Language of document : ECLI:EU:C:2019:849

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

9 octobre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 1 – Notion de “mandat d’arrêt européen” – Exigences minimales dont dépend la validité – Article 6, paragraphe 1 – Notion d’“autorité judiciaire d’émission” – Mandat d’arrêt européen émis par le parquet d’un État membre – Statut – Existence d’un lien de subordination à l’égard d’un organe du pouvoir exécutif – Pouvoir d’instruction individuelle du ministre de la Justice – Homologation du mandat d’arrêt européen par un tribunal avant sa transmission »

Dans l’affaire C‑489/19 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne), par décision du 26 juin 2019, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

NJ,

en présence de :

Generalstaatsanwaltschaft Berlin,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz, C. Vajda, et A. Kumin, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 26 juin 2019, parvenue à la Cour le même jour, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 15 juillet 2019 de la deuxième chambre de faire droit à cette demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 septembre 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Hellmann et J. Möller ainsi que par Mme A. Berg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll et J. Herrnfeld, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 17 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Allemagne, d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de NJ, le 16 mai 2019, par la Staatsanwaltschaft Wien (parquet de Vienne, Autriche) et homologué, le 20 mai 2019, par une décision du Landesgericht Wien (tribunal régional de Vienne, Autriche).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 5 de la décision-cadre 2002/584 est libellé comme suit :

« L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice. »

4        L’article 1er de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

5        Aux termes de l’article 6 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Détermination des autorités judiciaires compétentes » :

« 1.      L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

2.      L’autorité judiciaire d’exécution est l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution qui est compétente pour exécuter le mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

3.      Chaque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne. »

6        L’article 2, paragraphe 1, de ladite décision-cadre prévoit :

« Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois. »

7        L’article 8 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Contenu et forme du mandat d’arrêt européen », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :

[...]

c)      l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ;

[...] »

 Le droit autrichien

8        L’article 2, paragraphe 1, du Staatsanwaltschaftsgesetz (loi relative aux parquets) se lit comme suit :

« Au siège de tout Landesgericht (tribunal régional) connaissant d’affaires pénales, il y a un parquet, au siège de tout Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur), il y a un parquet général et à l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) le procureur général. Les parquets sont directement subordonnés aux parquets généraux et soumis à leur injonction et ceux‑ci ainsi que le procureur général le sont au ministre fédéral de la Justice. »

9        L’article 29 paragraphe 1, première phrase, du Gesetz über die Justizielle Zusammenarbeit in Strafsachen mit den Mitgliedstaaten der Europäischen Union (loi sur la coopération judiciaire en matière pénale avec les États membres de l’Union européenne, ci‑après la « loi sur la coopération judiciaire en matière pénale ») prévoit :

« Le parquet ordonne l’arrestation par la voie d’un mandat d’arrêt européen homologué judiciairement et veille, le cas échéant, au signalement de la personne recherchée dans le système d’information Schengen [...] »

10      L’article 5, paragraphes 1 et 2, de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale) dispose :

« (1)      Dans l’exercice de leurs compétences et de la collecte de preuves, la police criminelle, le parquet et le tribunal ne peuvent empiéter sur les droits des personnes que si la loi le prévoit expressément et uniquement dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de leur mission. Toute atteinte portée de ce fait à un droit doit rester proportionnée à la gravité de l’infraction, à la gravité des charges et au résultat recherché.

(2)      Entre différentes enquêtes et mesures coercitives efficaces, il appartient à la police criminelle, au parquet et au tribunal de recourir à celle qui empiète le moins sur les droits des intéressés. Les compétences conférées par la loi seront exercées à chaque stade de la procédure de manière à éviter de faire inutilement sensation, de respecter la dignité des personnes concernées et de préserver leurs droits et intérêts dignes de protection. »

11      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du code de procédure pénale, l’homologation judiciaire est susceptible de recours.

12      L’article 105 du code de procédure pénale énonce :

« (1)      Il appartient au tribunal de statuer sur les demandes de placement en détention provisoire ou de prorogation de la détention provisoire ainsi que d’homologation de certaines autres mesures coercitives. Le tribunal assortira la mesure homologuée (article 101, paragraphe 3) d’un délai d’exécution sous peine de déchéance. Si le signalement a été ordonné pour arrestation, au titre de l’article 169, le délai ne court pas durant la période de validité du signalement, mais il incombe cependant au parquet de vérifier au moins annuellement si les conditions de l’arrestation sont toujours réunies.

