Language of document : ECLI:EU:F:2011:194

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

15 décembre 2011 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Sécurité sociale – Assurance accidents et maladies professionnelles – Article 73 du statut – Refus de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie »

Dans l’affaire F‑30/10,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Philippe de Fays, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Malèves-Sainte-Marie-Wastines (Belgique), représenté par Me N. Soldatos, puis par Mes N. Soldatos et C. Eyben, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents, assistés de Me J.‑L. Fagnart, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. H. Kreppel (rapporteur), président, E. Perillo et R. Barents, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2010, M. de Fays demande, à titre principal, l’annulation de la décision de la Commission européenne refusant de reconnaître l’origine professionnelle de la maladie dont il est atteint.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 73 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« 1. Dans les conditions fixées par une réglementation établie d’un commun accord des institutions de l’Union, après avis du comité du statut, le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d’accident. […] »

3        Le 13 décembre 2005, les institutions de l’Union européenne ont arrêté une réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires de l’Union, laquelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2006 (ci-après la « réglementation commune »).

4        Aux termes de l’article 3 de la réglementation commune :

« 1. Sont considérées comme maladies professionnelles les maladies qui figurent à la ‘liste européenne des maladies professionnelles’ annexée à la recommandation [2003/670/CE] de la Commission, du 19 septembre 2003[, concernant la liste européenne des maladies professionnelles (JO L 238, p. 28)] et à ses compléments éventuels, dans la mesure où l’assuré a été exposé, dans son activité professionnelle auprès [de l’Union européenne], aux risques de contracter ces maladies.

2. Est également considérée comme maladie professionnelle toute maladie ou aggravation d’une maladie préexistante ne figurant pas à la liste visée au paragraphe 1, lorsqu’il est suffisamment établi qu’elle trouve son origine dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions au service [de l’Union européenne]. »

5        En vertu de l’article 16, paragraphe 1, de la réglementation commune, l’assuré qui demande l’application de ladite réglementation pour cause de maladie professionnelle doit faire une déclaration à l’administration de l’institution dont il relève dans un délai raisonnable suivant le début de la maladie ou la date de la première constatation médicale.

6        L’article 16, paragraphe 2, de la réglementation commune prévoit que l’administration procède à une enquête en vue de recueillir tous les éléments permettant d’établir la nature de l’affection, son origine professionnelle ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Au vu du rapport d’enquête, le ou les médecins désignés par l’institution émettent les conclusions prévues à l’article 18 de ladite réglementation.

7        Selon l’article 17, premier alinéa, de la réglementation commune, l’administration peut solliciter toute expertise médicale nécessaire pour l’application de ladite réglementation.

8        L’article 18 de la réglementation commune dispose que les décisions relatives à la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie ainsi qu’à la fixation du degré d’invalidité permanente sont prises par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») suivant la procédure prévue à l’article 20 de ladite réglementation, à savoir sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par les institutions et, si l’assuré le requiert, après consultation de la commission médicale prévue à l’article 22 de ladite réglementation.

9        L’article 20 de la réglementation commune énonce que, avant de prendre une décision en vertu de l’article 18 de ladite réglementation, l’AIPN notifie à l’assuré ou à ses ayants droit le projet de décision, accompagné des conclusions du ou des médecins désignés par l’institution. L’assuré ou ses ayants droit peuvent, dans un délai de 60 jours, demander que la commission médicale prévue à l’article 22 de ladite réglementation donne son avis.

10      En vertu de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la réglementation commune, la commission médicale est composée de trois médecins désignés, le premier par l’assuré ou ses ayants droit, le deuxième par l’AIPN, le troisième d’un commun accord par les deux médecins ainsi désignés. Quant à l’article 22, paragraphe 1, troisième alinéa, de ladite réglementation, il précise que le troisième médecin « doit disposer d’une expertise en matière d’évaluation et de réparation du dommage corporel ».

11      Aux termes de l’article 22, paragraphe 3, de la réglementation commune :

« La commission médicale examine de manière collégiale la totalité des documents disponibles et susceptibles de lui être utiles pour ses appréciations et toute décision est adoptée à la majorité. Il appartient à la commission médicale de régler sa propre procédure et de fixer les modalités de son fonctionnement. Le troisième médecin est chargé du secrétariat et de la rédaction du rapport. La commission médicale peut demander des examens complémentaires et consulter des experts afin de compléter le dossier ou obtenir des avis utiles pour mener à bien sa mission.

La commission médicale ne peut émettre des avis médicaux que sur les faits qui sont soumis à son analyse ou qui sont portés à sa connaissance.

Si la commission médicale, dont la mission se limite à l’aspect purement médical du dossier, estime qu’elle se trouve en présence d’un litige d’ordre juridique, elle se déclare incompétente.

Au terme de ses travaux, la commission médicale consigne ses conclusions dans un rapport qui est adressé à l’[AIPN].

Sur la base de ce rapport, l’[AIPN] notifie à l’assuré ou ses ayants droit sa décision accompagnée des conclusions de la commission médicale. L’assuré ou ses ayants droit peuvent demander que le rapport complet de la commission soit transmis au médecin de leur choix ou que celui-ci leur soit communiqué. »

12      La liste européenne des maladies professionnelles, annexée à la recommandation 2003/670, vise, à la rubrique 508, de la catégorie des « [m]aladies provoquées par [d]es agents physiques », les « [m]aladies provoquées par les radiations ionisantes ».

