Language of document : ECLI:EU:C:2019:168

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 28 février 2019 (1)

Affaire C723/17

Lies Craeynest,

Cristina Lopez Devaux,

Frédéric Mertens,

Stefan Vandermeulen,

Karin De Schepper,

Clientearth VZW

contre

Brussels Hoofdstedelijk Gewest,

Brussels Instituut voor Milieubeheer

[demande de décision préjudicielle formée par le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2008/50/CE – Qualité de l’air – Valeurs limites – Emplacement des points de prélèvement – Pouvoir d’appréciation – Contrôle juridictionnel – Critères de détermination d’un dépassement des valeurs limites »






I.      Introduction

1.        Si la ville de Bruxelles s’est récemment illustrée avec la ville de Paris pour sa défense de la qualité de l’air, en obtenant du Tribunal de l’Union européenne qu’il annule les valeurs limites d’émissions d’oxydes d’azote fixées par la Commission européenne pour les nouveaux essais en conditions de conduite réelles des véhicules particuliers et utilitaires légers (2), la Région de Bruxelles‑Capitale fait l’objet, dans la présente affaire, d’un recours introduit par plusieurs de ses habitants et par une association de défense de l’environnement au sujet de l’évaluation de la qualité de l’air.

2.        Ce litige porte sur les mesures qu’il convient de prendre en compte pour vérifier si les valeurs limites ambitieuses fixées pour la qualité de l’air par la directive 2008/50/CE (3) ont été ou non respectées. Il s’agit de déterminer, d’une part, dans quelle mesure l’installation de points de prélèvement est soumise au contrôle des juridictions nationales et, d’autre part, si les résultats de différents points de prélèvement permettent d’établir une valeur moyenne pour évaluer le respect des valeurs limites. La première question préjudicielle revêt notamment à cet égard une importance essentielle sur le plan juridique, puisqu’elle implique de préciser l’intensité du contrôle juridictionnel qui doit être assuré par les juridictions nationales sur le fondement du droit de l’Union.

II.    Le cadre juridique

3.        L’article 1er, point 1, de la directive 2008/50 énonce la finalité essentielle de celle-ci :

« La présente directive établit des mesures visant :

1)      à définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l’air ambiant, afin d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l’environnement dans son ensemble ».

4.        L’article 2, points 25 et 26, de la directive 2008/50 définit certaines méthodes de mesure :

« 25)      “mesures fixes” : des mesures effectuées à des endroits fixes, soit en continu, soit par échantillonnage aléatoire, afin de déterminer les niveaux conformément aux objectifs de qualité des données applicables ;

26)      “mesures indicatives” : des mesures qui respectent des objectifs de qualité des données moins stricts que ceux qui sont requis pour les mesures fixes ».

5.        L’article 6 de la directive 2008/50 énumère les critères d’appréciation de la qualité de l’air :

« 1.      Les États membres évaluent la qualité de l’air ambiant portant sur les polluants visés à l’article 5 dans toutes leurs zones et agglomérations, conformément aux critères fixés aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article et aux critères figurant à l’annexe III.

2.      Dans toutes les zones et agglomérations où le niveau de polluants visé au paragraphe 1 dépasse le seuil d’évaluation supérieur établi pour ces polluants, l’évaluation de la qualité de l’air ambiant s’effectue à l’aide de mesures fixes. Ces mesures fixes peuvent être complétées par des techniques de modélisation et/ou des mesures indicatives afin de fournir des informations adéquates sur la répartition géographique de la qualité de l’air ambiant.

3.      Dans toutes les zones et agglomérations où le niveau de polluants visé au paragraphe 1 est inférieur au seuil d’évaluation supérieur établi pour ces polluants, il est permis, pour évaluer la qualité de l’air ambiant, d’utiliser une combinaison de mesures fixes et de techniques de modélisation et/ou de mesures indicatives.

4.      Dans toutes les zones et agglomérations où le niveau de polluants visé au paragraphe 1 est inférieur au seuil d’évaluation inférieur établi pour ces polluants, il est suffisant, pour évaluer la qualité de l’air ambiant, d’utiliser des techniques de modélisation ou d’estimation objective, ou les deux.

[...] »

6.        En vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/50, l’emplacement des points de prélèvement pour la mesure de l’anhydride sulfureux, du dioxyde d’azote et des oxydes d’azote, des particules (PM10 et PM2,5), du plomb, du benzène et du monoxyde de carbone dans l’air ambiant est déterminé selon les critères énoncés à l’annexe III.

7.        Le nombre de points de prélèvement est défini, aux termes de l’article 7, paragraphe 2, et de l’annexe V de la directive 2008/50 en fonction de la population de l’agglomération ou zone concernée.

8.        L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50 impose le respect de différentes valeurs limites :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations, les niveaux d’anhydride sulfureux, de PM10, de plomb et de monoxyde de carbone dans l’air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites fixées à l’annexe XI.

En ce qui concerne le dioxyde d’azote et le benzène, les valeurs limites indiquées à l’annexe XI ne peuvent pas être dépassées à partir des dates indiquées à ladite annexe.

Le respect de ces exigences est évalué conformément à l’annexe III.

[...] »

9.        L’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50 prévoit qu’en cas de dépassement des valeurs limites dans certaines zones ou agglomérations, des plans relatifs à la qualité de l’air doivent être établis afin d’atteindre la valeur limite.

