Language of document : ECLI:EU:C:2015:614

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

17 septembre 2015 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Marché des cires de paraffine – Marché du gatsch – Durée de la participation à une entente illicite – Cessation de la participation – Interruption de la participation – Absence de contacts collusoires établis pendant une certaine période – Poursuite de l’infraction – Charge de la preuve – Distanciation publique – Perception des autres participants à l’entente de l’intention de se distancier – Obligation de motivation – Principes de présomption d’innocence, d’égalité de traitement, de protection juridictionnelle effective et d’individualité des peines»

Dans l’affaire C‑634/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 novembre 2013,

Total Marketing Services SA, venant aux droits de Total Raffinage Marketing, représentée par Mes A. Vandencasteele, C. Lemaire et S. Naudin, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. P. Van Nuffel et A. Biolan, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocat,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász (rapporteur), D. Šváby et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Total Marketing Services SA, venant aux droits de Total Raffinage Marketing, anciennement Total France SA (ci‑après «Total France»), demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Total Raffinage Marketing/Commission (T‑566/08, EU:T:2013:423, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l’annulation partielle de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie) (résumé publié au JO 2009, C 295, p. 17, ci‑après la «décision litigieuse»), et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a procédé aux constatations suivantes:

«1      Par la décision [litigieuse], la Commission [européenne] a constaté que [Total France] et sa société mère la détenant à 100 %, Total SA, avaient, avec d’autres entreprises, enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE)[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)], en participant à une entente sur le marché des cires de paraffine dans l’EEE et sur le marché allemand du gatsch.

2      Les destinataires de la décision [litigieuse] sont, outre [Total France] et sa société mère Total SA (ci‑après, dénommées ensemble, le ‘groupe Total’ ou ‘Total’), les sociétés suivantes: [...]

3      Les cires de paraffine sont fabriquées en raffinerie à partir de pétrole brut. Elles sont utilisées pour la production de produits tels que des bougies, des produits chimiques, des pneus et des produits automobiles, ainsi que pour les industries du caoutchouc, de l’emballage, des adhésifs et du chewing‑gum (considérant 4 de la décision [litigieuse]).

4      Le gatsch est la matière première nécessaire à la fabrication de cires de paraffine. Il est produit dans les raffineries en tant que sous-produit de la production d’huiles de base à partir de pétrole brut. Il est également vendu aux clients fina[ls], par exemple aux producteurs de panneaux de particules (considérant 5 de la décision [litigieuse]).

5      La Commission a commencé son enquête après [qu’une société] l’a informée, par lettre du 17 mars 2005, de l’existence d’une entente [...] (considérant 72 de la décision [litigieuse]).

6      Les 28 et 29 avril 2005, la Commission a procédé, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), à des vérifications sur place dans les locaux de [...] Total [France] (considérant 75 de la décision [litigieuse]).

7      Le 29 mai 2007, la Commission a adressé une communication des griefs [aux destinataires de la décision litigieuse], dont Total France (considérant 85 de la décision [litigieuse]). Par lettre du 14 août 2007, Total France a répondu à la communication des griefs.

8      Les 10 et 11 décembre 2007, la Commission a organisé une audition à laquelle Total France a participé (considérant 91 de la décision [litigieuse]).

9      Dans la décision [litigieuse], au vu des preuves dont elle disposait, la Commission a estimé que les destinataires, constituant la majorité des producteurs de cires de paraffine et de gatsch au sein de l’EEE, avaient pris part à une infraction unique, complexe et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, qui couvrait le territoire de l’EEE. Cette infraction consistait en des accords ou en des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et sur l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial affectant les cires de paraffine (ci‑après le ‘volet principal de l’infraction’). En ce qui concerne [...] Total, l’infraction affectant les cires de paraffine concernait également la répartition de clients ou de marchés (ci‑après le ‘deuxième volet de l’infraction’). En outre, l’infraction commise par [...] Total portait également sur le gatsch vendu aux clients finals sur le marché allemand (ci‑après le ‘volet gatsch de l’infraction’) (considérants 2, 95, 328 et article 1er de la décision [litigieuse]).

10      Les pratiques infractionnelles se sont matérialisées lors des réunions anticoncurrentielles appelées ‘réunions techniques’ ou parfois réunions ‘Blauer Salon’ par les participants et lors des ‘réunions gatsch’ dédiées spécifiquement aux questions relatives au gatsch.

11      Selon la décision [litigieuse], des employés de Total France avaient participé directement à l’infraction pendant toute sa durée. La Commission a donc tenu Total France pour responsable au titre de sa participation à l’entente (considérants 555 et 556 de la décision [litigieuse]). En outre, Total France était, entre 1990 et la fin de l’infraction, directement ou indirectement détenue à plus de 98 % par Total SA. La Commission a considéré qu’il pouvait être présumé sur cette base que Total SA exerçait une influence déterminante sur le comportement de Total France, les deux sociétés faisant partie d’une même entreprise (considérants 557 à 559 de la décision [litigieuse]). En réponse à une question orale lors de l’audience relative à l’imputation de la responsabilité à sa société mère, [Total France] a renvoyé à l’intégralité des informations communiquées par Total SA dans l’affaire connexe T‑548/08, Total SA/Commission, prononcée ce jour. Dans ladite affaire, Total SA a précisé, en réponse à une question écrite du Tribunal, que Total France était directement ou indirectement détenue par elle à 100 % durant la période litigieuse.

