Language of document : ECLI:EU:C:2020:314

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

30 avril 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2 et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Environnement – Énergie électrique d’origine éolienne et solaire – Directive 2009/28/CE – Promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables – Article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a) – Objectifs contraignants nationaux globaux – Articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Droit de propriété – Principes généraux de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables – Incompétence manifeste partielle de la Cour »

Dans les affaires jointes C‑818/19 et C‑878/19,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) et par le Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décisions des 25 octobre et 3 décembre 2019, parvenues à la Cour, respectivement, les 6 novembre et 3 décembre 2019, dans les procédures

« Marvik-Pastrogor » EOOD

contre

Darzhavata, predstavlyavana ot Ministara na finansite,

et

« Rodes - 08 » EOOD

contre

Narodno sabranie na Republika Bulgaria,

Darzhavata, predstavlyavana ot Ministara na finansite,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. E. Regan (rapporteur) et C. Lycourgos, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16), des articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, « Marvik-Pastrogor » EOOD au Darzhavata, predstavlyavana ot Ministara na finansite (l’État, représenté par le ministre des Finances) et, d’autre part, « Rodes - 08 » EOOD à ce dernier ainsi qu’au Narodno sabranie na Republika Bulgaria (Parlement de la République de Bulgarie, ci-après le « Parlement bulgare »), au sujet du remboursement d’une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 1er de la directive 2009/28, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit :

« La présente directive définit un cadre commun pour la promotion de la production d’énergie à partir de sources renouvelables. Elle fixe des objectifs nationaux contraignants concernant la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie et la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie pour les transports. [...] »

4        Intitulé « Définitions », l’article 2 de cette directive énonce, à son second alinéa, sous k) :

« [...]

k)      “régime d’aide” : tout instrument, régime ou mécanisme appliqué par un État membre ou un groupe d’États membres, destiné à promouvoir l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables grâce à une réduction du coût de cette énergie par une augmentation du prix de vente ou du volume d’achat de cette énergie, au moyen d’une obligation d’utiliser ce type d’énergie ou d’une autre mesure incitative ; cela inclut, mais sans s’y limiter, les aides à l’investissement, les exonérations ou réductions fiscales, les remboursements d’impôt, les régimes d’aide liés à l’obligation d’utiliser de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, y compris ceux utilisant les certificats verts, et les régimes de soutien direct des prix, y compris les tarifs de rachat et les primes ».

5        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Objectifs contraignants nationaux globaux et mesures concernant l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables », prévoit :

« 1.      Chaque État membre veille à ce que la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables, calculée conformément aux articles 5 à 11, dans sa consommation finale d’énergie en 2020 corresponde au minimum à son objectif national global en ce qui concerne la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables pour l’année 2020, comme le prévoit le tableau figurant dans la partie A de l’annexe I, troisième colonne. Ces objectifs contraignants nationaux globaux sont cohérents avec l’objectif d’une part d’au moins 20 % d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de la Communauté d’ici à 2020. Pour faciliter la réalisation des objectifs visés dans le présent article, chaque État membre promeut et encourage l’efficacité énergétique et les économies d’énergie.

2.      Les États membres mettent en place des mesures conçues de manière efficace pour garantir que leur part d’énergie produite à partir de sources renouvelables est au moins égale à celle prévue dans la trajectoire indicative établie dans l’annexe I, partie B.

3.      Afin d’atteindre les objectifs fixés aux paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent notamment appliquer les mesures suivantes :

a)      régimes d’aide ;

[...] »

6        Intitulé « Procédures administratives, réglementations et codes », l’article 13 de la même directive dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les règles nationales éventuelles relatives aux procédures d’autorisation, de certification et d’octroi de licences, qui s’appliquent aux installations de production et aux infrastructures connexes du réseau de transport et de distribution d’électricité, de chauffage ou de refroidissement à partir de sources d’énergie renouvelables et au processus de transformation de la biomasse en biocarburants ou autres produits énergétiques, soient proportionnées et nécessaires.

Les États membres prennent notamment les mesures appropriées pour veiller à ce que :

[...]

e)      les frais administratifs acquittés par les consommateurs, les aménageurs, les architectes, les entrepreneurs et les installateurs et fournisseurs d’équipements et de systèmes soient transparents et calculés en fonction des coûts ; [...]

[...] »

7        L’annexe I de la directive 2009/28, intitulée « Objectifs globaux des États membres concernant la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2020 », énonce, dans sa partie A, les objectifs globaux de chacun des États membres, dont celui de la République de Bulgarie, qui est fixé, pour ladite année, à 16 %. La partie B de cette annexe porte sur la trajectoire indicative mentionnée à l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive.