13      L’article 9, intitulé « Limites de doses pour les travailleurs exposés », de la directive 96/29/Euratom du Conseil, du 13 mai 1996, fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 159, p. 1), prévoit en son paragraphe 1, première phrase :

« La dose efficace pour les travailleurs exposés est limitée à 100 [millisieverts (mSv)] sur cinq années consécutives, à condition que la dose efficace ne dépasse pas 50 mSv au cours d’une année quelconque. »

 Faits à l’origine du litige

14      Le requérant est entré au service de la Commission le 1er avril 1987, en qualité de fonctionnaire stagiaire auprès de la direction générale (DG) « Énergie », direction « Contrôle de sécurité d’Euratom », division « Inspection I », à Luxembourg (Luxembourg). Le 1er janvier 1988, il a été titularisé dans son emploi. Ses fonctions d’inspecteur des installations nucléaires l’ont amené à visiter un certain nombre d’installations nucléaires jusqu’en 2004.

15      Au mois de mai 2005, le requérant a été soumis à des examens médicaux au cours desquels un adénocarcinome bronchique a été diagnostiqué. L’intéressé a été traité chirurgicalement le 18 juillet 2005.

16      Le 6 septembre 2005, le requérant a subi une parotidectomie aux fins de traiter une tumeur bénigne de la glande parotide droite.

17      Le 1er décembre 2005, le requérant a pu reprendre son travail. Toutefois, dès le 15 décembre suivant, le responsable du service médical de la Commission à Luxembourg a constaté qu’il était inapte à travailler dans les zones dites « contrôlées » au sens de la directive 96/29, c’est-à-dire dont l’accès et le séjour sont soumis à une réglementation spéciale pour des raisons de protection contre les radiations ionisantes et de confinement de la contamination radioactive.

18      Par lettre du 27 février 2006, le requérant a demandé la reconnaissance de l’origine professionnelle du « cancer du poumon » et de la « tumeur à la parotide » qu’il présentait. Dans cette lettre, à laquelle étaient annexés des documents de nature médicale, l’intéressé soulignait que, « depuis presque 19 ans, [il] travaill[ait] à la Commission comme ‘[i]nspecteur nucléaire’ et, de ce fait, [avait] été soumis à un risque d’irradiation lors de [ses] fréquentes inspections ».

19      Par lettre du 24 mars 2006, le requérant, dont la lettre du 27 février 2006 était demeurée sans réponse, a renouvelé sa demande de reconnaissance du caractère professionnel « d’au moins [son] cancer » et a transmis d’autres documents en sa possession.

20      Le 31 mars 2006, l’AIPN a répondu au requérant que, conformément à l’article 16, paragraphe 2, de la réglementation commune, l’administration allait procéder à une enquête « afin de recueillir tous les éléments permettant d’établir la nature de l’affection [et] son origine professionnelle ».

21      Dans le cadre de l’enquête visée à l’article 16, paragraphe 2, premier alinéa, de la réglementation commune, l’administration s’est adressée notamment au docteur J., du service médical de la Commission. Celui-ci, dans un rapport du 29 août 2006, a indiqué que le requérant n’avait jamais été victime d’un incident d’irradiation et n’avait subi qu’une « irradiation annuelle chronique très modérée ».

22      L’administration a ensuite désigné le docteur H. afin que celui-ci procède à l’expertise médicale visée à l’article 17, premier alinéa, de la réglementation commune.

23      Le docteur H. a sollicité l’avis du professeur P., directeur de l’unité de pathologie professionnelle et médecin du travail du centre hospitalo-universitaire de Nancy (France). Celui-ci, dans un rapport du 5 janvier 2007, a estimé que le requérant, qui avait absorbé une dose efficace, au sens de la directive 96/29, cumulée de l’ordre de 22 mSv sur une période d’activité de 18 années, n’avait subi qu’une irradiation annuelle chronique réduite.

24      Au vu du rapport d’enquête établi par le docteur J. et de l’avis du professeur P., le docteur H. a conclu à l’absence d’origine professionnelle de la maladie présentée par le requérant.

25      Le 15 mars 2007, la Commission a, sur la base de l’expertise médicale du docteur H., adopté un projet de décision de rejet de la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie du requérant.

26      Le 10 mai 2007, le requérant a exprimé son désaccord avec le projet de décision et a sollicité la convocation de la commission médicale conformément à l’article 20, paragraphe 2, de la réglementation commune. L’intéressé a désigné le docteur R. pour le représenter.

27      Le 27 septembre 2007, le médecin désigné par l’AIPN, à savoir le docteur H., et le médecin désigné par le requérant, à savoir le docteur R., ont désigné d’un commun accord le docteur D. comme troisième médecin pour composer la commission médicale.

28      La commission médicale a tenu une première réunion le 15 novembre 2007. À l’issue de cette réunion, la commission médicale a décidé de solliciter l’expertise du professeur B., pneumologue, ancien chef du service de pneumologie du centre hospitalo-universitaire de Liège (Belgique, ci-après le « CHU de Liège »).

29      Dans un rapport du 7 avril 2008, le professeur B. a indiqué que « [l]a littérature épidémiologique la plus récente ne permet[tait] pas de démontrer un lien formel entre l’exposition aux radiations ionisantes et le cancer pulmonaire, même chez les travailleurs de centrales nucléaires a priori plus exposés qu’un inspecteur nucléaire ». Il en concluait qu’il « appara[isssait] donc très peu vraisemblable que l’exposition aux radiations ionisantes chez [le requérant] ait joué un rôle dans l’apparition du cancer du poumon dont il a été atteint, par comparaison avec le rôle prépondérant du tabagisme dont il est porteur depuis de nombreuses années ».

30      Au cours d’une deuxième réunion, tenue le 10 juillet 2008, la commission médicale a débattu du rapport du professeur B. Lors de ces débats, le docteur R. a relevé que le requérant avait été exposé à un risque de contracter une maladie causée par les radiations ionisantes et que, occasionnellement, « les doses reçues n’[avaient] pas été si faibles ». Il a également fait remarquer que le professeur B. « ne rejet[ait] pas catégoriquement la notion de maladie professionnelle », ajoutant que « le doute d[evait] profiter au patient, exactement comme dans le cas d’un accident du travail ».

