Language of document : ECLI:EU:T:2007:289

Affaire T-201/04

Microsoft Corp.

contre

Commission des Communautés européennes

« Concurrence — Abus de position dominante — Systèmes d’exploitation pour PC clients — Systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail — Lecteurs multimédias permettant une réception en continu — Décision constatant des infractions à l’article 82 CE — Refus de l’entreprise dominante de fournir les informations relatives à l’interopérabilité et d’en autoriser l’usage — Subordination par l’entreprise dominante de la fourniture de son système d’exploitation pour PC clients à l’acquisition simultanée de son lecteur multimédia — Mesures correctives — Désignation d’un mandataire indépendant — Amende — Détermination du montant — Proportionnalité »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Décision nécessitant une appréciation économique ou technique complexe

(Art. 81 CE et 82 CE)

2.      Procédure — Requête introductive d'instance — Mémoire en réplique — Exigences de forme

(Statut de la Cour de justice, art. 21; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c))

3.      Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Obligations incombant à l'entreprise dominante

(Art. 82 CE)

4.      Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Obligations incombant à l'entreprise dominante

(Art. 82 CE)

5.      Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

6.      Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

7.      Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

8.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation — Critères

(Art. 82 CE; communication de la Commission 97/C 372/03)

9.      Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de levier

(Art. 82 CE)

10.    Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

11.    Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

12.    Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

13.    Accords internationaux — Accords de la Communauté — Primauté sur le seul droit dérivé — Conséquence en matière d'interprétation du droit communautaire — Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs)

14.    Concurrence — Position dominante — Abus — Refus d'octroi d'une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle

(Art. 82 CE)

15.    Concurrence — Position dominante — Abus — Vente liée

(Art. 82 CE)

16.    Concurrence — Position dominante — Abus — Vente liée

(Art. 82 CE)

17.    Concurrence — Position dominante — Abus — Vente liée

(Art. 82 CE)

18.    Concurrence — Position dominante — Abus — Vente liée

(Art. 82 CE)

19.    Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Obligations incombant à l'entreprise dominante — Exercice de la concurrence par les seuls mérites

(Art. 82 CE)

20.    Recours en annulation — Moyens — Impossibilité d'invoquer les accords de l'OMC pour contester la légalité d'un acte communautaire — Exceptions

(Art. 230 CE)

21.    Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Mesures correctives

(Art. 82 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 3, 14 et 16)

22.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères

(Art. 82 CE)

1.      Si le juge communautaire exerce, de manière générale, un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application des règles de concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu'il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission doit, toutefois, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

De même, pour autant qu'une décision de la Commission soit le résultat d'appréciations techniques complexes, celles-ci font en principe l'objet d'un contrôle juridictionnel limité, qui implique que le juge communautaire ne saurait substituer son appréciation des éléments de fait à celle de la Commission.

Cependant, si le juge communautaire reconnaît à la Commission une marge d'appréciation en matière économique ou technique, cela n'implique pas qu'il doit s'abstenir de contrôler l'interprétation, par la Commission, de données de cette nature. En effet, le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l'exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l'ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s'ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.

(cf. points 87-89, 379, 482, 564)

2.      En vertu de l'article 21 du statut de la Cour de justice et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Si le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels de l'argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête.

En outre, il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale.

Le Tribunal peut ne prendre en considération que les annexes qui étayent ou complètent des éléments de fait ou de droit expressément invoqués dans le corps des actes de procédure par le requérant ou par le défendeur.

Cette interprétation de l'article 21 du statut de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal vise également les conditions de recevabilité de la réplique, qui est destinée, selon l'article 47, paragraphe 1, du même règlement, à compléter la requête.

(cf. points 94-95, 99, 483)

3.      L'article 82 CE vise le comportement d'un ou de plusieurs opérateurs économiques, consistant à exploiter de façon abusive une situation de puissance économique qui permet à l'opérateur concerné de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui donnant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs.