12      Le montant des amendes infligées en l’espèce a été calculé sur la base des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 [...] (ci‑après les ‘lignes directrices de 2006’), en vigueur au moment de la notification de la communication des griefs aux sociétés figurant au point 2 ci‑dessus.

[...]

15      [En application des lignes directrices de 2006], la Commission est parvenue au montant de base de l’amende ajusté de 128 163 000 euros.

16      À défaut de réduction du montant de l’amende [...], le montant de base ajusté de 128 163 000 euros équivaut au montant total de l’amende (considérant 785 de la décision [litigieuse]).

17      La décision [litigieuse] comprend notamment les dispositions suivantes:

Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord continu et/ou une pratique concertée dans le secteur des cires de paraffine dans le marché commun et, à partir du 1er janvier 1994, dans l’EEE:

[...]

Total France [...]: du 3 septembre 1992 au 28 avril 2005; et

Total SA: du 3 septembre 1992 au 28 avril 2005.

En ce qui concerne les entreprises suivantes, l’infraction concerne également, pour les périodes indiquées, le gatsch vendu à des clients finals sur le marché allemand:

Total France [...]: du 30 octobre 1997 au 12 mai 2004; et

Total SA: du 30 octobre 1997 au 12 mai 2004.

[...]

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er:

[...]

Total France [...] conjointement et solidairement avec Total SA: 128 163 000 [euros].

[...]»

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

3        À l’appui des conclusions de sa requête, déposée au greffe du Tribunal le 17 décembre 2008, la requérante avait soulevé onze moyens. Un douzième moyen était soulevé lors de l’audience tenue devant le Tribunal. Ce dernier a rejeté tous ces moyens, à l’exception du huitième, qui était tiré de l’illégalité de la méthode de calcul décrite au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006. Le Tribunal a considéré que la Commission, lors de la détermination du coefficient multiplicateur reflétant la durée de la participation de Total France à l’infraction, avait violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, en assimilant une période de participation de 7 mois et 28 jours (pour les cires de paraffine) et de 6 mois et 12 jours (pour le gatsch) à une participation d’une année entière. En conséquence, le Tribunal a ramené le montant total de l’amende infligée à la requérante de 128 163 000 euros à 125 459 842 euros. En revanche, dans l’arrêt Total/Commission (T‑548/08, EU:T:2013:434), le Tribunal a rejeté dans sa totalité le recours introduit par la société mère Total SA et n’a pas réduit dans la même mesure l’amende infligée à celle-ci.

 Les conclusions des parties

4        La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a exclu à tort la cessation de la participation de la requérante à l’infraction après le 12 mai 2004;

–        annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a exclu à tort toute différence de traitement injustifiée entre la requérante et Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA, Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA (ci‑après «Repsol»), concernant la durée de leur participation à l’infraction;

–        annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a exclu à tort l’interruption de la participation de la requérante à l’infraction entre le 26 mai 2000 et le 27 juin 2001;

–        annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal n’a pas répondu au moyen tiré de l’absence d’examen des preuves du comportement concurrentiel de la requérante sur le marché;

–        statuer définitivement, conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, à ce titre, annuler la décision litigieuse en ce qu’elle concerne la requérante et, dans l’exercice de sa plénitude de compétence, réduire l’amende infligée à la requérante;

–        dans le cas où la Cour ne statuerait pas définitivement dans la présente affaire, réserver les dépens et renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen, conformément à l’arrêt de la Cour, et

–        enfin, conformément à l’article 69 du règlement de procédure de la Cour, condamner la Commission aux dépens tant devant le Tribunal que devant la Cour.

5        La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi et

–        condamner la requérante aux dépens, y compris ceux encourus devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi

6        Le pourvoi repose sur quatre moyens.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit concernant la constatation de la participation de la requérante à l’infraction après la réunion des 11 et 12 mai 2004 et jusqu’au 28 avril 2005

7        Au point 370 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a cité le considérant 602 de la décision litigieuse, qui énonce:

«[La requérante] déclare n’avoir participé à aucune réunion technique après celle des 11 et 12 mai 2004 et ajoute que son représentant a annulé son voyage pour la réunion des 3 et 4 novembre 2004, selon une communication en interne, suite aux conseils de son supérieur. La Commission fait remarquer qu’aucune preuve n’existe concernant un éventuel retrait de l’entente. Dans les cas d’infractions complexes, le fait qu’une entreprise ne soit pas présente lors d’une réunion ou soit en désaccord avec ce qui est discuté lors d’une réunion ne signifie pas que l’entreprise a cessé de participer à une infraction continue. Pour mettre un terme à l’infraction, l’entreprise doit clairement se distancier de l’entente. […] [La requérante] n’a pas apporté de preuve précise selon laquelle elle aurait adopté, de manière entièrement autonome, une stratégie unilatérale sur le marché et se serait clairement et ouvertement distanciée des activités de l’entente. Au contraire, les preuves en possession de la Commission démontrent que [la requérante] a reçu les invitations officielles aux trois réunions techniques suivantes (c’est‑à‑dire les trois dernières réunions techniques organisées avant l’exécution des inspections). La Commission fait remarquer que le représentant de [la requérante] a confirmé qu’il participerait à la réunion des 3 et 4 novembre 2004, même s’il apparaît qu’il a annulé son voyage par la suite. De même, en ce qui concerne la réunion des 23 et 24 février 2005, une chambre avait déjà été réservée par [Sasol Wax International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Limited, organisatrice de cette réunion (ci‑après ‘Sasol’)] pour le représentant de [la requérante] à l’hôtel où a[vait] eu lieu la réunion, réservation qui a[vait] été annulée par la suite. La Commission en conclut donc que, pour Sasol et les autres participants, il était clair que [la requérante] avait participé à l’entente jusqu’à la fin. La Commission note aussi que les discussions menées lors des réunions n’étaient pas fondamentalement différentes de celles engagées lors des réunions précédentes, mais que les participants ont continué à discuter des hausses de prix sans faire mention d’une quelconque tentative de [la requérante] de quitter l’entente (voir les considérants 175, 176 et 177) et qu’il n’était pas inhabituel que des entreprises ne participent pas à certaines réunions pendant l’entente. Ces deux éléments prouvent que [la requérante] n’était pas perçue comme ayant quitté l’entente après la réunion de mai 2004. La communication interne du représentant de [la requérante] quant à ses raisons de ne pas participer à une réunion ne peut en tout état de cause être considérée comme une distanciation publique. Étant donné qu’aucune autre information ne suggère [qu’elle] s’est distanciée de l’entente, la Commission considère que la participation de [la requérante] à l’entente n’a pas pris fin avant les inspections.»

8        Aux points 372 à 379 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a entériné la position de la Commission concernant le critère de la distanciation publique ainsi que la perception de cette distanciation par les autres participants à l’entente, et a constaté que la requérante ne s’était pas publiquement distanciée de l’entente selon la perception des autres participants.

9        En outre, aux points 377 à 379 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé le courriel interne du 3 novembre 2004, envoyé par le représentant de la requérante aux réunions techniques à un autre employé de la requérante, qui se lisait comme suit «Compte tenu de l’objectif du meeting en Autriche, je me range à la recommandation de Thibault. J’annule mon voyage à Vienne (départ initialement prévu cet après‑midi)», et a conclu qu’un courriel interne, non communiqué aux autres participants, ne saurait constituer une distanciation publique. De plus, au point 380 de cet arrêt, le Tribunal a constaté que le simple fait que la requérante n’avait pas participé aux dernières réunions techniques ne démontrait aucunement qu’elle n’avait pas utilisé l’information sur les prix appliqués par ses concurrents qu’elle avait reçue lors des dizaines de réunions techniques précédentes, auxquelles elle avait assisté, et qu’elle n’avait pas profité des accords de répartition des marchés et des clients mis en place lors de ces réunions. Au même point, le Tribunal a conclu que la requérante n’avait soumis aucune preuve démontrant qu’elle avait cessé de mettre en œuvre l’entente le 12 mai 2004.

 Argumentation des parties

10      La requérante fait valoir que, après la réunion technique des 11 et 12 mai 2004, elle n’a participé à aucune des trois réunions organisées à compter de cette date et jusqu’aux inspections effectuées par la Commission les 28 et 29 avril 2005, ce qui constitue une absence ininterrompue d’un an, période qui excède largement les intervalles habituels des trois mois pour la tenue des réunions collusoires. En outre, aucune concertation illicite entre la requérante et les autres participants à l’entente, de quelque nature que ce soit, n’aurait été démontrée ou alléguée pendant cette période. De plus, le courriel interne mentionné au point 9 du présent arrêt établirait que l’absence de son représentant aux réunions postérieures à celle du mois de mai 2004 ne serait pas fortuite, mais résulterait de consignes de sa hiérarchie liées à l’objet de ces réunions.

11      Or, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’exigence de distanciation publique reposerait sur la prémisse essentielle qu’une entité ayant participé à une réunion anticoncurrentielle est réputée avoir souscrit au contenu de celle-ci à moins qu’elle ne s’en distancie ouvertement (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 81 et 82 ainsi que jurisprudence citée). Il ressortirait en outre de la jurisprudence constante du Tribunal, concernant l’administration de la preuve de la durée de la participation d’une entité à une entente, qu’il appartient à la Commission de prouver non seulement l’existence de l’entente, mais aussi sa durée et que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, il lui appartient d’invoquer, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises.

12      La requérante en conclut que, en l’absence de toute preuve de contacts ou de manifestations collusoires entre une entité et les autres participants à une entente à compter d’une certaine date et pour une période déterminée, la Commission ne saurait fonder la constatation de la continuité de la participation de cette entité à l’entente sur l’allégation de non‑distanciation. En ayant validé cette approche de la Commission, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve de la durée de participation à une infraction, qui incombe à cette dernière, et aurait ainsi commis une erreur de droit.

13      En soulignant que ce moyen du pourvoi porte non pas sur la durée d’une interruption de la participation à une entente, mais sur la continuation de la participation jusqu’à la fin de l’entente, la Commission fait valoir que, par ce moyen, la requérante ne fait que réitérer les arguments soulevés devant le Tribunal à propos de l’appréciation d’éléments factuels, de telle sorte que ce moyen doit être considéré, à titre principal, comme irrecevable.

