Language of document : ECLI:EU:C:2018:835

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

17 octobre 2018 (*)(i)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 8, paragraphe 1 – Compétence en matière de responsabilité parentale – Notion de “résidence habituelle de l’enfant” – Exigence d’une présence physique – Rétention de la mère et de l’enfant dans un pays tiers contre la volonté de la mère – Violation des droits fondamentaux de la mère et de l’enfant »

Dans l’affaire C‑393/18 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England and Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume-Uni], par décision du 6 juin 2018, parvenue à la Cour le 14 juin 2018, dans la procédure

UD

contre

XB,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, E. Regan (rapporteur), C. G. Fernlund, et S. Rodin, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 6 juin 2018, parvenue à la Cour le 14 juin 2018, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 5 juillet 2018 de la première chambre de faire droit à ladite demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 septembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour UD, par M. C. Hames, QC, M. B. Jubb, barrister, ainsi que par M. J. Patel et Mme M. Hussain, solicitors,

–        pour XB, par M. T. Gupta, QC, et Mme J. Renton, barrister, ainsi que par M. J. Stebbing, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon, en qualité d’agent, assisté de M. M. Gration, barrister,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek et Mme A. Kasalická, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UD, la mère d’une enfant née au Bangladesh le 2 février 2017 (ci-après l’« enfant ») à XB, le père de cette enfant, au sujet de demandes effectuées par UD visant à ce que soient ordonnés, d’une part, le placement de ladite enfant sous la protection de la juridiction de renvoi et, d’autre part, son retour avec l’enfant au Royaume-Uni en vue de leur participation à la procédure devant la juridiction de renvoi.

 Le cadre juridique

3        Les considérants 1 et 12 du règlement no 2201/2003 énoncent :

« (1)      [L’Union] européenne s’est donné pour objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. À cette fin, [l’Union] adopte, notamment, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. 

[...]

(12)      Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale. »

4        L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », précise les matières civiles auxquelles ce règlement s’applique et celles auxquelles il ne s’applique pas.

5        L’article 2 dudit règlement, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

« Aux fins du présent règlement en entend par :

[...]

4)      “décision” toute décision de divorce, de séparation de corps ou d’annulation d’un mariage, ainsi que toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes “arrêt”, “jugement” ou “ordonnance” ;

[...] »

6        Le chapitre II du même règlement, intitulé « Compétence », contient, à la section 2, intitulée « Responsabilité parentale », l’article 8, lui-même intitulé « Compétence générale », qui prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. »

7        Aux termes de l’article 9 du règlement no 2201/2003, intitulé « Maintien de la compétence de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant » :

« 1.      Lorsqu’un enfant déménage légalement d’un État membre dans un autre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, les juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant gardent leur compétence, par dérogation à l’article 8, durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier une décision concernant le droit de visite rendue dans cet État membre avant que l’enfant ait déménagé, lorsque le titulaire du droit de visite en vertu de la décision concernant le droit de visite continue à résider habituellement dans l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant.

[...] ».

8        L’article 10 de ce règlement, intitulé « Compétence en cas d’enlèvement d’enfant », dispose :

« En cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu’au moment où l’enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre [...] »

9        L’article 12 dudit règlement précise les conditions dans lesquelles une prorogation de compétence au titre dudit règlement est possible.

10      L’article 13 du même règlement, intitulé « Compétence fondée sur la présence de l’enfant », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsque la résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie et que la compétence ne peut être déterminée sur base de l’article 12, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes. »

11      L’article 14 du règlement no 2201/2003, intitulé « Compétences résiduelles », est libellé comme suit :

« Lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État. »

12      L’article 15 de ce règlement, intitulé « Renvoi à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire », dispose, à son paragraphe 1 :

