Language of document : ECLI:EU:C:2019:698

ORDONNANCE DE LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR

10 septembre 2019 (*)

« Pourvoi – Ordonnance de référé – Concurrence – Ententes – Marché des biocarburants – Manipulation des indices de référence pour l’éthanol – Procédure de transaction – Accès à des documents prétendument confidentiels – Urgence – Préjudice grave et irréparable – Fumus boni juris »

Dans l’affaire C‑318/19 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 avril 2019,

Lantmännen ek för, établie à Stockholm (Suède),

Lantmännen Agroetanol AB, établie à Norrköping (Suède),

représentées par Mes S. Perván Lindeborg et A. Johansson, advokater, ainsi que par M. R. Bachour, solicitor,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. F. Jimeno Fernández, G. Conte et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, Lantmännen ek för et Lantmännen Agroetanol AB demandent l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 2 avril 2019, Lantmännen et Lantmännen Agroetanol/Commission (T‑79/19 R, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2019:212), par laquelle celui-ci a rejeté leur demande tendant au sursis à l’exécution de la décision C(2019) 743 final de la Commission, du 28 janvier 2019, relative à une objection à la divulgation d’informations soulevée par Lantmännen ek för et Lantmännen Agroetanol AB, conformément à l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission européenne, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29) (affaire AT.40054  Indices de référence pour l’éthanol, ci-après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

2        Le 7 décembre 2015, la Commission européenne a décidé, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008 (JO 2008, L 171, p. 3) (ci-après le « règlement no 773/2004 »), d’ouvrir une procédure dans l’affaire AT.40054  Indices de référence pour l’éthanol à l’encontre des requérantes et de deux autres entreprises.

3        Le 27 avril 2016, la Commission a demandé aux requérantes si elles souhaitaient entamer des discussions en vue de parvenir à une transaction, en application de l’article 10 bis du règlement no 773/2004. Le 10 mai 2016, les requérantes ont confirmé leur intérêt à prendre part à de telles discussions.

4        Le 21 juin 2016, une première réunion visant à parvenir à une transaction s’est tenue, au cours de laquelle la Commission a invité les requérantes à soumettre des observations écrites sur sa note de synthèse relative à l’affaire AT.40054  Indices de référence pour l’éthanol.

5        À ces fins, les requérantes ont présenté, respectivement, les 31 août, 3 octobre et 18 décembre 2016, trois documents officieux (ci-après les « documents officieux »).

6        Le 28 février 2018, la Commission a informé les requérantes que les deux autres entreprises visées par l’enquête de la Commission dans l’affaire AT.40054  Indices de référence pour l’éthanol avaient décidé de se retirer de la procédure de transaction.

7        Le 16 juillet 2018, les requérantes ont soumis leur proposition de transaction à la Commission.

8        Le 24 juillet 2018, la Commission a adopté une communication des griefs adressée aux deux autres entreprises qui avaient décidé de se retirer de la procédure de transaction. Celles-ci ont eu accès au dossier de la Commission, y compris à la proposition de transaction des requérantes, dans les conditions prévues au point 35 de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p. 1, ci-après la « communication sur la transaction »).

9        Le 14 septembre 2018, l’une de ces entreprises a demandé à la Commission l’accès à tous les documents échangés entre la Commission et les requérantes dans le cadre de la procédure de transaction jusqu’à la présentation par ces dernières de leur proposition de transaction.

10      Le 21 septembre 2018, la Commission a rejeté cette demande. Le 25 septembre 2018, l’entreprise concernée a saisi le conseiller-auditeur, conformément à l’article 7 de la décision 2011/695.

11      Le 9 novembre 2018, la Commission a informé les requérantes que le conseiller-auditeur avait l’intention d’autoriser la divulgation des documents visés au point 9 de la présente ordonnance et leur a demandé de fournir des versions non confidentielles de ces documents.

12      Le 20 novembre 2018, les requérantes ont fourni des versions non confidentielles de certains desdits documents, mais ont refusé de donner leur accord à la divulgation des documents officieux ainsi que des procès-verbaux des réunions ou appels des 26 mai, 21 juin, 9 septembre 2016 et 7 mars 2018 (ci-après les « procès-verbaux »).

