Language of document : ECLI:EU:C:2019:586

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

10 juillet 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transport – Espace ferroviaire unique européen – Directive 2012/34/UE – Article 3 – Notion d’“infrastructure ferroviaire” – Annexe II – Prestations minimales – Inclusion de l’utilisation des quais à voyageurs »

Dans l’affaire C‑210/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Schienen-Control Kommission (commission de contrôle ferroviaire, Autriche), par décision du 19 février 2018, parvenue à la Cour le 23 mars 2018, dans la procédure

WESTbahn Management GmbH

contre

ÖBB-Infrastruktur AG,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. J. Malenovský et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour WESTbahn Management GmbH, par Me R. Schender, Rechtsanwalt,

–        pour ÖBB-Infrastruktur AG, par Me K. Retter, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes I. Cohen et A.-L. Desjonquères, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Braun et Mme J. Hottiaux, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 mars 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’annexe II de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant WESTbahn Management GmbH à ÖBB-Infrastruktur AG au sujet de la légalité des redevances exigées par cette dernière pour l’utilisation, par WESTbahn Management, de quais à voyageurs dans des stations de chemins de fer.

 Le cadre juridique

 Le règlement (CEE) no 2598/70

3        La partie A de l’annexe 1 du règlement (CEE) no 2598/70 de la Commission, du 18 décembre 1970, relatif à la fixation du contenu des différentes positions des schémas de comptabilisation de l’annexe I du règlement (CEE) no 1108/70 du Conseil, du 4 juin 1970 (JO 1970, L 278, p. 1), prévoyait :

« L’infrastructure ferroviaire se compose des éléments suivants, pour autant qu’ils font partie des voies principales et des voies de service, à l’exception de celles situées à l’intérieur des ateliers de réparation du matériel et des dépôts ou garages d’engins de traction, ainsi que des embranchements particuliers :

[...]

–        [...] quais à voyageurs et à marchandises ;

[...] »

 La directive 91/440/CEE

4        L’article 3 de la directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires (JO 1991, L 237, p. 25), disposait :

« Aux fins de la présente directive on entend par :

[...]

–        “infrastructure ferroviaire” : l’ensemble des éléments visés à l’annexe [1] partie A du [règlement no 2598/70] [...] ;

[...] »

 La directive 2001/14/CE

5        L’annexe II de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire (JO 2001, L 75, p. 29), était rédigé comme suit :

« Services à fournir aux entreprises ferroviaires

1.      L’ensemble des prestations minimales comprend :

a)      le traitement des demandes de capacités de l’infrastructure ;

b)      le droit d’utiliser les capacités accordées ;

c)      l’utilisation des branchements et aiguilles du réseau ;

d)      la régulation de la circulation des trains comprenant la signalisation, la régulation, le dispatching, ainsi que la communication et la fourniture d’informations concernant la circulation des trains ;

e)      toute autre information nécessaire à la mise en œuvre ou à l’exploitation du service pour lequel les capacités ont été accordées.

2.      L’accès par le réseau aux infrastructures de services et les services fournis portent sur :

[...]

c)      les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures ;

[...] »

 La directive 2012/34

6        Les considérants 3, 7, 8, 26 et 65 de la directive 2012/34 énoncent :

« (3)      Il importe d’améliorer l’efficacité du système ferroviaire afin de l’intégrer dans un marché compétitif tout en prenant en compte les aspects spécifiques des chemins de fer.

[...]

(7)      Il convient que le principe de la libre prestation de services soit appliqué au secteur ferroviaire, en tenant compte des caractéristiques spécifiques de ce secteur.

(8)      Pour stimuler la concurrence dans le domaine de l’exploitation des services de transport ferroviaire en vue de l’amélioration du confort et des services rendus aux usagers, il convient que les États membres gardent la responsabilité générale du développement d’une infrastructure ferroviaire appropriée.

[...]

(26)      Pour assurer une concurrence équitable entre les entreprises ferroviaires ainsi qu’une totale transparence, un accès aux services et leur mise à disposition de manière non discriminatoire, il convient d’opérer une distinction entre l’exploitation des services de transport et la gestion des installations de service. [...]

[...]