(2)      Si, pour des raisons juridiques ou pratiques, des enquêtes complémentaires sont nécessaires pour statuer sur une demande au titre du paragraphe 1, le tribunal ordonne à la police criminelle de les faire ou il les accomplit d’office. Il peut également demander au parquet et à la police criminelle de préciser des éléments de fait du dossier et de déposer un rapport sur l’exécution de la mesure homologuée et des enquêtes complémentaires. Après la condamnation à la détention provisoire, le tribunal peut ordonner de recevoir dorénavant copie des pièces du dossier visées à l’article 52, paragraphe 2, points 2 et 3. »

13      Selon l’article 171, paragraphe 1, du code de procédure pénale, qui s’applique pendant la phase d’information de l’enquête pénale, le parquet ordonne l’arrestation sur la base d’un acte homologué par un tribunal.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      Le parquet de Vienne a engagé des poursuites pénales à l’encontre de NJ en raison de quatre faits, que la juridiction de renvoi qualifie, notamment, de vol commis à titre professionnel, passible dans l’État membre d’émission, selon la juridiction de renvoi, d’une peine « d’un maximum d’au moins trois ans », au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584. Cette juridiction estime que d’autres faits reprochés à NJ, tels que la coercition, sont passibles, dans l’État membre d’émission ainsi que dans l’État membre requis, d’une peine d’un maximum d’au moins douze mois.

15      Aux fins de la poursuite desdits faits, le parquet de Vienne a émis, le 16 mai 2019, un mandat d’arrêt européen à l’encontre de NJ, qui a été homologué, conformément à l’article 29, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la coopération judiciaire en matière pénale, le 20 mai 2019, par le Landesgericht Wien (tribunal régional de Vienne).

16      NJ est placé en détention provisoire à Berlin (Allemagne) depuis le 14  mai 2019, dans le cadre d’une procédure pénale pour vol, engagée contre lui en Allemagne. Selon la juridiction de renvoi, NJ a, lors de son interrogatoire du 24 mai 2019, refusé l’extradition simplifiée.

17      La juridiction de renvoi observe que les parquets autrichiens sont soumis à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, en l’occurrence le ministre fédéral de la Justice. Partant, elle s’interroge sur la compatibilité de la procédure d’émission d’un mandat d’arrêt européen en Autriche avec les exigences découlant de l’arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456). En particulier, cette juridiction nourrit des doutes quant à la qualité d’« autorité judiciaire » du parquet de Vienne.

18      Toutefois, elle souligne que, à la différence des faits à l’origine de cet arrêt, les parquets autrichiens ne délivrent pas de manière autonome un mandat d’arrêt européen dans la mesure où l’article 29 de la loi sur la coopération judiciaire en matière pénale prévoit l’homologation d’un tel mandat par un tribunal. La procédure d’homologation comprendrait l’examen de la légalité ainsi que de la proportionnalité du mandat d’arrêt européen concerné et serait susceptible de recours juridictionnel. Pour ces raisons, la juridiction de renvoi estime qu’il est possible de considérer que le pouvoir de décider de l’émission d’un mandat d’arrêt européen appartient, en définitive, au tribunal chargé de l’homologation de celui-ci.

19      Cela étant, par ordonnance du 29 mai 2019 la juridiction de renvoi n’a ordonné, en raison des doutes exposés au point précédent, que le placement en détention provisoire de NJ en vue de sa remise aux autorités autrichiennes.

20      Dans ces conditions, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les injonctions auxquelles un parquet est soumis l’empêchent[-elles] d’émettre valablement un mandat d’arrêt européen même si cette décision est soumise à un contrôle juridictionnel exhaustif avant l’exécution du mandat d’arrêt européen ? »

 Sur la procédure d’urgence

21      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

22      À l’appui de sa demande, cette juridiction a invoqué le fait que NJ se trouve actuellement en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui en Allemagne (ci-après la « première détention provisoire »). La détention provisoire en vue de la remise de l’intéressé aux autorités autrichiennes ne débutera qu’une fois que la première détention provisoire aura pris fin et ne pourra, par la suite, légalement excéder une durée de deux mois. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi craint que, si la Cour décidait de ne pas enclencher la procédure préjudicielle d’urgence, NJ devra être libéré avant l’issue de la procédure préjudicielle et pourrait échapper aux poursuites engagées contre lui.

