Language of document : ECLI:EU:C:2020:441

ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

4 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection en cas de licenciement injustifié – Articles 20, 21, 34 et 47 de la charte des droits fondamentaux – Directive 98/59/CE – Licenciement collectif – Réglementation nationale relative à la protection à accorder à un travailleur victime d’un licenciement collectif injustifié pour cause de violation des critères de choix des travailleurs à licencier – Absence de situation de mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux – Inapplicabilité de la charte des droits fondamentaux – Incompétence manifeste »

Dans l’affaire C‑32/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie), par décision du 18 septembre 2019, parvenue à la Cour le 22 janvier 2020, dans la procédure

TJ

contre

Balga Srl,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, MM. T. von Danwitz et A. Kumin (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20, 21, 30, 34 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TJ, une travailleuse licenciée à la suite d’une procédure de licenciement collectif, à Balga Srl au sujet de la protection juridique devant lui être octroyée en cas de licenciement injustifié pour violation des critères de choix des travailleurs à licencier.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 24 de la charte sociale européenne, dans sa version révisée, signée le 3 mai 1996 à Strasbourg (série des traités européens, n° 163, ci-après la « charte sociale européenne »), intitulé « Droit à la protection en cas de licenciement », stipule :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :

a.      le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;

b.      le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

À cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »

 Le droit de l’Union

4        Le considérant 2 de la directive 98/59 est libellé comme suit :

« considérant qu’il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté ».

5        L’article 2 de cette directive, qui constitue la section II de celle-ci, intitulée « Information et consultation », dispose :

« 1.      Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.      Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

[...]

3.      Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations :

a)      de leur fournir tous renseignements utiles et

b)      de leur communiquer, en tout cas, par écrit :

i)      les motifs du projet de licenciement ;

ii)      le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ;

iii)      le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ;

iv)      la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements ;

v)      les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur ;

vi)      la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v).

[...] »

6        Intitulée « Procédure de licenciement collectif », la section III de la directive 98/59 est composée des articles 3 et 4 de cette dernière.

7        L’article 3 de ladite directive dispose :

« 1.      L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

[...]

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements.

[...] »

8        L’article 6 de la directive 98/59, figurant à la section IV de cette dernière, intitulée « Dispositions finales », énonce :

« Les États membres veillent à ce que les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive. »

 Le droit italien

9        L’article 18 de la legge n. 300 – Norme sulla tutela della libertà e dignità dei lavoratori, della libertà sindacale e dell’attività sindacale, nei luoghi di lavoro e norme sul collocamento (loi no 300, portant dispositions relatives à la protection de la liberté et de la dignité des travailleurs, de la liberté syndicale et de l’activité syndicale sur le lieu de travail et dispositions relatives à l’emploi), du 20 mai 1970 (GURI no 131, du 27 mai 1970), prévoit, d’après les constatations de la juridiction de renvoi, les sanctions résultant d’une violation des critères de choix des travailleurs à licencier en cas de licenciement collectif, prévus à l’article 5 de la legge n. 223 – Norme in materia di cassa integrazione, mobilità, trattamenti di disoccupazione, attuazione di direttive della Comunità europea, avviamento al lavoro ed altre disposizioni in materia di mercato del lavoro (loi no 223, portant règles en matière de chômage technique, de mobilité, d’allocations de chômage, de mise en œuvre de directives communautaires, de placement de main-d’œuvre et autres dispositions relatives au marché du travail), du 23 juillet 1991 (supplément ordinaire à la GURI no 175, du 27 juillet 1991, ci-après la « loi n° 223/1991 »). En cas d’une telle violation, le juge annule le licenciement et condamne l’employeur à réintégrer le travailleur dans son poste de travail et à lui verser une indemnité correspondant à la dernière rémunération globale effective calculée depuis le jour du licenciement jusqu’à celui de la réintégration effective. En tout état de cause, le montant de l’indemnité ne peut excéder douze mois de rémunération globale effective. L’employeur est également tenu de verser les cotisations de sécurité sociale depuis le jour du licenciement jusqu’au jour de la réintégration effective, majorées des intérêts légaux, sans application de sanction pour défaut ou retard de paiement des cotisations.