Si la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, il incombe à celle-ci néanmoins, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

(cf. point 229)

4.      Dans le cadre d'une procédure engagée sur le fondement de l'article 82 CE, la Commission peut définir la notion d'« interopérabilité » comme la capacité, pour deux produits logiciels, d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement ces informations, afin de permettre à chacun de ces produits logiciels de fonctionner de toutes les manières prévues, sans être liée par la définition qu'en donne la directive 91/250 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, dont cependant elle ne s'écarte pas.

Dans ce cadre, la Commission peut déterminer le « degré d'interopérabilité » de produits logiciels en fonction de ce qui, selon elle, est nécessaire au regard de l'article 82 CE pour permettre aux concepteurs de systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents du concepteur en position dominante de rester de manière viable sur le marché. S'il est établi que le degré d'interopérabilité existant ne permet pas à ces concepteurs de rester présents de manière viable sur le marché, il s'ensuit qu'il est porté atteinte au maintien d'une concurrence effective sur celui-ci.

En imposant, à titre de mesure corrective, à une entreprise en position dominante de divulguer « les informations relatives à l'interopérabilité », la Commission vise une description technique détaillée de certaines règles d'interconnexion et d'interaction applicables au sein des réseaux de l'entreprise pour groupe de travail pour la fourniture de services de groupe de travail. Cette description ne s'étend pas à la manière dont l'entreprise met en oeuvre lesdites règles et ne vise donc pas, notamment, la structure interne ou le code source de ses produits.

Le degré d'interopérabilité ainsi retenu par la Commission permet aux systèmes d'exploitation concurrents d'interopérer avec l'architecture de domaine de l'entreprise en position dominante sur un pied d'égalité afin de pouvoir concurrencer de manière viable les systèmes d'exploitation de cette dernière. Il n'implique pas de faire fonctionner les produits des concurrents exactement de la même manière que les siens et ne permet pas à ses concurrents de cloner ou de reproduire ses produits ou certaines caractéristiques de ceux-ci.

(cf. points 192, 206, 225, 227-228, 230, 234, 236-238, 241, 259, 374-375)

5.      Dans le cadre d'une décision sanctionnant le refus, de la part d'une entreprise en position dominante, de fournir aux entreprises concurrentes des informations sur l'interopérabilité de produits logiciels, la Commission peut s'abstenir de prendre position sur la question de savoir si les protocoles de communication de l'entreprise ou les spécifications de ces protocoles sont couverts par des droits de propriété intellectuelle et présumer que l'entreprise peut faire valoir de tels droits. La Commission peut ainsi partir de la prémisse selon laquelle il est possible que le refus de fournir les informations sur l'interopérabilité ne soit pas un simple refus de fournir un produit ou un service indispensable à l'exercice d'une activité déterminée, mais soit un refus de consentir à un tiers une licence portant sur des droits de propriété intellectuelle. En effet, la Commission choisit ainsi la solution jurisprudentielle la plus stricte et, partant, la plus favorable à l'entreprise en position dominante mise en cause. Dans une telle situation, il convient donc de vérifier si les conditions permettant de contraindre une entreprise en position dominante à accorder une licence portant sur des droits de propriété intellectuelle sont réunies.

(cf. points 283-284, 290)

6.      Bien que les entreprises soient, en principe, libres de choisir leurs partenaires commerciaux, un refus de livrer émanant d'une entreprise en position dominante peut, dans certaines circonstances et pour autant qu'il ne soit pas objectivement justifié, constituer un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE.

Le fait, pour une entreprise détenant une position dominante, de refuser d'octroyer à un tiers une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE.

Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que l'exercice du droit exclusif par le titulaire du droit de propriété intellectuelle peut donner lieu à un tel abus et que, partant, il est permis, dans l'intérêt public du maintien d'une concurrence effective sur le marché, d'empiéter sur le droit exclusif du titulaire du droit de propriété intellectuelle en l'obligeant à octroyer des licences aux tiers qui cherchent à entrer sur ce marché ou à s'y maintenir.

Doivent notamment être considérées comme exceptionnelles les circonstances suivantes : en premier lieu, le refus porte sur un produit ou un service indispensable pour l'exercice d'une activité donnée sur un marché voisin; en deuxième lieu, le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin; en troisième lieu, le refus fait obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.