31      Tenant compte des éléments soulignés par le docteur R., la commission médicale a décidé d’interroger une nouvelle fois le professeur B.

32      Par décision de la Commission du 20 octobre 2008, le requérant a été admis au bénéfice d’une allocation d’invalidité, la commission d’invalidité ayant constaté que l’intéressé était atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions.

33      Après plusieurs rappels adressés par la commission médicale au professeur B., celui-ci, après avoir sollicité l’avis du professeur C., chef du service de radiothérapie du CHU de Liège, a établi un nouveau rapport, daté du 23 avril 2009, dans lequel il « confirm[ait] et renfor[çait] [son] avis antérieur sur la non[‑]imputabilité de l’exposition professionnelle à l’apparition d’un carcinome bronchique chez l’intéressé ».

34      Le 30 juin 2009, la commission médicale a adopté son rapport à la majorité de ses membres, le docteur R. ne l’ayant pas signé. Ce rapport, qui concluait que le requérant « n’a[vait] pas été exposé durant son activité professionnelle auprès des Communautés européennes au risque de contracter [un carcinome bronchique] », était ainsi motivé :

« Une maladie professionnelle est une atteinte à la santé liée à l’exposition anormale à un risque au cours d’une activité professionnelle.

[Le requérant] a présenté un adénocarcinome bronchique droit en 2005 […].

Il estime avoir été soumis à une exposition anormale aux radiations ionisantes durant ses activités d’inspecteur de la sécurité nucléaire à la [Commission] entre [19]85 et 2005.

Parmi les substances cancérigènes pour le poumon, les dérivés de l’uranium sont repris. [Le requérant] en déduit que son cancer bronchique est une maladie professionnelle […]

L’inhalation de fumée de tabac est la cause d’environ 85 % des cancers bronchiques.

[Le requérant] fume depuis l’âge de vingt ans, soit depuis 1972, à raison d’un paquet de cigarettes par jour au début selon ses déclarations au [p]rofesseur B., puis [dix] à [quinze] cigarillos par jour comme il l’a précisé lors de la première séance d’expertise.

A priori, le tabagisme doit donc être retenu comme facteur causal bronchique.

[…]

[Le requérant] a déposé de multiples informations sur le suivi rigoureux de son exposition au risque. Toutes ces informations ont été soumises à l’avis du [p]rofesseur B., choisi [d’un] commun accord par les trois médecins experts comme sapiteur.

Il est clair que l’avis de ce spécialiste en pneumologie et en maladie professionnelle fait autorité.

[…] [I]l a conclu en ces termes […] : ‘La littérature épidémiologique la plus récente ne permet pas de démontrer un lien formel entre l’exposition aux radiations ionisantes et le cancer pulmonaire même chez les travailleurs de centrales nucléaires a priori plus exposés qu’un inspecteur nucléaire […] Il apparaît donc très peu vraisemblable que l’exposition aux radiations ionisantes chez [le requérant] ait joué un rôle dans l’apparition du cancer du poumon dont il a été atteint, par comparaison avec le rôle prépondérant du tabagisme dont il est porteur depuis de nombreuses années’. »

35      Par lettre du 8 septembre 2009, l’AIPN a informé le requérant de sa décision de confirmer son projet de décision du 15 mars 2007 et, par voie de conséquence, de rejeter sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de son affection (ci-après la « décision litigieuse »). À cette lettre était joint le rapport de la commission médicale.

36      Le requérant s’est adressé au docteur L., médecin spécialiste en orthopédie et en évaluation du dommage corporel. Celui-ci, dans un rapport établi le 21 novembre 2009, a critiqué l’avis rendu par la commission médicale et a observé que « [l]a littérature démontr[ait] de façon constante depuis plus de 30 ans que l’adénocarcinome bronchique [pouvait] être la conséquence de l’exposition professionnelle à une source de [radiations ionisantes,] ce qui permet[tait] à l’évidence d’établir un faisceau de présomption[s] ».

37      Par note du 7 décembre 2009, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre de la décision litigieuse. À cette note était annexé, notamment, le rapport du docteur L. du 21 novembre 2009.

38      Par décision du 12 février 2010, l’AIPN a rejeté la réclamation. La décision contenait le passage suivant :

« Il ressort clairement des termes de [l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune] qu’une maladie doit être considérée comme maladie professionnelle à deux conditions cumulatives. Elle doit figurer sur la liste européenne des maladies professionnelles et la victime de la maladie doit avoir été ‘exposé[e], dans son activité auprès [de l’Union européenne], aux risques de contracter cette maladie’.

Dès lors, pour s’acquitter régulièrement de sa mission, la commission médicale devait, tout d’abord, décrire les affections dont le réclamant était atteint. La commission médicale a clairement déterminé les affections dont souffre le réclamant, s’acquittant ainsi de la première partie de son mandat.

Deuxièmement, la commission médicale devait vérifier si les affections relevaient de la liste européenne des maladies professionnelles. Dans ses conclusions, la commission médicale a indiqué que la maladie du réclamant figurait bien sur la liste […] Dès lors, cette partie du mandat est également satisfaite.

Troisièmement, la commission médicale devait examiner si [le réclamant] a[vait] été ‘exposé durant son activité professionnelle […] au risque de contracter cette maladie’.

Sur ce point, il convient de souligner que cet examen est à distinguer de la recherche de l’existence d’un lien de causalité, et qu’il vise uniquement à vérifier si une condition d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation [commune] (‘a été exposé au risque de contracter cette maladie’) est ou non remplie.