14      À titre subsidiaire, la Commission relève que la durée de la participation à une infraction est une question de fait dont la preuve doit être apportée au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce. En l’occurrence, la preuve de la continuation de la participation de la requérante à l’infraction ressortirait de la conjonction de deux éléments indissociablement liés, à savoir, d’une part, le fait qu’elle a continué à être invitée aux réunions techniques, ce qui supposerait que l’invitant continuait à la percevoir comme faisant partie de l’entente, et, d’autre part, le fait qu’elle ne s’est pas distanciée de cette entente. Ainsi, ni la Commission ni le Tribunal ne se seraient fondés sur la seule absence de distanciation publique de la requérante.

15      En résumé, la Commission soutient que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal confirme que l’absence de distanciation publique est un élément revêtant une grande importance dans le cas où d’autres indices laissant supposer une continuation de la participation à l’entente sont constatés et que, en toute hypothèse, la perception des autres membres de l’entente est essentielle. Au considérant 602 de la décision litigieuse, la Commission, loin de se fonder exclusivement sur l’absence de distanciation publique de la requérante, aurait fait état d’indices qui devaient être appréciés dans leur ensemble. Le Tribunal aurait apprécié souverainement la valeur qu’il convenait d’attribuer à ces éléments.

 Appréciation de la Cour

16      Il est constant que la requérante n’a pas participé aux trois dernières réunions collusoires de l’entente, qui ont eu lieu entre le 12 mai 2004 et le 29 avril 2005.

17      Après avoir cité littéralement, au point 370 de l’arrêt attaqué, le considérant 602 de la décision litigieuse, le Tribunal a confirmé, aux points 372 à 374 de cet arrêt, le bien-fondé de la position de la Commission exprimée dans ce considérant, selon laquelle la requérante avait continué à participer à l’infraction au-delà du mois de mai 2004.

18      Le Tribunal a considéré qu’il ne pouvait être conclu à la cessation définitive de l’appartenance d’une entreprise à une entente que si cette entreprise s’était distanciée publiquement du contenu de l’entente et a ajouté que le critère déterminant d’appréciation à cet égard était la compréhension qu’avaient les autres participants à l’entente de l’intention de ladite entreprise.

19      Ainsi, comme l’a jugé le Tribunal, même lorsqu’il n’est pas contesté qu’une entreprise ne participe plus aux réunions collusoires d’une entente, elle est tenue de se distancier publiquement de cette dernière, afin qu’il puisse être considéré qu’elle a cessé d’y participer, la preuve de cette distanciation devant être appréciée selon la perception des autres participants à cette entente.

20      Il importe de relever que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la distanciation publique est requise afin qu’une entreprise qui a participé à des réunions collusoires puisse établir que sa participation était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel. À cette fin, l’entreprise en cause doit démontrer qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 81 et 82 ainsi que jurisprudence citée).

21      La Cour a également jugé que la participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle crée une présomption du caractère illicite de cette participation, présomption que cette entreprise doit renverser par la preuve d’une distanciation publique, laquelle doit être perçue comme telle par les autres participants à l’entente (voir, en ce sens, arrêt Comap/Commission, C‑290/11 P, EU:C:2012:271, points 74 à 76 et jurisprudence citée).

22      Dès lors, la jurisprudence de la Cour n’exige une distanciation publique que dans le contexte de la participation d’une entreprise à des réunions anticoncurrentielles, comme un moyen de preuve indispensable pour renverser la présomption rappelée au point précédent, sans pour autant exiger en toutes circonstances une telle distanciation mettant fin à la participation à l’infraction.

23      En effet, en ce qui concerne la participation non pas à des réunions anticoncurrentielles individuelles, mais à une infraction s’étendant sur plusieurs années, il découle de la jurisprudence de la Cour que l’absence de distanciation publique ne constitue qu’un des éléments parmi d’autres à prendre en considération en vue d’établir si une entreprise a effectivement continué à participer à une infraction ou, au contraire, a cessé de le faire (voir, en ce sens, arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 75).

24      Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant considéré, aux points 372 et 374 de l’arrêt attaqué, que la distanciation publique constitue l’unique moyen dont dispose une société impliquée dans une entente pour prouver la cessation de sa participation à cette entente, même dans le cas où cette société n’a pas participé à des réunions collusoires.

25      Toutefois, cette erreur de droit commise par le Tribunal ne saurait conduire à l’annulation des conclusions de l’arrêt attaqué concernant la participation de la requérante à l’infraction entre le 12 mai 2004 et le 29 avril 2005.

26      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit, dans la plupart des cas, être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (voir arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 57, ainsi que Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 70).

27      S’agissant, notamment, d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, la Cour a jugé que le fait que la preuve directe de la participation d’une société à cette infraction pendant une période déterminée n’a pas été apportée ne fait pas obstacle à ce que cette participation, également pendant cette période, soit constatée, pour autant que cette constatation repose sur des indices objectifs et concordants (voir, en ce sens, arrêts Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, points 97 et 98, ainsi que Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 72).

28      En effet, même si la distanciation publique n’est pas l’unique moyen dont dispose une société impliquée dans une entente pour prouver la cessation de sa participation à cette entente, il reste néanmoins qu’une telle distanciation constitue un fait important susceptible d’établir la cessation d’un comportement anticoncurrentiel. L’absence de distanciation publique constitue une situation factuelle dont la Commission peut faire état pour prouver la poursuite du comportement anticoncurrentiel d’une société. Toutefois, dans le cas où, au cours d’une période significative, plusieurs réunions collusoires ont eu lieu en l’absence de participation des représentants de la société concernée, la Commission doit également fonder son appréciation sur d’autres éléments de preuve.

