Language of document : ECLI:EU:F:2006:80

ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

17 juillet 2014 (*)

«Pourvoi – Requête devant le Tribunal de l’Union européenne signée par un ‘juris kandidat’ – Absence de représentation par un avocat – Article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Irrecevabilité manifeste du recours»

Dans l’affaire C‑101/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 février 2014,

Brown Brothers Harriman & Co., établie à New York (États-Unis), représentée par Mes P. Leander et T. Kronhöffer, advokater,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI),

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Brown Brothers Harriman & Co. demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne Brown Brothers Harriman/OHMI (TRUST IN PARTNERSHIP) (T‑389/13, EU:T:2013:691, ci‑après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme manifestement irrecevable son recours contre la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), du 25 avril 2013 (affaire R 1740/2012-1), concernant l’enregistrement international désignant l’Union européenne de la marque verbale TRUST IN PARTNERSHIP.

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 de ce statut:

«Les États membres ainsi que les institutions de l’Union sont représentés devant la Cour de justice par un agent nommé pour chaque affaire; l’agent peut être assisté d’un conseil ou d’un avocat.

Les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’‘accord EEE’)], autres que les États membres, ainsi que l’Autorité de surveillance AELE visée par ledit accord, sont représentés de la même manière.

Les autres parties doivent être représentées par un avocat.

Seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord [EEE] peut représenter ou assister une partie devant la Cour.

[…]»

3        L’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal énonce:

«L’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie.»

4        L’article 44, paragraphes 3 et 6, dudit règlement de procédure dispose:

«3.      L’avocat assistant ou représentant une partie est tenu de déposer au greffe un document de légitimation certifiant qu’il est habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE.

[…]

6.      Si la requête n’est pas conforme aux conditions énumérées aux paragraphes 3 à 5 du présent article, le greffier fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de régularisation de la requête ou de production des pièces mentionnées ci-dessus. À défaut de cette régularisation ou de cette production dans le délai imparti, le Tribunal décide si l’inobservation de ces conditions entraîne l’irrecevabilité formelle de la requête.»

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

5        La requérante a introduit son recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2013.

6        Cette requête indiquait que la requérante était représentée par MM. T. Kronhöffer et A. Zomorodian, exerçant auprès d’un même cabinet d’avocats établi à Stockholm (Suède).

7        Ladite requête était signée uniquement par l’un des deux représentants, à savoir M. Zomorodian.

8        Le 8 août 2013, le Tribunal a, en application de l’article 44, paragraphe 6, de son règlement de procédure, invité la requérante à régulariser son recours en lui demandant, notamment, de produire les documents de légitimation de ses avocats, ainsi que le prévoit l’article 44, paragraphe 3, dudit règlement.

9        Le 15 août 2013, en réponse à cette invitation, MM. Kronhöffer et Zomorodian ont fait valoir qu’ils étaient habilités à exercer en tant que «lawyers» et ont produit chacun, à cet effet, une attestation émanant de l’Association du barreau suédois (Sveriges Advokatsamfund) les concernant.

10      Le Tribunal a, par l’ordonnance attaquée, rejeté le recours comme manifestement irrecevable. Il a motivé cette ordonnance comme suit:

«9      En premier lieu, il convient d’abord de constater que, conformément à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour […], les parties autres que les États membres et les institutions de l’Union doivent être représentées devant les juridictions de l’Union par un avocat, dénommé ‘advokat’ en Suède. Selon la législation suédoise, le titre d’‘advokat’ est réservé aux personnes possédant une maîtrise en droit et qui ont été admises au barreau.

10      En outre, il ressort clairement de l’article 19, quatrième alinéa, du statut de la Cour que deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’une personne puisse valablement représenter devant les juridictions de l’Union les parties autres que les États membres et les institutions de l’Union, à savoir qu’elle soit avocat (advokat, selon la version suédoise) et qu’elle soit habilitée à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un État partie à l’accord [EEE]. Ces exigences constituent des règles substantielles de forme dont l’inobservation entraîne l’irrecevabilité du recours.

11      L’exigence imposée par l’article 19 du statut de la Cour correspond à la conception du rôle de l’avocat selon laquelle celui-ci est considéré comme collaborateur de la justice et est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. Cette protection a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l’intérêt général par les institutions habilitées à cette fin. Une telle conception répond aux traditions juridiques communes aux États membres et se retrouve également dans l’ordre juridique de l’Union, ainsi qu’il résulte, précisément de l’article 19 du statut de la Cour […]

12      À cet égard, il ressort d’une des attestations émanant du Sveriges Advokatsamfund […] que M. Z[o]morodian est un ‘juris kandidat’ et que, tout en n’étant pas membre du barreau suédois, il est habilité, selon la loi suédoise, à exercer devant les juridictions suédoises.

13      Il y est également précisé que seuls les membres du barreau suédois sont en mesure d’utiliser le titre d’‘advokat’. Le titre de ‘juris kandidat’ est obtenu à la suite de la réalisation de quatre années et demie d’études. Ce n’est qu’après trois années de pratique du droit et à la suite de la réussite de l’examen du barreau suédois qu’il est possible de demander à en être un membre, afin de se voir octroyer le droit d’exercer sous le titre d’‘advokat’.

14      Il en résulte que M. Z[o]morodian, n’étant pas inscrit au barreau suédois, n’est pas un avocat (advokat) au sens de l’article 19 du statut de la Cour. Dès lors, même s’il peut, selon la législation suédoise, représenter des parties dans le cadre de recours devant les juridictions suédoises, il ne remplit pas la première des deux conditions cumulatives de l’article 19, quatrième alinéa, du statut de la Cour, et il n’est donc pas habilité à représenter la requérante devant le Tribunal […]

15      En second lieu, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure, l’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie.