Pour cela, la commission médicale s’est référée à la littérature épidémiologique la plus récente qui ne permet pas de démontrer un lien formel entre l’exposition aux radiations ionisantes et le cancer pulmonaire, et cela même chez les travailleurs des centrales nucléaires, a priori plus exposés qu’un inspecteur nucléaire.

En l’absence d’un lien automatique entre l’exposition aux radiations ionisantes et le cancer pulmonaire, la commission médicale n’a pas pu considérer, de prime abord, que [le réclamant] aurait été exposé au risque de développer le cancer pulmonaire du fait d’avoir exercé [l]es fonctions d’inspecteur nucléaire.

La commission médicale a donc analysé le taux d’exposition du réclamant, tel qu’il ressort des mesures figurant dans son livret personnel d’irradiatio[n] que la Commission a tenu pour [le réclamant], comme pour chaque employé concerné.

Il ressort du livret [du réclamant] que la dose cumulée à laquelle il a été soumis durant la période de 18 ans de carrière dans l’inspection nucléaire doit être considérée comme largement inférieure au seuil accepté par les autorités européennes. Au vu de ces données et des normes européennes, la commission médicale n’a pas pu affirmer non plus que [le réclamant] aurait été exposé aux risques de contracter la maladie.

La commission médicale a donc conclu que [le réclamant] n’avait pas rencontré une exposition aux radiations ionisantes dépassant le seuil qui aurait constitué un risque de contracter la maladie provoquée par les radiations ionisantes. »

39      Le 24 avril 2010, le docteur L. a établi un deuxième rapport dans lequel étaient contestées certaines des conclusions figurant dans la décision de rejet de la réclamation.

 Procédure et conclusions des parties

40      Le recours a été introduit le 12 mai 2010.

41      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse ainsi que la décision de rejet de la réclamation du 12 février 2010 ;

–        constater qu’il se trouve en état d’incapacité de travail pour maladie professionnelle depuis le 15 mai 2005 ;

–        à titre subsidiaire, désigner une commission médicale composée de médecins experts des maladies ionisantes, avec pour mission de dire si, au cours de l’exercice de ses activités professionnelles, il a été exposé au risque de contracter une maladie ionisante ;

–        condamner la Commission aux dépens.

42      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable et à tout le moins non fondé ;

–        statuer comme de droit sur les dépens.

 En droit

 Sur les conclusions tendant à ce que le Tribunal constate que le requérant se trouve en état d’incapacité de travail pour maladie professionnelle depuis le 15 mai 2005

43      Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au juge de l’Union de faire des déclarations en droit dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut (arrêt du Tribunal de première instance du 12 juin 2002, Mellone/Commission, T‑187/01, point 16 ; ordonnance du Tribunal du 16 mai 2006, Voigt/Commission, F‑55/05, point 25, et la jurisprudence citée). Il s’ensuit que les conclusions susmentionnées doivent être rejetées comme irrecevables.

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision de rejet de la réclamation du 12 février 2010

44      D’après une jurisprudence bien établie, il résulte des articles 90 et 91 du statut que le recours d’une personne visée par le statut dirigé contre une décision de l’AIPN ou contre l’abstention de cette autorité de prendre une mesure imposée par le statut n’est recevable que si l’intéressé a préalablement saisi l’AIPN d’une réclamation et si celle-ci a, au moins partiellement, fait l’objet d’un rejet explicite ou implicite.

45      La réclamation administrative et son rejet, explicite ou implicite, font ainsi partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, points 7 et 8), sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (arrêt du Tribunal de première instance du 25 octobre 2006, Staboli/Commission, T‑281/04, point 26 ; arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, point 32). Il a en effet été jugé à plusieurs reprises qu’une décision explicite de rejet d’une réclamation pouvait, eu égard à son contenu, ne pas avoir un caractère confirmatif de l’acte contesté par le requérant. Tel est le cas lorsque la décision de rejet de la réclamation contient un réexamen de la situation du requérant, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet de la réclamation constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté (arrêts du Tribunal de première instance du 10 juin 2004, Eveillard/Commission, T‑258/01, point 31, et du 7 juin 2005, Cavallaro/Commission, T‑375/02, points 63 à 66 ; arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, points 50 à 59 et 64), voire le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 mai 1980, Kuhner/Commission, 33/79 et 75/79, point 9 ; arrêts du Tribunal de première instance du 12 décembre 2002, Morello/Commission, T‑338/00 et T‑376/00, point 35, et du 14 octobre 2004, Sandini/Cour de justice, T‑389/02, point 49).

46      En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision du 12 février 2010 rejetant la réclamation dirigée contre la décision litigieuse contiendrait un réexamen de la situation du requérant, en fonction d’éléments de droit ou de fait survenus postérieurement à cette décision, ni qu’elle modifierait ou compléterait substantiellement celle-ci. Dans ces conditions, la décision de rejet de la réclamation du 12 février 2010 étant dépourvue de contenu autonome, il convient d’analyser les conclusions tendant à son annulation comme dirigées contre la seule décision litigieuse.

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse

47      À l’appui des conclusions susmentionnées, le requérant soulève cinq moyens, tirés de :

–        la violation par la commission médicale de la mission qui lui était dévolue ;

–        la « violation de l’obligation de rassembler toute information complémentaire et de procéder à toute investigation jugée utile pour l’accomplissement de la mission [de la commission médicale] » ;

–        la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

–        l’absence de compétence des membres de la commission médicale dans le domaine des maladies provoquées par les radiations ionisantes ;

–        l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation par la commission médicale de la mission qui lui était dévolue

–       Arguments des parties

48      Pour prétendre que la commission médicale aurait violé la mission qui lui était dévolue, le requérant fait valoir que celle-ci, en recherchant s’il avait été exposé à un « risque anormal de contracter un cancer durant l’exercice de ses activités professionnelles », aurait « méconnu les limites de sa mission et ajouté à son examen des conditions que la réglementation [commune] ne prévo[yait] pas ».