29      En l’occurrence, le Tribunal, aux points 377 à 379, a constaté à juste titre que le courriel interne du 3 novembre 2004 envoyé par le représentant de la requérante à un autre employé de celle-ci ne pouvait pas prouver une distanciation publique.

30      Or, il y a lieu de constater que le rejet de ce moyen de la requête de première instance ne se justifie pas par la seule absence de distanciation publique de la requérante. En effet, il ressort du considérant 602 de la décision litigieuse, cité au point 370 de l’arrêt attaqué, qu’il existait d’autres éléments factuels dont avait fait état la Commission et qui n’avaient pas été contestés par la requérante, tels que la confirmation initiale de la participation du représentant de la requérante à la réunion des 3 et 4 novembre 2004 et la réservation initiale pour ce dernier, par l’organisatrice des réunions collusoires, d’une chambre d’hôtel pour la réunion des 23 et 24 février 2005.

31      Dès lors, ces éléments factuels, en combinaison avec l’absence de distanciation publique de la requérante et la perception de l’organisatrice des réunions collusoires, constituaient des indices concordants permettant de conclure à la poursuite de la participation de la requérante à l’entente.

32      Par conséquent, le premier moyen du pourvoi étant inopérant, il ne saurait être accueilli.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit concernant la constatation de non‑interruption de la participation de la requérante à l’infraction entre le 26 mai 2000 et le 26 juin 2001

33      Au considérant 159 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que, selon les déclarations faites par Shell, Total France a été accusée, lors de la réunion des 25 et 26 mai 2000, par les autres participants à cette réunion, de vendre à des prix trop bas.

34      Le considérant 603 de la décision litigieuse est rédigé comme suit:

«Total France [...] allègue qu’elle a interrompu sa participation entre 2000 et 2001 et que le fait que son représentant a quitté la réunion [des 25 et 26 mai 2000] en colère constituait un signe de distanciation. [...] La Commission fait remarquer [...] qu’aucune information ne suggère que Total se soit publiquement distanciée de l’entente. Le fait que [X, représentant de Total France] a quitté la réunion ne constitue pas en soi une distanciation publique, Total elle-même ne soutenant pas que [X] a annoncé son intention de mettre un terme à la participation de Total à l’entente. La colère de [X] a plutôt tendance à prouver qu’il n’était pas satisfait des accords conclus. La réapparition de Total après moins d’un an confirme que son intention n’était pas de mettre un terme à sa participation. Par conséquent, la Commission ne considère pas la courte absence temporaire de Total comme constitutive d’une interruption de sa participation à l’entente.»

35      Le Tribunal a conclu, en substance, aux points 401 et 402 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas démontré que, lors de la réunion tenue les 25 et 26 mai 2000, le représentant de la requérante s’était distancié de l’infraction selon la perception des autres participants à cette réunion.

 Argumentation des parties

36      La requérante fait valoir que, ainsi qu’il ressort de la déclaration faite devant la Commission par une entreprise qui faisait partie de l’entente, son représentant a quitté brutalement et en état d’exaspération la réunion des 25 et 26 mai 2000 et n’a plus participé à aucune des trois réunions suivantes jusqu’à ce que son nouveau représentant assiste à celle des 26 et 27 juin 2001. La conclusion à laquelle le Tribunal est parvenue, à savoir que la requérante n’aurait pas apporté la preuve d’une distanciation publique, constituerait une violation du principe de présomption d’innocence. Le Tribunal aurait ainsi commis à cet égard une erreur de droit, ce d’autant plus que son approche concernant la requérante aurait été contraire à celle suivie à l’égard d’une autre entreprise participant à cette entente.

37      La Commission soutient à titre principal que ce moyen est irrecevable. En effet, il constituerait un moyen de fait, car il porterait tant sur l’appréciation de la durée de la participation à une entente que sur la notion de distanciation publique, les deux constituant des situations factuelles. La requérante mettrait simplement en cause l’interprétation des faits retenue par le Tribunal.

38      À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que ce moyen est infondé, dès lors qu’elle ne s’est pas bornée à prendre en considération, pour constater la continuité de la participation à l’entente litigieuse entre le 26 mai 2000 et le 26 juin 2001, l’absence de distanciation publique, ainsi qu’il ressort du considérant 603 de la décision litigieuse. Le Tribunal aurait confirmé cette analyse, en se fondant non sur cette seule absence de distanciation, mais également sur l’examen des circonstances dans lesquelles le représentant de la requérante a quitté la réunion des 25 et 26 mai 2000. La Commission conclut que la durée de participation d’une entreprise à une entente est une question factuelle et que, en l’occurrence, l’absence d’éléments de preuve de contacts anticoncurrentiels ou de participation à de tels contacts pendant une période d’un an ne saurait suffire, en elle‑même, à établir l’interruption de cette entente.

 Appréciation de la Cour

39      Il convient de constater que ce moyen du pourvoi est fondé sur deux arguments tirés, d’une part, de ce que le comportement du représentant de la requérante lors de la réunion des 25 et 26 mai 2000 témoigne de ce que celle-ci entendait se distancier publiquement de l’entente litigieuse et, d’autre part, de ce que la requérante n’a participé à aucune des trois réunions collusoires organisées entre le 26 mai 2000 et le 26 juin 2001.