10.      L’annexe III, partie B, point 1 de la directive 2008/50 concerne la localisation des points où sont effectuées les mesures visant à assurer la protection de la santé humaine :

« a)      Les points de prélèvement visant à assurer la protection de la santé humaine sont implantés de manière à fournir des renseignements sur :

–        les endroits des zones et des agglomérations où s’observent les plus fortes concentrations auxquelles la population est susceptible d’être directement ou indirectement exposée pendant une période significative par rapport à la période considérée pour le calcul de la moyenne de la ou des valeurs limites,

–        les niveaux dans d’autres endroits à l’intérieur de zones ou d’agglomérations qui sont représentatifs de l’exposition de la population en général.

b)      D’une manière générale, les points de prélèvement sont implantés de façon à éviter de mesurer les concentrations dans des microenvironnements se trouvant à proximité immédiate. Autrement dit, un point de prélèvement doit être implanté de manière à ce que l’air prélevé soit représentatif de la qualité de l’air sur une portion de rue d’au moins 100 m de long pour les sites liés à la circulation et d’au moins 250 × 250 m pour les sites industriels, dans la mesure du possible.

[...]

f)      Les points de prélèvement sont, dans la mesure du possible, également représentatifs de sites similaires ne se trouvant pas à proximité immédiate.

[...] »

11.      Il ressort du dossier que la Région de Bruxelles-Capitale a transposé de façon correcte les dispositions pertinentes de la directive 2008/50.

III. Les faits et la demande de décision préjudicielle

12.      Mme Lies Craeynest, Mme Cristina Lopez Devaux, M. Frédéric Mertens, Mme Karen Goeyens et Mme Karin De Schepper habitent tous ou ont habité dans la Région de Bruxelles-Capitale. Mme Goeyens étant toutefois décédée entre-temps, l’instance de cette partie a été reprise par M. Stefan Vandermeulen. Clientearth VZW est une association sans but lucratif de droit anglais ayant un centre d’activités en Belgique. Son objectif est, notamment, la protection de l’environnement par des actions de sensibilisation et par des actions en justice.

13.      Les parties requérantes s’opposent, devant le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, à la Région de Bruxelles‑Capitale et à l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement sur la question de savoir si le plan relatif à la qualité de l’air établi pour la zone de Bruxelles peut être considéré comme suffisant. Le tribunal a donc saisi la Cour, dans cette affaire, des questions suivantes :

« 1)      L’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité sur l’Union européenne, lus conjointement avec l’article 288, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les articles 6 et 7 de la [directive 2008/50] doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsqu’il est allégué qu’un État membre n’a pas installé les points de prélèvement dans une zone conformément aux critères prévus à l’annexe III, section B, point 1, sous a), de la directive précitée, il appartient au juge national de rechercher, à la demande de particuliers directement concernés par le dépassement des valeurs limites visées à l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive, si les points de prélèvement ont été installés conformément à ces critères et, si tel n’est pas le cas, de prendre à l’égard de l’autorité nationale toute mesure nécessaire, telle une injonction, afin que les points de prélèvements soient placés dans le respect de ces critères ?

2)      Y a-t-il dépassement d’une valeur limite au sens de l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 1, de la [directive 2008/50], dès que les résultats des mesures effectuées à un seul point de prélèvement visé à l’article 7 de cette directive permettent de constater qu’une valeur limite, fixée par l’annexe XI de cette directive pour la moyenne calculée par année civile, est dépassée ou n’y a-t-il dépassement dans ce sens-là que lorsque la moyenne des résultats des mesures de tous les points de prélèvement d’une zone donnée au sens de cette directive le fait apparaître ? »

14.      Des observations écrites ont été présentées par les requérants au principal, la Région de Bruxelles-Capitale, le Royaume des Pays-Bas, la République tchèque et la Commission européenne. À l’exception du Royaume des Pays-Bas, les intéressés ont également participé à l’audience du 10 janvier 2019.

IV.    Appréciation juridique

15.      La demande de décision préjudicielle vise à déterminer, premièrement, dans quelle mesure les juridictions nationales peuvent contrôler l’installation de points de prélèvement et, deuxièmement, s’il est possible d’établir, aux fins de l’évaluation du respect des valeurs limites, une valeur moyenne à partir des résultats de mesures issus de différents points de prélèvement.

A.      Sur l’emplacement des points de prélèvement

16.      La première question vise à préciser si les juridictions nationales peuvent vérifier l’emplacement des points de prélèvement, installés en vue du contrôle du respect des valeurs limites prévues par la directive 2008/50, ainsi que la nature des mesures que ces juridictions ont la faculté ou l’obligation d’adopter en cas de non‑respect des critères énoncés dans la directive pour l’implantation de ces points.

17.      Cette question peut être comprise comme visant à déterminer si les juridictions nationales doivent disposer, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union, de certains pouvoirs, en particulier d’un pouvoir d’injonction à l’égard des autorités compétentes. Cette même question ressort également, de façon plus explicite, d’une autre demande de décision préjudicielle actuellement pendante, déférée par une juridiction allemande, qui interroge la Cour sur la question de savoir s’il peut être exigé de juridictions nationales qu’elles ordonnent la contrainte par corps à l’égard de titulaires d’une fonction relevant de l’exercice de l’autorité publique afin de faire respecter l’obligation de mise à jour d’un plan relatif à la qualité de l’air au sens de l’article 23 de la directive 2008/50 (4).

18.      Il y aurait lieu d’y répondre que le droit de l’Union, en principe, n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit de l’Union, des voies de droit autres que celles établies par le droit national (5). Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits issus du droit de l’Union (6).

19.      Dans la présente affaire, il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir cet aspect de la question puisqu’il est constant que la juridiction nationale est compétente pour adopter des injonctions. En revanche, il convient de déterminer le niveau du contrôle juridictionnel de l’emplacement des points de prélèvement.

20.      En effet, l’application des règles relatives à l’emplacement des points de prélèvement requiert, comme le montre la demande de décision préjudicielle et ainsi que je l’expliquerai plus en détail dans la suite des présentes conclusions, l’exercice d’un pouvoir d’appréciation impliquant une évaluation complexe de questions de nature scientifique ainsi qu’une mise en balance.

21.      On pourrait également douter à cet égard que ces règles soient suffisamment précises pour être d’effet direct (7). Cependant, même en l’absence d’effet direct des dispositions de la directive, le justiciable n’en a pas moins le droit de faire vérifier par une juridiction si la législation nationale et l’application de celle-ci sont restées dans les limites de la marge d’appréciation tracée par la directive (8).

