figurant à l’article 132, paragraphe 1, sous i). Donc, si la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » ne comprend pas, selon ma proposition de réponse à la première question préjudicielle, l’enseignement de la conduite de véhicules, cela concerne tant l’article 132, paragraphe 1, sous i), que l’article 132, paragraphe 1, sous j). Cela exclut dès lors les centres dispensant cet enseignement de l’exonération prévue à cette disposition, indépendamment des autres conditions y figurant.

52.      Deuxièmement, il convient d’interpréter littéralement la définition du terme « enseignants » qui figure à l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112, conformément à la signification de ce terme dans le langage courant. Dans toutes les langues de ma connaissance, ce terme (« nauczyciel » en polonais, « Lehrer » en allemand, « teacher » en anglais, etc.), en ce qu’il désigne une profession, vise exclusivement une personne physique (15). Une interprétation littérale de la disposition citée exclut donc de l’appliquer à des personnes morales.

53.      Cette conclusion ne porte pas atteinte au principe de neutralité fiscale, auquel font référence la juridiction de renvoi et la société A & G Fahrschul-Akademie. Selon ces dernières, ce principe s’oppose à ce que des opérateurs qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en raison de leur forme juridique.

54.      Cependant, comme je l’ai souligné ci-dessus, l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112, se limite à compléter l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), et ne devrait pas être interprété isolément. Or, cette dernière disposition prévoit l’exonération pour l’enseignement scolaire ou universitaire dispensé par des organismes de droit public et d’autres organismes. La portée de la notion d’« autres organismes » est certainement suffisamment large pour couvrir toute personne morale exerçant les activités mentionnées ci-dessus (16). Partant, si l’enseignement scolaire ou universitaire est dispensé par une personne morale, celle-ci bénéficiera de l’exonération sur la base de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive citée ; si, en revanche, il prend la forme de leçons dispensées individuellement par un enseignant en tant que personne physique, la base en sera l’article 132, paragraphe 1, sous j). Le principe de la neutralité fiscale n’est en aucune manière menacé.

55.      La conclusion selon laquelle l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112, concerne exclusivement des personnes physiques n’est pas non plus mise en cause par la circonstance soulignée par la société A & G Fahrschul-Akademie ainsi que les gouvernements italien et autrichien, à savoir que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les activités visées par cette disposition doivent être exercées par l’assujetti pour son propre compte et sous sa responsabilité (17). En effet, il ne s’agit pas de la seule condition d’application de la disposition citée, et toutes les affaires dans lesquelles la Cour a, à ce jour, interprété celle-ci (18) concernaient des personnes physiques (19). Il ne suffit donc pas, comme l’affirment lesdites parties à la procédure, que les leçons soient dispensées par l’assujetti pour son propre compte et sous sa responsabilité, les autres conditions d’application de la disposition citée doivent encore être remplies, notamment, le statut d’enseignant, or ce statut est réservé aux personnes physiques.

56.      De toute évidence, les centres d’apprentissage de la conduite engagent des moniteurs qui sont des personnes physiques. Cependant, cela ne justifie pas d’exonérer un tel centre de la TVA sur la base de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112. En effet, comme l’a déjà jugé la Cour, les activités exercées effectivement par une personne physique, mais par l’intermédiaire d’un organisme tiers, ne peuvent pas bénéficier de l’exonération prévue par cette disposition (20). Il ne serait donc pas logique de considérer maintenant que ce même organisme tiers peut bénéficier de cette exonération.

57.      Partant, indépendamment de la question de savoir si l’enseignement de la conduite de véhicules est un enseignement scolaire ou universitaire, un organisme qui dispense un tel enseignement, comme la société A & G Fahrschul-Akademie, n’est pas un enseignant au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous j), de la directive 2006/112 et ne bénéficie pas de l’exonération de la TVA prévue à cet article. Il pourrait éventuellement en être autrement dans le cas de moniteurs de conduite automobile qui donneraient, pour leur propre compte et sous leur responsabilité, des leçons de conduite individuelles. Les questions préjudicielles en l’espèce ne concernent toutefois pas cette hypothèse.

 Conclusion

58.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) :

Il convient d’interpréter l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en ce sens que l’enseignement de la conduite automobile en vue de l’acquisition des permis de conduire des classes B et C1 ne relève pas de la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire » au sens de cette disposition.


1      Langue originale : le polonais.


2      JO 2006, L 347, p. 1.


3      Plus précisément, le gouvernement espagnol propose de considérer que l’enseignement de la conduite automobile relève de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 en tant que formation professionnelle. J’examinerai cette question dans la partie finale de mon analyse de la première question préjudicielle.


4      Voir, par exemple, UNESCO, Vers les sociétés du savoir, 2005.


5      Voir en sens, récemment, arrêt du 21 septembre 2017, Aviva (C‑605/15, EU:C:2017:718, points 28 à 30 et jurisprudence citée).


6      Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), abrogée et remplacée par la directive 2006/112. L’article 13, partie A, paragraphe 1, sous i), de cette directive correspond à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.


7      Arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47).


8      Voir arrêt du 4 mai 2017, Brockenhurst College (C‑699/15, EU:C:2017:344, dispositif).


9      Arrêts du 14 juin 2007, Haderer (C‑445/05, EU:C:2007:344, point 26), et du 28 janvier 2010, Eulitz (C‑473/08, EU:C:2010:47, point 29).


10      Voir, notamment, arrêt du 14 juin 2007, Haderer (C‑445/05, EU:C:2007:344, point 27), dans lequel la Cour a expressément confié cette question au nouvel examen de la juridiction de renvoi.


11      Voir, notamment, arrêt du 14 juin 2007, Haderer (C‑445/05, EU:C:2007:344, points 25 et 26).


12      JO 2006, L 403, p. 18.


13      « Les automobiles dont la masse maximale autorisée n’excède pas 3 500 kg et conçues et construites pour le transport de huit passagers au maximum, outre le conducteur […] » [article 4, paragraphe 4, sous b), de la directive 2006/126].


14      « Les automobiles autres que celles des catégories D 1 ou D dont la masse maximale autorisée excède 3 500 kg sans dépasser 7 500 kg et qui sont conçues et construites pour le transport de huit passagers au maximum outre le conducteur […] » [article 4, paragraphe 4, sous d), de la directive 2006/126].


15      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 1999, Gregg (C‑216/97, EU:C:1999:390, point 14).


16      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 1999, Gregg (C 216/97, EU:C:1999:390, point 17).


17      Arrêt du 14 juin 2007, Haderer (C‑445/05, EU:C:2007:344, points 30 et dispositif).


18      Plus précisément, son équivalent sur la base de la directive 77/388.


19      Certes, dans l’affaire qui a abouti à l’arrêt du 28 janvier 2010, Eulitz (C‑473/08, EU:C:2010:47), l’assujetti et requérant dans la procédure au principal était une personne morale (une société). Cependant, comme la Cour elle-même l’a précisé dans cet arrêt (point 19), les activités en cause au principal n’étaient pas exercées par cette personne morale, mais par l’un de ses associés en tant qu’ingénieur diplômé. La Cour a encore souligné cette circonstance dans le dispositif (voir point 2 du dispositif).


20      Arrêt du 28 janvier 2010, Eulitz (C‑473/08, EU:C:2010:47, point 2 du dispositif).