Dès qu'il est établi que de telles circonstances sont présentes, le refus de la part du titulaire en position dominante d'octroyer une licence est susceptible de violer l'article 82 CE à moins qu'il ne soit objectivement justifié.

Enfin, pour qu'un refus de donner accès à un produit ou à un service indispensable pour l'exercice d'une activité donnée puisse être considéré comme abusif, il faut distinguer deux marchés, à savoir, d'une part, un marché constitué par ledit produit ou ledit service et sur lequel l'entreprise qui oppose le refus détient une position dominante et, d'autre part, un marché voisin sur lequel le produit ou le service en cause est utilisé pour la production d'un autre produit ou la fourniture d'un autre service. Le fait que le produit ou le service indispensable ne soit pas commercialisé de manière séparée n'exclut pas d'emblée la possibilité d'identifier un marché distinct. Il suffit qu'un marché potentiel, voire hypothétique, puisse être identifié. Tel est le cas dès lors que des produits ou des services sont indispensables pour exercer une activité donnée et qu'il existe, pour ceux-ci, une demande effective de la part d'entreprises qui entendent exercer cette activité. Il est déterminant que puissent être identifiés deux stades de production différents, liés en ce que le produit en amont est un élément indispensable pour la fourniture du produit en aval.

(cf. points 319, 331-335, 691, 1336)

7.      Aux fins de l'application de l'article 82 CE au refus d'une entreprise en position dominante d'octroyer une licence sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail, les « informations relatives à l'interopérabilité » doivent être considérées comme « indispensables », notamment en raison du fait que l'interopérabilité revêt une importance concurrentielle significative sur ce marché, et ce même si leur indisponibilité n'a pour conséquence qu'une élimination progressive et non pas immédiate de la concurrence.

(cf. points 381, 428)

8.      Ainsi qu'il ressort de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, « un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés ». La substituabilité du côté de l'offre peut également être prise en considération pour définir le marché en cause dans les opérations où cette substituabilité a des effets équivalents à ceux de la substituabilité du côté de la demande en termes d'immédiateté et d'efficacité. Il faut, pour cela, que les fournisseurs puissent réorienter leur production vers les produits en cause et les commercialiser à court terme, sans encourir de coûts ou de risques supplémentaires substantiels, en réaction à des variations légères, mais durables, des prix relatifs.

S'agissant des systèmes d'exploitation, la Commission peut à bon droit conclure à l'existence d'un marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail distinct du marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels clients.

(cf. points 484-485, 531)

9.      Lorsque, dans le cadre d'une procédure d'application de l'article 82 CE, la Commission reproche à une entreprise de s'être servie, par l'exercice d'un « effet de levier » (leveraging), de la position quasi monopolistique qu'elle détient sur un marché de produits pour influer sur un deuxième marché de produits, le comportement abusif reproché à l'entreprise a pour origine la position dominante que celle-ci occupe sur le premier marché. Dès lors, même si la Commission a estimé à tort que l'entreprise se trouve en position dominante sur le deuxième marché de produits, ce fait ne saurait suffire, à lui seul, pour mener à la conclusion que la Commission a erronément conclu à l'existence d'un abus de position dominante.

(cf. point 559)

10.    Aux fins de l'application de l'article 82 CE, les expressions « risque d'élimination de la concurrence » et « de nature à éliminer toute concurrence » sont indistinctement utilisées par le juge communautaire en vue de refléter la même idée, à savoir celle selon laquelle l'article 82 CE ne s'applique pas uniquement à partir du moment où il n'existe plus, ou presque plus, de concurrence sur le marché. Si la Commission devait être obligée d'attendre que les concurrents soient éliminés du marché, ou qu'une telle élimination soit suffisamment imminente, avant de pouvoir intervenir en vertu de cette disposition, cela irait manifestement à l'encontre de l'objectif de celle-ci qui est de préserver une concurrence non faussée dans le marché commun et, notamment, de protéger la concurrence encore existante sur le marché en cause.