22.      Comme la Commission l’a observé à juste titre, il n’est toutefois pas question ici, en définitive, de l’effet direct du droit de l’Union puisque les dispositions de la directive 2008/50 ont été transposées en droit national. Il reste qu’il convient de définir les limites de la marge d’appréciation des autorités compétentes également aux fins de l’application du droit national dans l’affaire au principal. Il y a lieu, à cet effet, de préciser la nature du contrôle juridictionnel minimal que requiert le droit de l’Union dans le cadre de l’application des dispositions pertinentes.

23.      Nous analyserons donc tout d’abord, dans la suite des présentes conclusions, les règles relatives à l’identification des emplacements des points de prélèvement, pour évoquer ensuite la question de l’intensité du contrôle juridictionnel requis à cet égard par le droit de l’Union.

24.      Il convient toutefois de préciser d’emblée que les dispositions de la directive 2008/50 concernant le contrôle de l’application de la directive par la Commission ne sauraient atténuer la responsabilité des juridictions nationales. Ces dispositions permettent simplement de concrétiser la mission générale conférée à la Commission par l’article 17, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases TUE, qui est de surveiller l’application du droit de l’Union.

1.      Les règles relatives à l’identification des emplacements des points de prélèvement

25.      Les doutes de la juridiction de renvoi portent en particulier sur la question de savoir si les règles concernant l’implantation des points de prélèvement comportent des obligations inconditionnelles dont le juge peut facilement contrôler le respect à la demande de particuliers. Il semble, selon elle, qu’il n’y ait pas de règle précise sur la manière d’identifier ou de délimiter les « endroits […] où s’observent les plus fortes concentrations ».

26.      Elle se réfère ainsi à l’article 7, paragraphe 1, et à l’annexe III, partie B, point 1, sous a), premier tiret, de la directive 2008/50. Selon ces dispositions, les points de prélèvement sont implantés de manière à fournir des renseignements sur les endroits des zones et des agglomérations où s’observent les plus fortes concentrations auxquelles la population est susceptible d’être directement ou indirectement exposée pendant une période significative par rapport à la période considérée pour les valeurs limites concernées.

27.      En outre, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, et de l’annexe III, partie B, point 1, sous b), de la directive 2008/50, d’une manière générale, les points de prélèvement sont implantés de façon à éviter de mesurer les concentrations dans des microenvironnements se trouvant à proximité immédiate. Cela implique, concrètement, que l’air prélevé soit – dans la mesure du possible – représentatif de la qualité de l’air sur une portion de rue d’au moins 100 m de long pour les sites liés à la circulation et d’au moins 250 × 250 m pour les sites industriels.

28.      Les dimensions des endroits où les plus fortes concentrations sont susceptibles d’être observées sont donc définies. Il est vrai que de tels endroits ne peuvent être identifiés grâce aux seules ressources du droit et qu’il faudra nécessairement utiliser, à cet effet, les méthodes scientifiques appropriées, mais la possibilité d’un contrôle juridictionnel à cet égard n’en est pas pour autant exclue.

29.      La directive 2008/50 ne précise certes pas expressément la nature des méthodes scientifiques applicables en matière d’identification des endroits où s’observent les plus fortes concentrations mais il ressort de l’économie de la directive que les organismes compétents doivent s’appuyer pour ce faire sur des mesures, des techniques de modélisation et d’autres informations.

30.      Cela ressort en particulier de la règle qui permet de déterminer les méthodes utilisées pour contrôler le respect des valeurs limites de la qualité de l’air ambiant. En vertu de l’article 5 et de l’annexe II, partie B de la directive 2008/50, la pollution des agglomérations et zones est évaluée au moyen des concentrations mesurées sur une durée de cinq ans ou au moins en combinant les campagnes de mesure de courte durée, effectuées pendant la période de l’année et en des lieux susceptibles de correspondre aux plus hauts niveaux de pollution, avec les résultats obtenus à partir des inventaires des émissions et de la modélisation.

31.      À l’aide des valeurs ainsi obtenues, il est possible de vérifier si un seuil d’évaluation inférieur ou supérieur a été franchi. En deçà d’un seuil inférieur, lorsqu’un dépassement des valeurs limites est donc très peu probable, il est suffisant, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/50, pour évaluer la qualité de l’air ambiant, d’utiliser des techniques de modélisation ou d’estimation objective, ou les deux. Entre les deux seuils, où il y a plus de risque de dépassement des valeurs limites, l’article 6, paragraphe 3, permet d’utiliser une combinaison de mesures fixes (article 2, point 25) et de techniques de modélisation et/ou de mesures indicatives (article 2, point 26). En cas de dépassement du seuil supérieur, lorsqu’un dépassement des valeurs limites est donc le plus probable, l’évaluation de la qualité de l’air ambiant s’effectue, conformément à l’article 6, paragraphe 2, à l’aide de mesures fixes. Elles peuvent être complétées par des techniques de modélisation et/ou des mesures indicatives afin de fournir des informations adéquates sur la répartition géographique de la qualité de l’air ambiant.

32.      Ces différentes méthodes possibles pour déterminer la qualité de l’air, et notamment les mesures et techniques de modélisation, doivent être appliquées dès le stade de l’implantation des points de prélèvement fixes.

33.      Dans l’hypothèse – comme c’est le cas dans l’affaire au principal – où l’emplacement de certains points de prélèvement est contesté, il incombe alors aux organismes compétents d’exposer quelles informations adéquates sur la répartition géographique de la qualité de l’air ambiant elles ont utilisées pour l’implantation des points de prélèvement contestés et comment elles ont obtenu ces informations.

2.      L’intensité du contrôle juridictionnel

34.      La question des modalités du contrôle, par les juridictions nationales, du respect des règles relatives à l’emplacement des points de prélèvement reste cependant entière.

