Language of document : ECLI:EU:C:2019:477

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

4 juin 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Libre prestation des services – Restrictions – Jeux de hasard – Taxes nationales grevant l’exploitation de machines à sous installées dans des salles de jeux – Législation nationale quintuplant le montant d’une taxe et instituant une taxe additionnelle »

Dans l’affaire C‑665/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), par décision du 9 octobre 2018, parvenue à la Cour le 23 octobre 2018, dans la procédure

Pólus Vegas Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE, lu à la lumière de l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386), ainsi que de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Pólus Vegas Kft. au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’Office national des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après la « direction des recours ») au sujet d’une demande de rectification d’une taxe prélevée au titre de l’exploitation de machines à sous.

 Le cadre juridique

3        L’article 33 du szerencsejáték szervezéséről szóló 1991. évi XXXIV. törvény (loi n° XXXIV de 1991, relative à l’organisation de jeux de hasard, ci-après la « loi sur les jeux de hasard »), dans sa version applicable jusqu’au 31 octobre 2011, prévoyait que la taxe forfaitaire sur les jeux frappant l’exploitation des machines à sous s’élevait, par position de jeu et par mois, à 100 000 forints hongrois (HUF) (environ 311 euros) pour les machines à sous installées dans les salles de jeux de catégories I et II.

4        L’article 33 de la loi sur les jeux de hasard a été modifié par l’article 27 de l’államháztartás stabilitását elősegítő az egyes adótörvények módosításáról szóló 2011. évi CXXV. törvény (loi n° CXXV de 2011, modifiant certaines lois fiscales aux fins d’assurer la stabilité des finances publiques, ci-après la « loi modificative de 2011 »), avec effet au 1er novembre 2011, de manière à porter le montant de 100 000 HUF à 500 000 HUF (environ 1 155 euros) pour les machines à sous installées dans les salles de jeux de catégories I et II. Cet article 27 a également institué une taxe proportionnelle sur les jeux grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux, pour autant que les recettes nettes par machine atteignent ou dépassent, pour un trimestre donné, la somme de 900 000 HUF (environ 2 799 euros).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        Pólus Vegas est une société commerciale qui, jusqu’au 10 octobre 2012, exploitait des machines à sous dans des salles de jeux de catégorie I.

6        S’appuyant sur l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386), Pólus Vegas a introduit, au mois d’octobre 2016, une demande de rectification de la taxe acquittée auprès des autorités fiscales hongroises, faisant valoir que les modifications apportées à la loi sur les jeux de hasard par la loi modificative de 2011 étaient contraires à l’article 56 TFUE et réclamant un différentiel de taxe en sa faveur.

7        Par décision du 13 février 2017, l’autorité fiscale hongroise de premier degré a rejeté cette demande au motif que la Cour, dans son arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386), n’avait pas explicitement déclaré que la législation hongroise en cause au principal était contraire au droit de l’Union et n’avait fourni que des indications à cet égard, laissant ainsi à la juridiction nationale le soin de vérifier si les critères énoncés dans cet arrêt étaient remplis dans l’affaire au principal concernée par cet arrêt. Cette autorité a estimé, en outre, qu’elle n’était pas habilitée à exercer un tel contrôle sur les dispositions nationales qu’elle est tenue d’appliquer.

8        Saisie d’une réclamation par Pólus Vegas, la direction des recours a confirmé cette décision, en considérant que tant les constatations de fait que les conclusions qui en avaient été tirées étaient correctes.

9        Pólus Vegas a dès lors formé un recours contre la décision de la direction des recours devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir que cette décision était contraire à l’article 56 TFUE et ne tenait pas compte de l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386).

10      Cette juridiction fait observer, en particulier, que les juridictions nationales hongroises ont interprété diversement cet arrêt.

11      Eu égard aux incertitudes liées à l’interprétation dudit arrêt, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser les aspects, les circonstances, les faits, les relations et les conséquences sur la base desquels il peut être constaté, le cas échéant, que des activités sont « prohibées », « gênées » ou « rendues moins attrayantes », au sens du même arrêt. À cet égard, se poserait, notamment, la question de savoir si le fait qu’une activité qui était nettement et durablement rentable et qui est devenue déficitaire à la suite de l’augmentation de l’imposition nationale permet de conclure que la législation nationale qui prévoit cette augmentation constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE.

12      Dans ces circonstances, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Peut-on interpréter les points 39 à 42 de [l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386),] en ce sens que doit être qualifié de restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE le fait pour le législateur d’un État membre de quintupler, sans prévoir de période transitoire, la taxe forfaitaire sur les jeux et d’introduire conjointement à cela une taxe proportionnelle grevant également les jeux ?

2)      Peut-on interpréter les notions de “gêner” ou “rendre moins attrayantes” qui figurent dans [l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386)], compte tenu des dispositions du [protocole additionnel (n° 1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Paris le 20 mars 1952,] et de l’article 17 de la [Charte], en ce sens que l’augmentation injustifiée et dépassant la mesure du raisonnable de la taxe nationale sur les jeux, faussant ainsi de manière disproportionnée et discriminatoire les conditions de concurrence en faveur des casinos, prive de leurs profits les organisateurs de jeux de hasard dans des salles de jeux, à l’encontre du protocole précité et de l’article 17 de la [C]harte ?

