Language of document : ECLI:EU:C:2002:603

ARRÊT DE LA COUR

22 octobre 2002 (1)

«Droit de la concurrence - Article 14, paragraphes 3 et 6, du règlement n° 17 - Décision de la Commission ordonnant une vérification - Assistance des autorités nationales - Interprétation de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission - Principes généraux - Protection contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne morale - Portée du contrôle incombant à la juridiction nationale compétente pour autoriser des mesures de contrainte à l'encontre des entreprises - Devoir d'information de la Commission - Coopération loyale»

Dans l'affaire C-94/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la Cour de cassation (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Roquette Frères SA

et

Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,

en présence de:

Commission des Communautés européennes ,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859),

LA COUR,

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola (rapporteur), P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, et MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. J. Mischo,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

-     pour Roquette Frères SA, par Mes O. Prost et A. Choffel, avocats,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Marenco et Mme F. Siredey-Garnier, en qualité d'agents,

-    pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger et M. F. Million, en qualité d'agents,

-    pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,

-    pour le gouvernement hellénique, par Mme A. Samoni-Rantou et M. G. Karipsiadis, en qualité d'agents,

-    pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de Mme F. Quadri, avvocato dello Stato,

-    pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. J. Turner, barrister,

-    pour le gouvernement norvégien, par M. H. Seland, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Roquette Frères SA, représentée par Mes O. Prost et A. Choffel, de la Commission, représentée par M. G. Marenco et Mme F. Siredey-Garnier, du gouvernement français, représenté par M. R. Abraham, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté par Mme A. Samoni-Rantou et M. G. Karipsiadis, du gouvernement italien, représenté par M. M. Greco, en qualité d'agent, et du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. J. E. Collins et J. Turner, à l'audience du 10 juillet 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 septembre 2001,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par arrêt du 7 mars 2000, parvenu à la Cour le 13 mars suivant, la Cour de cassation a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859).

2.
    Ces questions ont été soulevées à l'occasion de l'examen d'un pourvoi introduit par Roquette Frères SA (ci-après «Roquette Frères») contre une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lille (France) autorisant des opérations de visite et de saisie dans les locaux de cette société en vue de recueillir des preuves de sa participation éventuelle à des accords et/ou à des pratiques concertées susceptibles de constituer une infraction à l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE).

Le cadre juridique

Le règlement n° 17

3.
    L'article 14 du règlement n° 17 confère à la Commission des pouvoirs de vérification en vue d'enquêter sur d'éventuelles infractions aux règles de concurrence applicables aux entreprises. Aux termes de cette disposition:

«1.    [...]

    [...] les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après:

    

    a) contrôler les livres et autres documents professionnels;

    b) prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;

    c) demander sur place des explications orales;

    d) accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.

[...]

3.    Les entreprises et associations d'entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l'objet et le but de la vérification, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, alinéa c), et à l'article 16, paragraphe 1, alinéa d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

[...]

6.    Lorsqu'une entreprise s'oppose à une vérification ordonnée en vertu du présent article, l'État membre intéressé prête aux agents mandatés par la Commission l'assistance nécessaire pour leur permettre d'exécuter leur mission de vérification. À cette fin, les États membres prennent, avant le 1er octobre 1962 et après consultation de la Commission, les mesures nécessaires.»

Le droit national

4.
    En France, les procédures de vérification dans le domaine de la concurrence sont régies par l'ordonnance n° 86-1243, du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (JORF du 9 décembre 1986, p. 14773, ci-après l'«ordonnance relative à la concurrence»).

5.
    L'article 48 de l'ordonnance relative à la concurrence dispose:

«Les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous locaux, ainsi qu'à la saisie de documents, que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'économie ou le Conseil de la concurrence et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance [...]

Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite.

[...] Il désigne un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.

[...]»

6.
    Aux fins d'éclairer la portée de cette disposition, la juridiction de renvoi indique que, par décision du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel (France) a jugé que des investigations dans des lieux privés ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution, lequel confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle et, notamment, de l'inviolabilité du domicile. Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions légales applicables à cet égard doivent assigner de façon explicite à la juridiction compétente la mission de vérifier, de manière concrète, le bien-fondé de la demande qui lui est soumise.

7.
    Il résulte de l'article 56 bis de l'ordonnance relative à la concurrence que les prescriptions de l'article 48 de ladite ordonnance sont applicables en cas de demande d'assistance de la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17.

Le cadre factuel et procédural du litige au principal et les questions préjudicielles

8.
    Roquette Frères exerce une activité de commercialisation de gluconate de sodium et de glucono-delta-lactone.

9.
    Le 10 septembre 1998, la Commission a adopté, sur le fondement de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, une décision ordonnant à Roquette Frères de se soumettre à une vérification (ci-après la «décision de vérification du 10 septembre 1998»).

10.
    L'article 1er du dispositif de cette décision est ainsi libellé:

«L'entreprise Roquette Frères SA est tenue de se soumettre à une vérification portant sur sa participation éventuelle à des accords et/ou pratiques concertées dans les domaines du gluconate de sodium et du glucono-delta-lactone, susceptibles de constituer une infraction à l'article 85 du traité CE. La vérification peut avoir lieu dans tous les établissements de cette entreprise.

L'entreprise permettra aux agents mandatés par la Commission pour procéder à la vérification, et aux agents de l'État membre qui les assistent, d'accéder à tous ses locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures normales d'ouverture des bureaux. L'entreprise présentera pour contrôle les livres et autres documents professionnels requis par lesdits agents; elle leur permettra de contrôler ses livres et autres documents professionnels aux endroits où ils se trouvent et d'en prendre copie ou extrait. En outre, elle leur fournira immédiatement toutes les explications orales que lesdits agents pourraient demander en relation avec l'objet de la vérification.»

11.
    Les motifs de la décision de vérification du 10 septembre 1998 énoncent ce qui suit:

«Le destinataire de la présente décision est actif dans le domaine du gluconate de sodium. Le gluconate de sodium est utilisé, entre autres, comme produit de nettoyage industriel, pour le traitement de surface des métaux, la production de substances chimiques textiles ainsi que comme retardateur de prise dans l'industrie des bétons.

La Commission dispose d'informations selon lesquelles des responsables de l'entreprise visée auraient tenu des réunions régulières avec des concurrents, au cours desquelles des parts du marché du gluconate de sodium auraient été allouées et des prix minimums convenus vis-à-vis des utilisateurs des diverses régions du marché. Les niveaux de ventes, totales et relatives aux diverses régions, auraient aussi été fixés. Chaque réunion aurait donné lieu à l'évaluation du degré d'observance des accords. Toute entreprise ayant dépassé les ventes qui lui étaient accordées devait, semble-t-il, essayer de réduire ses ventes au cours de la période suivante.