(65)      Il est souhaitable de définir les composantes du service d’infrastructure qui sont essentielles pour permettre à un exploitant de fournir un service et qui doivent être assurées en contrepartie de redevances d’accès minimales. »

7        L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit, à ses points 1 à 3 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)      “entreprise ferroviaire”, toute entreprise à statut privé ou public et titulaire d’une licence conformément à la présente directive, dont l’activité principale est la fourniture de prestations de transport de marchandises et/ou de voyageurs par chemin de fer, la traction devant obligatoirement être assurée par cette entreprise ; ce terme recouvre aussi les entreprises qui assurent uniquement la traction ;

2)      “gestionnaire de l’infrastructure”, toute entité ou entreprise chargée notamment de l’établissement, de la gestion et de l’entretien de l’infrastructure ferroviaire, y compris la gestion du trafic, et du système de signalisation et de contrôle-commande ; les fonctions de gestionnaire de l’infrastructure sur tout ou partie d’un réseau peuvent être attribuées à plusieurs entités ou entreprises ;

3)      “infrastructure ferroviaire”, l’ensemble des éléments visés à l’annexe I ».

8        L’article 13 de ladite directive, intitulé « Conditions d’accès aux services », dispose, à ses paragraphes 1, 2 et 4 :

« 1.      Les gestionnaires de l’infrastructure fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, l’ensemble des prestations minimales établies à l’annexe II, point 1.

2.      Les exploitants d’installations de service fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, un accès, y compris aux voies d’accès, aux infrastructures visées à l’annexe II, point 2, et aux services offerts dans ces infrastructures.

[...]

4.      Les demandes d’accès à l’installation de service, et de fourniture de services dans ladite installation visée à l’annexe II, point 2, introduites par les entreprises ferroviaires sont traitées dans un délai raisonnable fixé par l’organisme de contrôle visé à l’article 55. De telles demandes ne peuvent être refusées que s’il existe des alternatives viables permettant aux entreprises ferroviaires d’exploiter le service de fret ou de transport de voyageurs concerné sur le même trajet ou sur un itinéraire de substitution dans des conditions économiquement acceptables. [...] »

9        L’article 31 de la même directive, intitulé « Principes de tarification », énonce, à ses paragraphes 3 et 7 :

« 3.      Sans préjudice des paragraphes 4 ou 5 du présent article ou de l’article 32, les redevances perçues pour l’ensemble des prestations minimales et pour l’accès à l’infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire.

[...]

7.      La redevance imposée pour l’accès aux voies dans le cadre des installations de service visées à l’annexe II, point 2, et la fourniture de services dans ces installations, ne dépasse pas le coût de leur prestation majoré d’un bénéfice raisonnable. »

10      L’annexe I de la directive 2012/34, portant la « Liste des éléments de l’infrastructure ferroviaire », est ainsi libellée :

« L’infrastructure ferroviaire se compose des éléments suivants, pour autant qu’ils fassent partie des voies principales et des voies de service, à l’exception de celles situées à l’intérieur des ateliers de réparation du matériel et des dépôts ou garages d’engins de traction, ainsi que des embranchements particuliers :

[...]

–        [...] quais à voyageurs et à marchandises, y compris dans les gares de voyageurs et les terminaux de marchandises [...],

[...] »

11      L’annexe II de cette directive, contenant la liste des « Services à fournir aux entreprises ferroviaires (visés à l’article 13) », est rédigée dans les termes suivants :

« 1.      L’ensemble des prestations minimales comprend :

[...]

c)      l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, y compris les branchements et aiguilles du réseau ;

[...]

2.      L’accès, y compris l’accès aux voies, est fourni aux installations de service suivantes, lorsqu’elles existent, et aux services offerts dans ces installations :

a)      les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures, y compris l’affichage d’informations sur les voyages et les emplacements convenables prévus pour les services de billetterie ;

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      ÖBB-Infrastruktur est un « gestionnaire de l’infrastructure », au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2012/34, qui gère la plus grande partie du réseau ferroviaire autrichien.

13      WESTbahn Management, qui est une « entreprise ferroviaire », au sens de l’article 3, point 1, de cette directive, sollicite auprès d’ÖBB-Infrastruktur l’arrêt des trains à des stations de chemin de fer du réseau ferroviaire autrichien.

14      Considérant que la redevance exigée par ÖBB-Infrastruktur pour l’utilisation de ces stations de chemin de fer était trop élevée, WESTbahn Management a introduit une réclamation portant sur la légalité de cette redevance devant la Schienen-Control Kommission (commission de contrôle ferroviaire, Autriche), en tant qu’organisme de contrôle du secteur ferroviaire autrichien.