23      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il est donc susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

24      En second lieu, il est constant que, à la date de l’examen de la demande visant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence, NJ faisait l’objet d’une détention provisoire qui pouvait néanmoins prendre fin à tout moment. En outre, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, NJ serait maintenu en détention au-delà de la durée de la première détention provisoire, en vue de la remise éventuelle de l’intéressé aux autorités autrichiennes, pour une durée maximale de deux mois. Or, la légalité de la détention provisoire en vue de la remise de l’intéressé aux autorités autrichiennes dépendant de la réponse de la Cour à la question préjudicielle, il apparaît que cette décision de la Cour est susceptible d’avoir une incidence directe sur la durée de la privation de liberté de NJ.

25      Dans ces conditions, la deuxième chambre de la Cour a décidé, le 15 juillet 2019, sur proposition du juge rapporteur, l’avocate générale entendue, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur la question préjudicielle

26      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « mandat d’arrêt européen », visée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, doit être interprétée en ce sens que relèvent de cette notion les mandats d’arrêt européens qui sont émis par les parquets d’un État membre qui sont exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’émission de ces mandats d’arrêt, ces derniers devant obligatoirement, afin de pouvoir être transmis par lesdits parquets, faire l’objet d’une homologation par un tribunal qui contrôle, dans le cadre de cette procédure, les conditions d’émission ainsi que la proportionnalité desdits mandats d’arrêt.

27      À cet égard, il importe de rappeler que le système du mandat d’arrêt européen instauré par la décision-cadre 2002/584 est fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle, lequel repose lui-même sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, en particulier, dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 10 novembre 2016, Özçelik, C‑453/16 PPU, EU:C:2016:860, point 23 et jurisprudence citée).

28      L’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 définit le mandat d’arrêt européen comme une « décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d'une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ». Le principe de reconnaissance mutuelle présuppose, à cet égard, que seuls les mandats d’arrêt européens au sens de cette disposition doivent être exécutés conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584 [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 46].

29      En effet, ce principe repose sur la prémisse selon laquelle le mandat d’arrêt européen concerné a été émis en conformité avec les exigences minimales dont dépend sa validité, au nombre desquelles figurent celles prévues à l’article 8 de la décision-cadre 2002/584, dont notamment celle relative à l’existence d’un mandat d’arrêt ou d’une autre décision judiciaire nationale sur laquelle se greffe le mandat d’arrêt européen (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi, C‑241/15, EU:C:2016:385, point 53).

30      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la notion de « décision judiciaire », au sens de la décision‑cadre 2002/584, ne se limite pas à désigner les seules décisions adoptées par les juges ou les juridictions d’un État membre, mais doit s’entendre comme désignant, plus largement, les décisions adoptées par les autorités participant à l’administration de la justice pénale de cet État membre, telles que le parquet autrichien, à la différence, notamment, des ministères ou des services de police, qui relèvent du pouvoir exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 50].

31      Cela étant, les décisions relatives à l’émission d’un mandat d’arrêt européen doivent comprendre les garanties propres aux décisions judiciaires, notamment celles résultant des droits fondamentaux visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584.

32      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la décision-cadre 2002/584 vise à instaurer un système simplifié de remise directement entre autorités judiciaires, destiné à se substituer à un système de coopération classique entre États souverains, lequel implique l’intervention et l’appréciation du pouvoir politique, aux fins d’assurer la libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 65].

33      Dans ce cadre, lorsqu’un mandat d’arrêt européen est émis en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales, cette personne doit avoir bénéficié, à un premier stade de la procédure, des garanties procédurales et des droits fondamentaux, dont la protection doit être assurée par les autorités judiciaires de l’État membre d’émission, selon le droit national applicable, notamment en vue de l’adoption d’un mandat d’arrêt national [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 66].

34      La Cour a ainsi considéré que le système de mandat d’arrêt européen comporte une protection à deux niveaux des droits en matière de procédure et des droits fondamentaux dont doit bénéficier la personne recherchée, dès lors que, à la protection judiciaire prévue au premier niveau, lors de l’adoption d’une décision nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, s’ajoute celle devant être assurée au second niveau, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, laquelle peut intervenir, le cas échéant, dans des délais brefs, après l’adoption de ladite décision judiciaire nationale [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 67].