Le destinataire de la présente décision est aussi producteur de glucono-delta-lactone. Le glucono-delta-lactone est utilisé dans la production du fromage, de produits à base de viande ainsi que du tofu.

La Commission dispose d'informations selon lesquelles les contacts en question avec des concurrents se seraient étendus aussi au glucono-delta-lactone. Il se serait agi en particulier de conversations bi- ou multilatérales, qui se seraient tenues souvent en marge (avant, après ou lors de pauses) des réunions concernant le gluconate de sodium. Les participants auraient, à cette occasion, échangé des informations sur le marché, sur les prix du marché ainsi que sur la situation de la demande. Ils auraient aussi tenu des conversations sur les capacités de production et les volumes de vente. Les contacts auraient visé le contrôle des prix et étaient, semble-t-il, de nature à provoquer une coordination du comportement des participants sur le marché.

Si leur existence était établie, les accords et/ou les pratiques concertées susvisés pourraient constituer une infraction grave à l'article 85 du traité instituant la Communauté européenne. La nature même de tels accords et/ou pratiques concertées donne à penser qu'il seraient appliqués selon des modalités secrètes et qu'une vérification est à cet égard le moyen le plus approprié pour recueillir des éléments de preuve de leur existence.

Pour permettre à la Commission de prendre connaissance de tous les éléments de fait concernant les éventuels accords et/ou pratiques concertées et du contexte dans lequel ils s'insèrent, il est donc nécessaire de procéder à une vérification en vertu de l'article 14 du règlement n° 17.

Le destinataire de la présente décision est susceptible de détenir des informations nécessaires à la Commission pour la poursuite de son enquête dans le cadre de l'affaire décrite ci-dessus.

Afin de préserver l'efficacité de la vérification, il est nécessaire que l'entreprise n'en soit pas informée à l'avance.

Il est donc nécessaire de contraindre l'entreprise, par voie de décision, à se soumettre à une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.»

12.
    La Commission a demandé au gouvernement français de prendre les mesures nécessaires pour que l'assistance des autorités nationales, prévue à l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, soit assurée en cas d'opposition de Roquette Frères à la vérification ainsi projetée.

13.
    À la suite de cette demande, les services administratifs compétents ont, le 14 septembre 1998, introduit une requête devant le président du tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir à l'égard de Roquette Frères l'autorisation de visite et de saisie prévue aux articles 48 et 56 bis de l'ordonnance relative à la concurrence. Étaient, pour l'essentiel, annexés à ladite requête une copie de la décision de vérification du 10 septembre 1998 et le texte de l'arrêt Hoechst/Commission, précité.

14.
    Le président du tribunal de grande instance de Lille a fait droit à cette requête par ordonnance du même jour (ci-après l'«ordonnance d'autorisation»).

15.
    L'ordonnance d'autorisation a été notifiée le 16 septembre 1998. Les opérations de vérification ont eu lieu les 16 et 17 septembre 1998. Roquette Frères a coopéré auxdites vérifications tout en émettant des réserves quant à la prise de copies d'un certain nombre de documents.

16.
    Dans son pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation, Roquette Frères fait valoir que le président du tribunal de grande instance de Lille ne pouvait ordonner des visites domiciliaires sans s'être, au préalable, assuré, au vu de pièces qu'était tenue de lui fournir l'administration, qu'il existait bien des présomptions sérieuses de pratiques anticoncurrentielles de nature à justifier l'octroi de pouvoirs de contrainte.

17.
    Dans l'arrêt de renvoi, la Cour de cassation constate qu'aucun élément d'information ou indice permettant de présumer l'existence des pratiques anticoncurrentielles suspectées n'a été présenté au président du tribunal de grande instance de Lille, ce qui le mettait dans l'impossibilité de vérifier, de façon concrète, le bien-fondé de la demande qui lui avait été soumise. Elle relève également que, dans la décision de vérification du 10 septembre 1998, la Commission se borne à indiquer qu'elle dispose d'informations selon lesquelles Roquette Frères se livrerait aux pratiques anticoncurrentielles qu'elle décrit, sans se référer, en les analysant, même succinctement, aux informations qu'elle affirme ainsi détenir et sur lesquelles elle fonde son appréciation.

18.
    Exposant les caractéristiques du contrôle dont doit s'acquitter la juridiction française compétente en vertu de l'article 48 de l'ordonnance relative à la concurrence et de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1983 mentionnée au point 6 du présent arrêt, la Cour de cassation rappelle, à cet égard, qu'il ressort de l'arrêt Hoechst/Commission, précité, que, dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs de vérification, la Commission est tenue de respecter les garanties procédurales prévues par le droit national.

19.
    La Cour de cassation se réfère, en outre, aux points 17 et 18 de l'arrêt Hoechst/Commission, précité, selon lesquels il n'existe pas de principe général de droit communautaire consacrant le droit à l'inviolabilité du domicile des entreprises ni de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme déduisant un tel principe de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).

20.
    La Cour de cassation observe toutefois, à cet égard, que, dans son arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992 (série A n° 251-B), qui est postérieur à l'arrêt Hoechst/Commission, précité, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l'article 8 de la CEDH est susceptible de s'appliquer à certaines activités ou à certains locaux professionnels ou commerciaux. La Cour de cassation fait de même référence à l'article 6, paragraphe 2, UE, qui impose à l'Union européenne le respect des droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire, ainsi qu'à l'article 46, sous d), UE, qui prévoit que ledit article 6, paragraphe 2, relève du domaine de la compétence de la Cour de justice.

21.
    C'est dans ces conditions que la Cour de cassation a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    Eu égard aux droits fondamentaux reconnus par l'ordre juridique communautaire et à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'arrêt Hoechst rendu le 21 septembre 1989 doit-il être interprété en ce sens que le juge national, compétent en vertu de son droit national pour ordonner des visites et saisies des agents de l'administration dans des locaux d'entreprises en matière de concurrence, ne peut refuser d'accorder l'autorisation demandée lorsqu'il estime que les éléments d'information ou indices qui lui sont présentés comme laissant présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles de la part des entreprises visées dans la décision de vérification de la Commission sont insuffisants pour autoriser une telle mesure ou lorsque, comme en l'espèce, aucun élément ou indice ne lui a été présenté?

2)    Dans l'hypothèse où la Cour de justice refuserait de reconnaître l'obligation pour la Commission de présenter au juge national compétent les indices et éléments d'information dont elle dispose et laissant présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, ce juge est-il néanmoins compétent, eu égard aux droits fondamentaux précités, pour refuser d'accorder les visites et saisies sollicitées lorsqu'il estime que la décision de la Commission, comme en l'espèce, n'est pas suffisamment motivée et ne lui permet pas de vérifier, de façon concrète, le bien-fondé de la demande qui lui est soumise, le mettant ainsi dans l'impossibilité d'exercer le contrôle exigé par son droit constitutionnel national?»

