Language of document : ECLI:EU:C:2001:113

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 22 février 2001 (1)

Affaires jointes C-122/99 P et C-125/99 P

D

et

Royaume de Suède

contre

Conseil de l'Union européenne

«Pourvoi - Fonctionnaire - Allocation de foyer - Fonctionnaire marié - Partenariat enregistré de droit suédois»

1.
    D, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, et le royaume de Suède ont formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (deuxième chambre) du 28 janvier 1999, D/Conseil (T-264/97, RecFP p. I-A-1 et II-1, ci-après l'«arrêt attaqué»).

I - Les faits et le cadre procédural

2.
     D, de nationalité suédoise, est engagé avec un autre ressortissant suédois dans les liens d'un partenariat enregistré depuis le 23 juin 1995. Par des notes du 16 et du 24 septembre 1996, il a demandé au Conseil d'assimiler son état de partenaire enregistré à un mariage en vue d'obtenir le bénéfice de l'allocation de foyer.

3.
    L'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») du Conseil a rejeté cette demande par une note du 29 novembre 1996, en considérant que la disposition en cause du statut ne permettait pas l'assimilation du partenariat enregistré au mariage.

4.
    Une réclamation contre cette décision a également été rejetée le 30 juin 1997.

5.
    C'est pourquoi, le 2 octobre 1997, le fonctionnaire concerné a demandé au Tribunal l'annulation du rejet de sa demande et l'octroi de tous les avantages auxquels son statut légal de partenaire enregistré lui donne droit en application du statut. La demande d'annulation a reçu le soutien du gouvernement suédois.

6.
    Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par D. Aussi bien D que le royaume de Suède ont introduit un pourvoi contre cet arrêt, respectivement les 13 et 14 avril 1999.

7.
    Ces deux pourvois, enregistrés sous les numéros C-122/99 P et C-125/99 P, ont fait l'objet d'une jonction aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l'arrêt.

II - Le cadre juridique

A - Le statut des fonctionnaires des Communautés européennes

8.
    Aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»):

«2.    A droit à l'allocation de foyer:

a)    le fonctionnaire marié;

b)    le fonctionnaire veuf, divorcé, séparé légalement ou célibataire, ayant un ou plusieurs enfants à charge au sens de l'article 2 paragraphes 2 et 3;

c)    par décision spéciale et motivée de l'autorité investie du pouvoir de nomination, prise sur la base de documents probants, le fonctionnaire qui, ne remplissant pas les conditions prévues aux points a) et b), assume cependant effectivement des charges de famille.»

B - La loi suédoise sur le partenariat enregistré

9.
    Aux termes du chapitre 1, article 1er, de la lagen om registrerat partnerskap du 23 juin 1994 (1994:1117), entrée en vigueur le 1er janvier 1995:

«Deux personnes de même sexe peuvent demander l'enregistrement de leur partenariat».

10.
    Aux termes du chapitre 3, article 1er, de cette même loi:

«Le partenariat enregistré a les mêmes effets juridiques que le mariage, sous réserve des exceptions prévues aux articles 2 à 4.

Les dispositions législatives concernant le mariage et les conjoints s'appliquent de façon correspondante aux partenariats enregistrés et aux partenaires enregistrés, à moins qu'il en soit disposé autrement par les règles concernant les exceptions prévues aux articles 2 à 4.»

III - Le pourvoi

A - Introduction

11.
    Dans leurs pourvois, D et le royaume de Suède, appuyés par le royaume de Danemark et par le royaume des Pays-Bas, contestent le rejet par le Tribunal, dans l'arrêt attaqué, de leurs moyens visant essentiellement à voir reconnaître D comme un «fonctionnaire marié» au sens de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut.

12.
    Dans ses écrits, D invoque à l'appui de son pourvoi cinq moyens:

-    un défaut de motivation de l'arrêt attaqué;

-    une violation du principe de compétence d'attribution;

-    une violation du «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire»;

-    une violation du principe de la libre circulation des travailleurs et des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination, moyen divisé en deux branches, à savoir une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, d'une part, et une discrimination fondée sur la nationalité et une entrave à la libre circulation des travailleurs, d'autre part;

-    une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la «convention»).

13.
    Le royaume de Suède estime que le Tribunal a fait une interprétation incorrecte de l'annexe VII du statut, en considérant que les fonctionnaires en situation de partenariat enregistré ne devaient pas être assimilés aux fonctionnaires mariés aux fins de l'attribution de l'allocation de foyer. Le royaume de Danemark et le royaume des Pays-Bas défendent, en substance, la même position.

14.
    À l'opposé, le Conseil estime que le Tribunal a correctement interprété l'annexe VII du statut et que le défaut et les violations qui ont été relevés par D ne sont pas présents.

15.
    Nous examinerons les différents moyens de pourvoi dans l'ordre où ils ont été présentés par D. En effet, les arguments du royaume de Suède, du royaume de Danemark et du royaume des Pays-Bas peuvent être rattachés à l'un ou l'autre des moyens développés par D. À titre liminaire, il convient, cependant, à la suite d'une remarque de D, de dire un mot sur l'objet du litige.

B - Sur l'objet du litige

16.
    D affirme que le Tribunal a incorrectement défini l'objet du présent litige.

17.
    Il reproche au Tribunal d'avoir considéré que la procédure précontentieuse n'avait eu pour objet que l'octroi de l'allocation de foyer et que, dès lors, le recours ne pouvait tendre qu'à l'annulation du refus de faire droit à cette demande.