13      Le 22 novembre 2018, la Commission a demandé une nouvelle fois aux requérantes de fournir des versions non confidentielles des documents officieux et des procès-verbaux.

14      Le 30 novembre 2018, les requérantes ont fourni des versions non confidentielles des documents officieux (ci-après les « documents officieux expurgés »). En revanche, elles n’ont pas fourni de versions non confidentielles des procès-verbaux.

15      Le 5 décembre 2018, les requérantes ont soumis leurs objections à la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux envisagée au conseiller-auditeur, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la décision 2011/695.

16      Le 28 janvier 2019, le conseiller-auditeur a adopté la décision litigieuse. Conformément à l’article 1er de celle-ci, la Commission peut procéder à la divulgation restreinte des documents officieux expurgés et des procès-verbaux à l’entreprise ayant demandé l’accès à ceux-ci, dans les conditions prévues au point 35 de la communication sur la transaction.

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 février 2019, les requérantes ont formé un recours en annulation contre la décision litigieuse.

18      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit une demande en référé au titre des articles 278 et 279 TFUE, visant, en substance, à la suspension de l’exécution de la décision litigieuse et à la condamnation de la Commission aux dépens.

19      À la demande des requérantes, le président du Tribunal a, le 14 février 2019, sans avoir entendu préalablement la Commission, adopté une ordonnance au titre de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal enjoignant à la Commission de surseoir à l’exécution de la décision litigieuse.

20      Le 2 avril 2019, le président du Tribunal a adopté l’ordonnance attaquée, par laquelle il a rejeté la demande en référé.

21      À ces fins, le président du Tribunal a examiné d’emblée si la condition relative à l’urgence était satisfaite.

22      À cet égard, il a, au point 33 de l’ordonnance attaquée, rappelé que, lorsqu’il y a lieu d’apprécier s’il est urgent d’octroyer des mesures provisoires afin d’empêcher la divulgation d’informations prétendument confidentielles, cette appréciation se recoupe, dans une certaine mesure, avec l’examen de l’existence d’un fumus boni juris lié au caractère confidentiel desdites informations, dont se prévaut la partie qui demande lesdites mesures.

23      Rappelant, au point 34 de l’ordonnance attaquée, la jurisprudence du Tribunal portant sur les conditions selon lesquelles des informations tombent sous la protection du secret professionnel, le président du Tribunal a, en substance, aux points 35 et 36 de cette ordonnance, précisé que le juge des référés n’est, en principe, tenu, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle les informations dont les requérantes visent à empêcher, à titre provisoire, la publication constituent des secrets d’affaires ou sont par ailleurs couvertes par le secret professionnel que lorsque, d’une part, le demandeur allègue que ces informations constituent des secrets d’affaires ou sont par ailleurs couvertes par le secret professionnel, et, d’autre part, cette allégation remplit la condition relative au fumus boni juris.

24      Après avoir constaté que les requérantes n’avaient pas allégué que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux contenaient des secrets d’affaires ou qu’ils révélaient des informations qui, par leur nature même, étaient confidentielles, le président du Tribunal a, au point 40 de ladite ordonnance, considéré qu’il n’était pas tenu, dans le cadre de l’examen de la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle les informations étaient confidentielles.

25      Le président du Tribunal a, au point 41 de l’ordonnance attaquée, jugé que, en tout état de cause, même s’il fallait partir de la prémisse que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux contiennent des secrets d’affaires ou sont par ailleurs confidentiels, la demande en référé ne pouvait être accueillie, dans la mesure où les requérantes n’avaient pas démontré que la condition relative à l’urgence était satisfaite.

26      À cet égard, il a estimé, en substance, que les requérantes n’avaient pas étayé leur allégation selon laquelle elles subiraient un préjudice grave et irréparable du fait de la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux.