 Le droit bulgare

 La Constitution bulgare

8        L’article 151, paragraphe 2, de la Constitution bulgare dispose :

« Les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Darzhaven Vestnik [Journal officiel de la République de Bulgarie] dans un délai de 15 jours à compter de leur prononcé. La décision entre en vigueur trois jours après sa publication. L’acte qui a été déclaré inconstitutionnel ne s’applique plus à compter du jour où la décision entre en vigueur. »

 La loi sur l’énergie provenant des sources renouvelables

9        Les articles 35a à 35c de la Zakon za energyata ot vazhobnovyaemite iztochnizi (loi sur l’énergie provenant des sources renouvelables) (ci-après la « ZEVI ») sont entrés en vigueur le 1er janvier 2014.

10      L’article 35a de la ZEVI est ainsi libellé :

« (1)      Une taxe est perçue sur la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire.

(2) Le montant de la taxe visée au paragraphe 1 est déterminé conformément à la formule suivante :

TPEE = PP x QEEA x 20 %,

sachant que :

on entend par TPEE une taxe sur la production d’énergie électrique ;

on entend par PP le prix préférentiel au sens de l’article 31, paragraphe 1, sans taxe sur la valeur ajoutée ;

on entend par QEEA la quantité d’énergie électrique achetée par le fournisseur public et par les fournisseurs finaux conformément à l’article 31, paragraphe 5.

(3)      Les producteurs d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire sont tenus de verser la taxe visée au paragraphe 1. »

11      L’article 35b de la ZEVI prévoit :

« (1)      La taxe visée à l’article 35a est retenue et reversée par le fournisseur public ou, le cas échéant, le fournisseur final.

[...]

(4)      La taxe due doit être versée au budget de l’État [...] »

12      L’article 35c de la ZEVI énonce :

« (1) Lorsque la taxe visée à l’article 35a n’est pas versée dans le délai prévu, il est procédé au calcul des intérêts légaux dus [...]

(2) La taxe visée à l’article 35a ne peut pas faire l’objet d’une restitution.

[...] »

 La loi relative à la Cour constitutionnelle

13      L’article 22 de la Zakon za Konstitutsionen sad (loi relative à la Cour constitutionnelle) prévoit :

« (1)      Dans sa décision, la Cour constitutionnelle se prononce uniquement sur la demande concrètement introduite. Elle n’est pas tenue de se limiter au motif d’inconstitutionnalité invoqué.

(2)      Les actes qui ont été déclarés inconstitutionnels ne sont pas appliqués.

(3)      Les actes qui ont été adoptés par une autorité qui n’était pas compétente sont déclarés nuls par la Cour constitutionnelle.

(4)      Les conséquences juridiques qui résultent de l’acte visé au paragraphe 2 sont réglées par l’autorité qui l’a adopté. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C818/19

14      Le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle, Bulgarie), par sa décision no 13, du 31 juillet 2014, dans l’affaire no 1/2014, a déclaré inconstitutionnels, avec effet à compter du 10 août 2014, les articles 35a à 35c de la ZEVI, au motif que la taxe introduite par ces dispositions imposait aux producteurs d’électricité produite à partir d’énergie éolienne et solaire une charge sans leur procurer en contrepartie aucun service. En outre, selon cette juridiction, ladite taxe violait la liberté d’entreprise et le principe d’égalité, dès lors que seule cette catégorie de producteurs d’électricité était tenue de payer celle-ci.

15      À la suite de cet arrêt, « Marvik-Pastrogor », une société de droit bulgare productrice d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire, a introduit un recours contre l’État auprès du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), afin d’obtenir le remboursement de la taxe perçue au titre de l’article 35a de la ZEVI sur la production de cette électricité pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 10 août 2014, ainsi que le paiement d’intérêts moratoires pour la période comprise entre le 11 octobre 2014 et le 30 mars 2016.

16      À l’appui de ce recours, cette société a reproché au Parlement bulgare d’avoir méconnu l’obligation lui incombant, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, de la loi sur la Cour constitutionnelle, d’éliminer dans le délai imparti les effets juridiques défavorables découlant d’un acte législatif ayant été déclaré contraire à la Constitution bulgare.

17      Par jugement du 5 octobre 2017, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a rejeté ce recours, au motif que, conformément à l’article 151, paragraphe 2, dernière phrase, de la Constitution bulgare, la décision du Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) produit uniquement un effet ex nunc, de sorte que cette taxe avait un fondement légal jusqu’au prononcé de ladite décision.