18.
    Or, selon lui, sa requête visait à obtenir la reconnaissance de son état civil de partenaire enregistré en vue de la détermination de ses droits statutaires en général. Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit en limitant la portée de la demande à la seule allocation de foyer.

19.
    Le Conseil rétorque que la succession des correspondances montre, sans équivoque, que l'assimilation du statut du requérant au mariage a été demandée aux seules fins de l'octroi de l'allocation de foyer.

20.
    Il convient donc d'analyser les notes échangées entre D et le Conseil au stade de la demande.

21.
    Dans sa première note, manuscrite, du 16 septembre 1996, adressée à l'AIPN du Conseil, D écrivait: «Voici les supports demandés dans le but de faire passer comme mariage mon état civil de partenaire enregistré». Cette note a aussitôt été suivie d'une deuxième note manuscrite, datée du 24 septembre 1996 et libellée, pour ce qui concerne le corps du texte, de la façon suivante: «Voici la pièce justificative de mon mariage. Je vous remercie d'avance d'un favorable traitement du dossier».

22.
    Dans sa réclamation, signée par son avocat, D a défini les deux notes précitées comme visant l'allocation de foyer. En effet, le point 3 de la réclamation se lit comme suit: «Par notes des 16 et 24 septembre 1996, il a demandé l'octroi de l'allocation de foyer» (souligné dans le texte de la réclamation).

23.
    Il est vrai que, dans une autre note, en date du 16 octobre 1996, le requérant a écrit: «mon conjoint a l'intention de me rejoindre à Bruxelles au début du mois de novembre et a dès lors le droit de bénéficier, en cette qualité, des dispositions énoncées au protocole sur les privilèges et immunités». Mais l'objet de cette note était défini comme étant «demande d'allocation de foyer».

24.
    Même si les notes échangées comportaient donc une certaine ambiguïté, résultant probablement du fait que le requérant ne connaissait pas encore bien le statut, on peut cependant conclure que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en qualifiant l'objet du litige comme étant l'obtention de l'allocation de foyer.

25.
    Ajoutons encore que, à nos yeux, cette controverse est largement artificielle, car, très rapidement, le débat entre les parties a porté sur la notion de «fonctionnaire marié» figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de l'annexe VII du statut. C'est le directeur du personnel du Conseil lui-même qui, dans une note du 29 novembre 1996, donc antérieure à la réclamation, a été le premier à indiquer que la demande d'octroi de l'allocation de foyer ne pourrait être satisfaite qu'au cas où il serait possible de considérer D comme un fonctionnaire marié au sens de cette disposition.

26.
    Le Tribunal a, lui aussi, déclaré, au point 26 de l'arrêt attaqué, que le problème devait être examiné à la lumière de cette disposition et il a ensuite essentiellement examiné si le statut de partenariat enregistré pouvait, ou non, être assimilé à un mariage.

27.
    Or, si le Tribunal était parvenu à une conclusion positive à cet égard, le requérant aurait automatiquement dû bénéficier non seulement de l'allocation de foyer, mais de tous les avantages que le statut attache au mariage.

28.
    En fait, la demande du requérant a donc été examinée de la même manière que si l'objet du litige avait été l'obtention du statut de «fonctionnaire marié» dans toute son ampleur.

C - Sur la motivation de l'arrêt

29.
    Dans son premier moyen, D estime que, au point 36 de l'arrêt attaqué, le rejet de son moyen pris de la violation du principe de l'unicité du statut personnel n'est pas suffisamment motivé. Le Tribunal a jugé que «[c]e moyen, à supposer qu'il puisse être distingué du [moyen pris de la violation des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination], est, en tout état de cause, dépourvu de pertinence, dès lors que la décision de rejet s'est bornée à le considérer comme non marié au sens du statut, à la seule fin d'apprécier son droit au bénéfice d'une allocation réservée aux fonctionnaires mariés».

30.
    Selon D, le Tribunal n'a pas répondu de façon distincte aux moyens soulevés par lui en première instance et tirés, respectivement, de la violation du principe d'égalité de traitement et de l'atteinte à l'unicité de l'état civil des personnes à l'intérieur de la Communauté. En outre, le Tribunal n'a pas examiné ce dernier moyen.

31.
    Il résulte, selon nous, du point 36 de l'arrêt attaqué que le Tribunal a effectivement répondu, de façon distincte, au moyen de D pris d'une violation tirée du principe de l'unicité du statut civil. En particulier, il a déclaré ce dernier moyen, de façon motivée («dès lors que [...]»), comme dépourvu de pertinence.

32.
    Il existe donc une motivation qui, par ailleurs, nous paraît suffisante. En effet, le fait que, comme le Tribunal l'a constaté, «la décision de rejet s'est bornée à le considérer comme non marié au sens du statut» n'équivaut pas à méconnaître l'état civil de D en droit suédois, qui est celui d'un partenaire enregistré. En revanche, si le principe d'unicité de l'état civil signifie que D doit être considéré comme étant, au regard du statut, dans la même situation qu'une personne mariée, le Tribunal a correctement considéré que le moyen pris de la violation de l'unicité de l'état civil ne différait en réalité pas du moyen pris d'une violation de l'égalité de traitement.