27      Dans ces conditions, le président du Tribunal a, par l’ordonnance attaquée, rejeté la demande en référé au motif, figurant au point 54 de celle-ci, que la condition relative à l’urgence n’était pas satisfaite, considérant par ailleurs qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris ni de procéder à la mise en balance des intérêts.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

28      Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        d’ordonner le sursis à l’exécution de l’article 1er de la décision litigieuse jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours en annulation formé dans l’affaire T‑79/19 ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le président du Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens exposés tant devant la Cour que devant le Tribunal.

29      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité et

–        de condamner les requérantes aux dépens.

30      Par acte séparé déposé au greffe de la Cour le 18 avril 2019, les requérantes ont introduit une demande en référé au titre des articles 278 et 279 TFUE ainsi que de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour.

31      Par lettre du 25 avril 2019, le greffe de la Cour a demandé à la Commission si elle pouvait s’engager à ne pas procéder, conformément à l’article 1er de la décision litigieuse, à la divulgation restreinte des documents officieux expurgés et des procès-verbaux jusqu’à l’adoption par la Cour de l’ordonnance mettant fin à la procédure de pourvoi dans la présente affaire.

32      Par lettre du 26 avril 2019, la Commission a informé la Cour qu’elle s’engageait à ne pas divulguer lesdits documents jusqu’à l’adoption par la Cour de l’ordonnance à intervenir.

 Sur le pourvoi

33      À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent deux moyens.

 Sur le premier moyen

 Argumentation

34      Par leur premier moyen, les requérantes soutiennent que le président du Tribunal a, aux points 33 à 56 de l’ordonnance attaquée, commis plusieurs erreurs de droit dans le cadre de son appréciation de la condition relative à l’urgence.

35      En premier lieu, les requérantes font valoir que le président du Tribunal a, aux points 37 à 40 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit en ne partant pas de la prémisse selon laquelle les documents officieux expurgés et les procès-verbaux étaient confidentiels.

36      À cet égard, les requérantes font valoir que les constatations opérées par le président du Tribunal aux points 37 et 38 de l’ordonnance attaquée sont « fausses et erronées », dans la mesure où elles avaient expressément indiqué dans leur demande en référé que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux étaient par nature confidentiels.

37      Par ailleurs, la distinction opérée dans l’ordonnance attaquée entre les documents et les informations qu’ils contiennent serait « erronée et contraire à la jurisprudence constante », dans la mesure où, dans les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du président du Tribunal du 1er septembre 2015, France/Commission (T‑344/15 R, EU:T:2015:583), et du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA (T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435), une présomption de confidentialité couvrant des documents dans leur intégralité avait été retenue.

38      En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que le président du Tribunal a, aux points 46 à 48 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit en ayant considéré que la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux n’était pas susceptible de constituer la cause décisive d’un éventuel préjudice, dans la mesure où la divulgation de la proposition de transaction avait déjà eu lieu.

39      Selon elles, les comptes rendus de discussions menées en vue d’une transaction ne jouissent pas de la même protection juridique contre la diffusion et l’utilisation que la proposition de transaction. Dès lors, la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux serait davantage susceptible de causer un préjudice aux requérantes que la divulgation encadrée de la proposition de transaction.

40      En troisième lieu, les requérantes reprochent au président du Tribunal d’avoir appliqué, au point 49 de l’ordonnance attaquée, un critère excessivement rigoureux afin de déterminer les informations préjudiciables.

41      À cet égard, les requérantes soutiennent, en substance, que les règles régissant la procédure de transaction interdisent la divulgation du contenu des discussions menées en vue d’une transaction. Ainsi, en s’appuyant sur les ordonnances du président du Tribunal du 1er septembre 2015, France/Commission (T‑344/15 R, EU:T:2015:583), et du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA (T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435), elles font valoir que le contenu des discussions menées en vue d’une transaction doit bénéficier d’une présomption de confidentialité.

42      En quatrième et dernier lieu, les requérantes considèrent que le président du Tribunal a, aux points 46 à 53 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit en n’ayant pas pris en considération la nature intrinsèquement sensible des communications émanant d’une partie dans le cadre de discussions menées en vue d’une transaction.