Sur l'incidence des principes généraux du droit communautaire

22.
    Ainsi qu'il ressort de l'arrêt de renvoi, la Cour de cassation s'interroge sur l'influence éventuelle que pourraient avoir sur les principes dégagés par la Cour dans l'arrêt Hoechst/Commission, précité, et, partant, sur les réponses aux questions préjudicielles qu'elle formule, certains développements intervenus, postérieurement au prononcé de ce dernier arrêt, dans le domaine de la protection des droits fondamentaux.

23.
    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêts Hoechst/Commission, précité, point 13, et du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274/99 P, Rec. p. I-1611, point 37).

24.
    Comme l'a également indiqué la Cour, les principes dégagés par cette jurisprudence ont été réaffirmés par le préambule de l'Acte unique européen, puis par l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 79). Ils se trouvent désormais repris à l'article 6, paragraphe 2, UE (arrêt Connolly/Commission, précité, point 38).

25.
    Par ailleurs, il résulte de même de la jurisprudence constante de la Cour que, saisie à titre préjudiciel, cette dernière doit, lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, tels qu'ils résultent en particulier, de la CEDH (voir, notamment, arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925, point 42, et du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland, C-159/90, Rec. p. I-4685, point 31).

26.
    Les questions préjudicielles portant en substance sur l'étendue du contrôle susceptible d'être exercé par la juridiction d'un État membre lorsque ce dernier est appelé à donner suite à une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, il s'ensuit que la Cour est bien compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation par celle-ci de la conformité de la réglementation nationale applicable aux fins dudit contrôle avec le droit communautaire, y inclus, le cas échéant, les droits consacrés par la CEDH en tant que principes généraux du droit dont la Cour assure le respect.

27.
    À cet égard, il convient de rappeler que, au point 19 de l'arrêt Hoechst/Commission, précité, la Cour a reconnu que l'exigence d'une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne, qu'elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées constitue un principe général du droit communautaire.

28.
    La Cour a de même précisé que le respect de ce principe général s'impose aux autorités compétentes des États membres lorsqu'elles sont appelées à donner suite à une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 (voir arrêt Hoechst/Commission, précité, points 19 et 33).

29.
    Lors de la détermination de la portée dudit principe, en ce qui concerne la protection des locaux commerciaux des sociétés, il convient de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme postérieure à l'arrêt Hoechst/Commission, précité, jurisprudence dont il ressort, d'une part, que la protection du domicile dont il est question à l'article 8 de la CEDH peut être étendue, dans certaines circonstances, auxdits locaux (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Colas Est e.a. c. France du 16 avril 2002, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, § 41) et, d'autre part, que le droit d'ingérence autorisé par l'article 8, paragraphe 2, de la CEDH «pourrait fort bien aller plus loin pour des locaux ou activités professionnels ou commerciaux que dans d'autres cas» (arrêt Niemietz c. Allemagne, précité, § 31).

Sur l'obligation de coopération loyale

30.
    Aux fins d'apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de tenir compte des exigences découlant de l'obligation de coopération loyale consacrée par l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE).

31.
    Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, une obligation de coopération loyale s'impose tant aux autorités juridictionnelles des États membres agissant dans le cadre de leurs compétences (voir, notamment, arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, 14/83, Rec. p. 1891, point 26, et du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, 80/86, Rec. p. 3969, point 12) qu'aux institutions communautaires, qui sont tenues à des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres (voir, notamment, arrêt du 10 février 1983, Luxembourg/Parlement, 230/81, Rec. p. 255, point 38, et ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C-2/88 IMM, Rec. p. I-3365, point 17).

32.
    Il y a lieu de souligner à cet égard que, lorsque, comme en l'occurrence, les autorités communautaires et nationales sont appelées à concourir à la réalisation des objectifs du traité par un exercice coordonné de leurs compétences respectives, une telle coopération revêt un caractère particulièrement essentiel.

Sur les questions préjudicielles

33.
    Par ses deux questions qu'il y lieu a d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard du droit communautaire, une juridiction nationale, compétente en vertu du droit interne pour autoriser des visites et des saisies dans les locaux d'entreprises suspectées d'infractions aux règles de concurrence, peut, en présence d'une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17:

-    refuser l'octroi d'une autorisation de visite, au motif que les éléments ou les indices figurant au dossier de la Commission et sur lesquels reposent les soupçons de cette dernière ne lui ont pas été présentés ou que de tels éléments et indices sont insuffisants pour justifier la mesure ainsi sollicitée;

-    ou encore, à défaut pour une telle juridiction nationale d'être fondée à obtenir la présentation desdits éléments et indices, refuser l'octroi d'une telle autorisation au motif que les informations ressortant de la motivation de la décision de la Commission ordonnant une vérification sont insuffisantes pour permettre à ladite juridiction de vérifier, de façon concrète, le bien-fondé des mesures sollicitées, comme elle y est pourtant tenue en vertu de dispositions de droit interne.

34.
    En vue de répondre à ces questions, il convient, à titre liminaire, de rappeler qu'il ressort de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 que c'est à chaque État membre qu'il appartient de régler les conditions dans lesquelles l'assistance des autorités nationales aux agents de la Commission est fournie. Il en résulte, notamment, que, lorsque cette dernière entend mettre en oeuvre, avec le concours des autorités nationales, des mesures de vérification sans la collaboration des entreprises concernées, elle est tenue de respecter les garanties procédurales prévues à cet effet par le droit national (arrêt Hoechst/Commission, précité, points 33 et 34).

35.
    Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que, dans l'exercice de cette compétence, les États membres sont soumis à une double contrainte résultant du droit communautaire. Ils doivent assurer l'efficacité de l'action de la Commission tout en respectant divers principes généraux du droit communautaire (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 33).

36.
    C'est précisément pour garantir le respect du principe général rappelé au point 27 du présent arrêt que la Cour a jugé qu'il appartient à l'instance nationale compétente d'examiner si les mesures de contrainte envisagées ne sont pas arbitraires ou excessives par rapport à l'objet de la vérification (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 35).

37.
    La Cour a de même indiqué que la Commission devait, pour sa part, veiller à ce que ladite instance nationale dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre de s'acquitter de ce contrôle et de veiller au respect des règles du droit national dans le déroulement des mesures de contrainte (arrêt Hoechst/Commission, précité, points 34 et 35).

38.
    En l'occurrence, les questions préjudicielles portent sur l'étendue du contrôle susceptible d'incomber à une juridiction nationale, compétente en vertu du droit interne pour autoriser des visites dans les locaux d'entreprises suspectées d'infractions aux règles de concurrence, lorsque cette juridiction est saisie à la suite d'une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, ainsi que sur la nature des éléments d'information dont la Commission doit veiller à pourvoir ladite juridiction nationale afin que cette dernière puisse s'acquitter d'un tel contrôle.