49      Le requérant fait également observer que le seul fait qu’il ait été « exposé au risque des radiations ionisantes » aurait dû conduire la commission médicale à reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie.

50      Enfin, le requérant ajoute que l’AIPN elle-même aurait à tort cherché à établir l’existence d’un « lien causal » entre sa maladie et l’exercice de ses fonctions.

51      La Commission conclut au rejet du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

52      Selon l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune, « [s]ont considérées comme maladies professionnelles les maladies qui figurent à la ‘liste européenne des maladies professionnelles’ annexée à la recommandation [2003/670] ».

53      Dans la mesure où, comme la commission médicale l’a implicitement mais nécessairement relevé dans son rapport, l’affection que présente le requérant figurait à la « liste européenne des maladies professionnelles », en l’espèce à la rubrique 508 (« Maladies provoquées par les radiations ionisantes »), ladite commission devait, pour délivrer un avis conforme aux dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune, examiner la question de savoir si l’intéressé avait été exposé, dans le cadre de son activité professionnelle, au risque de contracter cette maladie.

54      Or, il ressort des pièces du dossier que la commission médicale s’est dûment acquittée de cette tâche.

55      En effet, après avoir relevé que l’exposition d’un agent à des radiations ionisantes devait atteindre un certain seuil pour que cet agent puisse être considéré comme ayant été exposé, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune, au risque de contracter une maladie en rapport avec ces radiations, la commission médicale a, dans un premier temps, examiné la question de savoir si l’exposition du requérant aux radiations ionisantes avait atteint ce seuil puis, dans un deuxième temps, à la lumière des informations dont elle disposait, estimé que tel n’avait pas été le cas.

56      Le requérant reproche toutefois à la commission médicale d’avoir recherché s’il avait été exposé à un « risque anormal » de contracter « un cancer durant l’exercice de ses activités professionnelles » et, partant, d’avoir ajouté à son examen des conditions non prévues par l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune. Toutefois, un tel argument manque en fait. En effet, la commission médicale s’est seulement bornée à constater que le requérant ne rapportait pas la preuve d’une « exposition anormale aux radiations ionisantes » et a expliqué que, de son point de vue, une « exposition anormale aux radiations ionisantes » devait être comprise comme une exposition « dépassant le seuil qui aurait constitué un risque de contracter une maladie provoquée par les radiations ionisantes ».

57      Le requérant fait également valoir que la commission médicale aurait dû reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie du seul fait qu’il a été « exposé au risque des radiations ionisantes ». Toutefois, contrairement à ce que prétend par ailleurs le requérant, qui semble confondre « exposition aux radiations ionisantes » et « exposition au risque de contracter une maladie provoquée par les radiations ionisantes », la seule circonstance que celui-ci ait été « exposé à des radiations ionisantes » n’était pas par elle-même de nature à entraîner la reconnaissance par la commission médicale de l’origine professionnelle de sa maladie. C’est précisément pour se conformer aux dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation commune que la commission médicale a recherché non seulement si le requérant avait absorbé des radiations ionisantes dans l’exercice de ses fonctions d’inspecteur des installations nucléaires, mais surtout si ces radiations avaient atteint un niveau tel qu’il avait été exposé au risque de contracter une maladie en rapport avec ces radiations.

58      Enfin, c’est également à tort que le requérant prétend que l’AIPN aurait cherché à établir l’existence d’un lien de causalité entre la maladie dont il est affecté et l’exercice de ses fonctions. Au contraire, dans la décision de rejet de la réclamation, l’AIPN a rappelé que la commission médicale avait eu pour mission d’examiner si le requérant, dont la maladie relevait de la liste européenne des maladies professionnelles, avait été exposé « au risque de contracter cette maladie », précisant même que cet examen « [était] à distinguer de la recherche de l’existence d’un lien de causalité, et qu’il vis[ait] uniquement à vérifier si une condition d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la réglementation [commune] (‘a été exposé au risque de contracter cette maladie’) [était] ou non remplie ». Il est vrai que l’AIPN a observé que la littérature épidémiologique, à laquelle s’était également référée la commission médicale, ne permettait pas de démontrer l’existence d’un « lien formel entre l’exposition aux radiations ionisantes et le cancer pulmonaire ». Toutefois, cette observation n’implique aucunement que l’AIPN aurait subordonné la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie présentée par l’intéressé à l’existence d’un lien de causalité entre les radiations ionisantes subies et cette maladie, mais témoigne seulement de ce que, du point de vue de l’AIPN, l’exposition à des radiations ionisantes ne pouvait constituer un risque de contracter un cancer pulmonaire qu’à la condition qu’elle dépasse un certain seuil.

59      Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la « violation de l’obligation de rassembler toute information complémentaire et de procéder à toute investigation jugée utile pour l’accomplissement de la mission [de la commission médicale] »

–       Arguments des parties

60      Le requérant soutient que, s’agissant de son état de santé et de la nature des activités professionnelles qu’il a exercées entre 1987 et 2005, la commission médicale n’aurait pas disposé de toutes les informations susceptibles de lui être utiles pour mener à bien sa mission. En particulier, l’intéressé fait observer que la commission médicale aurait émis son avis au vu d’un dossier dans lequel ne figurait ni son livret personnel d’irradiation au titre des années 1988 et 1989 ni aucune étude sérieuse de l’irradiation dont il aurait été victime entre 1987 et 2005. Le requérant ajoute que la commission médicale aurait dû, en particulier, rechercher à quoi correspondait, en quantité annuelle, le fait que, pour le seul mois d’avril 1988, il aurait absorbé une dose efficace, au sens de la directive 96/29, de radiations ionisantes à hauteur de 2 mSv. D’une manière générale, le requérant reproche à la commission médicale de s’être fondée sur des informations lacunaires et de ne pas avoir diligenté des investigations supplémentaires.