40      En ce qui concerne la question de savoir si le comportement du représentant de la requérante lors de la réunion des 25 et 26 mai 2000 était de nature à prouver une distanciation publique, il importe de relever que ce comportement a fait l’objet d’un examen par la Commission au considérant 603 de la décision litigieuse et que cet examen a été soumis au contrôle juridictionnel du Tribunal. À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 398 et 401 de l’arrêt attaqué, après avoir apprécié les circonstances dans lesquelles s’était déroulée cette réunion et pris en considération la perception que les autres participants à ladite réunion avait pu avoir de l’attitude du représentant de la requérante, le Tribunal est parvenu à la conclusion, au point 402 de cet arrêt, que cette attitude ne démontrait pas une distanciation publique par rapport à l’entente anticoncurrentielle. Or, une telle appréciation factuelle ne saurait, conformément à la jurisprudence, être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi.

41      En ce qui concerne le point de savoir si l’absence de participation de la requérante aux trois réunions collusoires tenues entre le 26 mai 2000 et le 26 juin 2001 constitue une preuve de l’interruption de l’implication de celle‑ci dans l’entente, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis, au point 402 de son arrêt, en faisant référence aux conclusions qu’il avait tirées au point 372 de celui-ci, la même erreur de droit que celle relevée au point 24 du présent arrêt, dans le cadre de l’examen du premier moyen du pourvoi, en considérant qu’il appartenait à la requérante de prouver qu’elle s’était distanciée de cette entente selon la perception des autres participants, nonobstant le fait qu’elle n’avait pas participé à ces réunions.

42      Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour, déjà relevée au point 27 du présent arrêt, le fait que la preuve directe de la participation d’une société à une entente pendant une certaine période n’a pas été apportée ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, la participation à cette entente, également pendant cette période, soit regardée comme constituée, dès lors qu’elle repose sur des indices objectifs et concordants.

43      En l’occurrence, l’absence de distanciation publique de la requérante n’a pas été le seul élément pour lequel le comportement de la requérante doit être considéré comme infractionnel également pendant la période en cause.

44      En effet, il ressort des points 398 et 401 de l’arrêt attaqué que le fait que le représentant de la requérante a quitté brutalement la réunion des 25 et 26 mai 2000 s’expliquait par des raisons personnelles et ne pouvait être regardé comme une manifestation de la volonté de Total France elle‑même de se distancier de l’entente, ce qui correspondait également à la perception que d’autres participants à cette réunion avaient pu avoir de cet événement. En outre, après le remplacement de ce représentant par un autre employé, Total France a recommencé à participer aux réunions collusoires, cette circonstance étant de nature à corroborer la considération selon laquelle le comportement dudit représentant s’expliquait par l’existence d’un conflit de nature personnelle.

45      Par conséquent, parallèlement à l’absence de distanciation publique, il existait des indices objectifs et concordants permettant de ne pas conclure à l’interruption de la participation de la requérante à l’entente pendant la période en cause.

46      Dès lors, le troisième moyen du pourvoi étant inopérant, il ne saurait être accueilli.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, de la dénaturation des éléments de preuve et du défaut de motivation

47      Au point 386 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la Commission avait considéré que la participation de Repsol à l’entente avait pris fin le 4 août 2004, puisque, pour la réunion devant se tenir ce même jour, Repsol n’avait reçu de la part de Sasol, organisatrice des réunions, aucune invitation officielle contenant l’ordre du jour, ce qui montrait que Sasol avait des doutes quant à la continuation de la participation de Repsol à l’entente.

48      Au point 387 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que l’arrêt de l’envoi à Repsol des invitations officielles pour les réunions contenant l’ordre du jour mettait en évidence que Sasol avait changé de perception et qu’elle n’était plus assurée de la participation de Repsol à l’entente après le 4 août 2004, et que cet élément était suffisant pour considérer que Repsol s’était distanciée de cette entente selon la perception qu’avaient les autres participants à celle-ci. En revanche, aux points 388 à 390 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que tel n’était pas le cas de la requérante, celle-ci ayant continué à recevoir les invitations officielles pour les réunions contenant l’ordre du jour, et a conclu que la Commission avait traité différemment des situations différentes et, par conséquent, n’avait pas violé le principe d’égalité de traitement.

 Argumentation des parties

49      La requérante relève que cette analyse du Tribunal repose, premièrement, sur une erreur de fait. En effet, il ressortirait du dossier soumis par la Commission au Tribunal que, pour la réunion des 3 et 4 août 2004, Repsol avait reçu, comme la requérante, en plus d’une invitation sans ordre du jour, la même invitation dite «officielle» incluant l’ordre du jour. Repsol aurait également été destinataire d’une invitation pour la réunion des 3 et 4 novembre 2004. Dès lors, la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal reposerait sur une dénaturation des preuves. Deuxièmement, le Tribunal aurait exigé de la requérante une preuve de distanciation publique, et non de Repsol, dont le retrait de l’entente aurait été admis même sans distanciation. Or, l’arrêt attaqué n’avancerait pas d’éléments susceptibles de justifier une telle différence de traitement, ce qui constituerait une violation du principe d’égalité de traitement.