Sur l'objet du contrôle incombant à la juridiction nationale compétente

39.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que, à l'occasion de l'examen auquel procède l'instance nationale compétente, cette dernière ne saurait substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission, dont les évaluations de fait et de droit ne sont soumises qu'au contrôle de légalité des juridictions communautaires (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 35).

40.
    Le contrôle exercé par la juridiction nationale compétente, qui doit avoir pour seul objet les mesures de contrainte sollicitées ne saurait aller au-delà de l'examen, requis par le droit communautaire, visant à établir l'absence de caractère arbitraire desdites mesures de contrainte et leur proportionnalité par rapport à l'objet de la vérification. Un tel examen épuise la compétence de ladite juridiction en ce qui concerne le contrôle du bien-fondé des mesures de contrainte sollicitées à la suite d'une demande d'assistance émanant de la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17.

Sur la portée du contrôle incombant à la juridiction nationale compétente

41.
    Aux fins de déterminer la portée du contrôle ainsi requis par le droit communautaire et incombant à la juridiction nationale compétente, il importe, à titre liminaire, de rappeler le contexte dans lequel s'inscrivent les mesures de contrainte sur lesquelles porte ledit contrôle.

42.
    Il convient ainsi de rappeler, en premier lieu, que les pouvoirs conférés à la Commission par l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 17 ont pour but de permettre à celle-ci d'accomplir sa mission consistant à veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun, de telles règles ayant pour objectif d'éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l'intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 25), contribuant ainsi à assurer le bien-être économique dans la Communauté.

43.
    En deuxième lieu, il convient de souligner l'existence de diverses garanties résultant du droit communautaire.

44.
    Tout d'abord, les mesures de contrainte pouvant être sollicitées des autorités nationales dans le cadre de la mise en oeuvre de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 visent uniquement à permettre aux agents de la Commission d'exercer les pouvoirs de vérification dont cette institution se trouve investie. Or, de tels pouvoirs, qui sont énumérés à l'article 14, paragraphe 1, dudit règlement, sont eux-mêmes bien délimités.

45.
    C'est ainsi, notamment, que sont exclus du champ d'investigation ouvert à la Commission les documents qui ne seraient pas de nature professionnelle, c'est-à-dire ceux qui n'auraient pas trait à l'activité de l'entreprise sur le marché (voir arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 16).

46.
    Ensuite, sans préjudice des garanties résultant des dispositions de droit interne gouvernant le déroulement des mesures de contrainte, les entreprises faisant l'objet de vérifications bénéficient de diverses garanties communautaires, parmi lesquelles figurent, notamment, le droit d'avoir une assistance juridique ou celui de préserver la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients (voir arrêts précités AM & S Europe/Commission, points 18 à 27, et Hoechst/Commission, point 16, ainsi que arrêt du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, point 27).

47.
    Enfin, l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 impose à la Commission de motiver la décision ordonnant une vérification en indiquant l'objet et le but de cette dernière, ce qui, ainsi que la Cour l'a précisé, constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l'intervention envisagée à l'intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 29).

48.
    De même, il incombe à la Commission d'indiquer dans ladite décision, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification (arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, points 26 et 27). Ainsi que la Cour l'a jugé, une telle exigence est propre à préserver les droits de la défense des entreprises concernées, dans la mesure où de tels droits seraient gravement compromis si la Commission pouvait invoquer à l'égard des entreprises des preuves qui, obtenues au cours d'une vérification, seraient étrangères à l'objet et au but de celle-ci (arrêt Dow Benelux/Commission, précité, point 18).

49.
    En troisième lieu, il y a lieu de rappeler qu'une entreprise à l'encontre de laquelle la Commission a ordonné une vérification peut, conformément aux dispositions de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), former un recours contre une telle décision devant le juge communautaire. Au cas où ladite décision serait annulée par ce dernier, la Commission se verrait empêchée, de ce fait, d'utiliser, à l'effet de la procédure d'infraction aux règles de concurrence communautaires, tous documents ou pièces probantes qu'elle aurait réunis dans le cadre de cette vérification, sous peine de s'exposer au risque de voir le juge communautaire annuler la décision relative à l'infraction dans la mesure où elle serait fondée sur de tels moyens de preuve (voir ordonnances du 26 mars 1987, Hoechst/Commission, 46/87 R, Rec. p. 1549, point 34, et du 28 octobre 1987, Dow Chemical Nederland/Commission, 85/87 R, Rec. p. 4367, point 17).

50.
    Force est de constater que l'existence du contrôle juridictionnel ainsi dévolu au juge communautaire et les modalités d'exercice des pouvoirs de vérification de la Commission, telles qu'elles ressortent, notamment, des points 43 à 48 du présent arrêt, contribuent à préserver les entreprises de mesures qui seraient arbitraires et à maintenir de telles mesures dans les limites de ce qui est nécessaire aux fins de poursuivre les intérêts légitimes énoncés au point 42 du présent arrêt.

51.
    En quatrième lieu, il convient de rappeler que, comme il ressort des points 35 et 39 du présent arrêt, l'instance nationale compétente doit, d'une part, veiller à garantir l'efficacité de l'action de la Commission et, d'autre part, éviter de substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission, dont les évaluations de fait et de droit relèvent du contrôle du juge communautaire.

52.
    À ces divers égards, il y a lieu de préciser que, si la juridiction nationale compétente pour autoriser les mesures de contrainte doit tenir compte du contexte particulier dans lequel elle est ainsi saisie et des considérations figurant aux points 42 à 51 du présent arrêt, ces exigences ne sauraient toutefois l'empêcher ni la dispenser de s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de s'assurer concrètement, dans chaque cas individuel, que la mesure de contrainte envisagée n'est pas arbitraire ou disproportionnée par rapport à l'objet de la vérification ordonnée (voir, dans un sens analogue, Cour eur. D. H., arrêts Funke c. France du 25 février 1993, série A n° 256-A, § 55; Camenzind c. Suisse du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, § 45, et Colas Est e.a. c. France, précité, § 47).

53.
    À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de déterminer ce que requiert plus précisément l'exercice d'un tel contrôle ainsi que la nature des éléments dont doit pouvoir disposer ladite juridiction nationale. Il y a lieu, à cet égard, d'opérer une distinction entre le contrôle de l'absence de caractère arbitraire des mesures de contrainte envisagées et celui de leur proportionnalité par rapport à l'objet de la vérification.