S'agissant d'un refus de la part d'une entreprise en position dominante d'octroyer une licence sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail, la Commission est d'autant plus fondée à faire application de l'article 82 CE avant que l'élimination de la concurrence se soit pleinement matérialisée que ce marché se caractérise par d'importants effets de réseau et qu'une telle élimination serait donc difficilement réversible.

Il n'est pas nécessaire de démontrer l'élimination de toute présence concurrentielle sur le marché. Ce qui importe, en effet, aux fins de l'établissement d'une violation de l'article 82 CE, c'est que le refus en cause risque de, ou soit de nature à, éliminer toute concurrence effective sur le marché. Il y a lieu de préciser, à cet égard, que le fait que les concurrents de l'entreprise en position dominante restent présents de manière marginale sur certaines « niches » du marché ne saurait suffire pour conclure à l'existence d'une telle concurrence.

(cf. points 561-563, 593)

11.    La circonstance selon laquelle le comportement reproché à une entreprise en position dominante empêche l'apparition d'un produit nouveau sur le marché est à prendre en considération dans le contexte de l'article 82, second alinéa, sous b), CE, lequel interdit les pratiques abusives consistant à « limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ».

La circonstance relative à l'apparition d'un produit nouveau ne saurait constituer l'unique paramètre permettant de déterminer si un refus de donner en licence un droit de propriété intellectuelle est susceptible de porter préjudice aux consommateurs au sens de l'article 82, second alinéa, sous b), CE. Ainsi qu'il ressort du libellé de cette disposition, un tel préjudice peut survenir en présence d'une limitation non seulement de la production ou des débouchés, mais aussi du développement technique.

L'article 82 CE vise non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice direct aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice indirect en portant atteinte à une structure de concurrence effective.

(cf. points 643, 647, 664)

12.    Si la charge de la preuve quant à l'existence des circonstances constitutives d'une violation de l'article 82 CE repose sur la Commission, c'est toutefois à l'entreprise dominante concernée, et non à la Commission, qu'il incombe, le cas échéant, et avant la fin de la procédure administrative, de faire valoir une éventuelle justification objective et d'avancer, à cet égard, des arguments et des éléments de preuve. Il appartient ensuite à la Commission, si elle entend conclure à l'existence d'un abus de position dominante, de démontrer que les arguments et les éléments de preuve invoqués par ladite entreprise ne sauraient prévaloir et, partant, que la justification présentée ne saurait être accueillie.

Le seul fait qu'un produit soit couvert par des droits de propriété intellectuelle ne saurait constituer une justification objective du refus d'octroyer une licence. En effet, si la simple détention de droits de propriété intellectuelle pouvait constituer en elle-même une justification objective d'un tel refus, l'exception établie par la jurisprudence ne pourrait jamais trouver à s'appliquer.

Il incombe ainsi à une entreprise en position dominante qui soutient que le fait de donner accès aux tiers à une technologie couverte par des droits de propriété intellectuelle a une incidence négative importante sur ses incitations à innover de le démontrer.

(cf. points 688-690, 697, 1144)

13.    La primauté des accords internationaux conclus par la Communauté sur les textes de droit communautaire dérivé commande d'interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords. Ce principe d'interprétation conforme ne s'applique que dans l'hypothèse où un accord international a primauté sur le texte de droit communautaire concerné. Un accord international, tel que l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs), n'ayant pas primauté sur le droit communautaire primaire, ce principe ne saurait notamment trouver à s'appliquer lorsque la disposition prétendument sujette à interprétation est l'article 82 CE.

En outre, dans une situation dans laquelle la Commission est appelée à appliquer l'article 82 CE aux circonstances factuelles et juridiques d'une espèce et dans laquelle il doit être présumé que, sauf preuve du contraire, les conclusions auxquelles elle a abouti à cet égard sont les seules qu'elle pouvait valablement adopter, la Commission ne doit pas, à proprement parler, faire un choix entre plusieurs interprétations possibles d'un texte de droit communautaire.