35.      De toute évidence, les organismes compétents ne respectent pas les règles en question lorsqu’ils n’installent pas, en parfaite connaissance de cause, les points de prélèvement aux endroits où s’observent les plus fortes concentrations, ou lorsque l’implantation des points de prélèvement n’est étayée par aucune base scientifique. Les juridictions nationales doivent être en mesure de constater de telles violations.

36.      En outre, il découle des considérations qui viennent d’être exposées que les endroits où s’observent les plus fortes concentrations doivent être identifiés, en tout cas en règle générale, par une combinaison de mesures, techniques de modélisation et d’autres informations. Cependant, un tel cadre laisse encore une marge importante pour d’éventuelles divergences de vues quant au lieu, au moment et à la fréquence des mesures et surtout quant aux techniques de modélisation utilisées.

37.      Il y a lieu par conséquent d’examiner la question de l’intensité du contrôle juridictionnel requis par le droit de l’Union, c’est-à-dire de la marge d’appréciation dont disposent les organismes compétents dans la cadre de l’application des critères relatifs à la détermination de l’emplacement des points de prélèvement. La juridiction de renvoi souhaiterait en effet savoir dans quelle mesure la directive 2008/50 admet que le principe (national) de séparation des pouvoirs puisse justifier une limitation de ses compétences pour contrôler l’action administrative en matière d’installation de points de prélèvement.

a)      L’autonomie procédurale des États membres

38.      Cette question doit être résolue dans le contexte de l’autonomie procédurale des États membres. En l’absence de règles fixées par le droit de l’Union concernant les modalités relatives au contrôle juridictionnel des décisions administratives mettant en œuvre la directive 2008/50, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler ces modalités en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (9).

39.      Il est possible que les États membres, dans l’exercice de leur autonomie procédurale, confèrent à leurs juridictions de très larges pouvoirs de contrôle, qui pourraient même les autoriser à se substituer aux autorités administratives et à modifier ou remplacer leurs décisions. Pour autant que de telles décisions juridictionnelles répondent aux exigences du droit de l’Union quant aux décisions administratives et, en particulier, qu’elles reposent sur une base scientifique suffisante mais respectent également les règles de procédure, il n’y a rien à y objecter (10).

40.      La demande de décision préjudicielle n’a toutefois pas pour origine un tel contexte juridique ; il s’agit plutôt d’identifier quelles sont les compétences minimales indispensables à l’exercice du contrôle juridictionnel. Puisque aucun élément, dans la décision de renvoi, ne laisse à penser qu’il puisse être porté atteinte au principe d’équivalence, il conviendra à cet égard de s’intéresser uniquement au principe d’effectivité, et donc à la recherche du niveau de contrôle juridictionnel qui s’impose afin qu’il ne soit pas excessivement difficile d’invoquer les dispositions applicables du droit de l’Union.

b)      Le contrôle d’appréciations scientifiquement complexes

41.      Sur la question du contrôle effectif de l’implantation d’un point de prélèvement, il y a lieu de constater que les règles qui ont été exposées requièrent une appréciation complexe sur le plan scientifique. Il faut, dans un premier temps, décider des méthodes qui seront utilisées pour collecter les informations adéquates qui permettront de choisir l’emplacement du point de prélèvement, puis, dans un deuxième temps, évaluer ces informations afin de déterminer précisément cet emplacement.

42.      Les standards minimaux auxquels doit satisfaire le contrôle exercé par les juridictions nationales sur une telle décision peuvent être déduits des niveaux de contrôle adoptés par les juridictions de l’Union lorsqu’elles évaluent des décisions comparables des institutions. En effet, le droit de l’Union n’exige pas que les États membres instaurent une procédure de contrôle juridictionnel des décisions nationales prises en application des dispositions du droit de l’Union impliquant un contrôle plus étendu que celui qu’exerce la Cour dans des cas similaires (11).

43.      Les niveaux de contrôle qui se dégagent de cette pratique jurisprudentielle ont pour caractéristique de laisser en règle générale, lorsqu’une mesure implique des évaluations scientifiques ou techniques complexes ou un exercice de mise en balance, un large pouvoir d’appréciation, qui n’est susceptible que d’un contrôle restreint. Il n’en reste pas moins que ce pouvoir d’appréciation sera, dans certains cas, limité et devra donc faire l’objet d’un contrôle plus approfondi, en particulier en cas d’atteintes particulièrement graves à des droits fondamentaux.

44.      Ce large pouvoir d’appréciation reconnu aux institutions de l’Union lorsqu’elles sont appelées à effectuer des évaluations scientifiques et techniques complexes s’applique notamment à l’appréciation des éléments factuels permettant de déterminer la nature et l’étendue des mesures adoptées, mais également, dans une certaine mesure, à la constatation des éléments factuels à la base de son action (12).

45.      Le contrôle au fond opéré par le juge de l’Union se limite alors à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces institutions n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité a conféré cette tâche (13).

46.      Cependant, l’institution compétente a l’obligation, dans ces conditions, d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (14), de respecter les règles de procédure (15) et notamment de motiver sa décision de façon suffisante pour permettre aux juridictions de l’Union de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (16).

47.      De plus, la Cour a jugé que, dès lors que des ingérences dans des droits fondamentaux sont en cause, l’étendue du pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union peut s’avérer limitée, au regard du principe de proportionnalité, en fonction d’un certain nombre d’éléments. Parmi ces éléments figurent, notamment, le domaine concerné, la nature du droit en cause garanti par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), la nature et la gravité de l’ingérence ainsi que la finalité de celle-ci (17). Ainsi, la directive 2006/24/CE (18), compte tenu, d’une part, du rôle important que joue la protection des données à caractère personnel au regard du droit fondamental au respect de la vie privée et, d’autre part, de l’ampleur et de la gravité de l’ingérence dans ce droit qu’implique le stockage, sans motif, des données de connexion, devait faire l’objet d’un contrôle strict (19), ce qui a conduit la Cour à constater son invalidité.