10      Les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 10 du decreto legislativo n. 23 – Disposizioni in materia di contratto di lavoro a tempo indeterminato a tutele crescenti, in attuazione della legge 10 dicembre 2014, n. 183 (décret législatif no 23, relatif aux contrats de travail à durée indéterminée offrant une protection croissante, et mettant en œuvre la loi no 183 du 10 décembre 2014), du 4 mars 2015 (GURI no 54, du 6 mars 2015, ci-après le « décret législatif n° 23/2015 »), disposent que, en cas de licenciement collectif non justifié, le juge déclare la fin de la relation de travail et condamne l’employeur au paiement d’une indemnité, qui n’est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale, d’un montant compris entre 4 et 24 mensualités. En vertu du decreto legge n. 87 – Disposizioni urgenti per la dignità dei lavoratori e delle imprese (décret législatif no 87, relatif à la mise en place de dispositions urgentes pour la dignité des travailleurs et des entreprises), du 12 juillet 2018 (GURI no 161, du 13 juillet 2018), cette fourchette est comprise entre 6 et 36 mensualités.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Le 1er mai 2016, TJ a signé un contrat de travail avec Balga, la société ayant repris le personnel de la société qui l’employait précédemment. Le 15 mai 2016, elle a été licenciée avec huit de ses collègues, à la suite d’une procédure de licenciement collectif. La requérante au principal a formé un recours contre son licenciement devant le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie), en invoquant la violation des critères applicables au choix des travailleurs à licencier, visés à l’article 5 de la loi no 223/1991. Le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples) a rejeté ce recours comme étant non fondé. La requérante au principal a alors interjeté appel de cette décision devant la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie). Balga conteste le fondement de cet appel et soutient que, même si le caractère injustifié du licenciement est reconnu, la requérante au principal ne pourra obtenir sa réintégration, étant donné qu’elle a signé son contrat de travail après le 7 mars 2015, date d’entrée en vigueur du décret législatif no 23/2015, lequel a introduit une nouvelle disposition en matière de licenciements, qui prévoit uniquement, dans une telle hypothèse, le paiement d’une indemnité.

12      Selon la juridiction de renvoi, il existe, en Italie, deux régimes différents en matière de licenciements collectifs injustifiés, dont l’application dépend de la date de conclusion du contrat de travail à durée indéterminée.

13      En effet, les contrats de travail à durée indéterminée conclus jusqu’au 7 mars 2015 relèveraient de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 223/1991, qui renvoie à l’article 18 de la loi no 300, du 20 mai 1970, portant dispositions relatives à la protection de la liberté et de la dignité des travailleurs, de la liberté syndicale et de l’activité syndicale sur le lieu de travail et dispositions relatives à l’emploi. Selon ce régime, l’employeur devrait, en cas de licenciement injustifié, d’une part, réintégrer le travailleur dans son poste de travail et, d’autre part, verser une indemnité correspondant à la rémunération globale effective pour la période entre le jour du licenciement et celui de la réintégration effective, en sus du versement des cotisations de sécurité sociale correspondant à cette même période, sans que cette indemnité puisse excéder douze mensualités.

14      Les contrats de travail à durée indéterminée conclus après le 7 mars 2015 relèveraient de l’article 10 du décret législatif no 23/2015, qui renvoie, en cas de violation des critères relatifs au choix des travailleurs à licencier, aux sanctions prévues à l’article 3, paragraphe 1, de ce décret législatif. Cette disposition prévoirait non pas une possibilité de réintégration du travailleur, mais uniquement le versement d’une indemnité, qui ne donnerait pas lieu au versement de cotisations de sécurité sociale, dont le montant dépendrait, notamment, de l’ancienneté du travailleur. Cette indemnité serait ainsi comprise entre 4 et 24 mensualités, cette fourchette étant comprise entre 6 et 36 mensualités depuis l’entrée en vigueur du décret législatif no 87, du 12 juillet 2018.