« À titre d’exception, les juridictions d’un État membre compétentes pour connaître du fond peuvent, si elles estiment qu’une juridiction d’un autre État membre avec lequel l’enfant a un lien particulier est mieux placée pour connaître de l’affaire, ou une partie spécifique de l’affaire, et lorsque cela sert l’intérêt supérieur de l’enfant :

a)      surseoir à statuer sur l’affaire ou sur la partie en question et inviter les parties à saisir d’une demande la juridiction de cet autre État membre conformément au paragraphe 4, ou

b)      demander à la juridiction d’un autre État membre d’exercer sa compétence conformément au paragraphe 5. »

13      L’article 21 de ce règlement, intitulé « Reconnaissance d’une décision », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      La requérante au principal, mère de l’enfant (ci-après la « mère »), est une ressortissante bangladaise qui a contracté un mariage en 2013, au Bangladesh, avec le défendeur au principal, de nationalité britannique, qui est le père de l’enfant (ci-après le « père »).

15      Au mois de juin ou au mois de juillet 2016, la mère s’est établie au Royaume-Uni pour y vivre avec le père. Elle a bénéficié d’un visa pour conjoint étranger délivré par l’United Kingdom Home Office (ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni), valable du 1er juillet 2016 au 1er avril 2019.

16      Au mois de décembre 2016, le père et la mère se sont rendus au Bangladesh. La mère était en état de grossesse avancée. Le 2 février 2017, l’enfant est née au Bangladesh. Elle y est demeurée depuis lors et n’a donc jamais séjourné au Royaume-Uni.

17      Au mois de janvier 2018, le père est retourné au Royaume-Uni sans la mère.

18      Le 20 mars 2018, la mère a introduit un recours devant la juridiction de renvoi afin que l’enfant soit placée sous la protection de cette juridiction et que soit ordonné son retour au Royaume-Uni ainsi que celui de l’enfant en vue de participer à la procédure devant ladite juridiction. La mère soutient que cette juridiction est compétente pour trancher le litige au principal. À cet égard, la mère fait valoir, notamment, que, à la date à laquelle elle a saisi la juridiction de renvoi, l’enfant résidait de manière habituelle au Royaume-Uni. Pour sa part, le père conteste la compétence de ladite juridiction pour rendre toute décision à l’égard de l’enfant.

19      La juridiction de renvoi relève qu’elle n’a procédé à aucune constatation de faits dans le cadre de la procédure au principal, dès lors qu’elle estime nécessaire de trancher, à titre liminaire, la question de sa compétence pour rendre une décision concernant l’enfant. S’agissant de cette question, ladite juridiction est d’avis qu’il lui revient d’apprécier, dans un premier temps, si l’enfant a sa résidence habituelle, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, au Royaume-Uni. Ce ne serait que, le cas échéant, dans un second temps que cette même juridiction examinerait si elle dispose d’un autre chef de compétence aux fins d’examiner le litige au principal.

20      Selon la juridiction de renvoi, l’interprétation, dans le cadre du litige au principal, de la notion de « résidence habituelle », contenue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, soulève des questions qui n’ont pas encore été examinées par la Cour, en particulier, celle de savoir si la présence physique est un élément constitutif de cette notion. Par ailleurs, la contrainte prétendument exercée par le père sur la mère aurait eu pour conséquence que celle-ci a accouché dans un pays tiers. Le comportement du père à cet égard serait vraisemblablement constitutif d’une atteinte aux droits de la mère ou de l’enfant. La position défendue par la mère soulèverait donc la question subsidiaire de l’incidence, sur ladite notion, des circonstances dans lesquelles l’enfant est née dans un État tiers, en particulier du maintien illégal, par la contrainte, de la mère par le père dans cet État, alors même que les titulaires de la responsabilité parentale n’ont aucune intention commune de résider dans ledit État.

21      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England and Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La présence physique d’un enfant dans un État constitue-t-elle un élément essentiel de la résidence habituelle au sens de l’article 8 du règlement no 2201/2003 ?