(cf. points 797-799)

14.    Lorsque la Commission sanctionne la violation de l'article 82 CE et ordonne à une entreprise en position dominante de divulguer les « informations relatives à l'interopérabilité » aux entreprises souhaitant développer et distribuer des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail et d'autoriser ces dernières à utiliser ces informations « à des conditions raisonnables et non discriminatoires », cela n'empêche nullement l'entreprise sanctionnée de donner accès à ces informations au moyen d'une licence si les informations sollicitées se rapportent à une technologie faisant l'objet d'un brevet ou couverte par un autre droit de propriété intellectuelle.

Le fait qu'il soit exigé que les conditions auxquelles seront soumises ces éventuelles licences soient raisonnables et non discriminatoires ne signifie nullement que l'entreprise en position dominante doit imposer des conditions identiques à toute entreprise demanderesse de telles licences. Il n'est, en effet, pas exclu que ces conditions puissent être adaptées aux situations propres à chacune de ces entreprises et dépendent, par exemple, de l'étendue des informations auxquelles elles souhaitent avoir accès ou du type de produits dans lesquels elles ont l'intention de les implémenter.

(cf. points 808, 810-811)

15.    Pour décider que le comportement d'une entreprise en position dominante constitue une vente liée abusive, la Commission peut à bon droit se fonder sur les quatre éléments suivants : premièrement, le produit liant et le produit lié sont deux produits distincts; deuxièmement, l'entreprise concernée détient une position dominante sur le marché du produit liant; troisièmement, ladite entreprise ne donne pas aux consommateurs le choix d'obtenir le produit liant sans le produit lié; quatrièmement, la pratique en cause restreint la concurrence. La Commission tient également compte du fait que la vente liée est dépourvue de justification objective.

Une telle justification ne saurait tenir aux avantages qui résulteraient du fait qu'une vente liée garantirait la présence uniforme d'un produit sur le marché. En effet, il ne saurait être admis que ce résultat soit imposé unilatéralement par une entreprise en position dominante par le biais de ventes liées.

L'énumération des pratiques abusives figurant à l'article 82 CE n'étant pas limitative, une vente liée pratiquée par une entreprise en position dominante peut violer l'article 82 CE même lorsqu'elle ne correspond pas à l'exemple mentionné à l'article 82, second alinéa, sous d), CE. Dès lors, pour constater l'existence d'une vente liée abusive, la Commission est en droit de se fonder sur l'article 82 CE dans son ensemble, et non exclusivement sur l'article 82, second alinéa, sous d), CE.

(cf. points 842-843, 852, 859-861, 1151-1152)

16.    La question de savoir si des produits sont distincts aux fins d'une analyse au titre de l'article 82 CE doit être appréciée en tenant compte de la demande des consommateurs. En l'absence de demande indépendante pour le produit prétendument lié, il ne saurait être question de produits distincts ni, partant, d'une vente liée abusive.

Des produits complémentaires peuvent constituer des produits distincts aux fins de l'application de l'article 82 CE.

Le fait qu'il y ait, sur le marché, des sociétés indépendantes spécialisées dans la fabrication et la vente du produit lié constitue un indice sérieux de l'existence d'un marché distinct pour ce produit.

Le fait qu'une vente liée intervienne sous la forme d'une intégration technique d'un produit dans un autre n'a pas pour conséquence que, du point de vue de l'appréciation de son impact sur le marché, cette intégration ne puisse être qualifiée de vente liée de deux produits distincts.

En outre, même lorsque la vente liée de deux produits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu'il existe un lien naturel entre les deux produits en question, elle peut néanmoins constituer un abus au sens de l'article 82 CE, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée.

S'agissant de systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels clients, d'une part, et des lecteurs multimédias permettant une réception en continu, d'autre part, il y a lieu de considérer qu'ils constituent deux produits distincts aux fins de l'application de l'article 82 CE, au vu de la nature et des caractéristiques techniques des produits concernés, des faits observés sur le marché, de l'historique du développement desdits produits ainsi que de la pratique commerciale de l'entreprise en position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels clients.

