Language of document : ECLI:EU:T:2018:422

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

10 juillet 2018 (*)

« Référé – Convention de subvention conclue dans le cadre du sixième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2002-2006) – Recouvrement des sommes versées – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑244/18 R,

d.d. Synergy Hellas Anonymi Emporiki Etaireia Parochis Ypiresion Pliroforikis, établie à Athènes (Grèce), représentée par Me K. Damis, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes A. Katsimerou et A. Kyratsou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution de la décision C(2018) 1115 final de la Commission, du 19 février 2018, relative au recouvrement auprès de la requérante de la somme de 76 282,08 euros majorés des intérêts de retard,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, d.d. Synergy Hellas Anonymi Emporiki Etaireia Parochis Ypiresion Pliroforikis, a participé, en tant que membre d’un consortium, à la convention de subvention enregistrée sous la référence 045331 – J-WeB et signée au titre du sixième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration contribuant à la réalisation de l’espace européen de la recherche et à l’innovation (2002-2006) [décision n° 1513/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2002 (JO 2002, L 232, p. 1)].

2        En octobre 2011, la Commission européenne a effectué un audit financier. Le 4 avril 2012, le projet de rapport d’audit a été communiqué à la requérante. Dans le projet de rapport d’audit il est proposé d’accepter seulement un montant de 9 701,51 euros en tant que coûts éligibles et de rejeter un montant de 256 431,61 euros en tant que coûts inéligibles.

3        Par lettre du 25 octobre 2012, la Commission a informé la requérante de l’émission d’une note de débit. Le 6 novembre 2012, la note de débit n° 3241212053, par laquelle la Commission invitait la requérante à payer la somme de 253 892,80 euros avant le 21 décembre 2012, a été établie.

4        Par lettre du 22 novembre 2012, la requérante a accepté de rembourser le montant demandé, mais, invoquant d’importantes difficultés financières, a demandé un échelonnement du remboursement de la dette par tranches semestrielles sur une période de six ans. En outre, la requérante a envoyé à la Commission la garantie personnelle de son directeur général, M. I. B., concernant le remboursement de la somme réclamée par la note de débit n° 3241212053.

5        Le 15 février 2013, la Commission a établi la note de débit n° 3241301304, par laquelle elle invitait la requérante à payer la somme de 25 643,16 euros au plus tard le 2 avril 2013, à titre d’indemnité forfaitaire.

6        De janvier 2013 à février 2015, la requérante a partiellement remboursé les montants dus au titre des notes de débit n°s 3241212053 et 3241301304.

7        Par la suite, plusieurs échanges relatifs au rééchelonnement de la dette de la requérante ont eu lieu entre cette dernière et la Commission.

8        En raison du non-respect par la requérante des deux plans ajustés de remboursement de ses dettes, la Commission a exigé, par lettres des 26 et 27 janvier 2017, le paiement immédiat du principal exigible, majoré des intérêts de retard.

9        En conséquence, le directeur général de la requérante a proposé un nouveau plan ajusté de rééchelonnement du remboursement exigé.

10      Par courrier électronique du 3 avril 2017, la Commission a expliqué à la requérante qu’elle ne pouvait pas accepter un nouveau plan de rééchelonnement du remboursement des dettes et qu’il n’y avait pas d’autre choix que de procéder au recouvrement forcé des créances.

11      Par sa décision C(2018) 1115 final, du 19 février 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a décidé de recouvrer un montant de 76 282,08 euros majorés des intérêts auprès de la requérante.

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2018, la requérante a introduit un recours tendant, en substance, à l’annulation de la décision attaquée.

13      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 avril 2018, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        surseoir à l’exécution de « tout autre acte, décision et/ou omission connexe de la Commission qui présente un lien » avec la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      Dans ses observations sur la demande en référé, déposée au greffe du Tribunal le 23 mai 2018, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

15      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

16      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

17      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

18      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

19      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

21      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

22      En outre, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en cas de demande de sursis à l’exécution d’un acte de l’Union, l’octroi de la mesure provisoire sollicitée n’est justifié que si l’acte en question constitue la cause déterminante du préjudice grave et irréparable allégué (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 45 et jurisprudence citée).

23      Conformément à une jurisprudence constante, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

24      Lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée).

25      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

26      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).

27      Il est également de jurisprudence constante que, pour pouvoir apprécier si toutes les conditions mentionnées aux points 21 et 22 ci-dessus sont remplies, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance du 29 février 2016, ICA Laboratories e.a./Commission, T‑732/15 R, non publiée, EU:T:2016:129, point 39 et jurisprudence citée).