15      Selon la juridiction de renvoi, la coexistence de ces deux régimes distincts fait naître des doutes quant à la compatibilité du régime en cause au principal avec le droit de l’Union et, plus précisément, quant à la compatibilité de la nouvelle réglementation résultant du décret législatif no 23/2015 avec les principes énoncés par la directive 98/59, en particulier à son considérant 2, qui mentionnerait la nécessité de renforcer la protection des travailleurs, ainsi qu’avec différents droits et principes garantis par la Charte. À cet égard, ladite juridiction souligne que, dans la mesure où les licenciements collectifs sont réglementés par la directive 98/59, le législateur national, en mettant en œuvre ladite directive, doit respecter également les droits fondamentaux consacrés par la Charte.

16      En particulier, l’article 30 de la Charte, intitulé « Protection en cas de licenciement injustifié », devrait, en vertu des explications relatives à la Charte, être interprété à la lumière de l’article 24 de la charte sociale européenne qui a été interprétée par le Comité européen des droits sociaux en ce sens que la sanction découlant d’un licenciement collectif injustifié est considérée comme adéquate lorsqu’elle prévoit le remboursement des pertes financières subies entre la date de licenciement et la décision de l’organe de recours, une possibilité de réintégration ainsi que des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime. En outre, selon l’arrêt du 11 octobre 2007, Paquay (C‑460/06, EU:C:2007:601, point 49), les États membres ne seraient pas tenus d’adopter une mesure déterminée en cas de licenciement illégal. Toutefois, la mesure choisie devrait être de nature à assurer une protection juridictionnelle effective et efficace, devrait avoir un effet dissuasif réel à l’égard de l’employeur et devrait être en tout cas adéquate au préjudice subi. Or, selon la juridiction de renvoi, un régime tel que celui prévu par le décret législatif no 23/2015 ne satisferait pas à ces exigences, en ce qu’il se bornerait à prévoir le versement d’une indemnité.

17      En premier lieu, la juridiction de renvoi relève que la simple indemnisation, dont le montant est déterminé principalement par un critère d’ancienneté, plutôt que par la prise en compte de la perte financière réelle subie par le travailleur, viole les principes de dissuasion, de proportionnalité, d’effectivité et de réparation adéquate du droit de l’Union, dont le législateur national devrait s’inspirer. En deuxième lieu, la différence de traitement résultant de l’existence de deux régimes distincts en cas de licenciement injustifié, qui se fonde non pas sur des raisons objectivement justifiées, mais uniquement sur la date de la signature du contrat de travail, serait constitutive d’une violation des principes d’égalité et de non-discrimination, consacrés aux articles 20 et 21 de la Charte. En troisième lieu, l’exigence consistant à assurer une protection juridictionnelle effective et efficace en cas de violation d’un droit fondamental rendrait la simple indemnisation incompatible avec le droit à un recours effectif, garanti à l’article 47 de la Charte. Enfin, la nouvelle réglementation prévue par le décret législatif no 23/2015, qui ne prévoirait pas la condamnation de l’employeur au paiement des cotisations sociales, porterait également atteinte à l’accès aux prestations de sécurité sociale, garanti à l’article 34 de la Charte.

18      Dans ces conditions, la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 30 de la Charte doit-il être interprété en ce sens que, en cas de licenciement collectif illégal, il reconnaît le droit à une protection effective, efficace, adéquate et dissuasive, dans la mesure où telles sont les caractéristiques des sanctions prévues par le “droit de l’Union” pour assurer le respect des valeurs fondamentales auxquelles doit se conformer la législation nationale – ou la pratique – qui prévoit concrètement une mesure de sanction contre tout licenciement injustifié ? En conséquence, le juge national peut-il utiliser ces caractéristiques dans l’affaire au principal en tant que limite externe pertinente pour faire en sorte que la législation ou la pratique nationales mettant en œuvre la directive [98/59] soient conformes au droit de l’Union ?

2)      Pour déterminer le niveau de protection qui est imposé par le droit de l’Union en cas de licenciement collectif illégal, l’article 30 de la Charte doit-il être interprété en prenant “dûment en considération” et, partant, en considérant comme pertinent, le contenu matériel de l’article 24 de la charte sociale européenne [...], qui est mentionnée dans les explications relatives à la Charte [...], tel que ce contenu matériel résulte des décisions du Comité européen des droits sociaux et, en conséquence, le droit de l’Union s’oppose-t-il à une législation nationale et à une pratique qui, en excluant une mesure de réintégration dans le poste de travail, limitent la protection à l’octroi d’une simple indemnité, caractérisée par un plafond qui est fixé prioritairement en fonction de l’ancienneté du travailleur et non de la réparation du préjudice effectivement subi par lui du fait de la perte de sa source de subsistance ?