50      La Commission soutient à titre principal que ce moyen de pourvoi est inopérant, car, à supposer même que le Tribunal ait commis une erreur d’appréciation en ce qui concerne Repsol, une telle erreur ne concernerait pas la requérante et ne serait donc pas de nature à entraîner la réduction de la durée de l’infraction constatée dans le chef de cette dernière, question qui relèverait exclusivement du premier moyen.

51      À titre subsidiaire, la Commission reconnaît que, en ce qui concerne la réunion des 3 et 4 août 2004, elle a considéré que Repsol était encore membre de l’entente à la date à laquelle cette réunion s’est déroulée et que l’absence de son représentant lors de ladite réunion ne constituait pas un indice de retrait de l’entente. En ce qui concerne la réunion des 3 et 4 novembre 2004, la Commission reconnaît également que Repsol avait reçu la même invitation que la requérante, avec ordre du jour, sans pourtant être considérée comme étant encore membre de l’entente. Néanmoins, à supposer qu’un tel constat procède d’une dénaturation des preuves, cette dénaturation serait sans conséquence puisque, sur cette même invitation commune, le représentant de la requérante était mentionné comme ayant une chambre réservée, à la différence de celui de Repsol, ce que la Commission considère comme une différence importante.

 Appréciation de la Cour

52      Il y a lieu de constater que, aux points 386 et 387 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les faits concernant la durée de la participation de Repsol à l’entente. En effet, ainsi qu’il ressort du dossier et ainsi que l’a admis la Commission, cette dernière a considéré que, en ce qui concerne la réunion des 3 et 4 août 2004, Repsol était encore membre de l’entente, l’absence de son représentant ne pouvant pas constituer un indice de retrait, et que, en ce qui concerne la réunion des 3 et 4 novembre 2004, Repsol avait reçu le même type d’invitation que la requérante. Dès lors, l’exposé contenu aux points précités de l’arrêt attaqué est entaché d’une dénaturation d’éléments factuels.

53      En outre, il importe d’observer également que, au point 387 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé uniquement sur le doute de l’organisatrice des réunions collusoires concernant la volonté de participation de Repsol à ces réunions après le 4 août 2004, et a conclu que cet élément était suffisant pour considérer que Repsol s’était distanciée de l’entente selon la perception qu’avaient les autres participants. Ainsi, le Tribunal n’a pas soumis Repsol à la même exigence de preuve de distanciation publique que celle à laquelle il a soumis la requérante, ce qui témoigne d’une application non cohérente de cette exigence et constitue une inégalité de traitement.

54      Toutefois, et en tout état de cause, alors même qu’il a été constaté, dans le cadre de l’examen des premier et troisième moyens du pourvoi, que l’approche du Tribunal concernant l’exigence de distanciation publique était erronée en droit, les erreurs ainsi commises ne sauraient être utilement invoquées par la requérante.

55      En effet, le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité (voir, en ce sens, arrêt The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 62 et jurisprudence citée). Dès lors, étant donné que, dans le cadre de l’examen du premier moyen du pourvoi, la constatation de la durée de participation de la requérante à l’entente a été jugée régulière, le traitement favorable éventuellement injustifié réservé à Repsol ne saurait conduire à la réduction de cette durée.

56      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen du pourvoi.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des principes de protection juridictionnelle effective et d’individualité des peines ainsi que de l’exigence de motivation

57      Le considérant 696 de la décision litigieuse est rédigé comme suit:

«Un certain nombre d’entreprises allèguent n’avoir pas mis en œuvre les arrangements et soulignent la quantité réduite de lettres de tarification qu’elles ont envoyées ou reçues. Certaines entreprises allèguent que leur comportement sur le marché n’a pas été influencé par les arrangements. La Commission ne considère pas, en premier lieu, que ces simples assertions constituent une preuve suffisante de l’absence de mise en œuvre au sens des lignes directrices de 2006 [...]. La Commission, en second lieu, observe que l’envoi ou la réception de lettres de tarification ne constituait pas le seul instrument de mise en œuvre, qui avait principalement lieu par le biais (de tentatives) d’augmentations de prix régulières communiquées sur le marché, parfois documentées par les preuves des réunions techniques.»

58      En réponse au cinquième moyen de la requête de première instance, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et d’une violation des lignes directrices de 2006, en ce qui concerne l’absence de mise en œuvre des pratiques infractionnelles alléguées, absence qui constitue une circonstance atténuante en vertu du paragraphe 29 de ces lignes directrices, le Tribunal, aux points 406 et 407 de l’arrêt attaqué, après avoir repris littéralement le considérant 696 de la décision litigieuse, a renvoyé à ses développements concernant l’examen du deuxième moyen de la requête et conclu que les affirmations de la Commission relatives à la mise en œuvre de l’entente par la requérante étaient soutenues par des éléments de preuve suffisants.

 Argumentation des parties

59      La requérante soutient que le Tribunal s’est abstenu de répondre au moyen tiré de l’absence de prise en compte des preuves économiques du fait qu’elle s’était comportée conformément aux règles de la concurrence et d’examiner la pertinence et le contenu de ces preuves. En effet, la requérante aurait soumis à la Commission, puis au Tribunal, une analyse économique approfondie couvrant toute la période infractionnelle et démontrant qu’elle n’avait jamais mis en œuvre les accords qui auraient été conclus lors des réunions techniques. Cette analyse aurait été passée sous silence non seulement dans la décision litigieuse, mais aussi dans l’arrêt attaqué, les points 406 et 407 de ce dernier n’apportant aucune réponse aux arguments de la requérante. Cette dernière relève dans ce contexte que les développements du Tribunal dans le cadre de l’examen du deuxième moyen de la requête, auxquels renvoie le point 407 de cet arrêt, concernent la mise en œuvre de l’entente au niveau global et non pas le comportement individuel de chacune des entreprises impliquées.