35      En outre, il convient de rappeler que, étant donné que l’émission d’un mandat d’arrêt européen est de nature à porter atteinte au droit à la liberté de la personne concernée, consacré à l’article 6 de la Charte, cette protection implique qu’une décision satisfaisant aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective soit adoptée, à tout le moins, à l’un des deux niveaux de ladite protection [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 68].

36      À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la satisfaction de ces exigences permet de garantir à l’autorité judiciaire d’exécution que la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales est fondée sur une procédure nationale soumise à un contrôle juridictionnel et que la personne recherchée a bénéficié des garanties résultant des droits fondamentaux et des principes juridiques fondamentaux visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584 [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 70].

37      En deuxième lieu, le contrôle effectué lors de l’adoption d’un mandat d’arrêt doit comprendre l’examen du respect des conditions nécessaires à l’émission de ce mandat d’arrêt ainsi que du point de savoir si, au regard des spécificités de chaque espèce, ladite émission revêt un caractère proportionné [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 71].

38      En troisième lieu, ce contrôle doit être exercé de façon objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge, ainsi que de manière indépendante, ce qui présuppose l’existence de règles statutaires et organisationnelles propres à exclure tout risque que l’adoption d’une décision d’émettre un tel mandat d’arrêt soit soumise à des instructions extérieures, notamment de la part du pouvoir exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, points 73 et 74].

39      En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit autrichien prévoit que, tant dans le cadre de la décision relative à l’émission d’un mandat d’arrêt national que dans le cadre de celle relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, les parquets de la République d’Autriche ordonnent l’arrestation par voie de mandat d’arrêt, lequel est homologué, afin de pouvoir être transmis, par un tribunal qui effectue, à cet égard, un contrôle des conditions d’émission ainsi que de la proportionnalité de celui-ci. La décision d’homologation est susceptible de recours juridictionnel.

40      En outre, il est constant que les tribunaux chargés de l’homologation des mandats d’arrêt européens répondent à l’exigence d’objectivité et d’indépendance. En revanche, s’agissant des parquets autrichiens, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux parquets que ceux-ci sont directement subordonnés aux parquets généraux et soumis à leur injonction et que ces derniers le sont, à leur tour, au ministre fédéral de la Justice. Or, étant donné que l’indépendance requise exige qu’il existe des règles statutaires et organisationnelles propres à garantir que l’autorité judiciaire d’émission ne soit pas exposée, dans le cadre de l’adoption d’un mandat d’arrêt européen, à un quelconque risque d’être soumise notamment à une instruction individuelle de la part du pouvoir exécutif, les parquets autrichiens ne sauraient être considérés comme répondant à cette exigence [voir, par analogie, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, points 74 et 84].

41      Se pose, dès lors, la question de savoir si, dans ces conditions, les décisions relatives à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, adoptées conformément au système autrichien, peuvent être considérées comme répondant aux exigences minimales dont dépend leur validité en ce qui concerne l’objectivité et l’indépendance du contrôle effectué lors de l’adoption de ces décisions, évoquées au point 38 du présent arrêt.

42      Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que la notion de « décision » doit être comprise comme visant l’acte sous la forme qu’il revêt lors de son exécution. En effet, c’est à ce moment et dans cette forme que la décision d’émettre le mandat d’arrêt européen est susceptible d’empiéter sur le droit à la liberté de la personne recherchée.

43      En l’occurrence, tout d’abord, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que la décision d’émettre un mandat d’arrêt national ainsi que celle d’émettre un mandat d’arrêt européen doivent, en vertu, respectivement, de l’article 171, paragraphe 1, du code de procédure pénale et de l’article 29, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la coopération judiciaire en matière pénale, obligatoirement faire l’objet d’une homologation par un tribunal avant leur transmission. Ainsi, en l’absence d’homologation des décisions du parquet, les mandats d’arrêt ne produisent pas d’effets juridiques et ne peuvent pas être transmis, ce qui a été confirmé lors de l’audience par le gouvernement autrichien.