(cf. points 917-918, 921-922, 925, 927, 933, 935, 942, 1341)

17.    En matière de ventes liées, il ne ressort ni de l'article 82, second alinéa, sous d), CE ni de la jurisprudence que les consommateurs doivent nécessairement payer un certain prix pour le produit lié pour qu'il puisse être considéré que des prestations supplémentaires sont imposées à ceux-ci au sens de cette disposition.

Par ailleurs, ni l'article 82, second alinéa, sous d), CE ni la jurisprudence en matière de ventes liées n'exigent que les consommateurs soient contraints d'utiliser le produit lié ou empêchés d'utiliser le même produit fourni par un concurrent de l'entreprise dominante pour que la condition tenant au fait de subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation de prestations supplémentaires puisse être considérée comme étant remplie.

(cf. points 969-970)

18.    Même s'il est vrai que ni l'article 82, second alinéa, sous d), CE ni, plus généralement, l'article 82 CE ne contiennent une référence à l'effet anticoncurrentiel de la pratique visée, il n'en demeure pas moins que, par principe, un comportement ne sera considéré comme abusif que s'il est susceptible de restreindre la concurrence.

Aux fins de l'application de l'article 82 CE en matière de ventes liées, la Commission peut examiner les effets concrets qu'une vente liée a eus sur le marché ainsi que la manière dont celui-ci est appelé à évoluer, plutôt que de se contenter de considérer - comme elle le fait normalement dans les affaires en matière de ventes liées abusives - que ladite vente liée a un effet d'exclusion sur le marché per se, cela ne signifiant pas qu'elle a adopté une nouvelle théorie juridique.

Le fait, pour une entreprise en position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels clients, de coupler un lecteur multimédia permettant une réception en continu au système d'exploitation pour ordinateurs personnels clients - lequel système d'exploitation est préinstallé sur la grande majorité des ordinateurs personnels clients vendus dans le monde - sans qu'il soit possible de retirer le premier du second, permet au lecteur multimédia de bénéficier de l'omniprésence dudit système d'exploitation sur les ordinateurs personnels clients, omniprésence que les autres modes de distribution des lecteurs multimédias ne peuvent contrebalancer. La vente liée confère ainsi au lecteur multimédia une présence sans équivalent sur les ordinateurs personnels clients dans le monde en ce qu'elle permet à ce lecteur multimédia d'obtenir automatiquement un niveau de pénétration sur le marché correspondant à celui du système d'exploitation pour ordinateurs personnels clients de l'entreprise en position dominante, et ce sans devoir concurrencer par les mérites les produits concurrents. Une telle vente liée est en outre susceptible d'avoir une influence non négligeable sur les fournisseurs de contenu et les concepteurs de logiciels, le marché des lecteurs multimédias permettant une réception en continu se caractérisant par d'importants effets de réseau indirects.

(cf. points 867, 1035-1036, 1038, 1058, 1060-1061)

19.    L'article 82 CE entend interdire à une entreprise dominante de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites.

(cf. point 1070)

20.    Compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne figurent pas en principe parmi les normes au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité des actes des institutions communautaires. Ce n'est que dans l'hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l'OMC, ou dans le cas où l'acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC, qu'il appartient au juge communautaire de contrôler la légalité de l'acte communautaire en cause au regard des règles de l'OMC.

En tout état de cause, rien dans les dispositions de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs) ne s'oppose à ce que les autorités de la concurrence des membres de l'OMC ordonnent des mesures correctives qui limitent ou réglementent l'exploitation de droits de propriété intellectuelle détenus par une entreprise en position dominante lorsque celle-ci exerce ces droits d'une manière anticoncurrentielle. Ainsi, il ressort expressément de l'article 40, paragraphe 2, de l'accord TRIPs que les membres de l'OMC ont le droit de réglementer l'usage abusif de tels droits afin d'éviter des effets préjudiciables sur la concurrence.