28      Si la demande en référé peut être complétée sur des points spécifiques par des renvois à des pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande. Il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes de la demande en référé, dans la requête principale ou dans les annexes de la requête principale qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet l’article 156, paragraphe 5, du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir, en ce sens, ordonnance du 20 juin 2014, Wilders/Parlement e.a., T‑410/14 R, non publiée, EU:T:2014:564, point 16 et jurisprudence citée).

29      Afin de démontrer l’urgence, d’une part, la requérante invoque sa situation financière qui lui ne permettrait pas de faire face au paiement exigé. À cet égard, elle avance ce qui suit :

« […] la procédure d’exécution va causer un préjudice irréparable et direct à ses intérêts : en effet, cela va créer un grand dysfonctionnement dans l’entreprise, car elle ne sera pas en mesure de fournir ses services à ses clients, ce qui impliquera la chute de ses ventes, et sa solvabilité et sa réputation professionnelle seront affectées de manière déterminante. En même temps, elle ne se trouvera pas dans les conditions économiques nécessaires pour pouvoir rémunérer les quarante (40) personnes qu’elle emploie tandis que, de manière correspondante, en raison du fait qu’elle ne pourra pas remplir ses obligations financières, elle court un risque imminent de cessation de ses activités, fait qui conduira mathématiquement à sa faillite. »

30      À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée aux point 27 ci-dessus, afin de démontrer un risque pour sa viabilité financière, la requérante aurait dû produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière.

31      Or, dans la mesure où la requérante se limite à des simples affirmations, aucunement étayées par des éléments de preuve, il convient de conclure que la requérante n’est pas parvenue à démontrer l’urgence en raison d’un risque pour sa viabilité financière.

32      D’autre part, la requérante soutient qu’elle a déjà remboursé 73 % du montant du principal et que, en outre, son directeur général s’est porté caution pour un montant de 253 892,80 euros, assorti d’intérêts, à savoir un montant qui est 2,5 fois supérieur à la somme réclamée dans la décision attaquée. Partant, la récupération du montant dû ne serait pas nécessaire pour protéger les intérêts financiers de l’Union. En outre, la décision attaquée serait manifestement illégale. Dans ces conditions, il conviendrait accorder le sursis sollicité.

33      À cet égard, dans la mesure où la requérante s’appuie essentiellement sur l’allégation d’une illégalité manifeste de la décision attaquée afin de fonder sa demande en référé, premièrement et à titre liminaire, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 18 ci-dessus, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont il examine les différentes conditions pour accorder une mesure provisoire ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement.

34      Ainsi, il n’est pas exclu que le juge des référés puisse, lorsqu’il l’estime opportun, prendre en considération le caractère plus ou moins sérieux des moyens invoqués pour établir un fumus boni juris lors de son évaluation de l’urgence et, le cas échéant, de la mise en balance des intérêts en présence [voir ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 23 et jurisprudence citée].

35      En revanche, la seule affirmation d’une partie sollicitant une mesure provisoire selon laquelle il existerait un fumus particulièrement sérieux, voire une illégalité manifeste, ne saurait avoir pour conséquence que le juge des référés devrait nécessairement et toujours examiner, pour cette seule raison, le caractère prétendument particulièrement sérieux du fumus boni juris.

36      Deuxièmement, il convient de relever qu’il résulte de la jurisprudence que si le caractère plus ou moins sérieux du fumus boni juris n’est pas sans influence sur l’appréciation de l’urgence, il n’en reste pas moins qu’il s’agit, conformément aux dispositions de l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure, de deux conditions distinctes qui président à l’obtention d’un sursis à exécution, de sorte que la partie sollicitant une mesure provisoire demeure tenue de démontrer également l’imminence d’un préjudice grave et irréparable [voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 24 et jurisprudence citée].

37      S’il est vrai que la jurisprudence a reconnu des exceptions à l’application stricte de cette règle, il n’en demeure pas moins que ces exceptions sont rares et ont été reconnues en raison du fait qu’il apparaissait excessivement difficile, voire impossible, et ce pour des raisons systémiques, de remplir la condition liée à l’urgence, telle que traditionnellement interprétée dans la jurisprudence (voir, en ce sens, ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 37).

38      Or, en l’espèce, la requérante n’avance pas de raisons systémiques qui lui rendrait excessivement difficile, voire impossible, la démonstration d’un préjudice grave et irréparable.

39      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, à défaut, pour la requérante, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris voire de procéder à la mise en balance des intérêts, ou d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

40      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 10 juillet 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Jaeger


*      Langue de procédure : le grec.