43      À cet égard, les requérantes font valoir, en substance, que les communications écrites présentées dans le contexte de discussions menées en vue d’une transaction, en ce qu’elles comportent des déclarations auto-incriminantes, doivent bénéficier d’une présomption de confidentialité. Les requérantes ajoutent que le juge de l’Union a reconnu des présomptions de confidentialité s’agissant de certaines catégories de documents, notamment dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du président du Tribunal du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA (T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435). Selon elles, la question de savoir si une présomption de confidentialité doit être reconnue aux communications écrites présentées dans le contexte de discussions menées en vue d’une transaction, qui ne constituent pas en soi des secrets d’affaires, n’a jamais été examinée par le juge de l’Union. Ainsi, le président du Tribunal serait tenu d’examiner l’argument tiré de la confidentialité des documents dans leur intégralité, ainsi que le fumus boni juris d’un tel argument.

44      La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation

45      S’agissant, en premier lieu, de l’argumentation des requérantes selon laquelle les constatations opérées par le président du Tribunal aux points 37 et 38 de l’ordonnance attaquée sont « fausses et erronées », dans la mesure où elles avaient expressément indiqué dans leur demande en référé que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux étaient par nature confidentiels, il y a lieu de relever que le président du Tribunal a, au point 34 de ladite ordonnance, rappelé qu’il ressortait de la jurisprudence du Tribunal que l’examen du point de savoir si des informations relèvent du secret professionnel s’effectue, d’une manière générale, par une analyse en trois étapes, à savoir, premièrement, que ces informations ne soient connues que par un nombre restreint de personnes, deuxièmement, que leur divulgation soit susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers et, enfin, troisièmement, que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation de telles informations soient objectivement dignes de protection.

46      Le président du Tribunal a également rappelé, au point 35 de l’ordonnance attaquée, que ce n’est que lorsque, d’une part, le demandeur en référé allègue que les informations dont il vise à empêcher, à titre provisoire, la publication constituent des secrets d’affaires ou sont par ailleurs couvertes par le secret professionnel et que, d’autre part, cette allégation remplit la condition du fumus boni juris, que le juge des référés est, en principe, tenu, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle ces informations sont, respectivement, des secrets d’affaires ou couvertes par le secret professionnel.

47      Dans ce cadre, le président du Tribunal a constaté au point 37 de l’ordonnance attaquée, que « les requérantes n’avaient pas allégué, pour établir leur fumus boni juris, que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux contiennent des secrets d’affaires ou que ces documents révèlent des informations, qui, par leur nature même, sont confidentielles ». Au point 38 de ladite ordonnance, le président du Tribunal a, par ailleurs, constaté que « les requérantes soutiennent au contraire que [ces] documents ne devraient pas être divulgués pour des motifs qui sont totalement étrangers à leur contenu ». Le président du Tribunal en a déduit, au point 40 de ladite ordonnance, qu’il n’était pas tenu, dans le cadre de l’examen de la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle les informations étaient confidentielles.

48      Or, force est de constater qu’il ressort de l’argumentation des requérantes exposée dans la demande en référé qu’elles ont soutenu que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux devaient bénéficier d’une présomption de confidentialité, au motif qu’ils proviennent de discussions menées avec la Commission en vue de parvenir à une transaction, et ce indépendamment de la question de savoir si leur contenu révèle, concrètement, des secrets d’affaires ou des informations couvertes par le secret professionnel.

49      Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au président du Tribunal d’avoir estimé, aux points 37 et 38 de l’ordonnance attaquée, que les requérantes n’avaient pas allégué que les documents officieux expurgés et les procès-verbaux contenaient des secrets d’affaires ou des informations qui, par leur nature même, étaient confidentielles.

50      Par ailleurs, ne saurait prospérer l’argumentation des requérantes selon laquelle la distinction opérée dans l’ordonnance attaquée entre les documents et les informations qu’ils contiennent est « erronée et contraire à la jurisprudence constante », dans la mesure où, dans les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du président du Tribunal du 1er septembre 2015, France/Commission (T‑344/15 R, EU:T:2015:583), et du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA (T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435), une présomption de confidentialité couvrant des documents dans leur intégralité avait été retenue.

51      En effet, il suffit de constater que la jurisprudence issue desdites affaires concerne l’interprétation du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), visant à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union qui soit le plus large possible (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 76).