33.
    Nous sommes donc d'avis que le premier moyen de D n'est pas fondé.

D - Sur l'application du principe de compétence d'attribution

34.
    Le deuxième moyen de D est relatif à la violation du principe de compétence d'attribution [article 4 du traité CE (devenu article 7 CE)] qu'aurait commise le Tribunal en considérant qu'il appartenait au Conseil de donner une interprétation autonome à la notion de mariage au sens du statut.

35.
    Au sens strict, ce moyen ne soulève que le problème de la méthode à utiliser afin d'interpréter l'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut. Comme, toutefois, le royaume de Suède reproche au Tribunal une interprétation erronée de cette disposition statutaire, nous croyons utile d'examiner non seulementla méthode d'interprétation à utiliser, mais également le résultat auquel mène la méthode qui s'impose.

36.
    Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé sa jurisprudence, plus particulièrement son arrêt Arauxo-Dumay/Commission (2), selon lequel le terme «mariage» figurant dans le statut devait s'entendre comme visant un rapport fondé sur le mariage civil au sens traditionnel du terme. Il a jugé, en faisant référence à l'arrêt Díaz García/Parlement (3), qu'il n'y a pas lieu de se référer aux droits des États membres lorsque les dispositions pertinentes du statut permettent une interprétation autonome.

37.
    En revanche, selon D, appuyé par le royaume de Suède et par les parties intervenantes, le Conseil est lié, pour déterminer si un partenariat enregistré de droit suédois doit être considéré comme un mariage au sens du statut, par les dispositions de la législation suédoise.

38.
    Selon le royaume de Suède, en n'ayant pas tenu compte du droit suédois qui assimile les partenaires enregistrés aux personnes mariées, le Tribunal a commis une erreur d'interprétation de l'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut en considérant que les fonctionnaires en situation de partenariat enregistré ne devaient pas être assimilés aux fonctionnaires mariés aux fins de l'attribution de l'allocation de foyer.

39.
    Le Conseil, en s'appuyant notamment sur l'arrêt Reed (4), conclut que l'arrêt attaqué est conforme au principe d'interprétation autonome du droit communautaire en l'absence de renvoi exprès au droit national. Il estime que le Tribunal a correctement interprété la disposition statutaire en cause.

40.
    Nous sommes d'avis que nous devons, comme nous le propose le Conseil, nous référer à l'arrêt Reed, précité. Même s'il est vrai, comme l'indiquent les parties requérantes, que cet arrêt ne concerne pas, quant aux faits, le partenariat enregistré, mais le cas de la relation stable, en l'espèce entre deux personnes de sexe opposé, nous sommes d'avis que cette différence n'est pas pertinente.

41.
    En effet, le point essentiel de cet arrêt n'est pas qu'il nous donne une définition fixe de la notion de «conjoint» dans un contexte bien déterminé. Une lecture attentive nous montre, au contraire, que cet arrêt a une portée plus générale en nous offrant une méthode d'interprétation qui nous permet de définir la notion de «conjoint», ou des notions analogues, au-delà du contexte spécifique du litige dans lequel il est intervenu. La seule condition du recours à cetteméthode, remplie en l'espèce, tient à ce que la notion soit prévue par un règlement, le raisonnement de la Cour étant basé sur les caractéristiques propres d'un règlement.

42.
     Concrètement, dans l'arrêt Reed, précité, la Cour a jugé qu'il résulte des caractéristiques propres d'un règlement (obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre) que l'interprétation donnée par la Cour à une disposition d'un règlement a des conséquences dans tous les États membres et «qu'une interprétation de notions juridiques fondée sur l'évolution de la société doit se faire par un examen de la situation dans l'ensemble de la Communauté, et non pas de celle d'un seul État membre» (5). La Cour conclut que: «[e]n l'absence de toute indication d'une évolution sociale d'ordre général qui justifierait une interprétation extensive, et en l'absence de toute indication contraire dans le règlement», le mot «conjoint» dans le règlement en cause vise seulement un rapport fondé sur le mariage (6).

43.
    Selon nous, il résulte de cet arrêt qu'il convient, lorsque la notion de «conjoint» ou des notions analogues comme «mariage» ou «marié» figurent dans un règlement, de leur donner une interprétation autonome, c'est-à-dire une interprétation qui tienne compte de la situation dans l'ensemble de la Communauté, et pas seulement dans un État membre.

44.
    Cette approche est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme (7).

45.
    L'arrêt Unger (8), discuté entre les parties, nous paraît confirmer ce même point de vue. En effet, la Cour y a jugé que «la notion de 'travailleur‘ contenue [...] [aux articles 48 à 51 du traité CE] relève donc non du droit interne, mais du droit communautaire» (9).

46.
    Nous sommes donc d'avis que le Tribunal n'a pas violé le principe de compétence d'attribution en jugeant qu'il appartenait au Conseil d'interpréter la notion de «fonctionnaire marié» de façon autonome.

47.
    De même, nous ne partageons pas le point de vue du royaume de Suède, selon lequel le Tribunal aurait ainsi commis une erreur d'interprétation de l'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut.

48.
    En effet, si l'on examine la situation dans l'ensemble de la Communauté, comme l'impose l'arrêt Reed, précité, il nous paraît difficile de conclure autrement qu'à une définition, dans le cadre de la présente affaire, du «mariage» qui ne couvre que le mariage «traditionnel» entre deux personnes de sexe opposé. En effet, au moment des faits, seuls trois des quinze États membres connaissaient la catégorie juridique du partenariat enregistré assimilant, à un degré plus ou moins important, la vie commune de deux personnes du même sexe à celle de deux personnes mariées au sens traditionnel du terme.