15      Les parties en cause au principal sont en désaccord sur le point de savoir si l’utilisation des quais à voyageurs relève de l’ensemble des prestations minimales et, en particulier, de l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, au sens du point 1, sous c), de l’annexe II de la directive 2012/34, ou de l’accès aux installations de service au sens du point 2, sous a), de l’annexe II de cette directive.

16      Selon la juridiction de renvoi, ce point est décisif pour déterminer les montants autorisés de la redevance exigée pour l’utilisation des quais à voyageurs. En effet, les redevances perçues pour l’ensemble des prestations minimales sont, au sens de l’article 31, paragraphe 3, de la directive 2012/34, égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire. En revanche, conformément à l’article 31, paragraphe 7, de cette directive, les redevances exigibles pour l’accès aux voies dans le cadre des installations de service visées au point 2 de l’annexe II de ladite directive ne dépassent pas le coût de sa prestation majoré d’un bénéfice raisonnable.

17      La juridiction de renvoi considère qu’une interprétation littérale des dispositions pertinentes de la directive 2012/34 conduit à privilégier l’interprétation selon laquelle l’utilisation des quais à voyageurs relève de l’ensemble des prestations minimales et, en particulier, de l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, prévue au point 1, sous c), de l’annexe II de la directive 2012/34. En effet, cette disposition qualifie de prestation minimale « l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire » laquelle, conformément à l’annexe I, deuxième tiret, de cette directive, se compose, notamment, des « quais à voyageurs [...] y compris dans les gares de voyageurs ».

18      Cependant, il en irait autrement si l’on retenait une interprétation systématique de la directive 2012/34, selon laquelle les quais à voyageurs seraient inclus dans la catégorie comprenant les « gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures » en tant qu’installations de service au sens du point 2, sous a), de l’annexe II de cette directive, échappant ainsi à l’ensemble des prestations minimales défini au point 1 de l’annexe II de celle-ci.

19      Par ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur de la directive 2012/34, la directive 2001/14 comportait une annexe II, analogue à l’annexe II de la directive 2012/34. Toutefois, à la différence de cette dernière annexe, l’annexe II de la directive 2001/14 n’incluait pas l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire parmi les prestations minimales, de sorte que, selon la juridiction de renvoi, il était évident que les « quais à voyageurs » devaient être inclus dans la catégorie comprenant « les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures », visée au point 2, sous c), de l’annexe II de la directive 2001/14. Partant, cette juridiction estime que, si le législateur de l’Union avait voulu modifier le principe de tarification pour l’utilisation des quais à voyageurs, il l’aurait annoncé dans les considérants de la directive 2012/34, et ce d’autant qu’une telle modification impliquerait des conséquences financières importantes.

20      C’est dans ce contexte que la Schienen-Control Kommission (commission de contrôle ferroviaire, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’annexe II, point 2, sous a), de la [directive 2012/34] doit-elle être interprétée en ce sens que la catégorie “les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures” qui y est mentionnée inclut l’élément de l’infrastructure ferroviaire “quais à voyageurs” figurant à l’annexe I, deuxième tiret, de cette directive ?

2)      En cas de réponse négative à la première question :

L’annexe II, point 1, sous c), de la [directive 2012/34] doit-elle être interprétée en ce sens que la catégorie “utilisation de l’infrastructure ferroviaire” qui y est mentionnée comprend l’utilisation des quais à voyageurs figurant à l’annexe I, deuxième tiret, de cette directive ? »

 Sur les questions préjudicielles

21      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’annexe II de la directive 2012/34 doit être interprétée en ce sens que les « quais à voyageurs », visés à l’annexe I de cette directive, sont un élément de l’infrastructure ferroviaire dont l’utilisation relève de l’ensemble des prestations minimales conformément au point 1, sous c), de ladite annexe II ou constituent une installation de service au sens du point 2, sous a), de cette même annexe II.

22      Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler que, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 7 octobre 2010, Lassal, C‑162/09, EU:C:2010:592, point 49, et du 11 avril 2019, Tarola, C‑483/17, EU:C:2019:309, point 37).