48.      Plus généralement, les droits découlant du droit de l’Union ne sauraient perdre leur effet utile et ne peuvent en particulier être dénaturés, c’est-à-dire vidés de leur substance (20).

49.      Ces niveaux de contrôle correspondent au standard minimal qui s’impose en matière de contrôle juridictionnel du respect du droit de l’Union dans les États membres. La Cour a cependant également constaté que toute procédure nationale de contrôle juridictionnel de telles décisions d’autorités nationales doit permettre à la juridiction saisie du recours d’appliquer effectivement, dans le cadre du contrôle de la légalité de cette décision, les principes et les règles du droit de l’Union pertinents (21).

50.      Il me semble que cette dernière condition vise à rappeler que les juridictions nationales doivent déterminer soigneusement si une question relève effectivement d’un large pouvoir d’appréciation et ne peut faire l’objet que d’un contrôle juridictionnel restreint ou bien s’il s’agit d’autres questions qui appellent un contrôle juridictionnel plus strict, notamment quant aux limites du pouvoir d’appréciation ou aux vices de procédure.

c)      Application à la problématique de la présente affaire

51.      Pour appliquer ces niveaux de contrôle à la décision relative à l’emplacement des points de prélèvement pour l’évaluation de la qualité de l’air, il convient de partir de l’évaluation complexe que les organismes compétents doivent effectuer pour décider de l’emplacement de ces points de prélèvement. Ils doivent sélectionner les méthodes scientifiques utilisées pour collecter les informations nécessaires, procéder à cet égard à un exercice de mise en balance quant à l’ampleur des efforts d’investigation nécessaires, puis évaluer les résultats obtenus.

52.      Pour ce type d’évaluation, ils devraient disposer en règle générale, en vertu du droit de l’Union, d’une large marge d’appréciation susceptible d’un contrôle juridictionnel restreint.

53.      Cependant, il convient, à l’instar de la Commission, d’attirer l’attention sur l’importance fondamentale des règles relatives à la qualité de l’air ambiant. La directive 2008/50 a pour prémisse l’existence d’un lien de cause à effet entre le dépassement des valeurs limites et un nombre important de décès prématurés (22). Les règles sur la qualité de l’air ambiant sont donc la concrétisation des obligations de protection qui pèsent sur l’Union, découlant du droit fondamental à la vie consacré à l’article 2, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux et du niveau élevé de protection qu’exigent l’article 3, paragraphe 3, TUE, l’article 37 de ladite Charte et l’article 191, paragraphe 2, TFUE. Les mesures de nature à compromettre l’application effective de la directive 2008/50 sont donc, de par le poids de celle-ci, tout à fait comparables à une ingérence grave dans les droits fondamentaux, telle que celle qui a justifié que la Cour soumette les règles relatives au stockage des données de connexion à un contrôle strict.

54.      Si les points de prélèvement n’ont pas été installés dans les endroits où s’observent effectivement les plus fortes concentrations, l’effet utile de la directive 2008/50 pourrait être sensiblement compromis. En effet, les valeurs limites les plus ambitieuses restent sans effet si leur respect n’est pas contrôlé aux endroits appropriés. Il serait possible, dans un tel cas, qu’un dépassement des valeurs limites passe inaperçu, sans que les mesures nécessaires pour garantir la qualité de l’air puissent donc être prises.

55.      Compte tenu de ce risque et de l’objectif, énoncé à l’article 1er de la directive 2008/50 de veiller, pour protéger la vie et la santé des habitants, à une qualité de l’air appropriée, le pouvoir d’appréciation des organismes compétents, dans le cadre de l’évaluation complexe préalable à l’implantation des points de prélèvement, doit être considéré comme limité (23). En cas de doute, ils doivent faire le choix d’une stratégie de nature à minimiser le risque que les dépassements de valeurs limites passent inaperçus.

56.      Les modalités du contrôle juridictionnel de l’exercice de ce pouvoir d’appréciation doivent également être conçues en conséquence : les juridictions peuvent certes restreindre leur contrôle à la constatation des erreurs manifestes, si celles-ci pouvaient aboutir à une application excessivement rigoureuse de la directive 2008/50, mais un contrôle plus sévère s’impose en cas de doutes susceptibles de compromettre la réalisation des finalités protectrices de la directive.

57.      Que peut-on en conclure quant au niveau de contrôle devant être appliqué ?

58.      À la lumière du principe de précaution, la Cour a défini, s’agissant de l’évaluation appropriée requise par l’article 6, paragraphe 3 de la directive 92/43/CEE (24), un niveau de contrôle strict. Cette évaluation doit contenir des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (25). À défaut, le plan ou le projet ne pourra pas être autorisé conformément à l’article 6, paragraphe 3, la seule possibilité d’autorisation éventuellement envisageable étant celle prévue à l’article 6, paragraphe 4, pour des raisons impératives d’intérêt public majeur.

59.      Ce standard de contrôle produit le même effet qu’une présomption : les plans ou projets sont ainsi réputés affecter les zones de protection et devraient donc être par principe rejetés. Une telle présomption ne peut être réfutée qu’en dissipant tout doute scientifique raisonnable.

60.      Cependant, un tel standard ne peut être appliqué au contrôle des décisions relatives aux emplacements de points de prélèvement, ne serait-ce que parce qu’il est très probable que toutes les méthodes disponibles pour choisir ces emplacements peuvent susciter des doutes scientifiques raisonnables. Pour autant, les organismes compétents doivent bien appliquer une méthode quelconque, faute de quoi – contrairement aux exigences de la directive 2008/50 – aucun point de prélèvement ne pourrait être installé. En d’autres termes, dans le cadre du choix de ces emplacements, il n’existe aucune présomption selon laquelle un emplacement précis serait particulièrement approprié.