49.
    Dès lors, de même que l'on ne pouvait déceler au moment de l'affaire Reed, précitée, une évolution sociale d'ordre général qui aurait justifié une interprétation extensive de la notion de «conjoint», pour y inclure le partenaire dans une relation stable, on ne saurait conclure dans la présente affaire à une évolution sociale d'ordre général permettant d'inclure le partenariat enregistré entre deux personnes du même sexe dans la notion de «mariage».

50.
    Nous sommes donc d'avis que le Tribunal n'a pas commis une erreur d'interprétation de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut en considérant que la notion de «fonctionnaire marié» n'inclut pas le fonctionnaire, tel que D, se trouvant dans une situation de partenariat enregistré avec une personne du même sexe.

51.
    Pour autant que de besoin, on pourrait encore ajouter que cette conclusion se trouve confortée par l'intention du législateur lui-même.

52.
    En effet, à l'occasion de l'adoption du règlement (CE, CECA, Euratom) n° 781/98 du Conseil, du 7 avril 1998, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés en matière d'égalité de traitement (10), le Conseil, en tant que législateur, a préféré ne pas suivre la demande suédoise d'ajouter au statut une assimilation entre partenariat enregistré et mariage. En revanche, il a invité la Commission à procéder aux études nécessaires relatives à la reconnaissance des situations de partenariat enregistré et à lui soumettre, sur la base des études en question, toute proposition appropriée dans ces domaines (11).

53.
    Il s'ensuit que, aux yeux du législateur, le fonctionnaire ayant un partenaire enregistré du même sexe n'est pas un «fonctionnaire marié».

54.
    Finalement, il convient d'ajouter que le dernier considérant du règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (12), auquel se réfère le royaume des Pays-Bas et selon lequel le «statut [doit] [...] assurer aux communautés le concours de fonctionnaires [...] possédant les plus hautes qualités d'indépendance, de compétence, de rendement et d'intégrité, recrutés sur une base géographique aussi large que possible», ne permet pas, selon nous, d'arriver à une conclusion relative à la notion de «mariage», contraire à celle qui est mentionnée ci-dessus (point 50) et qui découle d'une jurisprudence constante de la Cour.

55.
    Au vu de tout ce qui précède, nous sommes d'avis que le deuxième moyen de D ainsi que l'argument du royaume de Suède selon lequel le Tribunal n'a pas correctement interprété l'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut ne sont pas fondés.

E - Sur l'application du «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire»

56.
    Le troisième moyen de D est relatif à la violation du «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire» qu'aurait commise le Tribunal en donnant une interprétation autonome, différente de celle de la loi suédoise, au partenariat enregistré de D. Selon lui, aucune disposition de droit communautaire ne régissant ce statut, c'est donc à la loi suédoise qu'il convenait de se référer.

57.
    Le Conseil estime que ce principe, tel qu'il découle des conclusions de l'avocat général La Pergola dans l'affaire Dafeki (13) auxquelles se réfère D, ne s'applique pas en l'espèce. Il estime que le Tribunal a agi correctement en donnant une interprétation autonome à la notion de «mariage» dans la disposition statutaire en cause.

58.
    Il découle d'une lecture des conclusions de l'avocat général La Pergola que le «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire», auquel il est fait référence, concerne la question de savoir dans quelle mesure un ressortissant communautaire doit pouvoir s'appuyer sur la documentation en matière d'état civil qui lui est délivrée par les autorités compétentes de son pays d'origine. Dans le cadre de cette affaire, il s'agissait de la reconnaissance par unÉtat membre d'un acte de naissance rectifié d'un ressortissant communautaire, délivré par un autre État membre et contenant une date de naissance corrigée.

59.
    En l'espèce, il convient cependant de constater que la reconnaissance de la documentation de D relative à son état civil n'est nullement en cause. Le Conseil n'a pas contesté l'état civil de D en droit suédois, qui est celui de partenaire enregistré, ni la documentation y relative produite par les autorités suédoises.

60.
    Nous ne sommes donc pas dans le même cas de figure que celui dans lequel l'avocat général La Pergola a développé son raisonnement relatif au «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire». Par conséquent, on ne saurait déduire de ce raisonnement qu'un tel principe aurait été violé dans le cas d'espèce.

61.
    En revanche, la question est celle de savoir si cet état civil de partenaire enregistré, nullement contesté, doit être assimilé à celui de personne mariée dans le cadre de l'application de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut. Formulée de cette façon, la question concerne le principe d'égalité de traitement, et non pas le «principe d'unicité du statut personnel du ressortissant communautaire».

62.
    En tout état de cause, quelle que soit la portée de ce principe, nous ne voyons pas en quoi celui-ci pourrait contraindre les autres États membres, et par assimilation l'ordre juridique communautaire, à reconnaître les effets du mariage aux titulaires d'un certificat de partenariat enregistré suédois.

63.
     Nous sommes donc d'avis que le troisième moyen de D n'est pas fondé.

F - Sur l'application du principe d'égalité de traitement

64.
    Par la première branche de son quatrième moyen, D soutient que l'interprétation donnée par le Tribunal à la disposition statutaire en cause entraîne une discrimination à son égard fondée sur son orientation sexuelle.