23      À cet égard, il convient de constater que l’article 3, point 3, de la directive 2012/34 définit l’infrastructure ferroviaire comme l’ensemble des éléments visés à l’annexe I de cette directive.

24      Or, conformément à cette annexe I, l’infrastructure ferroviaire se compose, notamment, des « quais à voyageurs et à marchandises, y compris dans les gares de voyageurs et les terminaux de marchandises ».

25      Partant, si les quais à voyageurs font partie de l’infrastructure ferroviaire, il s’ensuit nécessairement que leur utilisation relève, conformément au point 1, sous c), de l’annexe II de la même directive, de l’« utilisation de l’infrastructure ferroviaire ».

26      Ainsi que le considère la juridiction de renvoi, il résulte donc du libellé même de ces dispositions de la directive 2012/34 que l’utilisation des quais à voyageurs relève de l’ensemble des prestations minimales défini au point 1 de l’annexe II de cette directive.

27      Une telle interprétation est confirmée tant par le contexte historique des dispositions pertinentes de la directive 2012/34 que par les objectifs poursuivis par celle-ci.

28      S’agissant du contexte historique desdites dispositions, il convient, tout d’abord, de rappeler que les « quais à voyageurs » étaient déjà compris dans la définition de l’infrastructure ferroviaire avant l’adoption de la directive 2012/34. En effet, l’article 3, troisième tiret, de la directive 91/440 définissait l’« infrastructure ferroviaire » par référence à l’ensemble des éléments visés à la partie A de l’annexe 1 du règlement no 2598/70, parmi lesquels figuraient les « quais à voyageurs ».

29      Certes, dans la mesure où, sous l’empire de l’annexe II de la directive 2001/14, l’« utilisation de l’infrastructure ferroviaire » ne figurait pas parmi les prestations minimales, l’utilisation des quais à voyageurs était susceptible de relever de l’accès aux « gares de voyageurs, [à] leurs bâtiments et [aux] autres infrastructures », au sens du point 2, sous c), de l’annexe II de la directive 2001/14.

30      Cependant, dès lors que le législateur de l’Union a, au point 1 de l’annexe II de la directive 2012/34, ajouté l’« utilisation de l’infrastructure ferroviaire » parmi les prestations minimales, il y a lieu de considérer que l’utilisation de ces quais relèvent désormais de ces prestations.

31      Ensuite, la circonstance que, lors de l’adoption de la directive 2012/34, le législateur a, à l’annexe I de celle-ci, précisé que l’infrastructure ferroviaire se compose, notamment, des quais à voyageurs, « y compris dans les gares de voyageurs », témoigne de la volonté d’opérer une distinction entre, d’une part, les quais à voyageurs et, d’autre part, les gares de voyageurs, seules ces dernières constituant des installations de service au sens du point 2, sous a), de l’annexe II de ladite directive.

32      En outre, le fait que cette annexe II n’a aucunement été modifiée par la directive (UE) 2016/2370 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, modifiant la directive 2012/34 en ce qui concerne l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer et la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire (JO 2016, L 352, p. 1), permet de conclure que le législateur de l’Union avait entendu étendre l’ensemble des prestations minimales afin d’y inclure l’utilisation des quais à voyageurs en tant qu’élément composant l’infrastructure ferroviaire.

33      Enfin, il est vrai que, comme le souligne la juridiction de renvoi, l’amplification de l’ensemble des prestations minimales opérée par la directive 2012/34 afin d’inclure dans celui-ci l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire n’a pas fait l’objet d’une motivation spécifique dans les considérants de cette directive. Cela ne saurait pour autant faire obstacle à ce que l’annexe II de ladite directive soit interprétée en ce sens que l’utilisation des quais à voyageurs relève des prestations minimales au sens de cette annexe, une jurisprudence constante ayant déjà précisé que, si un acte de portée générale fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

34      À cet égard, il y a lieu de constater que le choix opéré par le législateur de l’Union est cohérent avec la réalisation des objectifs de la directive 2012/34.

35      En effet, il ressort en particulier des considérants 3, 7, 8 et 26 de cette directive que celle-ci vise à améliorer l’efficacité du système ferroviaire afin de l’intégrer dans un marché compétitif, en stimulant notamment la concurrence équitable dans le domaine de l’exploitation des services de transport ferroviaire et en assurant l’application du principe de la libre prestation de services au secteur ferroviaire.