Le contrôle de l'absence de caractère arbitraire des mesures de contrainte et les éléments pouvant être requis de la Commission aux fins d'un tel contrôle

54.
    S'agissant, en premier lieu, du contrôle visant à vérifier l'absence de caractère arbitraire d'une mesure de contrainte destinée à permettre l'exécution d'une vérification ordonnée par la Commission, il convient d'indiquer qu'il requiert, en substance, que la juridiction nationale compétente s'assure de l'existence d'indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l'entreprise concernée.

55.
    Un tel contrôle ne diffère, certes, pas fondamentalement de celui que pourraient être amenées à effectuer les juridictions communautaires aux fins de s'assurer que la décision de vérification elle-même ne présente pas un caractère arbitraire, c'est-à-dire qu'elle n'a pas été adoptée en l'absence de toute circonstance de fait susceptible de justifier la vérification (arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 52). Il convient en effet de rappeler à cet égard que les vérifications entreprises par la Commission visent à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée à propos de laquelle la Commission dispose déjà d'informations (arrêt National Panasonic/Commission, précité, points 13 et 21).

56.
    Une telle similitude dans la nature des contrôles exercés par les juridictions communautaires et par l'instance nationale compétente ne doit, toutefois, pas faire perdre de vue les objets distincts sur lesquels portent lesdits contrôles.

57.
    Les pouvoirs de vérification dont dispose la Commission en vertu de l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 17 se limitent à autoriser les agents de cette dernière à entrer dans les endroits qu'ils désignent, à se faire présenter les documents qu'ils demandent et à se faire montrer le contenu des meubles qu'ils indiquent (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 31).

58.
    Pour leur part, les mesures de contrainte qui relèvent de la compétence des autorités nationales impliquent le pouvoir de forcer l'accès à des locaux ou à des meubles ou de contraindre le personnel de l'entreprise à fournir un tel accès et celui d'entreprendre des fouilles sans l'autorisation des responsables de l'entreprise (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 31).

59.
    Compte tenu de l'intrusion dans la sphère privée qu'elles impliquent, le recours à de telles mesures de contrainte requiert que l'instance nationale compétente puisse s'assurer, de manière autonome, de l'absence de caractère arbitraire de celles-ci.

60.
    Il ne saurait, en particulier, être fait échec à un tel examen au motif que, en s'assurant de l'existence d'indices sérieux propres à fonder des soupçons quant à une infraction aux règles de concurrence, l'instance nationale compétente risquerait, au sens du point 35 de l'arrêt Hoechst/Commission, précité, de substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission et de remettre en cause les évaluations de fait et de droit effectuées par cette dernière.

61.
    Il en résulte que, aux fins de permettre à la juridiction nationale compétente de s'assurer de l'absence de caractère arbitraire des mesures de contrainte sollicitées, la Commission est tenue de fournir à celle-ci des explications qui fassent ressortir de manière circonstanciée que la Commission dispose dans son dossier d'éléments et d'indices sérieux permettant de soupçonner des infractions aux règles de concurrence par l'entreprise concernée.

62.
    En revanche, la juridiction nationale compétente ne saurait exiger la transmission des éléments et des indices figurant au dossier de la Commission et sur lesquels reposent les soupçons de cette dernière.

63.
    À cet égard, il convient, en effet, de tenir compte de l'obligation des États membres, rappelée au point 35 du présent arrêt, d'assurer l'efficacité de l'action de la Commission.

64.
    D'une part, ainsi que l'ont fait valoir à juste titre la Commission ainsi que les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, l'aptitude de la Commission à garantir l'anonymat à certaines de ses sources d'information revêt une importance cruciale dans la perspective d'une prévention et d'une répression efficaces des pratiques anticoncurrentielles prohibées.

65.
    Or, force est de constater, à cet égard, que, si la Commission était contrainte de transmettre aux diverses instances nationales en charge de la concurrence des éléments et des indices matériels révélant l'identité de ses sources d'information ou permettant de déduire une telle identité, les risques encourus par les informateurs de voir leur identité divulguée à des tiers, en particulier en raison des exigences procédurales propres au droit d'un État membre, pourraient s'en trouver augmentés.

66.
    D'autre part, il y a également lieu de prendre en considération le fait que la transmission physique aux instances nationales compétentes des divers éléments et indices matériels figurant au dossier de la Commission pourrait engendrer d'autres risques en ce qui concerne l'efficacité de l'action communautaire, singulièrement en cas de vérifications parallèles devant être menées concomitamment dans plusieurs États membres. Il convient, en effet, de tenir compte des aléas et des délais de semblables transmissions ainsi que de la diversité des modalités procédurales qu'elles pourraient devoir respecter selon les systèmes juridiques des États membres concernés, ou encore des délais éventuellement nécessaires à l'examen, par ces instances, de documents pouvant s'avérer complexes et volumineux.

67.
    Dans le cadre de la répartition des compétences prévue à l'article 234 CE, c'est en principe à la juridiction nationale compétente qu'il appartient d'apprécier si les explications visées au point 61 du présent arrêt ont bien été fournies dans le cas d'espèce et d'exercer sur cette base le contrôle qui lui incombe en vertu du droit communautaire. Il y a lieu d'ajouter, à cet égard, que, lorsqu'elle est amenée à se prononcer sur une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, la juridiction nationale doit demeurer d'autant plus attentive à cette répartition des compétences qu'une demande préjudicielle, sauf si elle intervient, comme dans l'affaire au principal, après que les vérifications ont reçu exécution, est de nature à retarder la décision de cette juridiction et à rendre publique la demande d'assistance, risquant de cette manière de paralyser l'action de la Commission et de priver d'utilité toute vérification qui interviendrait ultérieurement.

68.
    Sous le bénéfice de ces précisions, il convient de rappeler que, lorsqu'elle est saisie d'une demande préjudicielle, la Cour est compétente pour fournir tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent permettre à la juridiction de renvoi de trancher l'affaire dont celle-ci est saisie.

69.
    S'agissant de l'affaire au principal, il y a lieu d'observer qu'il ressort des motifs de la décision de vérification du 10 septembre 1998, tels qu'ils sont rapportés au point 11 du présent arrêt, que la Commission a énoncé les soupçons très précis qu'elle nourrissait à l'égard de Roquette Frères et des autres participants à l'entente suspectée, en faisant état d'informations circonstanciées quant à la tenue régulière de réunions secrètes et quant à ce qui aurait été discuté et convenu à l'occasion de celles-ci.

70.
    Si la Commission n'a pas indiqué la nature des indices fondant ses soupçons, tels que, par exemple, une plainte, un témoignage ou des documents échangés entre les participants à l'entente suspectée, la seule absence d'une telle indication ne saurait suffire à faire douter de l'existence d'indices suffisamment sérieux lorsque, comme dans l'affaire au principal, l'exposé circonstancié des informations détenues par la Commission quant à l'objet précis de l'entente suspectée et quant aux modalités concrètes qui auraient présidé à sa réalisation est de nature à permettre à la juridiction nationale compétente d'asseoir sa conviction que la Commission dispose bien de tels indices.