3)      En conséquence, lorsque le juge national apprécie la compatibilité de la législation interne qui met en œuvre ou qui établit la mesure de protection prévue en cas de licenciement collectif illégal (pour violation de critères de choix), doit-il prendre en considération le contenu de la charte sociale européenne tel qu’il résulte des décisions de ses organes et, en tout état de cause, considérer comme nécessaire une protection qui assure ou, à tout le moins, tend à assurer, la pleine réparation des conséquences économiques de la perte du contrat de travail ?

4)      Les articles 20, 21, 34 et 47 de la Charte s’opposent-ils à ce qu’un État membre introduise une législation ou une pratique de mise en œuvre de la directive 98/59 prévoyant, pour les seuls travailleurs engagés après le 7 mars 2015, un régime de sanction qui, contrairement au régime garanti aux autres travailleurs soumis à la même procédure, mais engagés avant cette date, exclut la réintégration dans le poste de travail et, en tout état de cause, la réparation des conséquences de la perte du revenu et de la perte de la couverture de sécurité sociale, en leur accordant exclusivement une indemnité dont le montant est calculé en priorité en fonction de leur ancienneté et en prévoyant donc des sanctions différentes, selon la date de leur engagement, d’une manière qui génère une différence entre les niveaux de protection, fondés sur le critère susmentionné et non sur les conséquences effectives de la perte injustifiée de leur source de subsistance ? »

 Sur la compétence de la Cour

19      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle‑ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

20      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

21      Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, à moins qu’il soit manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 16 juillet 2009, Mono Car Styling, C‑12/08, EU:C:2009:466, points 27 et 28, ainsi que du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C‑44/08, EU:C:2009:533, points 32 et 33).

22      Il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal concerne les modalités de la protection à octroyer à la requérante au principal, victime d’un licenciement collectif considéré comme injustifié, résultant d’une violation des critères de choix des travailleurs à licencier. Ainsi, la juridiction de renvoi indique qu’un travailleur licencié de manière illicite à ce titre peut, en vertu de la loi n° 223/1991, prétendre à sa réintégration au sein de l’entreprise si le contrat de travail à durée indéterminée a été conclu jusqu’au 7 mars 2015, alors que le décret législatif no 23/2015, applicable aux contrats conclus postérieurement à cette date, ne prévoit que le versement d’une indemnité.

23      Or, dans la mesure où la situation juridique de la requérante au principal ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, il convient de constater que l’interprétation sollicitée de l’article 30 de la Charte, ayant trait à la protection en cas de licenciement injustifié, ainsi que des articles 20, 21, 34 et 47 de la Charte, n’a aucun rapport avec l’objet du litige au principal.

24      Selon une jurisprudence constante, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions de la Charte éventuellement invoquées ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (voir, en ce sens, ordonnances du 10 octobre 2013, Nagy e.a., C‑488/12 à C‑491/12 et C‑526/12, non publiée, EU:C:2013:703, point 17, ainsi que du 16 janvier 2014, Weigl, C‑332/13, non publiée, EU:C:2014:31, point 14).

25      En effet, les dispositions de la Charte s’adressent, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE ainsi que l’article 51, paragraphe 2, de la Charte précisent que cette dernière n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union européenne, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les tâches définies dans les traités. La Cour est donc appelée à interpréter, à la lumière de la Charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a., C‑198/13, EU:C:2014:2055, point 32 ; ordonnance du 24 septembre 2019, Spetsializirana prokuratura (Présomption d’innocence), C‑467/19 PPU, EU:C:2019:776, point 38, ainsi que arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 42].

26      Il importe, à cet égard, de rappeler que la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51 de la Charte, présuppose l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale en cause, qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre. La Cour a notamment conclu à l’inapplicabilité des droits fondamentaux de l’Union par rapport à une réglementation nationale, en raison du fait que les dispositions de l’Union du domaine concerné n’imposaient aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard de la situation en cause au principal. Dès lors, le seul fait qu’une mesure nationale relève d’un domaine dans lequel l’Union dispose de compétences ne saurait la placer dans le champ d’application du droit de l’Union et, donc, entraîner l’applicabilité de la Charte (arrêt du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a., C‑198/13, EU:C:2014:2055, points 34 à 36).