2)      Dans une situation dans laquelle les deux parents sont titulaires de l’autorité parentale, le fait que la mère ait été dupée pour la faire venir dans un autre État et qu’elle y ait été retenue illégalement par le père, par la contrainte ou par tout autre acte illégal, obligeant ainsi la mère à donner naissance à un enfant dans cet État, a-t-il une incidence sur la réponse à la première question dans des circonstances dans lesquelles il a pu y avoir eu une atteinte aux [droits] de la mère ou de l’enfant, conformément aux articles 3 et 5 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950], ou d’une autre manière ? »

 Sur la procédure d’urgence

22      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

23      À l’appui de sa demande, cette juridiction a relevé que la procédure au principal concerne une enfant très jeune, âgée d’un an et deux mois à la date de la décision de renvoi, et que tout retard dans l’avancement de cette procédure est préjudiciable à l’intérêt supérieur de cette enfant.

24      La juridiction de renvoi a indiqué, en outre, que, selon les allégations de la mère, lesquelles sont contestées par le père, la mère est actuellement retenue de manière illégale, par la contrainte du père, dans un village du Bangladesh, sans gaz, ni électricité, ni eau potable et sans le moindre revenu, au sein d’une communauté qui la stigmatise du fait de sa séparation du père. Cette juridiction expose que, dans le cas où sa compétence serait établie et que les droits de la mère et de l’enfant auraient été violés par le père, il lui incomberait d’agir aussi rapidement que possible, le cas échéant en adoptant les mesures nécessaires afin d’assurer la protection des intérêts de l’enfant.

25      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement no 2201/2003 qui a été adopté, en particulier, sur le fondement de l’article 61, sous c), CE, désormais article 67 TFUE, lequel figure au titre V de la troisième partie du traité FUE, relative à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, de sorte que ce renvoi relève du champ d’application de la procédure préjudicielle d’urgence défini à l’article 107 du règlement de procédure (arrêts du 9 octobre 2014, C, C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 34 ; du 9 janvier 2015, RG, C‑498/14 PPU, EU:C:2015:3, point 36, et du 19 novembre 2015, P, C‑455/15 PPU, EU:C:2015:763, point 31).

26      En second lieu, quant au critère relatif à l’urgence, il ressort de la décision de renvoi que, dans le cas où la contrainte exercée par le père sur la mère serait établie, le bien-être actuel de l’enfant s’en trouverait hautement compromis. Dans un tel cas, tout retard dans la prise de décisions judiciaires à l’égard de l’enfant prolongerait la situation actuelle et risquerait ainsi de nuire sérieusement, voire de façon irréparable, au développement de cette enfant. Dans le cas d’un éventuel retour au Royaume-Uni, un tel retard risquerait également d’être préjudiciable à l’intégration de l’enfant dans son nouvel environnement familial et social.

27      En outre, l’affaire au principal concerne une enfant dont le très jeune âge rend particulièrement délicats son éveil et son développement.

28      Compte tenu de ce qui précède, la première chambre de la Cour a décidé, le 5 juillet 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour

29      Bien que le gouvernement du Royaume-Uni soulève formellement l’irrecevabilité du présent renvoi préjudiciel, il ressort de ses observations que ce gouvernement conteste, en réalité, la compétence de la Cour pour répondre aux questions posées, dès lors que la présente affaire concerne un conflit potentiel de compétence entre un État membre, en l’occurrence le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et un État tiers, à savoir la République populaire du Bangladesh.

30      En particulier, ce gouvernement fait valoir que, eu égard à l’article 61, sous c), et à l’article 67, paragraphe 1, CE, sur le fondement desquels le règlement no 2201/2003 a été adopté, ce règlement a vocation à s’appliquer uniquement aux situations transfrontalières à l’intérieur de l’Union. Dans les situations transfrontalières impliquant un État membre et un État tiers, telles que la situation en cause au principal, le droit national serait applicable.