16      Cette disposition doit être interprétée comme exigeant que la signature manuscrite de l’avocat mandaté par la partie requérante figure sur l’original de la requête introductive d’instance. […]

17      […] [L]a signature manuscrite de l’avocat ou de l’agent représentant une partie, sur l’original de tout acte de procédure, est le seul moyen permettant de s’assurer que la responsabilité d’un tel acte est assumée par une personne habilitée à représenter la partie devant les juridictions de l’Union, conformément à l’article 19 du statut de la Cour […]

18      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requête introductive d’instance n’a été signée que par M. Z[o]morodian. Par conséquent, la production de la certification […] établissant que Me Kronhöffer est membre du barreau suédois depuis le 26 août 2011 […] est sans incidence sur la recevabilité du recours, étant donné que celui-ci n’a pas signé l’acte de procédure en question.»

 Les conclusions de la requérante

11      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi

12      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée.

13      Au soutien de son pourvoi, la requérante soulève, en substance, trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 19 du statut de la Cour. Par son deuxième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant qu’une requête doit être signée par deux avocats. Enfin, par son troisième moyen, elle fait valoir que le Tribunal a méconnu le principe de proportionnalité en n’admettant pas l’existence d’une erreur excusable ou d’un cas de force majeure.

 Sur le premier moyen

14      Par son premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a considéré à tort que M. Zomorodian n’est pas un «avocat» au sens de l’article 19 du statut de la Cour. Tout en admettant que, en Suède, le titre d’avocat est exclusivement réservé aux personnes admises au barreau, la requérante expose que tous les juristes d’un cabinet, qu’ils soient avocats ou collaborateurs, agissent selon les règles du barreau et sont habilités à exercer devant les juridictions suédoises.

15      Or, ainsi que le Tribunal l’a rappelé à bon droit au point 10 de l’ordonnance attaquée, une personne ne peut valablement représenter les parties visées à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour que si elle remplit deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, qu’elle ait la qualité d’avocat et, d’autre part, qu’elle soit habilitée à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE (voir, notamment, ordonnances Comunidad Autónoma de Valencia/Commission, C‑363/06 P, EU:C:2008:99, point 21, et Interspeed/Commission, C‑471/12 P, EU:C:2013:418, point 9).

16      Il est constant que, lors de la procédure devant le Tribunal, M. Zomorodian n’était pas inscrit au barreau et ne possédait donc pas le titre d’avocat. Ainsi, ce représentant de la requérante n’a pas démontré qu’il remplissait la première des deux conditions cumulatives susmentionnées (voir, par analogie, ordonnance Comunidad Autónoma de Valencia/Commission, EU:C:2008:99, points 22 et 23).

17      Dès lors, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, juger que M. Zomorodian n’était pas un «avocat» au sens de l’article 19 du statut de la Cour.

18      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme manifestement non fondé.

 Sur le deuxième moyen

19      Par son deuxième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant qu’une requête doit être signée par deux avocats.

20      Force est de constater que ce moyen repose sur une lecture erronée de l’ordonnance attaquée. Loin de juger que tant M. Zomorodian que Me Kronhöffer auraient dû signer la requête, le Tribunal a relevé qu’un recours d’une partie visée à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour est irrecevable lorsque la requête n’a été signée que par une personne n’ayant pas la qualité d’avocat.

21      Ce raisonnement du Tribunal est, par ailleurs, corroboré par la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’exigence relative à la signature par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE constitue une condition de forme substantielle, qui ne figure pas au nombre des exigences susceptibles de faire l’objet d’une régularisation après l’expiration du délai de recours conformément à l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, et dont l’inobservation entraîne l’irrecevabilité (voir, en ce sens, ordonnances Diy-Mar Insaat Sanayi ve Ticaret et Akar/Commission, C‑163/07 P, EU:C:2007:717, points 25, 26 et 37, ainsi que Interspeed/Commission, EU:C:2013:418, point 10).

22      Dès lors, le deuxième moyen doit également être rejeté comme manifestement non fondé.

 Sur le troisième moyen

23      Par son troisième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu le principe de proportionnalité en déduisant, du simple fait que Me Kronhöffer a omis de signer la requête, que le recours doit être rejeté comme irrecevable. Selon la requérante, à supposer même que M. Zomorodian n’était pas un «avocat» au sens de l’article 19 du statut de la Cour, le Tribunal aurait dû déclarer le recours recevable, eu égard à l’existence d’une erreur excusable ou d’un cas de force majeure.

24      À cet égard, il convient de rappeler que l’application stricte des règles de procédure répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir, notamment, arrêts Bell & Ross/OHMI, C‑426/10 P, EU:C:2011:612, point 43, ainsi que Gbagbo e.a./Conseil, C-478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 71).

25      Dès lors, l’inobservation d’une condition de forme substantielle par les personnes engagées pour la représentation de la requérante doit entraîner l’irrecevabilité du recours, à moins qu’il ne soit établi que cette inobservation a été inévitable eu égard à des circonstances anormales, imprévisibles et étrangères à ces personnes (voir, en ce sens, ordonnance Zuazaga Meabe/OHMI, C‑325/03 P, EU:C:2005:28, point 25, ainsi que arrêt Gbagbo e.a./Conseil, EU:C:2013:258, point 72).

26      L’existence de telles circonstances n’ayant nullement été établie en l’occurrence, le troisième moyen est également manifestement non fondé.

27      Compte tenu de ce qui précède, il convient de rejeter le présent pourvoi.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

29      Dès lors que la requérante a succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Brown Brothers Harriman & Co. est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.