65.
    Le Tribunal, dans le contexte du premier moyen en première instance, a tout d'abord constaté que le règlement n° 781/98 n'est entré en vigueur que postérieurement à l'adoption de la décision de rejet.

66.
    S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice, en particulier sur l'arrêt Grant (14), il a jugé que le Conseil, en sa qualité d'employeur, n'était pas dans l'obligation d'assimiler au mariage, au sens des dispositions statutaires, la situation d'une personneentretenant avec un partenaire de même sexe une relation stable, même ayant fait l'objet d'un enregistrement officiel par une administration nationale.

67.
    Dans le cadre du quatrième moyen en première instance, qui concernait plus spécifiquement le principe de l'égalité des rémunérations entre hommes et femmes figurant à l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), le Tribunal a noté que les dispositions statutaires en cause s'appliquaient de la même manière aux fonctionnaires de sexe féminin et à ceux de sexe masculin, de sorte qu'il n'y avait aucune discrimination interdite par l'article 119 du traité.

68.
    Les parties requérantes au pourvoi et les parties intervenantes contestent l'interprétation du Tribunal. En substance, elles s'accordent toutes pour dire que les références de l'arrêt attaqué à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur la notion de mariage sont hors de propos, tout comme celles qui évoquent l'arrêt Grant, précité, cet arrêt traitant du cas d'une union libre et non d'une union légalement consacrée ayant les mêmes effets de droit que le mariage.

69.
    D estime encore que, étant dans une situation identique, en droit et en fait, à celle de ses collègues mariés, il doit bénéficier des mêmes droits à rémunération. L'allocation de foyer, qui est justifiée par le fait que le fonctionnaire doit subvenir aux besoins de personnes à charge (15), fait partie de ces droits. La seule raison du traitement discriminatoire qui lui est infligé à cet égard réside dans le fait que son partenaire est du même sexe que le sien.

70.
    Selon D, cette différence de traitement constitue une discrimination uniquement fondée sur l'orientation sexuelle. Il y voit une violation de l'article 119 du traité, que la Cour a interprété de façon non formaliste dans son arrêt P./S. (16).

71.
    Dans ce même sens, le royaume de Danemark se réfère à l'économie et à l'objectif de la disposition statutaire en cause, qui a pour objet de compenser des dépenses liées à l'installation du conjoint sur le lieu d'exercice de la fonction en vue d'attirer vers les institutions de la Communauté des collaborateurs compétents. Or, ces dépenses ne sont pas différentes selon que l'on a affaire à un conjoint ou à un partenaire.

72.
    Le Conseil, en se fondant sur les différences concrètes existant en droit suédois entre le mariage et le partenariat enregistré, estime que l'on ne saurait assimiler l'une à l'autre ces deux catégories juridiques. En invoquant les arrêtsReed et Grant, précités, le Conseil soutient encore que, si l'on entendait traiter ces deux catégories différentes de la même manière, il appartiendrait au législateur de le décider.

73.
    Le Conseil rappelle également qu'une assimilation entre partenariat enregistré et mariage a été demandée par le royaume de Suède à l'occasion de l'adoption du règlement n° 781/98. Or, le Conseil, en tant que législateur, lorsqu'il a inséré dans le statut un article 1er bis aux termes duquel «les fonctionnaires ont droit dans l'application du statut à l'égalité de traitement sans référence [...] à l'orientation sexuelle», l'a fait expressément «sans préjudice des dispositions statutaires pertinentes requérant un état civil déterminé».

74.
    Que faut-il penser de ces arguments?

75.
    Il y a lieu, selon nous, en l'absence de disposition statutaire applicable au moment des faits (voir le point 65 ci-dessus), d'examiner ces arguments en partant de la définition générale du principe d'égalité de traitement. Selon une jurisprudence constante, une discrimination existe lorsqu'un traitement inégal est appliqué à des situations identiques ou comparables et que cette différenciation n'est pas objectivement justifiée (17).

76.
    À supposer même que l'AIPN du Conseil ait été en droit de se référer à la situation existant dans un seul État membre, ce qui doit être exclu en raison des termes catégoriques de l'arrêt Reed, précité, force est de constater que, même en droit suédois, le mariage et le partenariat enregistré constituent deux catégories juridiques distinctes. Non seulement ces deux catégories ne portent pas le même nom, mais elles comportent, dans leur régime juridique, un certain nombre de différences qui ont été largement débattues entre les parties.

77.
    Le législateur suédois n'a donc pas voulu donner à deux personnes du même sexe accès tel quel à la catégorie juridique du mariage, mais il a préféré créer une catégorie juridique distincte, partiellement régie par d'autres règles. Certaines de ces règles, telle l'interdiction faite aux partenaires enregistrés d'adopter des enfants ou d'exercer en commun la garde d'enfants, sont même aux antipodes de ce qui vaut en matière de mariage. En outre, le partenariat enregistré n'est possible qu'au cas où l'un des partenaires a la nationalité suédoise et réside en Suède, ce qui n'est pas exigé en ce qui concerne le mariage.

78.
    Il s'ensuit que, même à ne considérer que le droit suédois, la situation de la personne vivant avec un partenaire du même sexe sous le régime du partenariat enregistré n'est pas juridiquement la même que celle de la personne mariée.