31      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du libellé des dispositions pertinentes du règlement no 2201/2003, il y a lieu de faire observer que l’article 1er de ce règlement, qui définit son champ d’application, précise les matières civiles auxquelles ledit règlement s’applique et celles auxquelles il ne s’applique pas, sans faire référence à une quelconque limitation du champ d’application territorial dudit règlement.

32      En ce qui concerne l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 lui-même, cette disposition prévoit que les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. Ainsi, rien dans les termes de cette disposition n’indique que l’application de la règle générale de compétence en matière de responsabilité parentale qu’elle énonce est soumise à la condition de l’existence d’un rapport juridique impliquant plusieurs États membres.

33      Il s’ensuit, ainsi que le fait observer M. l’avocat général aux points 23 et 25 de ses conclusions, que, contrairement à certaines dispositions du règlement no 2201/2003 relatives à la compétence, telles que ses articles 9, 10 et 15, dont les termes impliquent nécessairement que leur application dépend d’un conflit potentiel de compétence entre des juridictions relevant de plusieurs États membres, il ne découle pas du libellé de l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement que cette disposition se limite à des litiges relatifs à de tels conflits.

34      À cet égard, l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 se distingue également des règles en matière de reconnaissance et d’exécution prévues par ce règlement.

35      En particulier, la Cour a déjà jugé qu’elle était manifestement incompétente pour répondre à des questions préjudicielles concernant la reconnaissance d’une décision de divorce rendue dans un État tiers et a fait observer, notamment, que, conformément à l’article 2, point 4, et à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, ce règlement se limite à la reconnaissance de décisions rendues par une juridiction d’un État membre (ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni, C‑281/15, EU:C:2016:343, points 21, 22 et 33).

36      Or, contrairement aux règles régissant la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires prévues par le règlement no 2201/2003, ce règlement ne prévoit pas, ainsi qu’il découle en particulier des points 32 et 33 du présent arrêt, de disposition qui limiterait expressément le champ d’application territorial de l’ensemble des règles relatives à la compétence prévues par ledit règlement.

37      En second lieu, en ce qui concerne l’objectif du règlement no 2201/2003, il ressort de son considérant 1 que ce règlement vise à contribuer à l’objectif que l’Union s’est donnée de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. À cette fin, l’Union adopte, notamment, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur.

38      En effet, en vertu de l’article 61, sous c), CE, qui constitue l’un des fondements juridiques du règlement no 2201/2003, et de l’article 65 CE, lesquels sont respectivement devenus l’article 67, paragraphe 3, et l’article 81 TFUE, l’Union arrête des mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ayant des implications transfrontalières et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

39      Or, contrairement à ce que soutient, en substance, le gouvernement du Royaume-Uni, de telles considérations n’ont pas pour conséquence que la règle de compétence prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doive être considérée comme s’appliquant uniquement aux litiges impliquant des rapports entre des juridictions d’États membres.

40      En particulier, les règles uniformes de compétence contenues dans le règlement no 2201/2003 n’ont pas vocation à s’appliquer uniquement à des situations comportant un lien effectif et suffisant avec le fonctionnement du marché intérieur, impliquant, par définition, plusieurs États membres. En effet, l’unification en elle-même des règles de compétence, opérée par ce règlement, a assurément pour objectif d’éliminer les obstacles au fonctionnement du marché intérieur pouvant découler des disparités des législations nationales en la matière [voir, par analogie, à propos de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, arrêt du 1er mars 2005, Owusu, C‑281/02, EU:C:2005:120, point 34].

41      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que la règle de compétence générale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 est susceptible de s’appliquer à des litiges impliquant des rapports entre les juridictions d’un seul État membre et celles d’un pays tiers et non pas uniquement des rapports entre des juridictions relevant de plusieurs États membres.