61.      Les organismes compétents peuvent toutefois, en principe, appliquer la « meilleure » méthode disponible. Il devrait s’agir de la méthode qui suscite le moins de doutes scientifiques raisonnables. Néanmoins, l’identification de cette méthode n’a rien d’une simple formalité, ne serait-ce que sur le plan scientifique, puisqu’une pondération de ces doutes est nécessaire pour distinguer ceux que l’on pourrait qualifier de mineurs.

62.      En outre, il convient de partir du principe que les méthodes permettant d’identifier les endroits où s’observent les plus fortes concentrations peuvent être améliorées en consentant plus d’efforts d’investigation. En particulier, un plus grand nombre de mesures, c’est‑à‑dire un allongement de la période de mesure, mais également un plus grand nombre de mesures indicatives à des emplacements différents, apportent très certainement des résultats plus précis. Il reste que, en règle générale, plus d’efforts impliqueront plus de coûts, ce qui peut susciter des réticences. La décision relative à ces efforts est donc le résultat d’un exercice de mise en balance, ce qui ressort également de l’obligation d’obtenir des informations adéquates, au sens de l’article 6, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive 2008/50.

63.      Lorsqu’il s’agit d’examiner ces deux aspects, à savoir la pondération des doutes raisonnables et la mise en balance permettant de décider quels efforts d’investigation se justifient pour dissiper ces doutes, les juridictions nationales ne sauraient se satisfaire d’un simple contrôle des erreurs manifestes, en raison de l’importance des règles concernant la qualité de l’air pour la vie et la santé humaines.

64.      Au contraire, il appartient aux organismes compétents de convaincre les juridictions en faisant notamment valoir des arguments étayés. Il doit s’agir, pour l’essentiel, d’arguments à caractère scientifique, qui peuvent également s’étendre, s’agissant de la mise en balance, aux aspects économiques. La partie adverse est libre d’y répondre par ses propres arguments scientifiquement fondés. Il est bien évidemment également envisageable que la juridiction sollicite l’intervention d’experts indépendants pour disposer d’éléments susceptibles de l’éclairer dans l’examen d’un tel litige à caractère scientifique.

65.      Si les autorités compétentes ne parviennent pas à convaincre la juridiction, elles doivent à tout le moins procéder à des investigations supplémentaires, en effectuant, par exemple, de nouvelles mesures, ou en utilisant d’autres techniques de modélisation relatives au développement de la qualité de l’air.

66.      Si les juridictions nationales disposent de pouvoirs d’injonction, elles pourront ordonner aux autorités de procéder à de nouvelles investigations. En revanche, si les juridictions peuvent uniquement annuler les décisions administratives, il est néanmoins nécessaire que les autorités aient l’obligation de tirer les conséquences de cette décision d’annulation et de ses motifs.

3.      Réponse à la première question

67.      Il y a donc lieu de répondre à la première question que les juridictions nationales sont tenues de rechercher, à la demande de personnes concernées, si des points de prélèvement ont été installés conformément aux critères de l’annexe III, partie B, point 1, sous a) de la directive 2008/50, et, si tel n’est pas le cas, de prendre à l’égard de l’autorité nationale, dans le cadre de leurs compétences juridictionnelles, toute mesure nécessaire afin que les points de prélèvement soient placés dans le respect de ces critères. L’obligation d’installer des points de prélèvement à des emplacements précis peut résulter d’une telle décision de justice si les informations disponibles permettent d’établir que des points de prélèvement doivent y être placés. À défaut, les autorités compétentes peuvent être tenues de procéder à des investigations afin d’identifier les emplacements adéquats.

B.      Sur l’appréciation du respect des valeurs limites

68.      La deuxième question vise à déterminer si une valeur limite au sens de l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50 peut être considérée comme dépassée dès que les résultats des mesures effectuées à un seul point de prélèvement visé à l’article 7 de cette directive permettent de constater qu’une valeur limite, fixée à l’annexe XI de cette directive pour la moyenne calculée par année civile, est dépassée ou bien s’il n’y a un tel dépassement que lorsqu’il résulte de la moyenne des résultats des mesures de tous les points de prélèvement d’une zone donnée.

1.      Sur la décision d’exécution 2011/850/UE

69.      La Commission se fonde sur sa décision d’exécution 2011/850/UE (26) relative à la directive 2008/50, car celle-ci prévoit, à son article 10, que les résultats des mesures des différents points de prélèvement lui sont transmis. Selon elle, si le respect des valeurs limites devait être évalué sur la base d’une appréciation globale, cette prescription ne serait pas nécessaire.

70.      Cependant, la Commission ne peut se fonder sur une décision d’exécution pour établir les modalités de l’évaluation du respect des valeurs limites. Il découle en effet des dispositions combinées de l’article 290, paragraphe 1, et de l’article 291, paragraphe 2, TFUE que la Commission, en exerçant un pouvoir d’exécution, ne peut modifier ni compléter l’acte législatif (27). Même si la décision d’exécution devait être considérée, contrairement à sa désignation, comme un acte délégué au sens de l’article 290 TFUE, il devrait néanmoins s’insérer dans le cadre juridique défini par la directive 2008/50 (28).

71.      L’interprétation de la directive 2008/50 est donc déterminante.

2.      Sur le libellé de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50

72.      Le libellé de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50 ne permet pas de répondre de façon certaine à la question.

73.      Selon la version allemande de l’article 13, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/50, les États membres veillent à ce que « überall in ihren Gebieten und Ballungsräumen » les niveaux d’anhydride sulfureux, de PM10, de plomb et de monoxyde de carbone dans l’air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites fixées à l’annexe XI. Cette formule pourrait signifier que ces valeurs doivent être respectées en tout lieu, c’est-à-dire qu’elles ne doivent être dépassées nulle part. Le dépassement constaté pour un point de prélèvement suffirait donc à constituer une violation de cette disposition. La version anglaise utilise la formule « throughout their zones and agglomerations » et a donc un contenu comparable.