79.
    C'est cependant sous l'angle du droit communautaire qu'il convient d'analyser si la situation des personnes vivant avec un partenaire du même sexe sous le régime du partenariat doit être considérée comme identique ou comparable à celle des personnes mariées.

80.
    À cet égard, nous estimons, contrairement à D et aux trois gouvernements, que l'arrêt Grant, précité, revêt une importance fondamentale. Dans cet arrêt, la Cour a été amenée à répondre à la question de savoir si «les personnes qui entretiennent une relation stable avec un partenaire du même sexe sont dans la même situation (18) que les personnes mariées ou celles qui ont une relation stable hors mariage avec un partenaire du sexe opposé» (19).

81.
    La Cour a répondu à cette question par la négative. Après une analyse approfondie, notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour a jugé que, «en l'état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées (20) aux relations stables entre deux personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé» (21).

82.
    La Cour a ajouté, au point suivant, que «dans ces circonstances il ne peut appartenir qu'au législateur d'adopter, le cas échéant, des mesures susceptibles d'affecter cette situation».

83.
    À notre avis, c'est à juste titre que le Tribunal a fait application du raisonnement de la Cour dans l'arrêt Grant, précité, à l'affaire qui nous occupe.

84.
    Rappelons d'abord que cet arrêt a été rendu en 1998, alors que D a présenté sa demande en 1996.

85.
    Constatons ensuite que, contrairement à ce qui a été avancé par le royaume de Danemark, le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Grant, précité, est suffisamment général pour s'appliquer également au Conseil en tant qu'«employeur», et pas seulement aux employeurs du secteur privé.

86.
    En effet, il résulte d'une lecture du point 35 de cet arrêt, en particulier de la phrase précitée de ce point (voir le point 81 ci-dessus), que la Cour aboutit à une conclusion qui vaut pour le droit communautaire en général, et pas seulement pour un domaine déterminé du droit communautaire.

87.
    Enfin et surtout, contrairement aux parties requérantes au pourvoi et aux parties intervenantes, nous sommes d'avis que le fait que l'arrêt Grant, précité, traite de la relation stable, et non pas du partenariat enregistré, n'est pas une raison pour écarter cet arrêt. Dans ledit arrêt, l'état civil (mariage ou relation stable) n'a pas été déterminant dans le raisonnement de la Cour. Ce qui compte, en vue de la solution du présent litige, c'est le fait que la Cour a déclaré que la relation stable avec une personne du même sexe était différente de la relation stable entre deux personnes de sexe opposé. Dans le cadre de cette comparaison, le seul élément de différence pris en compte n'était donc pas l'état civil des personnes considérées, mais la nature, hétérosexuelle ou homosexuelle, de leur couple.

88.
    On peut donc, puisqu'il a considéré que la relation stable entre deux personnes du même sexe est dans l'état actuel du droit au sein de la Communauté différente de la relation stable entre deux personnes du sexe opposé, se fonder sur l'arrêt Grant, précité, pour affirmer que le partenariat enregistré est, lui aussi, différent du mariage.

89.
    Par conséquent, une personne, en l'espèce un fonctionnaire, ayant conclu un partenariat enregistré ne se trouvant pas, au sens de la jurisprudence de la Cour, dans une situation comparable à celle d'un fonctionnaire marié, le principe général d'égalité de traitement n'impose pas d'accorder au premier un traitement identique au traitement accordé au second.

90.
    Il convient d'ajouter que le fait que le fonctionnaire ayant un partenaire enregistré doive subvenir aux besoins de son partenaire ou qu'il doive supporter des dépenses dues à l'installation de son partenaire au lieu d'exercice de la fonction ne suffit pas, à notre avis, pour conclure que ce fonctionnaire doit être traité comme un fonctionnaire marié au sens de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut.

91.
    En effet, cette disposition ne présuppose pas seulement l'existence d'une obligation d'entretien, mais requiert, en outre, que celle-ci s'inscrive dans un cadre spécifique, à savoir celui du mariage. Par ailleurs, il résulte de l'arrêt Reed, précité, analysé ci-dessus (voir les points 42 et 43), que la notion de mariage doit recevoir une interprétation autonome tenant compte de la situation dans l'ensemble de la Communauté.

92.
    Dès lors, sous peine de méconnaître la condition posée par le statut et son interprétation telle qu'elle découle de la jurisprudence, on ne saurait considérer sur la base d'une identité d'obligations en droit suédois pour les personnes mariées, d'une part, et les partenaires enregistrés, d'autre part, que ces derniers doivent bénéficier d'une disposition statutaire applicable, de par ses propres termes, aux fonctionnaires mariés.

93.
    Quant à l'argument que D cherche à tirer d'une violation de l'article 119 du traité, le Conseil oppose que cette disposition ne couvre que la discrimination fondée sur le sexe d'une personne et non celle fondée sur son orientation sexuelle, son état civil ou les charges qu'elle supporte.

94.
    À cet égard, nous nous rallions, comme le Conseil, à la constatation du Tribunal selon laquelle la disposition statutaire en cause s'applique de la même manière aux fonctionnaires de sexe féminin et de sexe masculin et n'entraîne donc aucune discrimination interdite par l'article 119 du traité. Le Tribunal se réfère dans ce contexte à l'arrêt Grant, précité, dans lequel la Cour a, en effet, clairement jugé, en tenant également compte de l'arrêt P./S., précité, auquel le requérant fait maintenant référence, qu'une différence de traitement sur la base de l'orientation sexuelle ne ressort pas du champ d'application de l'article 119 du traité (22).