42      La Cour est donc compétente pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur le fond

43      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’un enfant doit avoir été physiquement présent dans un État membre pour qu’il puisse être considéré comme résidant habituellement dans cet État membre, au sens de cette disposition. Cette juridiction demande également si des circonstances telles que celles en cause au principal, à les supposer établies, à savoir, d’une part, la contrainte exercée par le père sur la mère ayant pour conséquence que la mère a accouché de leur enfant dans un État tiers et y réside avec cette enfant depuis la naissance de celle-ci et, d’autre part, l’atteinte aux droits fondamentaux de la mère ou de l’enfant, ont une incidence à cet égard.

44      Le père et la Commission européenne soutiennent que la résidence habituelle de l’enfant ne saurait se situer dans un État membre dans lequel l’enfant n’a jamais été physiquement présent, tandis que la mère, le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement tchèque sont d’avis que des circonstances telles que celles en cause au principal peuvent justifier que l’enfant soit considéré comme résidant habituellement dans un tel État.

45      Il y a lieu de constater, tout d’abord, que le règlement no 2201/2003 ne comporte aucune définition de la notion de « résidence habituelle ». L’utilisation de l’adjectif « habituelle » indique seulement que la résidence doit présenter un certain caractère de stabilité ou de régularité (arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 44).

46      Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 45 et jurisprudence citée).

47      La notion de « résidence habituelle » est employée dans des articles du règlement no 2201/2003 qui ne comportent aucun renvoi exprès au droit des États membres. Il convient donc de définir cette notion au regard du contexte dans lequel s’inscrivent les dispositions de ce règlement et de l’objectif poursuivi par ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 46).

48      À cet égard, il ressort du considérant 12 du règlement no 2201/2003 que ce dernier a été élaboré dans l’objectif de répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il privilégie, à cette fin, le critère de la proximité. Le législateur a, en effet, considéré que la juridiction géographiquement proche de la résidence habituelle de l’enfant est la mieux à même d’apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant. Aux termes de ce considérant, ce sont donc au premier chef les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou à la suite d’un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale (arrêt du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

49      L’article 8 du règlement no 2201/2003 traduit cet objectif en établissant une compétence générale en matière de responsabilité parentale en faveur des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle (arrêt du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 52).

50      Comme la Cour l’a, par ailleurs, précisé à maintes reprises, afin de déterminer la résidence habituelle d’un enfant, outre la présence physique de ce dernier dans un État membre, d’autres facteurs doivent faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel (arrêts du 2 avril 2009, A, C‑523/07, EU:C:2009:225, point 38 ; du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 49 ; du 9 octobre 2014, C, C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 51 ; du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 60 ; du 8 juin 2017, OL, C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 43, ainsi que du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 41).

51      L’importance accordée par le législateur de l’Union à la proximité géographique aux fins de la détermination de la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale ressort également de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, lequel fonde la compétence d’une juridiction d’un État membre sur la seule présence de l’enfant, précisément lorsque sa résidence n’a pu être qualifiée d’« habituelle », au sens de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, dans aucun État membre et que cette compétence ne peut être déterminée sur le fondement de l’article 12 du même règlement.

52      Ainsi, la Cour a jugé que la reconnaissance de la résidence habituelle d’un enfant dans un État membre donné exige, à tout le moins, que l’enfant ait été physiquement présent dans cet État membre (arrêt du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 61).

53      Il résulte des considérations exposées aux points 45 à 52 du présent arrêt qu’une présence physique dans l’État membre dans lequel l’enfant est prétendument intégré est une condition nécessairement préalable à l’évaluation de la stabilité de cette présence et que la « résidence habituelle », au sens du règlement no 2201/2003, ne saurait donc être fixée dans un État membre dans lequel l’enfant ne s’est jamais rendu.

54      Cette interprétation se trouve confortée par la place qu’occupe l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 au sein des règles de compétence prévues par ce règlement en matière de responsabilité parentale.