Le contrôle de la proportionnalité des mesures de contrainte par rapport à l'objet de la vérification et les éléments d'information pouvant être requis de la Commission aux fins d'un tel contrôle.

71.
    S'agissant, en second lieu, du contrôle visant à vérifier la proportionnalité des mesures de contrainte par rapport à l'objet de la vérification ordonnée par la Commission, il convient de relever qu'un tel contrôle implique, d'une part, d'établir que de telles mesures sont appropriées aux fins d'assurer l'exécution de ladite vérification.

72.
    À cet égard, il convient de rappeler, en particulier, que l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 fait obligation aux entreprises concernées de se soumettre aux vérifications décidées par la Commission et que le paragraphe 6 de la même disposition ne prévoit l'assistance des États membres aux agents mandatés par la Commission que dans l'hypothèse où une entreprise s'oppose à une telle vérification.

73.
    La Cour a certes admis, à cet égard, que l'assistance puisse être demandée à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 32).

74.
    Il convient toutefois de préciser que des mesures de contrainte ne sauraient ainsi être sollicitées à titre préventif que pour autant qu'il existe des raisons de craindre une opposition à la vérification ainsi que des tentatives de dissimulation et de soustraction de preuves au cas où une vérification ordonnée sur le fondement de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 serait notifiée à l'entreprise concernée.

75.
    Il s'ensuit qu'il appartient à la Commission de fournir à la juridiction nationale compétente des explications permettant à celle-ci de s'assurer que, à défaut pour la Commission de pouvoir disposer préventivement de l'assistance requise aux fins de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise, l'établissement des faits infractionnels serait voué à l'échec ou considérablement entravé.

76.
    Le contrôle de la proportionnalité des mesures de contrainte envisagées par rapport à l'objet de la vérification implique, d'autre part, d'établir que de telles mesures n'engendrent pas des inconvénients démesurés et intolérables par rapport aux buts poursuivis par ladite vérification (voir, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023, point 13; du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, point 73; du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C-233/94, Rec. p. I-2405, point 57, et du 28 avril 1998, Metronome Musik, C-200/96, Rec. p. I-1953, points 21 et 26).

77.
    À cet égard, il y a certes lieu de rappeler que, s'agissant d'apprécier la proportionnalité de la mesure de vérification elle-même, la Cour a jugé que le choix à opérer par la Commission entre la vérification par simple mandat et la vérification ordonnée par voie de décision ne dépendait pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l'extrême urgence ou la nécessité d'une discrétion absolue, mais des nécessités d'une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l'espèce. La Cour en a conclu que, lorsqu'une décision de vérification vise uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l'existence éventuelle d'une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (arrêt National Panasonic/Commission, précité, points 28 à 30).

78.
    Il convient de même de rappeler, à cet égard, que c'est à la Commission qu'il appartient, en principe, d'apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence (arrêts AM & S Europe/Commission, précité, point 17, et du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 15). Même si elle dispose déjà d'indices, voire d'éléments de preuve relatifs à l'existence d'une infraction, la Commission peut dès lors légitimement estimer nécessaire d'ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l'infraction, sa durée ou le cercle des entreprises impliquées (voir, en ce sens, à propos de demandes de renseignements complémentaires, arrêt Orkem/Commission, précité, point 15).

79.
    Cependant, sauf à priver le contrôle incombant à l'instance nationale compétente de toute portée et à ignorer l'intrusion dans la sphère privée qu'implique le recours à la force publique, il convient d'admettre que, en ce qui concerne une telle mesure, le contrôle de proportionnalité ne saurait être effectué par ladite instance nationale en faisant abstraction d'éléments tels que la gravité de l'infraction suspectée, la nature de l'implication de l'entreprise concernée ou encore l'importance de ce qui est recherché.

80.
    La juridiction nationale compétente doit dès lors pouvoir refuser les mesures de contrainte sollicitées lorsque l'atteinte à la concurrence suspectée est d'importance trop minime, le degré d'implication probable de l'entreprise concernée trop faible ou ce qui est recherché trop accessoire pour que l'intrusion dans la sphère d' activité privée d'une personne morale qu'implique une perquisition avec recours à la force publique n'apparaisse pas démesurée et intolérable au regard des objectifs poursuivis par la vérification.

81.
    Il en résulte que, pour que la juridiction nationale compétente puisse être en mesure d'exercer le contrôle de proportionnalité qui lui incombe, la Commission doit, en principe, informer ladite juridiction des caractéristiques essentielles de l'infraction suspectée, afin de lui permettre d'en apprécier le degré de gravité, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées, ainsi que le degré d'implication présumé de l'entreprise visée.

82.
    Ainsi que la Cour l'a déjà jugé à propos de la motivation des décisions de vérification elles-mêmes, il n'est, en revanche, pas indispensable que les informations communiquées comportent une délimitation précise du marché en cause, une qualification juridique exacte des infractions présumées ou l'indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises (arrêt Dow Benelux/Commission, précité, point 10).

83.
    Il incombe également à la Commission d'indiquer, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification (arrêt National Panasonic/Commission, précité, points 26 et 27), ainsi que les pouvoirs conférés aux enquêteurs communautaires.

84.
    Il convient toutefois de rappeler, à cet égard, qu'il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle se limite à demander la production de documents ou de dossiers qu'elle serait à même d'identifier au préalable de manière précise, ce qui reviendrait à priver d'utilité son droit d'accès à de tels documents ou dossiers. Ainsi que la Cour l'a jugé, un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d'information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 27).

85.
    Ainsi qu'il a été précisé au point 67 du présent arrêt, c'est à la juridiction nationale compétente qu'il appartient en principe d'apprécier si, dans le cas d'espèce, les informations mentionnées aux points 75, 81 et 83 du présent arrêt ont été fournies par la Commission et d'exercer, sur cette base, le contrôle qui lui incombe en vertu du droit communautaire.

86.
    Comme rappelé au point 68 du présent arrêt, la Cour est toutefois compétente pour fournir tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent permettre à la juridiction de renvoi de trancher l'affaire dont celle-ci est saisie.

87.
    S'agissant de l'affaire au principal, il y a lieu de relever d'emblée qu'il ressort des motifs de la décision de vérification du 10 septembre 1998, tels qu'ils sont rapportés au point 11 du présent arrêt, que la Commission a énoncé à suffisance de droit les caractéristiques de l'entente suspectée, souligné la gravité de celle-ci et précisé que Roquette Frères était l'un des participants aux réunions décrites.