95.
    Finalement, le fait que la Cour européenne des droits de l'homme a récemment jugé que, dans un cas concret, une distinction dictée par des considérations tenant à l'orientation sexuelle d'une personne peut constituer une violation de l'article 8 combiné avec l'article 14 de la convention (23), ne nous conduit pas à changer d'avis quant à l'affaire qui nous occupe.

96.
    En effet, cet arrêt récent ne paraît pas remettre en cause la constatation de fait selon laquelle, au moment des faits de la présente affaire, il résultait de l'état du droit au sein de la Communauté qu'une personne vivant avec un partenaire enregistré du même sexe ne se trouvait pas dans la même situation que la personne mariée et que, dès lors, cette première n'était pas en droit d'exiger un traitement identique par rapport à cette dernière.

97.
    Signalons enfin que l'article 9 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée à Nice en décembre 2000 dispose que «le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice». Dans les explications établies sous la responsabilité du Présidium de la convention qui n'ont pas de valeur juridique mais qui sont simplement destinées à éclairer les dispositions de la charte à la lumière des discussions qui se sont tenues au sein de la convention, on peut lire que l'article 9 «n'interdit ni n'impose l'octroi du statut du mariage à des unions entre personnes du même sexe». Ceci, selon nous, confirme la différence de situation entre le mariage, d'une part, et l'union entre personnes du même sexe, d'autre part.

98.
    Pour toutes les raisons qui précèdent, nous sommes d'avis que la première branche du quatrième moyen de D n'est pas fondée.

G - Sur la discrimination fondée sur la nationalité et l'entrave à la libre circulation des travailleurs

99.
    Dans la deuxième branche de son quatrième moyen, D estime que, en privant les partenaires enregistrés en vertu des dispositions législatives de trois États membres (royaume de Danemark, royaume de Suède, royaume des Pays-Bas) du bénéfice des droits attachés à leur statut, la décision attaquée constitue une discrimination selon la nationalité et entraîne un effet dissuasif sur l'exercice de la liberté de circulation.

100.
    Il convient de constater qu'un moyen relatif à une discrimination selon la nationalité et/ou à une entrave à la libre circulation n'avait pas été invoqué par D lors de la procédure en première instance. La compétence de la Cour étant limitée à l'appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens invoqués devant les premiers juges (24), nous concluons à l'irrecevabilité de la deuxième branche du quatrième moyen de D.

101.
    En outre, si l'on concluait, comme D nous le propose dans sa réplique, que le moyen pris de la discrimination selon la nationalité n'est qu'un développement du moyen, déjà avancé en première instance, de violation du principe de non-discrimination, sans constituer un moyen nouveau, le moyen serait toujours non fondé.

102.
    En effet, en vertu de la loi suédoise, un partenaire enregistré ne doit pas nécessairement avoir la nationalité suédoise. Seul un des deux partenaires doit l'avoir.

103.
    Or, l'autre partenaire, quelle que soit sa nationalité, ne sera pas non plus, s'il est fonctionnaire, considéré comme un «fonctionnaire marié».

104.
    Il s'ensuit qu'il n'y a pas de différence de traitement en fonction de la nationalité et, par conséquent, qu'il n'y a pas de discrimination à cet égard.

105.
    De même, pour ce qui concerne le moyen pris de l'entrave à la libre circulation, il convient de constater que la libre circulation n'impose pas qu'un travailleur puisse bénéficier, dans le nouveau système social auquel il appartient, d'avantages identiques à ceux dont il bénéficiait dans le système social auquel il était affilié auparavant. En ce sens, on ne saurait parler d'une entrave à la libre circulation dans l'affaire qui nous occupe.

106.
    En revanche, si le moyen pris de la libre circulation vise à bénéficier, dans le cadre du nouveau système social, des avantages accordés à d'autres affiliés, enl'espèce aux fonctionnaires mariés, le moyen est en réalité identique à celui pris de l'égalité de traitement. En ce qui concerne ce dernier moyen, nous venons de conclure qu'il est non fondé.

107.
    La deuxième branche du quatrième moyen de D est donc, à titre subsidiaire, non fondée.

H - Sur le respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention

108.
    Le cinquième moyen de D est relatif au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention. Selon lui, la protection de la vie privée implique la reconnaissance de l'existence et des effets d'un état civil légalement acquis et interdit l'ingérence que constitue la transmission de données incorrectes à des tiers. Il s'agirait, en l'occurrence, de l'information transmise par le Conseil aux autorités belges et selon laquelle D était célibataire. D soutient que la situation envisagée dans l'arrêt Grant, précité, auquel le Tribunal se référait à tort, n'est pas comparable à celle de l'espèce.

109.
    Comme le Conseil, nous ne partageons pas cette analyse. Dans l'arrêt Grant, précité, dont il convient d'appliquer le raisonnement en l'espèce pour les raisons déjà indiquées (voir les points 83 à 88 ci-dessus), la Cour s'est référée aux décisions de la Commission européenne des droits de l'homme selon lesquelles, en dépit de l'évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l'homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégé par l'article 8 de la convention (25).

110.
    Contrairement à ce qu'indique D, ces décisions de la Commission européenne des droits de l'homme ne sont pas toutes antérieures à l'institution du partenariat enregistré. En effet, la décision dans l'affaire Kerkhoven et Hinke/Pays-Bas, à laquelle la Cour fait référence, date de 1992, alors que l'institution du partenariat enregistré au Danemark, par exemple, date de 1989.