52      Une telle jurisprudence ne saurait être transposée au contexte de la présente affaire, qui a trait à l’accès par un destinataire d’une communication des griefs à des documents qui proviennent d’une procédure de transaction, dans les conditions prévues au point 35 de la communication sur la transaction, à savoir qu’il s’engage, avec son conseil juridique qui obtient l’accès en son nom, à ne pas prendre copie, par des moyens mécaniques ou électroniques, des renseignements figurant dans la proposition de transaction à laquelle l’accès lui est accordé et de veiller à ce que les renseignements tirés de ces propositions ne servent qu’aux fins des procédures administratives et judiciaires ayant pour objet l’application des règles de concurrence de l’Union.

53      Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le président du Tribunal a considéré, au point 40 de l’ordonnance attaquée, qu’il n’était pas tenu, lorsqu’il examine la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle les documents officieux expurgés et les procès-verbaux étaient confidentiels.

54      S’agissant, en deuxième lieu, de l’argumentation des requérantes selon laquelle le président du Tribunal a, aux points 46 à 48 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit en ayant considéré que la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux n’était pas susceptible de constituer la cause décisive d’un éventuel préjudice, dans la mesure où la divulgation de la proposition de transaction avait déjà eu lieu, il suffit de constater que cette argumentation procède d’une lecture erronée desdits points de ladite ordonnance et doit être écartée.

55      En effet, le président du Tribunal n’a pas considéré que la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux n’était pas susceptible de constituer la cause déterminante d’un éventuel préjudice grave et irréparable du fait que la divulgation de la proposition de transaction avait déjà eu lieu. Il a, au point 48 de l’ordonnance attaquée, jugé qu’il ne pouvait pas vérifier si la divulgation des documents officieux expurgés et des procès-verbaux constituait la cause déterminante du prétendu préjudice grave et irréparable, dès lors que les requérantes n’avaient pas apporté d’éléments de preuve à cet effet.

56      En troisième lieu, en ce qui concerne l’argumentation des requérantes tirée de ce que le président du Tribunal a appliqué, au point 49 de l’ordonnance attaquée, un critère excessivement rigoureux afin de déterminer les informations préjudiciables, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un dommage grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire [ordonnance du vice-président de la Cour du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 36].

57      C’est à la partie qui se prévaut d’un dommage grave et irréparable d’en établir l’existence. S’il n’est pas exigé, à cet égard, une certitude absolue que le dommage se produira et s’il suffit une probabilité suffisante qu’il se réalise, il n’en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a., C‑404/01 P(R), EU:C:2001:710, point 63].

58      En l’occurrence, il ressort du point 45 de l’ordonnance attaquée que les requérantes n’ont pas étayé leur allégation selon laquelle la divulgation restreinte des documents officieux expurgés et des procès-verbaux leur causerait un préjudice grave et irréparable. En particulier, le président du Tribunal a, au point 49 de l’ordonnance attaquée, jugé que les requérantes « n’avaient pas identifié d’informations spécifiques contenues dans les documents en cause dont la divulgation pourrait potentiellement nuire à leurs intérêts », et qu’elles « semblent viser, de façon générale et sans distinction, les documents relatifs à la transaction ».

59      En outre, l’argumentation des requérantes selon laquelle les documents officieux expurgés et les procès-verbaux devraient bénéficier d’une présomption de confidentialité, fondée sur la jurisprudence issue des affaires ayant donné lieu aux ordonnances du président du Tribunal du 1er septembre 2015, France/Commission (T‑344/15 R, EU:T:2015:583), et du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA (T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435), doit être écartée, pour les motifs exposés aux points 51 et 52 de la présente ordonnance.

60      Dans ces conditions, il ne saurait être fait grief au président du Tribunal d’avoir appliqué, au point 49 de l’ordonnance attaquée, un critère excessivement rigoureux afin de déterminer les informations préjudiciables.