88.
    Il convient de même de constater que, dans lesdits motifs, la Commission a souligné, d'une part, que Roquette Frères était susceptible de détenir des informations nécessaires pour la poursuite de son enquête. Elle a indiqué, d'autre part, que la nature même des accords suspectés donnait à penser qu'ils seraient appliqués selon des modalités secrètes, de sorte qu'une vérification constituait le moyen le plus approprié pour recueillir des éléments prouvant leur existence et qu'il était nécessaire de contraindre l'entreprise, par voie de décision, à se soumettre à une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17. De telles indications sont au nombre de celles qui paraissent de nature à permettre à la juridiction nationale compétente d'apprécier s'il est nécessaire d'octroyer préventivement l'autorisation sollicitée.

89.
    Quant à l'objet sur lequel doivent porter les vérifications à entreprendre, il ressort du dispositif et des motifs de la décision de vérification du 10 septembre 1998, tels qu'ils sont rapportés respectivement aux points 10 et 11 du présent arrêt, qu'il s'agissait pour la Commission de prendre connaissance de tous les éléments de fait concernant les accords et/ou pratiques concertées ainsi suspectés et de vérifier la participation éventuelle de Roquette Frères à ceux-ci. À ces fins, ladite décision ordonne à cette entreprise de permettre l'accès à ses locaux aux agents mandatés par la Commission, de présenter les livres et autres documents professionnels requis par ces derniers et d'en permettre le contrôle et la copie, ainsi que de fournir toutes explications orales demandées par lesdits agents en relation avec l'objet de la vérification. De telles précisions indiquent à suffisance ce qui est recherché et les pouvoirs auxquels il peut être recouru à cette fin.

Sur l'attitude à observer par la juridiction nationale compétente et par la Commission en cas d'insuffisance des informations communiquées par cette dernière

90.
    Lorsqu'elle considère que les informations communiquées par la Commission ne satisfont pas aux exigences formulées aux points 75, 81 et 83 du présent arrêt, une juridiction nationale, compétente en vertu du droit interne pour autoriser des visites, ne saurait se contenter de rejeter la demande dont elle est saisie.

91.
    Dans un tel cas, ladite juridiction et la Commission doivent, conformément à l'obligation de coopération loyale rappelée aux points 30 à 32 du présent arrêt, collaborer en vue de surmonter les difficultés qui surviennent ainsi dans la mise en oeuvre de la décision de vérification ordonnée par la Commission (voir, par analogie, arrêts du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, 52/84, Rec. p. 89, point 16, et du 10 juillet 1990, Commission/Allemagne, C-217/88, Rec. p. I-2879, point 33).

92.
    Pour satisfaire à cette obligation et contribuer à garantir, comme elle le doit, l'efficacité de l'action de la Commission, il incombe, dès lors, à la juridiction nationale compétente d'informer la Commission ou l'autorité nationale l'ayant saisie à la demande de cette dernière, dans les délais les plus brefs possible, des difficultés rencontrées, en sollicitant, le cas échéant, les informations complémentaires qui lui permettront d'exercer le contrôle dont elle a la charge. À cette occasion, il incombe à ladite juridiction de demeurer particulièrement attentive aux exigences de coordination, de célérité et de discrétion propres à garantir l'efficacité des vérifications parallèles dont il est question au point 66 du présent arrêt.

93.
    Le devoir de coopération loyale s'imposant à la Commission revêt, de même, une importance particulière lorsqu'une telle coopération s'établit avec les autorités judiciaires d'un État membre chargées de veiller à l'application et au respect du droit communautaire dans l'ordre juridique national (ordonnance Zwartveld e.a., précitée, point 18). Aussi appartient-il à la Commission de veiller à fournir, dans les meilleurs délais, les informations complémentaires éventuelles ainsi sollicitées par la juridiction nationale compétente et qui sont de nature à satisfaire aux exigences rappelées au point 90 du présent arrêt.

94.
    Ce n'est qu'une fois mise en possession de tels éclaircissements éventuels, ou en l'absence de suites utiles réservées par la Commission à sa demande, que la juridiction nationale compétente est fondée à refuser d'accorder l'assistance sollicitée, s'il ne peut, au vu des informations dont elle dispose, être conclu à l'absence de caractère arbitraire et au caractère proportionné par rapport à l'objet de la vérification des mesures de contrainte envisagées.

Sur la manière dont les informations peuvent être portées à la connaissance de la juridiction nationale compétente

95.
    S'agissant de la manière dont les informations requises peuvent être portées à la connaissance de la juridiction nationale compétente, il convient de relever que, si la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le caractère éventuellement insuffisant de la motivation de la décision de vérification du 10 septembre 1998, c'est, avant tout, parce que, dans l'affaire au principal, le seul élément d'appréciation soumis à la juridiction nationale compétente est le texte de ladite décision.

96.
    Il convient, toutefois, d'indiquer que, pour une juridiction nationale, la motivation contenue dans une telle décision de vérification n'est pertinente qu'en tant qu'élément d'appréciation lui permettant de s'assurer que la mesure de contrainte sollicitée n'est ni arbitraire ni disproportionnée par rapport à l'objet de la vérification. Le contrôle des exigences auxquelles doit satisfaire la motivation de toute décision de la Commission ordonnant une vérification, telles qu'elles se trouvent définies à l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, relève, en effet, de la compétence exclusive des juridictions communautaires.

97.
    Si les éléments qui doivent figurer dans la décision de vérification elle-même, notamment en vertu de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, correspondent, pour partie, aux informations devant être communiquées à la juridiction nationale compétente afin qu'elle soit en mesure d'exercer son contrôle, de telles informations peuvent également résulter d'autres sources.

98.
    À cet égard, le droit communautaire n'impose aucune forme particulière à la communication d'informations à la juridiction nationale compétente et, s'agissant de permettre l'exercice du contrôle incombant à cette dernière, de telles informations peuvent ressortir aussi bien de la décision de vérification elle-même que de la demande adressée aux autorités nationales en vertu de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, ou encore d'une réponse, même formulée de manière verbale, à une question qui aurait été posée par cette juridiction.

99.
    Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que:

-    En vertu du principe général du droit communautaire prescrivant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne physique ou morale qui seraient arbitraires ou disproportionnées, il incombe à une juridiction nationale, compétente en vertu du droit interne pour autoriser des visites et des saisies dans les locaux d'entreprises suspectées d'infractions aux règles de concurrence, d'examiner si les mesures de contrainte sollicitées à la suite d'une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 ne sont pas arbitraires ou disproportionnées par rapport à l'objet de la vérification ordonnée. Sans préjudice de l'application des dispositions de droit interne gouvernant le déroulement des mesures de contrainte, le droit communautaire s'oppose à ce que le contrôle exercé par cette juridiction nationale en ce qui concerne le bien-fondé desdites mesures aille au-delà de ce qui est ainsi requis par le principe général susmentionné.