111.
    Par ailleurs, comme l'indique le Conseil, la transmission de données incorrectes à des tiers, dont se plaint D, n'a aucun lien avec le litige qui nous occupe.

112.
    Nous sommes donc d'avis que le cinquième moyen de D n'est pas fondé.

I - Le moyen pris d'une violation de l'article 1er, paragraphe 2, sous c), de l'annexe VII du statut

113.
    Lors de l'audience, D, par l'intermédiaire de son conseil, a soutenu que le Conseil aurait dû lui accorder l'allocation de foyer en application de l'article 1er, paragraphe 2, sous c), de l'annexe VII du statut.

114.
    Il échet, cependant, de constater que le requérant ne s'est référé à cette disposition ni dans sa demande, ni dans sa réclamation, ni dans son recours devant le Tribunal. Or, la compétence de la Cour est limitée à l'appréciation de la solution en droit qui a été donnée aux moyens invoqués devant les premiers juges (26).

115.
    Il découle de ce qui précède que, selon nous, le moyen pris de la violation de l'article 1er, paragraphe 2, sous c), de l'annexe VII du statut est irrecevable.

J - Considérations finales

116.
    En résumé, nous considérons donc les pourvois introduits par D et par le royaume de Suède comme non fondés. En effet, au moment des faits, ni l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut ni les principes invoqués par D ne permettent d'assimiler ce dernier, en tant que partenaire enregistré, à un «fonctionnaire marié». Comme l'a indiqué le Tribunal, seul le législateur communautaire serait compétent pour décider d'une telle assimilation.

117.
    Pour ce qui concerne les dépens, il convient de constater que, en vertu de l'article 122 du règlement de procédure, l'article 70 du règlement de procédure ne s'applique pas en l'espèce. Dès lors, il convient d'appliquer l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure aux termes duquel, «si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens» et auquel il n'y a pas lieu, selon nous, de déroger en utilisant la faculté offerte par l'article 122 du règlement de procédure. En tenant compte du nombre de moyens invoqués par D, d'une part, et par le royaume de Suède, d'autre part, il nous paraît équitable de condamner D à supporter deux tiers des dépens du Conseil, et le royaume de Suède à en supporter un tiers.

118.
    Pour ce qui concerne les parties intervenantes, celles-ci supportent leurs propres dépens en vertu de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure.

IV - Conclusions

119.
    Par voie de conclusion, nous proposons à la Cour de:

-    rejeter le pourvoi;

-    condamner D à supporter ses propres dépens ainsi que deux tiers des dépens du Conseil de l'Union européenne;

-    condamner le royaume de Suède à supporter ses propres dépens ainsi qu'un tiers des dépens du Conseil de l'Union européenne;

-    constater qu'il appartient au royaume de Danemark et au royaume des Pays-Bas de supporter leurs propres dépens.


1: Langue originale: le français.


2: -     Arrêt du 17 juin 1993 (T-65/92, Rec. p. II-597, point 28).


3: -     Arrêt du 18 décembre 1992 (T-43/90, Rec. p. II-2619, point 36).


4: -     Arrêt du 17 avril 1986 (59/85, Rec. p. 1283).


5: -     Arrêt Reed, précité, points 12 et 13.


6: -     Arrêt Reed, précité, point 15.


7: -     Voir, par exemple, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro (327/82, Rec. p. 107, point 11), et du 19 septembre 2000, Linster (C-287/98, non encore publié au Recueil, point 43).


8: -     Arrêt du 19 mars 1964 (75/63, Rec. p. 347).


9: -     Arrêt Unger, précité, p. 363.


10: -     JO L 113, p. 4.


11: -     Note, point A, du comité des représentants permanents du 27 mars 1998 au Conseil (doc. 6883/98) - Annexe 2 du mémoire en réponse du Conseil.


12: -     JO L 56, p. 1.


13: -     Arrêt du 2 décembre 1997 (C-336/94, Rec. p. I-6761).


14: -     Arrêt du 17 février 1998 (C-249/96, Rec. p. I-621, points 34 et 35).


15: -     À cet égard, D s'est référé dans ses écrits à l'arrêt du 11 juin 1996, Pavan/Parlement (T-147/95, RecFP p. I-A-291 et II-861, point 42), et, lors de l'audience, à l'arrêt du 23 mars 1988, Mouriki/Commission (248/87, Rec. p. 1721).


16: -     Arrêt du 30 avril 1996 (C-13/94, Rec. p. I-2143).


17: -     Voir, notamment, arrêts du 11 janvier 2001, Gevaert/Commission (C-389/98 P, non encore publié au Recueil, point 54), et Martínez del Peral Cagigal/Commission (C-459/98 P, non encore publié au Recueil, point 50).


18: -     Souligné par l'auteur.


19: -     Arrêt Grant, précité, point 29.


20: -     Souligné par l'auteur.


21: -     Arrêt Grant, précité, point 35.


22: -     Arrêt Grant, précité, point 47.


23: -     Arrêt du 21 décembre 1999, Salgueiro da Silva Mouta (n° 33290/96).


24: -     Arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 59).


25: -     Arrêt Grant, précité, point 33.


26: -     Voir arrêt Commission/Brazzelli e.a., précité.