(cf. points 801-802, 1189-1190, 1192)

21.    Lorsque la Commission constate, dans une décision, qu'une entreprise a violé l'article 82 CE, cette dernière est tenue de prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures nécessaires pour mettre son comportement en conformité avec cette disposition, et ce même en l'absence de mesures spécifiques prescrites par la Commission dans cette décision. Lorsque des mesures correctives sont prévues par ladite décision, l'entreprise concernée est obligée de les mettre en oeuvre - et ce en prenant à sa charge tous les coûts liés à cette mise en oeuvre - sous peine de se voir infliger des astreintes conformément à l'article 16 du règlement nº 17.

La Commission ne saurait déléguer à un tiers les pouvoirs d'enquête et d'exécution que lui confère le règlement nº 17. En revanche, elle est en droit de surveiller la mise en oeuvre, par l'entreprise concernée, des mesures correctives ordonnées dans une décision d'infraction et de s'assurer que les autres mesures nécessaires pour mettre fin aux effets anticoncurrentiels de l'infraction soient pleinement exécutées dans les meilleurs délais. À ces fins, elle est en droit de faire usage des pouvoirs d'enquête prévus par l'article 14 du règlement nº 17 et d'avoir recours, le cas échéant, à un expert externe afin, notamment, d'obtenir des éclaircissements sur des questions d'ordre technique.

De surcroît, si la Commission décide de se faire assister d'un expert externe, elle peut communiquer à ce dernier des informations et documents qu'elle aurait obtenus dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête au titre de l'article 14 du règlement nº 17.

En établissant un mécanisme de suivi comportant la désignation d'un mandataire indépendant appelé à agir de sa propre initiative et sur demande de tiers, dont le rôle ne se limite pas à poser des questions à l'entreprise concernée et à faire rapport à la Commission et qui a accès aux informations, documents, locaux et employés ainsi qu'aux codes source des produits pertinents, sans limite de temps, la Commission va bien au-delà de la situation dans laquelle elle désigne son propre expert externe en vue de la conseiller au cours d'une enquête quant à la mise en exécution de mesures correctives.

Par ailleurs, aucune disposition du règlement nº 17 n'habilite la Commission à imposer aux entreprises de supporter les coûts qu'elle-même encourt en conséquence de la surveillance de l'exécution de mesures correctives.

En effet, il incombe à la Commission, en sa qualité d'autorité chargée d'appliquer les règles communautaires de la concurrence, de poursuivre l'exécution des décisions d'infraction de façon indépendante, objective et impartiale. Il serait incompatible avec sa responsabilité à cet égard que l'exécution effective du droit communautaire dépende ou soit influencée par la volonté ou la capacité de l'entreprise destinataire de la décision de supporter de tels frais.

En outre, la Commission ne jouit pas d'une marge discrétionnaire illimitée dans la formulation de mesures correctives à imposer à des entreprises pour mettre fin à une infraction. Dans le cadre de l'application de l'article 3 du règlement nº 17, le principe de proportionnalité impose que les charges imposées aux entreprises pour mettre fin à une infraction ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui ont été méconnues.

(cf. points 1256, 1264-1266, 1268-1270, 1274-1276)

22.    Dans le cas d'une entreprise ayant commis deux abus de position dominante, la Commission peut, pour évaluer la gravité de l'infraction aux fins de la détermination du montant de l'amende, prendre en compte le fait que ces deux abus s'inscrivent dans une stratégie d'effet de levier visant à utiliser la position dominante détenue sur un marché de produits en vue de l'étendre sur d'autres marchés voisins.

En outre, dans un tel cas, la Commission peut retenir un unique montant de départ de l'amende pour les deux abus, sans être tenue d'expliquer comment il se répartit entre les deux abus.

Il n'incombe pas à la Commission, au titre de l'obligation de motivation, d'indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes.

La Commission peut appliquer un coefficient multiplicateur à ce montant de départ pour assurer à l'amende un caractère dissuasif suffisant et eu égard à la capacité économique significative de l'entreprise en position dominante. À cet égard, il est possible de prendre en compte l'existence d'un risque que l'entreprise commette à l'avenir le même type d'infraction avec d'autres produits.

(cf. points 1344, 1352, 1360-1361, 1363)