18      Par jugement du 6 novembre 2018, le Sofiyski Apelativen sad (cour d’appel de Sofia) a rejeté le recours introduit par « Marvik-Pastrogor » contre cette décision.

19      Cette société s’est pourvue en cassation contre ce jugement devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie). À l’appui de ce pourvoi, elle fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle ressort, notamment, de l’arrêt du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C‑309/06, EU:C:2008:211, point 35), tout État membre est tenu de rembourser aux justiciables les taxes perçues en violation du droit de l’Union.

20      La juridiction de renvoi relève que le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle), dans le cadre de ses compétences, a seulement vérifié si la taxe instituée aux articles 35a à 35c de la ZEVI était contraire à la Constitution bulgare. En revanche, il n’aurait pas examiné si cette taxe était contraire au droit de l’Union. Il incomberait, dès lors, à la juridiction de renvoi de se prononcer sur le point de savoir si ladite taxe a été introduite en violation de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28, de l’article 16 de la Charte, consacrant la liberté d’entreprise, ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Si tel était le cas, l’État serait tenu au remboursement de la taxe en question en vertu d’un fondement extracontractuel, et cela quel que soit le moment auquel la décision du  Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) a produit ses effets.

21      Dans ces conditions, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’obligation des États membres, prévue à l’article 3, paragraphe 3, [premier alinéa], sous a), de la directive [2009/28] d’appliquer des régimes d’aide afin d’atteindre les objectifs fixés aux paragraphes 1 et 2 du même article, ainsi que la liberté d’entreprise, au sens de l’article 16 de la [Charte] et les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale comme celle dont il s’agit dans la procédure au principal, qui impose une taxe supplémentaire sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables ? »

 L’affaire C878/19

22      Rodes ‑ 08, société de droit bulgare productrice d’électricité à partir de l’énergie solaire, exploite, depuis le 22 octobre 2012, une centrale photovoltaïque à Sredets, dans la province de Stara Zagora (Bulgarie).

23      Le 14 décembre 2010, cette société a conclu avec « EVI Bulgaria Raspredelenie » AD, seul gestionnaire du réseau de distribution d’électricité sur le territoire de cette province, un contrat d’achat d’électricité en vertu duquel cette dernière est tenue, pendant une période de 20 années, d’obtenir, à un prix préférentiel fixé par les autorités nationales compétentes, l’électricité produite par cette centrale.

24      À la suite de l’arrêt du Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle), mentionné au point 15 de la présente ordonnance, Rodes ‑ 08 a introduit un recours, à titre principal, contre le Parlement bulgare et, à titre subsidiaire, contre l’État, auprès du Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia), afin d’obtenir le remboursement de la taxe perçue par ce dernier au titre des articles 35a à 35c de la ZEVI sur la production de cette électricité pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 25 août 2014, ainsi que le paiement d’intérêts moratoires pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 27 décembre 2018.

25      À l’appui de ce recours, cette société reproche au Parlement bulgare d’avoir adopté un acte législatif, en l’occurrence une loi complétant la ZEVI, en vue d’ajouter à celle-ci les articles 35a à 35c, en violation non seulement de la Constitution bulgare, mais également du droit de l’Union. En effet, l’introduction d’une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables serait contraire aux objectifs poursuivis par la directive 2009/28, dès lors qu’une telle taxe rendrait plus difficile la production d’énergie écologique que cette directive vise à encourager. Il en résulterait que la responsabilité des organes de l’État serait susceptible d’être engagée sur le fondement de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428).

26      Par ailleurs, la taxe litigieuse violerait le principe de non-discrimination, en ce qu’elle s’applique uniquement aux producteurs d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire, ainsi que le principe de confiance légitime, dès lors qu’elle porte atteinte au retour sur investissement escompté de la vente de l’électricité produite par la centrale photovoltaïque à un prix préférentiel au cours de la période comprise entre les années 2010 et 2035. Il en résulterait que cette taxe serait ainsi contraire aux articles 16, 17, 20 et 21 de la Charte. La situation en cause dans la présente affaire serait donc différente de celle examinée par la Cour dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a. (C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705).

27      Le Parlement bulgare soutient, en revanche, qu’il découle de cet arrêt que les États membres sont libres d’appliquer des taxes sur l’électricité produite à partir de sources renouvelables, pour autant qu’ils se conforment à l’obligation, prévue par la directive 2009/28, d’atteindre les objectifs nationaux s’agissant de la part de l’énergie renouvelable dans la production nationale.