61      Enfin, le requérant affirme que les professeurs B. et C., sur les expertises desquels la commission médicale a fondé son avis, ne seraient pas des spécialistes des maladies provoquées par l’exposition aux radiations ionisantes.

62      La Commission conclut au rejet du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

63      Il découle de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la réglementation commune que, pour que la commission médicale puisse émettre valablement un avis médical, il est nécessaire qu’elle soit en mesure de prendre connaissance de la totalité des documents susceptibles de lui être utiles pour ses appréciations. La commission médicale peut demander des examens complémentaires et consulter des experts afin de compléter le dossier qui lui a été confié ou obtenir des avis utiles pour mener à bien sa mission.

64      Par ailleurs, lorsqu’il apparaît que, eu égard notamment à la complexité particulière des questions médicales qui lui sont soumises, les données nécessaires aux fins de l’accomplissement de sa mission ne figurent pas, de manière claire et concordante, au dossier qui lui a été confié, il incombe à la commission médicale de recueillir toutes les informations utiles à son appréciation (arrêt du Tribunal de première instance du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T‑300/97, point 70).

65      Il ressort des considérations qui précèdent que, dans le cas d’espèce, la commission médicale, dont les membres ne justifiaient pas de connaissances particulières en ce qui concerne les maladies provoquées par l’exposition aux radiations ionisantes, était tenue de rassembler tout document susceptible de lui être utile pour fonder ses appréciations et, le cas échéant, de demander des examens complémentaires et de consulter des experts spécialistes de ces maladies.

66      Or, il est constant que la commission médicale a pu consulter, pour étayer son avis sur l’origine professionnelle de la maladie du requérant, un ensemble de documents, parmi lesquels : les pièces du dossier médical de l’intéressé ; le rapport établi le 29 août 2006 par le docteur J. du service médical de la Commission dans lequel celui-ci décrivait de manière circonstanciée les conditions de travail du requérant ; les rapports des 7 avril 2008 et 23 avril 2009 du professeur B., ancien chef du service de pneumologie du CHU de Liège dont la commission médicale avait sollicité l’expertise ; le rapport du 24 mars 2009 du professeur C., chef du service de radiothérapie du CHU de Liège, que le professeur B. avait lui-même sollicité pour avis et qui avait personnellement discuté du dossier avec le responsable de la radiophysique de son service ainsi qu’avec la directrice du service universitaire de contrôle physique des radiations du CHU de Liège ; une note du 8 avril 2008 du responsable de la cellule radioprotection de la Commission.

67      Il s’ensuit que la commission médicale a disposé d’informations précises et fiables relatives à l’état de santé du requérant, à ses conditions de travail entre 1988 et 2005, aux doses efficaces, au sens de la directive 96/29, absorbées annuellement par l’intéressé durant ces années, ainsi qu’aux doses limites communément admises dans le cadre de la protection des travailleurs.

68      Une telle conclusion ne saurait être affectée par l’argument du requérant selon lequel la commission médicale n’aurait pas disposé de son livret personnel d’irradiation pour les années 1988 et 1989, dès lors que tous les autres documents communiqués à ladite commission ont permis à celle-ci de connaître les doses efficaces, au sens de la directive 96/29, absorbées par l’intéressé au cours de ces deux années. Par ailleurs, le requérant n’explique pas en quoi des investigations supplémentaires auraient été indispensables à l’accomplissement par la commission médicale de sa mission. Enfin, si l’intéressé entend contester la pertinence scientifique de certains documents à la disposition de la commission médicale, au motif que leurs auteurs auraient à tort refusé de considérer que toute exposition, même faible, à des radiations ionisantes exposerait au risque de développer un cancer pulmonaire, les différentes pièces qu’il produit devant le Tribunal et auxquelles la requête se borne d’ailleurs à renvoyer de manière globale ne sont pas de nature à remettre en cause la pertinence et l’actualité scientifiques des documents et informations dont disposait la commission médicale lorsqu’elle a émis son avis. En particulier, l’intéressé n’établit pas que, en l’état actuel des connaissances scientifiques, les limitations de doses efficaces fixées par les dispositions légales pertinentes, en particulier par l’article 9 de la directive 96/29 (à savoir une absorption de 100 mSv sur cinq années consécutives à condition que la dose efficace ne dépasse pas 50 mSv au cours d’une année quelconque), ne permettraient pas d’appréhender la réalité des risques subis par les travailleurs exerçant leur activité professionnelle dans les zones dites « contrôlées » au sens de la même directive.

69      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense

–       Arguments des parties

70      En substance, le moyen, formellement pris de la « violation du contradictoire (ou des droits de la défense) », se décline en quatre griefs tirés, respectivement, de ce que la commission médicale :

–        n’aurait pas attaché suffisamment d’importance à la documentation que le requérant lui avait transmise et n’aurait pas tenu compte de ses plaintes et doléances, en méconnaissance de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la réglementation commune (premier grief) ;

–        n’aurait pas répondu dans son rapport aux arguments qu’il avait soulevés (deuxième grief) ;

–        se serait fondée sur plusieurs pièces dont il n’aurait pas eu connaissance, alors que la commission médicale ne pouvait trancher la question qui lui était soumise qu’au terme d’un débat contradictoire (troisième grief) ;

–        se serait abstenue de lui transmettre son rapport complet, contrairement aux prescriptions de l’article 22, paragraphe 3, cinquième alinéa, de la réglementation commune (quatrième grief).