55      En effet, à la lumière du considérant 12 du règlement no 2201/2003, et ainsi qu’il ressort du point 49 du présent arrêt, l’article 8 de ce règlement établit la règle générale de compétence en matière de responsabilité parentale, de telle sorte que cette disposition occupe la place centrale au sein des règles de compétence établies par ledit règlement en cette matière.

56      Ainsi, l’article 8 du règlement no 2201/2003 est complété par des règles particulières applicables, notamment lorsque la résidence habituelle de l’enfant, présent dans un État membre, ne peut être établie et que la compétence ne peut être déterminée sur la base de son article 12 (article 13), lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu de ses articles 8 à 13 (article 14), ou encore, à titre exceptionnel et dans certaines conditions, lorsque la juridiction compétente renvoie l’affaire à une juridiction d’un autre État membre qu’elle estime mieux placée pour connaître de l’affaire (article 15) (arrêt du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 56).

57      Il s’ensuit que le fait qu’un litige porté devant une juridiction d’un État membre ne soit pas susceptible de relever du champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 ne fait pas nécessairement obstacle à ce que cette juridiction soit compétente pour connaître de ce litige à un autre titre. En particulier, à supposer même que l’interprétation exposée aux points 52 et 53 du présent arrêt, selon laquelle une présence physique de l’enfant dans un État membre est une condition préalable pour y établir sa résidence habituelle, aurait pour conséquence, dans une situation telle que celle en cause au principal, qu’il ne serait pas possible de désigner comme compétente une juridiction d’un État membre en vertu des dispositions de ce règlement, il n’en reste pas moins, ainsi que le fait observer la Commission, qu’il demeure loisible à chaque État membre, conformément à l’article 14 dudit règlement, de fonder la compétence de ses propres juridictions en vertu de règles de droit interne s’écartant du critère de la proximité sur lequel se fondent les dispositions dudit règlement.

58      Il découle, par ailleurs, des dispositions citées au point 56 du présent arrêt et, en particulier, de l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 que le législateur de l’Union a spécifiquement envisagé, respectivement, l’existence de situations dans lesquelles la résidence habituelle d’un enfant ne peut être établie et le renvoi à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire d’un enfant, qui n’est ni nécessairement celle visée à l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, ni celle visée aux articles 9 à 14 dudit règlement.

59      En conséquence, ni l’absence de résidence habituelle de l’enfant, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, en raison du défaut de présence physique de cet enfant dans un État membre de l’Union, ni l’existence de juridictions d’un État membre mieux placées pour connaître des affaires de cet enfant alors même qu’il n’a jamais résidé dans cet État ne sauraient permettre d’établir la résidence habituelle de l’enfant dans un État dans lequel il n’a jamais été présent.

60      Ensuite, la circonstance en cause au principal, à la supposer établie, selon laquelle le père a exercé une contrainte sur la mère ayant pour conséquence que leur enfant est née et réside, depuis sa naissance, au Bangladesh, n’est pas susceptible de remettre en cause cette interprétation.

61      Certes, en l’absence de cette contrainte, l’enfant en cause au principal aurait éventuellement pu naître, conformément à l’intention alléguée de sa mère, au Royaume-Uni. Or, la Cour a déjà jugé que l’intention du responsable parental de s’établir avec l’enfant dans un autre État membre, exprimée par certaines mesures tangibles telles que l’acquisition ou la location d’un logement dans l’État membre d’accueil, peut constituer un indice du transfert de la résidence habituelle (arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 50 et jurisprudence citée).

62      Toutefois, en l’absence d’une présence physique de l’enfant lui-même dans l’État membre concerné, une importance déterminante ne saurait être accordée, pour l’interprétation de la notion de « résidence habituelle », à des circonstances telles que l’intention du parent exerçant dans les faits la garde de l’enfant, ou bien l’éventuelle résidence habituelle de l’un ou de l’autre parent dans cet État membre, au détriment de considérations géographiques objectives, sauf à méconnaître l’intention du législateur de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 60).