28      La juridiction de renvoi constate que, même si les articles 35a à 35c de la ZEVI ont été déclarés inconstitutionnels, la doctrine et la jurisprudence bulgares sont en désaccord sur le point de savoir si les dommages causés par une loi contraire à la Constitution bulgare doivent être réparés pour la période pendant laquelle cette loi n’avait pas encore été déclarée inconstitutionnelle.

29      Dans ces conditions, le Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter les articles 16 et 17 de la [Charte], les principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, consacrés par le droit de l’Union, ainsi que l’article 3, paragraphe 3, sous a), de la directive [2009/28], en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle celle dont il s’agit dans la procédure au principal, qui introduit une taxe sur la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire, lorsque :

–        cette taxe s’applique uniquement aux producteurs d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire ;

–        cette taxe s’applique à des producteurs d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire qui, avant l’introduction de la taxe, avaient conclu des contrats avec une société de distribution d’électricité pour une durée de 20 années, selon lesquels le prix auquel l’électricité est achetée ne peut pas être modifié ? »

30      Par décision du président de la Cour du 28 janvier 2020, les affaires C‑818/19 et C‑878/19 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

31      Par leurs questions, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28, les articles 16 et 17 de la Charte ainsi que les principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale instituant une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables.

32      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle-ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

33      En outre, en vertu de l’article 99 de ce règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué ou lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

34      II y a lieu de faire application de ces dispositions dans les présentes affaires.

35      En premier lieu, en ce qui concerne l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28, il convient de relever que la Cour a déjà répondu à une question similaire dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a. (C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705).

36      Ainsi que la Cour l’a jugé dans cet arrêt, la directive 2009/28, comme il ressort de son article 1er, a pour objet de définir un cadre commun pour la promotion de la production d’énergie à partir de sources renouvelables, en fixant, notamment, des objectifs nationaux contraignants concernant la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 26).

37      Ainsi, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/28, les États membres ont l’obligation d’assurer que la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans leur consommation finale d’énergie pour l’année 2020 corresponde au minimum à l’objectif national global, tel que celui-ci a été établi à l’annexe I, partie A, de cette directive, lequel doit être cohérent avec l’objectif consistant à atteindre une part d’énergie produite à partir de sources renouvelables de 20 % au moins (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 27).

38      En outre, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, les États membres sont tenus de mettre en place des mesures conçues de manière efficace pour garantir que leur part d’énergie produite à partir de sources renouvelables soit au moins égale à celle prévue dans la « trajectoire indicative », figurant à l’annexe I, partie B, de la même directive (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 28).

39      Afin d’atteindre ces objectifs, les États membres peuvent, selon l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28, appliquer des « régimes d’aide », au sens de l’article 2, second alinéa, sous k), de celle-ci, et, partant, accorder, notamment, des aides à l’investissement, des exonérations ou des réductions fiscales et des remboursements d’impôt ou encore imposer l’obligation d’utiliser de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 29).

40      Il y a lieu, toutefois, de constater qu’aucune de ces dispositions n’interdit aux États membres d’imposer une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 30).

41      Ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2009/28, et en particulier du terme « peuvent », les États membres ne sont nullement obligés, en vue de promouvoir l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, d’adopter des régimes d’aide ni, a fortiori, s’ils font le choix d’adopter de tels régimes, de concevoir ceux-ci sous la forme d’exonérations ou de réductions fiscales (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 31).

42      Les États membres disposent ainsi d’une marge d’appréciation concernant les mesures qu’ils estiment appropriées pour atteindre les objectifs contraignants nationaux globaux fixés à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/28, lu en combinaison avec l’annexe I de cette directive (arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 32).

43      Dès lors, la possibilité pour les États membres, prévue à l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28, d’adopter des régimes d’aide destinés à promouvoir l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, le cas échéant, sous la forme d’exonérations ou de réductions fiscales, n’implique en rien que ceux-ci seraient empêchés de taxer les entreprises développant de telles sources d’énergie, notamment les producteurs d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 33).

44      L’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous e), de la directive 2009/28 ne fait pas davantage obstacle à l’instauration d’une taxe de cette nature, dès lors que cette disposition se borne à encadrer la répercussion, sur les utilisateurs concernés, des coûts afférents aux prestations de services fournies dans le cadre de certaines procédures administratives (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, points 34 à 36).