44      Ensuite, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de la procédure d’homologation, le tribunal contrôle les conditions nécessaires à l’émission du mandat d’arrêt concerné ainsi que la proportionnalité de celui-ci en tenant compte des spécificités de chaque cas d’espèce. À cet égard, dans ses observations ainsi que lors de l’audience devant la Cour, le gouvernement autrichien a précisé que, d’une part, d’éventuelles instructions de la part du pouvoir exécutif doivent être formulées par écrit et versées au dossier répressif qui est transmis dans son intégralité au juge chargé de l’homologation. D’autre part, le contrôle de proportionnalité effectué par ce juge porte, dans le cadre de l’homologation d’un mandat d’arrêt national, sur les effets de la seule privation de liberté provoqués par celui-ci ainsi que, dans le cadre de l’homologation d’un mandat d’arrêt européen, sur l’empiètement sur les droits de la personne concernée qui va au-delà des atteintes au droit à la liberté de celle-ci déjà examinées. En effet, le tribunal chargé de l’homologation d’un mandat d’arrêt européen est tenu de prendre en compte, notamment, les effets de la procédure de remise et du transfèrement de la personne concernée demeurant dans un État membre autre que la République d’Autriche sur les relations sociales et familiales de cette personne.

45      Enfin, il ressort de l’article 105, paragraphe 2, du code de procédure pénale que le tribunal chargé de l’homologation des mandats d’arrêt n’est pas lié par les résultats de l’enquête conduite par les parquets et ne doit pas se limiter aux indications et aux motifs de l’injonction exposés par ceux-ci. À cet égard, le gouvernement autrichien a confirmé, lors de l’audience devant la Cour, que le tribunal chargé de l’homologation des mandats d’arrêt peut ordonner, à tout moment, des enquêtes complémentaires ou les accomplir lui-même.

46      Il apparaît, dès lors, que l’émission d’un mandat d’arrêt européen est, en vertu du droit autrichien, soumise dans son intégralité à un contrôle objectif et indépendant de la part d’un tribunal qui exerce à cet égard un contrôle complet portant sur les conditions d’émission de ce mandat d’arrêt ainsi que sur sa proportionnalité. Ce n’est qu’après l’homologation du mandat d’arrêt concerné par ce tribunal que ce mandat d’arrêt produit des effets juridiques et peut être transmis. Or, en ce qu’il intervient systématiquement d’office avant que le mandat d’arrêt ne produise des effets juridiques et ne puisse être transmis, un tel contrôle se distingue d’un droit à un recours, tel que celui visé aux points 85 à 87 de l’arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456), qui n’intervient qu’a posteriori et sur demande de la personne concernée.

47      En outre, ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 73 de ses conclusions, il ressort du dossier soumis à la Cour que le tribunal chargé de l’homologation d’un mandat d’arrêt européen exerce son contrôle de manière indépendante ainsi qu’en pleine connaissance de toute instruction qui a éventuellement été émise au préalable et adopte, à l’issue de ce contrôle, une décision autonome par rapport à la décision du parquet, allant au-delà d’une simple confirmation de la légalité de cette décision.

48      Dans ces conditions, la décision relative au mandat d’arrêt européen telle qu’elle sera transmise doit être considérée comme satisfaisant aux exigences d’objectivité et d’indépendance du contrôle effectué lors de l’adoption de cette décision, évoquées au point 38 du présent arrêt.

49      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que la notion de « mandat d’arrêt européen », visée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, doit être interprétée en ce sens que relèvent de cette notion les mandats d’arrêt européens émis par les parquets d’un État membre, bien que ces parquets soient exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’émission de ces mandats d’arrêt, pour autant que lesdits mandats d’arrêt font l’objet, obligatoirement, afin de pouvoir être transmis par lesdits parquets, d’une homologation par un tribunal qui contrôle de façon indépendante et objective, en ayant accès à l’intégralité du dossier répressif auquel sont versés d’éventuels ordres ou instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, les conditions d’émission ainsi que la proportionnalité de ces mêmes mandats d’arrêt, adoptant ainsi une décision autonome qui leur donne leur forme définitive.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

La notion de « mandat d’arrêt européen », visée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprétée en ce sens que relèvent de cette notion les mandats d’arrêt européens émis par les parquets d’un État membre, bien que ces parquets soient exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’émission de ces mandats d’arrêt, pour autant que lesdits mandats d’arrêt font l’objet, obligatoirement, afin de pouvoir être transmis par lesdits parquets, d’une homologation par un tribunal qui contrôle de façon indépendante et objective, en ayant accès à l’intégralité du dossier répressif auquel sont versés d’éventuels ordres ou instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, les conditions d’émission ainsi que la proportionnalité de ces mêmes mandats d’arrêt, adoptant ainsi une décision autonome qui leur donne leur forme définitive.


Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.