71      La Commission conclut au rejet du moyen pris dans l’ensemble de ses griefs.

–       Appréciation du Tribunal

72      S’agissant du premier grief, aux termes duquel le requérant se plaint de ce que la commission médicale n’aurait pas attaché suffisamment d’importance à la documentation qu’il lui avait transmise et n’aurait pas tenu compte de ses plaintes et doléances, sa formulation en termes généraux et imprécis et sans aucun élément probant à l’appui ne peut conduire qu’à son rejet.

73      S’agissant du deuxième grief, dans le cas où le requérant, en reprochant à la commission médicale de ne pas avoir répondu aux arguments qu’il avait soulevés, entendrait mettre en cause une motivation prétendument insuffisante de l’avis formulé par celle-ci, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le Tribunal est habilité à vérifier si l’avis rendu par la commission médicale en matière de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie est régulier, notamment s’il contient une motivation permettant d’apprécier les considérations sur lesquelles il est fondé, et s’il établit un lien compréhensible entre les constatations médicales qu’il comporte et les conclusions auxquelles il parvient (voir arrêt du Tribunal du 14 septembre 2010, AE/Commission, F‑79/09, point 64, et la jurisprudence citée). Par ailleurs, lorsque la commission médicale est saisie de questions d’ordre médical complexes se rapportant à un diagnostic difficile ou au lien de causalité entre l’affection dont est atteint l’intéressé et l’exercice de son activité professionnelle auprès d’une institution, il lui appartient notamment d’indiquer dans son avis les éléments du dossier sur lesquels elle s’appuie et de préciser, en cas de divergence significative, les raisons pour lesquelles elle s’écarte de certains rapports médicaux, antérieurs et pertinents, plus favorables à l’intéressé (arrêt AE/Commission, précité, point 65, et la jurisprudence citée).

74      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’avis de la commission médicale satisfait aux exigences de motivation rappelées au point précédent.

75      En effet, après avoir décrit précisément la maladie du requérant et rappelé la nature des fonctions exercées par l’intéressé entre 1987 et 2005, la commission médicale a indiqué, en substance, en se fondant sur les deux rapports établis par le professeur B., que si les radiations ionisantes que recevaient les personnes travaillant en permanence dans les centrales nucléaires n’exposaient pas ces dernières au risque de contracter un cancer pulmonaire, il en allait a fortiori de même pour les inspecteurs de ces installations qui ne pénètrent qu’occasionnellement dans lesdites centrales. La commission médicale a également souligné, en faisant référence au rapport du docteur J., membre du service médical de la Commission, ainsi qu’aux documents provenant de la DG « Énergie », que le requérant avait accumulé sur une période d’activité de 18 ans une dose efficace, au sens de la directive 96/29, de l’ordre de 22 mSv, ce qui correspondait à une irradiation annuelle très modérée. Si, dans son rapport, la commission médicale n’a pas expressément indiqué à quel niveau s’établissait la dose efficace d’irradiation généralement reconnue comme tolérable, le professeur C., consulté par le professeur B. en raison de sa connaissance des maladies provoquées par les radiations ionisantes, a indiqué, dans son rapport communiqué à la commission médicale et que le médecin désigné par le requérant a pu consulter, que cette dose limite s’établissait à « 100 mSv sur [cinq] ans consécutifs ». Ainsi, par une telle motivation, la commission médicale a indiqué quelles considérations venaient à l’appui de son appréciation et a établi un lien compréhensible entre les constatations qu’elle a faites et ses conclusions.

76      Dans le troisième grief, le requérant reproche à la commission médicale de s’être fondée sur des documents qui ne lui auraient pas été préalablement communiqués, en méconnaissance du principe du respect des droits de la défense.

77      À cet égard, il est vrai que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental du droit de l’Union. Ce principe exige que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue (arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C‑32/95 P, point 21).

78      Toutefois, il a déjà été jugé que les travaux de la commission médicale ne visaient pas à trancher un débat contradictoire mais à établir des constatations médicales (arrêt de la Cour du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, point 16 ; arrêt du Tribunal de première instance du 15 novembre 2000, Camacho-Fernandes/Commission, T‑20/00, point 31). Par ailleurs, le requérant a pu transmettre ses arguments par écrit à la commission médicale à la demande expresse de celle-ci. Enfin, il n’est pas établi que la commission médicale aurait émis ses conclusions sur la base de documents dont n’aurait pas eu connaissance le médecin désigné par le requérant pour défendre les intérêts de ce dernier au sein de ladite commission.

79      Le quatrième grief est tiré de ce que la Commission aurait méconnu les dispositions de l’article 22, paragraphe 3, cinquième alinéa, deuxième phrase, de la réglementation commune, aux termes desquelles un fonctionnaire, postérieurement à l’adoption par l’AIPN de la décision d’accueillir ou de rejeter sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, « peu[t] demander que le rapport complet de la commission [médicale] soit transmis au médecin de [son] choix ou que celui-ci [lui] soit communiqué ». Toutefois, à supposer même que l’administration ait méconnu ces dispositions, une telle méconnaissance, nécessairement intervenue postérieurement à la décision litigieuse, serait ainsi sans incidence sur la légalité de celle-ci. En tout état de cause, le rapport de la commission médicale, dans lequel était résumé en substance l’ensemble des documents sur lesquels celle-ci s’était fondée pour émettre son avis, a été communiqué à l’intéressé en même temps que la décision litigieuse.

80      Il s’ensuit que le troisième moyen doit être écarté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de compétence des membres de la commission médicale dans le domaine des maladies provoquées par les radiations ionisantes

–       Arguments des parties

81      Le requérant fait valoir que les médecins de la commission médicale n’auraient pas été aptes à remplir leur mission, puisqu’ils auraient eux-mêmes reconnu ne pas être des spécialistes en matière de maladies provoquées par les radiations ionisantes.