63      En effet, l’interprétation selon laquelle le défaut de présence physique de l’enfant concerné lui-même dans l’État membre concerné fait obstacle à ce que soient prises en compte des considérations telles que celles exposées au point précédent du présent arrêt est davantage conforme au critère de la proximité, privilégié par le législateur de l’Union dans le cadre du règlement no 2201/2003, précisément afin d’assurer la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, par analogie, arrêt du 8 juin 2017, OL, C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 67).

64      Enfin, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant garantie à l’article 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le respect de ses droits fondamentaux, tels que ceux consacrés aux articles 4, 6 et 24 de cette charte, n’imposent pas une interprétation différente de celle exposée aux points 52 et 53 du présent arrêt.

65      En premier lieu, ainsi qu’il découle du point 48 du présent arrêt, l’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en compte lors de la rédaction du règlement no 2201/2003, le critère de la proximité adopté dans celui-ci matérialisant cet intérêt.

66      En second lieu, le règlement no 2201/2003 institue déjà un mécanisme autorisant les États membres à protéger les intérêts d’un enfant même dans le cas de litiges ne relevant pas de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement. En particulier, ainsi qu’il a été rappelé au point 57 du présent arrêt, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13 de ce règlement, l’article 14 de ce dernier précise que les États membres peuvent, de façon résiduelle, attribuer compétence à leurs juridictions en vertu de leurs droits nationaux.

67      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’une telle compétence résiduelle existe dans l’ordre juridique du Royaume-Uni sous la forme de la « compétence parens patriae » des juridictions de cet État membre, cette règle de compétence s’appliquant aux citoyens britanniques selon la discrétion des juridictions nationales.

68      Il découle de ces considérations que l’intérêt supérieur de l’enfant n’appelle pas une interprétation de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, telle que celle proposée par la mère, le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement tchèque, même dans des circonstances telles que celles caractérisant la situation en cause au principal, une telle interprétation allant au-delà des limites de la notion de « résidence habituelle », prévue par le règlement no 2201/2003, et du rôle dévolu à cette disposition dans le cadre des dispositions de ce règlement régissant la compétence en matière de responsabilité parentale.

69      Il s’ensuit que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, ni le comportement illégal exercé par l’un des parents sur l’autre, ayant pour conséquence que leur enfant est née et réside depuis sa naissance dans un État tiers, ni la violation des droits fondamentaux de la mère ou de cette enfant, à supposer ces circonstances établies, ne permettent de considérer que ladite enfant pourrait avoir sa résidence habituelle, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, dans un État membre dans lequel elle ne s’est jamais rendue.

70      Eu égard à tout ce qui précède, l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’un enfant doit avoir été physiquement présent dans un État membre pour qu’il puisse être considéré comme résidant habituellement dans cet État membre, au sens de cette disposition. Des circonstances telles que celles en cause au principal, à les supposer établies, à savoir, d’une part, la contrainte exercée par le père sur la mère ayant pour conséquence que la mère a accouché de leur enfant dans un État tiers et y réside avec cette enfant depuis la naissance de celle-ci et, d’autre part, l’atteinte aux droits fondamentaux de la mère ou de l’enfant, n’ont pas d’incidence à cet égard.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, doit être interprété en ce sens qu’un enfant doit avoir été physiquement présent dans un État membre pour qu’il puisse être considéré comme résidant habituellement dans cet État membre, au sens de cette disposition. Des circonstances telles que celles en cause au principal, à les supposer établies, à savoir, d’une part, la contrainte exercée par le père sur la mère ayant pour conséquence que la mère a accouché de leur enfant dans un État tiers et y réside avec cette enfant depuis la naissance de celle-ci et, d’autre part, l’atteinte aux droits fondamentaux de la mère ou de l’enfant, n’ont pas d’incidence à cet égard.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


i Le nom figurant au point 25 a été remplacé par des lettres à la suite d’une demande d’anonymisation.