3)      Peut-on interpréter [l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386),] en ce sens qu’il peut être constaté qu’une activité est “gênée” ou “rendue moins attrayante” dans un cas où l’augmentation injustifiée et discriminatoire de la taxe sur les jeux a pour résultat que l’exploitation de machines à sous ne peut plus être rentable après cette augmentation et ne peut plus entraîner que des pertes ?

4)      Peut-on, dans le cadre de l’application de [l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386)], interpréter la notion de libre prestation des services d’une manière telle que, dans le cas des salles de jeux et casinos exploités dans l’État membre, il convient fondamentalement de supposer l’existence d’un élément de rattachement au droit de l’Union, à savoir que des citoyens de l’Union provenant d’autres États membres font également appel aux possibilités de jeux en cause ? »

 Sur les questions préjudicielles

13      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

14      Par ailleurs, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

15      Il y a lieu de faire application de ces dispositions dans le cadre de la présente affaire.

 Sur la quatrième question

16      Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE, lu à la lumière de l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386), doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne l’exploitation de machines à sous dans un État membre, il convient de présumer l’existence d’une situation transfrontalière au motif que des citoyens de l’Union provenant d’autres États membres pourraient faire appel aux possibilités de jeux offertes par ladite exploitation.

17      Il y a lieu de rappeler que des législations nationales telles que celles en cause au principal, qui sont indistinctement applicables aux ressortissants de différents États membres, ne sont, en règle générale, susceptibles de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE que dans la mesure où elles s’appliquent à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres (arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

18      À cet égard, d’une part, dans l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, point 25), la Cour a, au regard, notamment, de la même législation nationale que celle en cause au principal, relevé l’existence d’un élément transfrontalier eu égard au fait qu’une partie de la clientèle des requérantes concernées dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, était composée de citoyens de l’Union en vacances en Hongrie.

19      Il s’ensuit que, dans ledit arrêt, la Cour n’a pas présumé l’existence d’un élément transfrontalier au motif que la clientèle serait, potentiellement, constituée de citoyens de l’Union ressortissants d’autres États membres, mais a, au contraire, relevé que, au vu des éléments fournis par la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant conduit au même arrêt, tel était effectivement le cas.

20      D’autre part, dans l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C-98/14, EU:C:2015:386, point 27), la Cour a relevé qu’il ne pouvait être exclu que des opérateurs établis dans des États membres autres que la Hongrie eussent été ou fussent intéressés à ouvrir des salles de jeux sur le territoire hongrois.

21      Cela étant, à ce dernier égard, la Cour a précisé que, saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, la Cour ne saurait, sans indication de cette juridiction autre que le fait que la législation nationale en cause est indistinctement applicable aux ressortissants de l’État membre concerné et aux ressortissants d’autres États membres, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales lui est nécessaire à la solution du litige pendant devant elle. En effet, les éléments concrets permettant d’établir un lien entre l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et l’article 56 TFUE doivent ressortir de la décision de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54).

22      Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 55).

23      En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier que la juridiction de renvoi est saisie d’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur de la Hongrie, dans la mesure où, au vu de ces éléments, Pólus Vegas paraît être une société hongroise qui exploite des machines à sous dans des salles de jeux situées sur le territoire hongrois. Cette juridiction n’a, toutefois, évoqué aucun élément particulier de nature à justifier l’existence d’un lien de rattachement suffisant avec les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales et, plus particulièrement, avec celles concernant la libre prestation des services.

24      Dans ces conditions, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 56 TFUE, lu à la lumière de l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386), doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne l’exploitation des machines à sous dans un État membre, l’existence d’une situation transfrontalière ne peut être présumée au seul motif que des citoyens de l’Union provenant d’autres États membres pourraient faire appel aux possibilités de jeux ainsi offertes.

 Sur les première à troisième questions

25      Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si une législation nationale, telle que la loi modificative de 2011, qui, sans prévoir de période transitoire, quintuple le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation de machines à sous dans des salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité, constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE, tel qu’il a été interprété par la Cour dans l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386).

26      Dans la mesure où il ressort de la réponse apportée à la quatrième question que la juridiction de renvoi n’a pas fourni à la Cour d’explications de nature à justifier l’existence, dans le cadre du litige au principal, d’un élément transfrontalier, la Cour n’est pas compétente pour répondre aux première à troisième questions.

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 56 TFUE, lu à la lumière de l’arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C98/14, EU:C:2015:386), doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne l’exploitation des machines à sous dans un État membre, l’existence d’une situation transfrontalière ne peut être présumée au seul motif que des citoyens de l’Union européenne provenant d’autres États membres pourraient faire appel aux possibilités de jeux ainsi offertes.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.