82      La Commission conclut au rejet du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

83      Il convient de relever que la réglementation commune ne fixe aucune exigence particulière de spécialisation tant pour le médecin désigné par le fonctionnaire concerné que pour celui désigné par l’AIPN. La seule exigence concerne le troisième médecin, celui-ci devant disposer, en application de l’article 22, paragraphe 1, troisième alinéa, de la réglementation commune, « d’une expertise en matière d’évaluation et de réparation du dommage corporel ».

84      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le docteur D., troisième médecin désigné d’un commun accord par le médecin désigné par le requérant ainsi que par le médecin désigné par l’AIPN, était diplômé en évaluation du dommage corporel et satisfaisait donc à l’unique condition prescrite par la réglementation commune. Par suite, le quatrième moyen, tiré de ce que la commission médicale aurait été irrégulièrement composée pour la seule raison que ses membres auraient été dépourvus de connaissance en matière de maladies provoquées par les radiations ionisantes, doit être écarté.

85      En tout état de cause, ainsi qu’il a amplement été rappelé, la commission médicale a disposé des informations utiles à son appréciation, émanant notamment de professeurs de médecine spécialistes en radiologie et en pneumologie, et par conséquent en matière de maladies provoquées par les radiations ionisantes, ainsi qu’en évaluation du dommage corporel.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation

–       Arguments des parties

86      Le requérant affirme en substance, en se fondant sur les rapports médicaux du docteur L. (voir points 36 et 39 ci-dessus), que la commission médicale aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de constater qu’il avait été exposé, durant son activité professionnelle, au risque de contracter une maladie provoquée par les radiations ionisantes. Il explique qu’il aurait été contraint de travailler pendant plusieurs années dans des « zones à risques », qu’il aurait été évacué à de nombreuses reprises de ces zones, et que, peu après le diagnostic de sa maladie, il aurait été déclaré définitivement inapte à travailler en zones dites « contrôlées » au sens de la directive 96/29, ce qui tendrait à établir la dangerosité de celles-ci. Le requérant ajoute qu’il exerçait son activité professionnelle sans recourir à des mesures de protection particulières (port d’un masque et d’un tablier de plomb), alors que, aujourd’hui, de telles mesures seraient obligatoires. Enfin, toujours selon l’intéressé, cinq de ses collègues seraient décédés d’un cancer sur une courte période.

87      Par ailleurs, le requérant souligne que le rapport de la commission médicale serait émaillé d’erreurs, concernant par exemple les résultats d’une électrocardiographie subie en 1990, la nature de la tumeur bénigne qu’il a présentée en 2004 à la glande parotide droite, ou la date du décès de son père.

88      En réponse, la Commission fait valoir que les conclusions de la commission médicale selon lesquelles le requérant n’a pas été exposé au risque de contracter le cancer du poumon constitueraient des appréciations purement médicales à l’égard desquelles le contrôle juridictionnel ne pourrait s’étendre. La Commission souligne que les rapports établis, à la demande du requérant, les 29 novembre 2009 et 24 avril 2010 par le docteur L. n’auraient été communiqués ni à la commission médicale ni à l’AIPN.

–       Appréciation du Tribunal

89      Ainsi qu’il a été jugé (arrêt AE/Commission, précité, point 64), la mission qui incombe à la commission médicale, prévue à l’article 22 de la réglementation commune, de porter en toute objectivité et en toute indépendance une appréciation sur des questions d’ordre médical exige, d’une part, que cette commission dispose de l’ensemble des éléments susceptibles de lui être utiles et, d’autre part, que sa liberté d’appréciation soit entière. Les appréciations médicales proprement dites, formulées par la commission médicale, doivent être considérées comme définitives lorsqu’elles ont été émises dans des conditions régulières.

90      En l’espèce, il ressort de l’examen des quatre moyens précédents que le requérant n’est pas parvenu à établir que l’avis formulé par la commission médicale, qui a conclu à l’absence d’origine professionnelle de sa maladie, aurait été émis dans des conditions irrégulières. En particulier, ainsi qu’il a été dit, la commission médicale a expliqué, en se fondant sur des documents et informations scientifiques dont le requérant n’a pas démontré le caractère non pertinent, que celui-ci avait été exposé dans le cadre de son activité professionnelle à un niveau de radiations ionisantes inférieur à ce qui est reconnu comme tolérable. Ainsi, eu égard au contrôle juridictionnel limité qu’il revient au Tribunal d’exercer, le requérant n’est pas fondé à prétendre que la décision litigieuse, prise sur la base de l’avis de la commission médicale, serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

91      Par ailleurs, et en tout état de cause, si le requérant prétend que plusieurs erreurs de fait émailleraient le rapport de la commission médicale, de telles erreurs, à les supposer établies, seraient dépourvues de toute incidence sur la régularité de l’avis de la commission médicale, celle-ci s’étant fondée, pour asseoir ses conclusions, sur des faits autres que ceux concernés par ces prétendues erreurs.

92      Par suite, le cinquième moyen doit être écarté.

93      L’ensemble des moyens ayant été écartés, les conclusions dirigées contre la décision litigieuse doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de faire droit à la demande d’expertise sollicitée à titre subsidiaire par le requérant.

94      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

95      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

96      Il résulte des motifs du présent arrêt que le requérant est la partie qui succombe. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce qu’il soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner le requérant à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours de M. de Fays est rejeté.

2)      M. de Fays supporte l’ensemble des dépens.

Kreppel

Perillo

Barents

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       H. Kreppel


* Langue de procédure : le français.