74.      En revanche, les versions française (« dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations »), néerlandaise (« in de gehele zones en agglomeraties ») et espagnole (« en todas sus zonas y aglomeraciones ») pourraient être interprétées en ce sens qu’elles se réfèrent à l’ensemble des zones et agglomérations. Cela ne signifie pas nécessairement que les valeurs doivent être respectées en tout lieu, mais cela ne l’exclut pas non plus.

75.      De plus, l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive 2008/50 ne comporte aucune référence à un lieu déterminé. Selon cet article, les valeurs limites indiquées à l’annexe XI pour le dioxyde d’azote et le benzène ne peuvent plus être dépassées à partir des dates indiquées à ladite annexe. Cette disposition est donc ouverte aux deux interprétations, et ce dans toutes les versions linguistiques.

76.      Dans la mesure par conséquent où l’article 13, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/50 n’a pas nécessairement la même signification dans l’ensemble des versions linguistiques et où la deuxième phrase autorise différentes interprétations, il convient d’analyser en particulier plus précisément le contexte et la finalité de cette disposition.

3.      Sur le contexte normatif de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50

77.      L’annexe III revêt une importance particulière pour l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, première et deuxième phrases de la directive 2008/50, puisqu’il ressort de la troisième phrase de cet article que le respect des exigences énoncées aux deux premières phrases est évalué conformément à cette annexe. Les modalités de mesure établies à l’annexe III tendent cependant à exclure que les zones et agglomérations puissent faire l’objet d’une appréciation globale.

78.      En particulier, selon l’annexe III, partie A, point 1, de la directive 2008/50, la qualité de l’air ambiant est évaluée dans tous les emplacements (29), à l’exception de ceux énumérés au point 2 qu’il n’y a pas lieu d’évaluer. Les emplacements ainsi exclus sont géographiquement restreints puisqu’il s’agit, par exemple, des emplacements situés dans des zones où le public n’a pas accès et où il n’y a pas d’habitat fixe, des locaux ou installations industriels, auxquels s’appliquent toutes les dispositions pertinentes en matière de protection de la santé et de la sécurité au travail, ainsi que des chaussées et – pour autant que les piétons n’y ont pas normalement accès – des terre-pleins centraux des routes. Il s’ensuit qu’il y a lieu de procéder à une évaluation locale et non à une appréciation globale.

79.      Il est vrai cependant que, dans ce cas également, les versions linguistiques ne sont pas cohérentes puisque, selon la version néerlandaise, la qualité de l’air doit être évaluée partout (« overal »), une formulation légèrement plus ouverte à l’idée d’une appréciation globale que la formulation en allemand. Cependant, dans cette version également, certains emplacements sont exclus de l’évaluation, ce qui serait inutile dans le cadre d’une appréciation globale.

80.      Cependant, s’il convient d’écarter l’approche fondée sur la moyenne des valeurs de différents points de prélèvement, c’est principalement parce que l’article 7, paragraphe 1, et l’annexe III, partie B, point 1, sous a), de la directive 2008/50 prévoient deux types de points de prélèvement fixes. À l’annexe III, partie B, point 1, sous a), premier tiret, ceux permettant de fournir des renseignements sur « les endroits […] où s’observent les plus fortes concentrations », et, deuxième tiret, ceux permettant de fournir des renseignements sur les niveaux dans d’autres endroits qui sont représentatifs de l’exposition de la population en général.

81.      Le calcul de la moyenne des résultats de mesures provenant de différents emplacements peut être utile pour déterminer l’exposition de la population en général. Cependant, pourquoi faudrait-il déterminer une valeur moyenne à partir des renseignements concernant les concentrations les plus élevées et la pollution générale ? Par définition, les valeurs moyennes représentent la situation générale, mais celle-ci peut déjà être déterminée à partir de ces dernières données.

82.      De surcroît, les dispositions relatives notamment à la qualité des données, qui ressortent de l’annexe I, partie B, quatrième tiret, de la directive 2008/50, montrent que la qualité de l’air doit être évaluée sur le plan local et non pas selon une appréciation globale. En effet, selon cette disposition, il y a lieu de décrire l’étendue de tout site ou, le cas échéant, la longueur de route à l’intérieur de la zone ou de l’agglomération où les concentrations dépassent une valeur limite. Aucune divergence linguistique n’est du reste à relever dans ce point.

83.      Par conséquent, le cadre normatif dans lequel s’inscrit l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50 tend clairement à confirmer que le respect des valeurs limites doit être évalué à l’aide des résultats des mesures des points de prélèvement fixes, sans établir une valeur moyenne de tous les points de prélèvement.

4.      Sur les finalités de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/50

84.      Les conclusions tirées s’agissant du contexte normatif sont confirmées par l’objectif des valeurs limites en question. Elles visent, ainsi que cela ressort de l’article 1er, point 1, et des intitulés de l’article 13 et de l’annexe XI de la directive 2008/50, à protéger la santé humaine.

85.      On peut cependant craindre des effets néfastes pour la santé humaine partout où les valeurs limites sont dépassées. Dans ce cas, les mesures appropriées doivent être prises pour empêcher de tels effets. Au regard d’un tel risque, il importe peu de savoir si un dépassement concerne en moyenne l’ensemble de la zone ou de l’agglomération. La blague du statisticien qui se noie dans un lac dont la profondeur moyenne n’est toutefois que de quelques centimètres illustre parfaitement cette idée.

5.      Réponse à la deuxième question

86.      Il y a donc dépassement, au sens de l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50, d’une valeur limite fixée par l’annexe XI de la directive, lorsque les résultats des mesures effectuées à un seul point de prélèvement visé à l’article 7 de cette directive sont supérieurs à cette valeur limite.