61      En quatrième et dernier lieu, en ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel le président du Tribunal a, aux points 46 à 53 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit en n’ayant pas considéré que les communications écrites présentées dans le contexte de discussions menées en vue d’une transaction doivent bénéficier d’une présomption de confidentialité, compte tenu de leur caractère intrinsèquement préjudiciable, il y a lieu de relever que cet argument s’appuie, d’une part, sur la jurisprudence relative au règlement no 1049/2001, et, d’autre part, sur la nature auto-incriminante de ces communications.

62      Or, ainsi qu’il ressort des points 51, 52 et 59 de la présente ordonnance, ladite jurisprudence n’est pas transposable au contexte de la présente affaire.

63      Quant à la nature auto-incriminante des communications écrites présentées dans le contexte de discussions menées en vue d’une transaction, il convient de relever qu’il ressort de l’article 10 bis, paragraphe 2, du règlement no 773/2004 que les parties qui s’engagent à suivre la procédure de transaction doivent présenter une proposition de transaction reflétant les résultats des discussions menées à cet effet et reconnaissant leur participation à une infraction à l’article 101 TFUE ainsi que leur responsabilité.

64      L’accès aux propositions de transaction n’est accordé qu’aux destinataires d’une communication des griefs qui n’ont pas demandé de transaction, conformément au point 35 de la communication sur la transaction.

65      Ainsi, les propositions de transaction peuvent être divulguées aux destinataires d’une communication des griefs qui n’ont pas demandé de transaction, en dépit des déclarations auto-incriminantes qu’elles contiennent.

66      En l’occurrence, ainsi que le président du Tribunal l’a observé au point 46 de l’ordonnance attaquée, l’accès à la proposition de transaction des requérantes avait déjà été accordé à un destinataire d’une communication des griefs qui n’avait pas demandé de transaction, dans les conditions prévues au point 35 de la communication sur la transaction.

67      Or, ainsi qu’il ressort des points 49 et 53 de l’ordonnance attaquée, d’une part, les requérantes n’ont pas identifié les informations spécifiques contenues dans les documents officieux expurgés et dans les procès-verbaux dont la divulgation, dans les mêmes conditions que la proposition de transaction, pourrait potentiellement nuire à leurs intérêts. D’autre part, le président du Tribunal a, au point 53 de l’ordonnance attaquée, constaté que les requérantes n’avaient pas produit lesdits documents, l’empêchant ainsi de vérifier leurs allégations.

68      Il s’ensuit que l’argument des requérantes selon lequel les communications écrites présentées dans le contexte de discussions menées en vue d’une transaction doivent bénéficier d’une présomption de confidentialité au motif qu’elles contiennent, de manière générale, des déclarations auto-incriminantes, n’est pas fondé.

69      Il résulte des considérations qui précédent que le président du Tribunal n’a, aux points 33 à 56 de l’ordonnance attaquée, commis aucune erreur de droit dans l’appréciation de la condition relative à l’urgence.

70      Dans ces conditions, le premier moyen de pourvoi doit être rejeté.

 Sur le second moyen

 Argumentation

71      Par leur second moyen, les requérantes font valoir, en substance, que le président du Tribunal a violé leur droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable en n’ayant pas examiné la condition relative au fumus boni juris.

72      La Commission conteste cette argumentation.

 Appréciation

73      Conformément à l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours au fond. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 21 mars 2019, Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank/Commission, C‑4/19 P(R), non publiée, EU:C:2019:229, point 12 et jurisprudence citée].

74      En l’occurrence, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé au motif que la condition relative à l’urgence n’était pas satisfaite.

75      Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 73 de la présente ordonnance, les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une des conditions justifiant leur octroi fait défaut.

76      Il en résulte que le président du Tribunal a pu valablement juger, au point 54 de l’ordonnance attaquée, que, la condition relative à l’urgence n’étant pas satisfaite, la demande en référé devait être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

77      Par conséquent, le second moyen de pourvoi doit être rejeté.

78      Aucun des deux moyens soulevés par les requérantes à l’appui de leur pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur les dépens

79      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

80      La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens exposés dans le cadre du présent pourvoi.

Par ces motifs, la vice-présidente de la Cour ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Lantmännen ek för et Lantmännen Agroetanol AB sont condamnées aux dépens exposés dans le cadre du présent pourvoi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.