27      Contrairement à ce que sous-entend la juridiction de renvoi, il ne suffit donc pas, aux fins de constater que les dispositions du droit italien en cause au principal mettent en œuvre la directive 98/59, que ces dispositions fassent partie d’une réglementation plus large, dont certaines autres dispositions ont été adoptées afin de transposer cette directive. Il faudrait, en effet, pour que soit constatée l’applicabilité de la directive 98/59 et, par conséquent, de la Charte que cette directive impose une obligation spécifique à l’égard de la situation en cause au principal, qui a été mise en œuvre par les dispositions du droit italien concernées.

28      Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’une quelconque obligation imposée par la directive 98/59 soit en cause dans le litige au principal.

29      D’une part, il convient de constater que le considérant 2 de la directive 98/59, auquel la juridiction de renvoi se réfère et dont il résulte que cette directive vise à renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, n’impose aucune obligation spécifique à l’égard d’une situation telle que celle de la requérante au principal.

30      D’autre part, une telle obligation ne ressort pas des dispositions de la directive 98/59. L’objectif principal de cette directive consiste à faire précéder les licenciements collectifs d’une consultation des représentants des travailleurs et de l’information de l’autorité publique compétente. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de ladite directive, les consultations portent sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant, notamment, l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés. Selon l’article 2, paragraphe 3, et l’article 3, paragraphe 1, de la même directive, l’employeur doit notifier à l’autorité publique tout projet de licenciement collectif et lui transmettre les éléments et les renseignements mentionnés à ces dispositions (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 28).

31      La directive 98/59 n’assure de la sorte qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, à savoir la procédure à suivre lors de tels licenciements (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 29). Ainsi, la Cour a déjà été amenée à préciser que cette directive ne vise pas à établir un mécanisme de compensation financière générale au niveau de l’Union en cas de perte d’emploi et n’harmonise pas non plus les modalités de la cessation définitive des activités d’une entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2009, Rodríguez Mayor e.a., C‑323/08, EU:C:2009:770, points 45 et 51).

32      Or, les modalités de la protection devant être accordée à un travailleur ayant fait l’objet d’un licenciement collectif injustifié résultant d’une violation des critères de choix des travailleurs à licencier sont manifestement dépourvues de rapport avec les obligations de notification et de consultation résultant de la directive 98/59. Ni ces modalités ni lesdits critères de choix ne relèvent du champ d’application de cette directive. Ils demeurent, par conséquent, du ressort des États membres.

33      Il convient également de rappeler que, en vertu de l’article 6 de la directive 98/59, les États membres doivent veiller à ce que les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par cette directive. Cet article 6 n’impose pas aux États membres de mesure déterminée en cas de violation des obligations fixées par la directive 98/59, mais leur laisse la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif poursuivi par cette directive, en fonction des différentes situations qui peuvent se présenter. Ainsi que l’a, en substance, rappelé la juridiction de renvoi, ces mesures doivent toutefois assurer une protection juridictionnelle effective et efficace en vertu de l’article 47 de la Charte, et avoir un effet dissuasif réel (voir, par analogie, arrêt du 11 octobre 2007, Paquay, C‑460/06, EU:C:2007:601, points 43 à 45).

34      Toutefois, l’article 6 de la directive 98/59 et cette jurisprudence ne s’appliquent qu’aux procédures qui visent à faire respecter les obligations prévues par cette directive. Dans la mesure où il ressort sans équivoque de la décision de renvoi que le litige au principal concerne non pas la violation d’une obligation fixée par ladite directive, mais la violation des critères de choix des travailleurs à licencier, qui relèvent des États membres, ledit article 6 et ladite jurisprudence ne sauraient, en l’occurrence, trouver à s’appliquer.

35      À défaut d’éléments permettant de constater l’applicabilité de la directive 98/59 à la situation juridique de la requérante au principal, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples), par décision du 18 septembre 2019.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

La Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie), par décision du 18 septembre 2019.

 

Signatures      

 

*      Langue de procédure : l’italien.