V.      Conclusion

87.      Nous proposons donc à la Cour de répondre en ces termes :

1)      Les juridictions nationales sont tenues de rechercher, à la demande de personnes concernées, si des points de prélèvement ont été installés conformément aux critères de l’annexe III, partie B, point 1, sous a), de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, et, si tel n’est pas le cas, de prendre à l’égard de l’autorité nationale, dans le cadre de leurs compétences juridictionnelles, toute mesure nécessaire afin que les points de prélèvement soient placés dans le respect de ces critères. L’obligation d’installer des points de prélèvement à des emplacements précis peut résulter d’une telle décision de justice si les informations disponibles permettent d’établir que des points de prélèvement doivent y être placés. À défaut, les autorités compétentes peuvent être tenues de procéder à des investigations afin d’identifier les emplacements adéquats.

2)      Il y a dépassement, au sens de l’article 13, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50, d’une valeur limite fixée à l’annexe XI de la directive, lorsque les résultats des mesures effectuées à un seul point de prélèvement visé à l’article 7 de cette directive sont supérieurs à cette valeur limite.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Arrêt du 13 décembre 2018, Ville de Paris, Ville de Bruxelles et Ayuntamiento de Madrid/Commission (T‑339/16, T‑352/16 et T‑391/16, EU:T:2018:927).


3      Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1480 de la Commission, du 28 août 2015 (JO 2015, L 226, p. 4) (ci-après la « directive 2008/50 »).


4      Ordonnance du Bayerischer Verwaltungsgerichtshof du 9 novembre 2018, Deutsche Umwelthilfe (22 C 18.1718, DE:BAYVGH:2018:1109.22C18.1718.00), renvoi préjudiciel actuellement pendant devant la Cour sous le numéro d’affaire C‑752/18.


5      Arrêts du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 40), et du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 51).


6      Arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 41).


7      Voir, sur la question de l’effet direct des directives, arrêts du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, point 6) ; du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25), et du 17 octobre 2018, Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:833, point 28).


8      Arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C‑72/95, EU:C:1996:404, point 56) ; du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 66) ; du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU:C:2008:447, point 46) ; du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, points 100 à 103) ; du 5 septembre 2012, Rahman e.a. (C‑83/11, EU:C:2012:519, point 25), et du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 44).


9      Voir en ce sens arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5) ; du 27 juin 2013, Agrokonsulting (C‑93/12, EU:C:2013:432, points 35 et 36), et du 22 février 2018, INEOS Köln (C‑572/16, EU:C:2018:100, point 42).


10      Voir en ce sens arrêt du 24 avril 2008, Arcor (C‑55/06, EU:C:2008:244, points 164 à 169).


11      Arrêts du 21 janvier 1999, Upjohn (C‑120/97, EU:C:1999:14, point 35), et du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C‑211/03, C‑299/03 et C‑316/03 à C‑318/03, EU:C:2005:370, point 76), et, dans le même sens, arrêts du 9 mars 2010, ERG e.a. (C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, points 60 et 61), et du 4 avril 2017, Fahimian (C‑544/15, EU:C:2017:255, point 46).


12      Arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 75) ; du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe) (C‑425/08, EU:C:2009:635, points 47 et 62) ; du 22 décembre 2010, Gowan Comércio Internacional e Serviços (C‑77/09, EU:C:2010:803, point 55) ; du 9 juin 2016, Pesce e.a. (C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 49), et du 11 mai 2017, Dyson/Commission (C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 53).


13      Arrêts du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe) (C‑425/08, EU:C:2009:635, point 47) ; du 21 juillet 2011, Etimine (C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60) ; du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission (C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 75), et du 14 juin 2018, Lubrizol France/Conseil (C‑223/17 P, non publié, EU:C:2018:442, point 38).


14      Arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München (C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14) ; du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443, points 76 et 77), et du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe) (C‑425/08, EU:C:2009:635, point 62).


15      Arrêt du 3 juillet 2014, Conseil/In’t Veld (C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 63).


16      Arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München (C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14), et du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 69).


17      Arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 47).


18      Directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications, et modifiant la directive 2002/58/CE (JO 2006, L 105, p. 54).


19      Arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 48). Voir également arrêt du 6 octobre 2015, Schrems (C‑362/14, EU:C:2015:650, point 78).


20      Voir en ce sens arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation (C‑664/15, EU:C:2017:987, points 46 et 48).


21      Arrêt du 21 janvier 1999, Upjohn (C‑120/97, EU:C:1999:14, point 36) ; du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C‑211/03, C‑299/03 et C‑316/03 à C‑318/03, EU:C:2005:370, point 77), et du 6 octobre 2015, East Sussex County Council (C‑71/14, EU:C:2015:656, point 58).


22      Voir nos conclusions dans l’affaire Commission/Bulgarie (C‑488/15, EU:C:2016:862, points 2 et 3) et la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 21 septembre 2005, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe [COM(2005) 447 final, p. 2].


23      Voir nos conclusions dans l’affaire Commission/Bulgarie (C‑488/15, EU:C:2016:862, point 96).


24      Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7).


25      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44) ; du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50), et du 17 avril 2018, Commission/Pologne (forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 114).


26      Décision d’exécution 2011/850/UE de la Commission, du 12 décembre 2011, portant modalités d’application des directives 2004/107/CE et 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil concernant l’échange réciproque d’informations et la déclaration concernant l’évaluation de la qualité de l’air ambiant (JO 2011, L 335, p. 86).


27      Arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission (C‑65/13, EU:C:2014:2289, points 44 et 45), et du 9 juin 2016, Pesce e.a. (C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 46).


28      Arrêts du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑427/12, EU:C:2014:170, point 38) ; du 16 juillet 2015, Commission/Parlement et Conseil (C‑88/14, EU:C:2015:499, point 29), et du 17 mars 2016, Parlement/Commission (C‑286/14, EU:C:2016:183, point 30).


29      [En allemand : « an allen Orten »], en anglais : « at all locations ».