-    Le droit communautaire fait obligation à la Commission de veiller à ce que ladite juridiction nationale dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exercer le contrôle qui lui incombe. À cet égard, les informations fournies par la Commission doivent, en principe, comporter:

    -    une description des caractéristiques essentielles de l'infraction suspectée, à savoir, au minimum, l'indication du marché présumé en cause et de la nature des restrictions de concurrence suspectées;

    -    des explications quant à la manière dont l'entreprise visée par les mesures de contrainte est présumée être impliquée dans l'infraction susdite;

    -    des explications faisant ressortir de manière circonstanciée que la Commission dispose d'éléments et d'indices matériels sérieux l'amenant à suspecter une telle infraction à charge de l'entreprise concernée;

    -    l'indication aussi précise que possible de ce qui est recherché et des éléments sur lesquels doit porter la vérification, ainsi que l'indication des pouvoirs conférés aux enquêteurs communautaires, et,

    -    dans l'hypothèse où l'assistance des autorités nationales est sollicitée par la Commission à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise concernée, des explications permettant à ladite juridiction nationale de s'assurer que, à défaut d'autoriser préventivement les mesures de contrainte, l'établissement des faits infractionnels serait voué à l'échec ou considérablement entravé.

-    En revanche, la juridiction nationale ne saurait exiger la transmission des éléments et des indices figurant au dossier de la Commission et sur lesquels reposent les soupçons de cette dernière.

-    Lorsque ladite juridiction considère que les informations communiquées par la Commission ne satisfont pas aux exigences susmentionnées, elle ne saurait, sans méconnaître les articles 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 et 5 du traité, se contenter de rejeter la demande dont elle est saisie. En pareil cas, cette juridiction est tenue d'informer la Commission ou l'autorité nationale l'ayant saisie à la demande de cette dernière, dans les délais les plus brefs possible, des difficultés rencontrées, en sollicitant, le cas échéant, les éclaircissements qui lui permettraient d'exercer le contrôle dont elle a la charge. Ce n'est qu'une fois mise en possession de tels éclaircissements éventuels, ou en l'absence de suites utiles réservées par la Commission à sa demande, que la juridiction nationale est fondée à refuser l'octroi de l'autorisation sollicitée, s'il ne peut, au vu des informations dont elle dispose, être conclu à l'absence de caractère arbitraire et au caractère proportionné par rapport à l'objet de la vérification des mesures de contrainte envisagées.

-    Les informations à fournir par la Commission à ladite juridiction nationale peuvent ressortir aussi bien de la décision ordonnant la vérification elle-même que de la demande adressée aux autorités nationales sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, ou encore d'une réponse, même formulée de manière verbale, à une question qui aurait été posée par cette juridiction.

Sur les dépens

100.
    Les frais exposés par les gouvernements français, allemand, hellénique, italien, du Royaume-Uni et norvégien, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation, par arrêt du 7 mars 2000, dit pour droit:

    

1)    En vertu du principe général du droit communautaire prescrivant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne physique ou morale qui seraient arbitraires ou disproportionnées, il incombe à une juridiction nationale, compétente en vertu du droit interne pour autoriser des visites et des saisies dans les locaux d'entreprises suspectées d'infractions aux règles de concurrence, d'examiner si les mesures de contrainte sollicitées à la suite d'une demande d'assistance formulée par la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, ne sont pas arbitraires ou disproportionnées par rapport à l'objet de la vérification ordonnée. Sans préjudice de l'application des dispositions de droit interne gouvernant le déroulement des mesures de contrainte, le droit communautaire s'oppose à ce que le contrôle exercé par cette juridiction nationale en ce qui concerne le bien-fondé desdites mesures aille au-delà de ce qui est ainsi requis par le principe général susmentionné.

2)    Le droit communautaire fait obligation à la Commission de veiller à ce que ladite juridiction nationale dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exercer le contrôle qui lui incombe. À cet égard, les informations fournies par la Commission doivent, en principe, comporter:

    -    une description des caractéristiques essentielles de l'infraction suspectée, à savoir, au minimum, l'indication du marché présumé en cause et de la nature des restrictions de concurrence suspectées;

    -    des explications quant à la manière dont l'entreprise visée par les mesures de contrainte est présumée être impliquée dans l'infraction susdite;

    -    des explications faisant ressortir de manière circonstanciée que la Commission dispose d'éléments et d'indices matériels sérieux l'amenant à suspecter une telle infraction à charge de l'entreprise concernée;

    -    l'indication aussi précise que possible de ce qui est recherché et des éléments sur lesquels doit porter la vérification, ainsi que l'indication des pouvoirs conférés aux enquêteurs communautaires, et,

    -    dans l'hypothèse où l'assistance des autorités nationales est sollicitée par la Commission à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise concernée, des explications permettant à ladite juridiction nationale de s'assurer que, à défaut d'autoriser préventivement les mesures de contrainte, l'établissement des faits infractionnels serait voué à l'échec ou considérablement entravé.

3)    En revanche, la juridiction nationale ne saurait exiger la transmission des éléments et des indices figurant au dossier de la Commission et sur lesquels reposent les soupçons de cette dernière.

4)    Lorsque ladite juridiction considère que les informations communiquées par la Commission ne satisfont pas aux exigences mentionnées au point 2 du présent dispositif, elle ne saurait, sans méconnaître les articles 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 et 5 du traité CE (devenu article 10 CE), se contenter de rejeter la demande dont elle est saisie. En pareil cas, cette juridiction est tenue d'informer la Commission ou l'autorité nationale l'ayant saisie à la demande de cette dernière, dans les délais les plus brefs possible, des difficultés rencontrées, en sollicitant, le cas échéant, les éclaircissements qui lui permettraient d'exercer le contrôle dont elle a la charge. Ce n'est qu'une fois mise en possession de tels éclaircissements éventuels, ou en l'absence de suites utiles réservées par la Commission à sa demande, que la juridiction nationale est fondée à refuser l'octroi de l'autorisation sollicitée, s'il ne peut, au vu des informations dont elle dispose, être conclu à l'absence de caractère arbitraire et au caractère proportionné par rapport à l'objet de la vérification des mesures de contrainte envisagées.

5)    Les informations à fournir par la Commission à ladite juridiction nationale peuvent ressortir aussi bien de la décision ordonnant la vérification elle-même que de la demande adressée aux autorités nationales sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, ou encore d'une réponse, même formulée de manière verbale, à une question qui aurait été posée par cette juridiction.

Rodríguez Iglesias
Puissochet
Wathelet

Schintgen

Gulmann

Edward

La Pergola
Jann

Skouris

Macken

Colneric

von Bahr
Cunha Rodrigues

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 octobre 2002.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le français.