45      Il en résulte que ni l’article 3, paragraphes 1 à 3, de la directive 2009/28, lu en combinaison avec l’article 2, second alinéa, sous k), et l’annexe I de cette directive, ni l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous e), de celle-ci n’interdisent aux États membres d’instituer une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 37).

46      S’il ne peut, certes, être exclu qu’une telle taxe puisse rendre moins attrayante la production et l’utilisation de l’énergie éolienne et solaire ainsi que compromettre son développement visé, notamment, à l’article 194, paragraphe 1, sous c), TFUE, et, partant, conduire l’État membre concerné à ne pas respecter l’objectif contraignant national global fixé à l’annexe I, partie A, de la directive 2009/28, il en résulterait, tout au plus, une violation, par cet État membre, de ses obligations au titre de cette directive, sans que l’instauration de cette taxe puisse, pour autant, être considérée, en elle-même, comme contraire à ladite directive, les États membres disposant d’une marge d’appréciation pour atteindre ledit objectif, sous réserve qu’ils respectent les libertés fondamentales garanties par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a., C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, points 38 à 40).

47      Cette interprétation est, au demeurant, corroborée par la base juridique sur laquelle cette directive a été adoptée.

48      En effet, ladite directive ayant comme objectif, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 36 de la présente ordonnance, de définir un cadre commun pour la promotion de la production d’énergie à partir de sources renouvelables, le législateur de l’Union a eu recours à la procédure législative ordinaire prévue à l’article 95, paragraphe 1, CE (devenu article 114, paragraphe 1, TFUE), pour l’adoption de mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres dans l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 49).

49      Or, conformément au libellé même de l’article 95, paragraphe 2, CE (devenu article 114, paragraphe 2, TFUE), cet article 95, paragraphe 1 (devenu article 114, paragraphe 1, TFUE), ne s’applique pas aux dispositions fiscales (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 50).

50      En conséquence, dès lors que la directive 2009/28 ne constitue pas une mesure relative au rapprochement des dispositions fiscales des États membres, elle ne saurait s’appliquer à une réglementation nationale instituant une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables et, partant, s’opposer à une telle taxe (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, points 51 et 52).

51      En second lieu, en ce qui concerne l’interprétation des articles 16 et 17 de la Charte, relatifs, respectivement, à la liberté d’entreprise et au droit de propriété, ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler, s’agissant, tout d’abord, des dispositions de la Charte, que l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que ces dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de l’Union.

52      Ladite disposition confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations [voir, notamment, arrêts du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 38, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78].

53      Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (voir, notamment, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

54      De la même manière, s’agissant des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que ce n’est que lorsque les États membres adoptent des mesures par lesquelles ils mettent en œuvre le droit de l’Union qu’ils sont tenus de respecter les principes généraux de ce droit, au rang desquels figurent, notamment, ces principes (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Agrenergy et Fusignano Due, C‑180/18, C‑286/18 et C‑287/18, EU:C:2019:605, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

55      Il s’ensuit que l’applicabilité des articles 16 et 17 de la Charte ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne peut être constatée que si des dispositions du droit de l’Union visées par les juridictions de renvoi, autres que celles de la Charte, sont applicables dans les affaires au principal.

56      Or, en l’occurrence, d’une part, il ressort des éléments dont dispose la Cour que les situations en cause dans ces affaires sont purement internes, en ce sens qu’elles sont dépourvues de tout élément transfrontalier, et, d’autre part, il découle des points 36 à 50 de la présente ordonnance que la directive 2009/28 n’est pas applicable à une réglementation nationale instituant une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables.

57      Dans ces conditions, en l’absence de toute autre précision dans la décision de renvoi concernant un autre instrument du droit de l’Union que cette réglementation mettrait en œuvre, il ne saurait être considéré que, par l’adoption de cette réglementation, la République de Bulgarie a mis en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ainsi que de la jurisprudence rappelée aux points 52 et 54 de la présente ordonnance (voir, notamment, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 53).

58      Il s’ensuit que la Cour n’est manifestement pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles en ce que celles-ci portent sur l’interprétation des articles 16 et 17 de la Charte ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

59      En conséquence, il convient de répondre aux questions posées que l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables.

60      La Cour est manifestement incompétente pour répondre à ces questions, en ce qu’elles portent sur l’interprétation des articles 16 et 17 de la Charte ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

 Sur les dépens

61      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

1)      L’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant une taxe sur la production d’énergie à partir de sources renouvelables.

2)      La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) et par le Sofiyski Rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), en ce qu’elles portent sur l’interprétation des articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que des principes de non-discrimination, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.