36      C’est précisément à ces fins que la directive 2012/34, conformément à son considérant 65, définit les composantes du service d’infrastructure qui sont essentielles pour permettre à un exploitant de fournir un service et qui doivent être assurées en contrepartie de redevances d’accès minimales.

37      Or, la réglementation des conditions d’accès et de tarification réservée à l’ensemble des prestations minimales est, compte tenu notamment du caractère essentiel de celles-ci, particulièrement favorable aux entreprises ferroviaires auxquelles les gestionnaires de l’infrastructure sont tenus de fournir ces prestations. En effet, l’article 13, paragraphe 1, et l’article 31, paragraphe 3, de la directive 2012/34 disposent que les gestionnaires de l’infrastructure sont tenus de fournir à toutes les entreprises ferroviaires l’ensemble des prestations minimales, de manière non discriminatoire, en contrepartie de redevances égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire.

38      En revanche, conformément à l’article 13, paragraphes 2 et 4, ainsi qu’à l’article 31, paragraphe 7, de cette directive, l’accès aux installations de service visées au point 2 de l’annexe II de ladite directive ne peut être refusé que s’il existe des alternatives viables et la redevance imposée pour cet accès ne peut dépasser le coût de la prestation majoré d’un bénéfice raisonnable.

39      Il s’ensuit que le choix du législateur de l’Union d’ajouter l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, y compris donc des quais à voyageurs, à l’ensemble des prestations minimales, favorise les conditions d’accès des entreprises ferroviaires au marché du transport ferroviaire et répond ainsi aux objectifs de ladite directive.

40      Par conséquent, une lecture restrictive du libellé du point 1, sous c), de l’annexe II de la directive 2012/34 priverait de tout effet utile la modification, par celle-ci, de la législation antérieure afin d’inclure l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire dans l’ensemble des prestations minimales.

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’annexe II de la directive 2012/34 doit être interprétée en ce sens que les « quais à voyageurs »,  visés à l’annexe I de cette directive, sont un élément de l’infrastructure ferroviaire dont l’utilisation relève de l’ensemble des prestations minimales, conformément au point 1, sous c), de ladite annexe II.

 Sur la limitation des effets dans le temps du présent arrêt

42      Dans ses observations écrites, ÖBB-Infrastruktur demande à la Cour de limiter les effets dans le temps du présent arrêt dans l’hypothèse où l’annexe II de la directive 2012/34 serait interprétée en ce sens que l’utilisation des quais à voyageurs relèverait de l’ensemble des prestations minimales, au sens du point 1, sous c), de ladite annexe.

43      À l’appui de sa demande, ÖBB-Infrastruktur fait observer, d’une part, le risque de troubles économiques graves résultant de la résolution même partielle des contrats conclus de bonne foi par celle-ci avec des entreprises de transport ferroviaire et, d’autre part, le fait que des États membres ainsi que la Commission européenne auraient contribué à rendre objectivement incertaine la portée des dispositions faisant l’objet de la demande de décision préjudicielle.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C‑724/17, EU:C:2019:204, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

45      Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C‑724/17, EU:C:2019:204, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

46      Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C‑724/17, EU:C:2019:204, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

47      En l’occurrence, il suffit de constater que, comme le relève en substance M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, ÖBB-Infrastruktur se limite à soutenir que, si l’utilisation des quais à voyageurs devait relever des prestations minimales, au sens du point 1, sous c), de l’annexe II de la directive 2012/34, cela aurait des conséquences sur les relations juridiques qu’elle aurait conclues de bonne foi avec des entreprises ferroviaires, dont la résolution impliquerait une charge économique excessive pour elle. Or, dans la mesure où ÖBB-Infrastruktur ne fournit à la Cour aucun élément précis quant au nombre des relations juridiques concernées ou à la nature et à l’ampleur d’une telle charge économique, une telle argumentation ne saurait suffire pour établir l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant la limitation des effets dans le temps du présent arrêt.

48      Il n’y a donc pas lieu de limiter ces effets dans le temps.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’annexe II de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen, doit être interprétée en ce sens que les « quais à voyageurs », visés à l’annexe I de cette directive, sont un élément de l’infrastructure ferroviaire dont l’utilisation relève de l’ensemble des prestations minimales, conformément au point 1, sous c), de ladite annexe II.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.