60      La Commission soutient à titre principal que ce moyen du pourvoi est irrecevable, étant donné que la requérante n’indique pas de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt attaqué ni n’avance des arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. En outre, par ce moyen, la requérante viserait en réalité à obtenir le réexamen complet par la Cour du cinquième moyen de la requête de première instance.

61      À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que le Tribunal a consacré à l’examen de ce cinquième moyen les points 405 à 408 de l’arrêt attaqué et observe que ces points renvoient à l’analyse effectuée par le Tribunal dans le cadre de l’examen du deuxième moyen de la requête de première instance. Or, aux points 243 à 259 de cet arrêt, qui font partie de l’examen de ce deuxième moyen, le Tribunal aurait confirmé le raisonnement de la Commission selon lequel la requérante n’avait pas apporté les preuves démontrant qu’elle avait adopté un comportement concurrentiel sur le marché. Par ailleurs, aux points 163 à 190 de l’arrêt attaqué, qui font également partie de l’examen dudit deuxième moyen, le Tribunal, en se fondant sur des preuves concrètes, aurait rejeté l’argument de la requérante selon lequel celle-ci n’aurait pas mis en œuvre l’entente sur les prix.

 Appréciation de la Cour

62      Par son quatrième moyen du pourvoi, la requérante soutient que le Tribunal s’est abstenu de répondre à son cinquième moyen de la requête de première instance, tiré de l’absence de prise en compte des preuves de son comportement prétendument concurrentiel et, notamment, d’une analyse économique approfondie couvrant toute la période infractionnelle.

63      Il y a lieu de constater que cette argumentation procède d’une lecture manifestement erronée de l’arrêt attaqué, et plus particulièrement du raisonnement du Tribunal énoncé aux points 406 et suivants de cet arrêt. En effet, après avoir cité littéralement, au point 406 de l’arrêt attaqué, le considérant 696 de la décision litigieuse, dans lequel la Commission faisait référence, de manière générale, au fait qu’«un certain nombre d’entreprises» alléguaient n’avoir pas mis en œuvre les arrangements convenus dans le cadre de l’entente litigieuse, le Tribunal a renvoyé, au point 407 de cet arrêt, aux développements qu’il a consacrés à l’examen des deuxième et quatrième branches du deuxième moyen de la requête de première instance.

64      Par la deuxième branche de ce moyen, la requérante alléguait l’absence de preuve de la mise en œuvre des accords de fixation de prix.

65      Force est de constater que, aux points 166 à 185 de l’arrêt attaqué, qui sont consacrés à l’examen de cette allégation, le Tribunal a examiné les moyens de preuve avancés par la Commission concernant également la participation individuelle de la requérante à la mise en œuvre desdits accords, tels que des lettres tarifaires échangées entre les participants à l’entente et annonçant des hausse de prix, des lettres indiquant, à la suite d’arrangements conclus lors de la réunion collusoire précédente, des augmentations de prix aux clients ainsi que des déclarations faites à cet égard par des participants à l’entente et se référant en outre à des communications téléphoniques entre représentants des entreprises impliquées dans l’entente afin de s’assurer de la bonne mise en œuvre des arrangements convenus.

66      Après avoir relevé, au point 189 de l’arrêt attaqué, que la Commission disposait d’informations sur plus de 50 réunions anticoncurrentielles entre 1992 et 2005, et qu’elle avait produit 343 lettres tarifaires de la requérante destinées à informer ses clients des hausses tarifaires à venir, le Tribunal a conclu, au point 190 de cet arrêt, que la Commission avait à juste titre constaté la mise en œuvre de l’entente par la requérante.

67      Par la quatrième branche de ce deuxième moyen de la requête de première instance, la requérante alléguait avoir adopté un comportement sur le marché conforme aux règles de la concurrence.

68      Or, il y a également lieu de constater que, aux points 233 à 259 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné de manière circonstanciée l’argumentation de la requérante, y compris l’évocation d’une analyse économique de sa politique des prix. Outre l’examen concret de ces arguments, le Tribunal a particulièrement retenu le fait que la requérante avait participé à la majorité des plus de 50 réunions anticoncurrentielles tenues entre 1992 et 2005, qu’elle avait admis avoir régulièrement augmenté ses prix, ce qui était en soi l’indice d’une application des accords convenus lors de ces réunions, et qu’elle avait envoyé à cet égard 343 lettres d’information à ses clients. Il a ainsi abouti à la constatation que les circonstances invoquées par la requérante ne permettaient pas de conclure que, pendant la période de treize ans au cours de laquelle celle-ci avait adhéré aux accords infractionnels, elle s’était effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché.

69      Par conséquent, le grief de la requérante, selon lequel le Tribunal n’aurait pas pris en considération son comportement individuel mais aurait examiné sa situation ensemble avec celle des autres participants dans le cadre de la mise en œuvre de l’entente au niveau global, n’est pas fondé.

70      Eu égard à ces considérations, le quatrième moyen du pourvoi doit également être rejeté.

71      Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de cette société, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Total Marketing Services SA est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.