Language of document : ECLI:EU:F:2013:83

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE

(deuxième chambre)


19 juin 2013


Affaire F‑89/11


Charles Dieter Goetz

contre

Comité des régions de l’Union européenne

« Fonction publique – Fonctionnaires – Responsabilité non contractuelle – Recours en indemnité – Recevabilité – Point de départ du délai pour agir – Enquête de l’OLAF – Enquête administrative – Procédure disciplinaire devant le conseil de discipline – Obligation pour l’administration d’agir avec diligence – Durée d’une procédure disciplinaire – Responsabilité du fait de l’ouverture d’une procédure disciplinaire clôturée sans sanction »

Objet :      Recours, introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis, par lequel M. Goetz sollicite, en substance, la condamnation du Comité des régions de l’Union européenne à réparer, premièrement, le préjudice moral qu’il aurait subi du fait de la prolongation excessive de l’état d’incertitude dans lequel il s’est trouvé depuis que des accusations ont été formulées contre lui, deuxièmement, le préjudice moral qu’il aurait subi du fait des erreurs et des négligences commises par le Comité des régions dans le déroulement des procédures administratives et disciplinaire le concernant, troisièmement, le préjudice matériel qu’il aurait subi du fait de son départ forcé et anticipé à la retraite.

Décision :      Le recours est rejeté. M. Goetz supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par le Comité des régions de l’Union européenne.


Sommaire


1.      Recours des fonctionnaires – Délais – Demande d’indemnisation adressée à une institution – Respect d’un délai raisonnable – Durée et point de départ du délai

(Statut de la Cour de justice, art. 46 ; statut des fonctionnaires, art. 90)

2.      Fonctionnaires – Responsabilité non contractuelle des institutions – Conditions – Réparation d’un dommage causé à un fonctionnaire ou à un agent – Devoir de sollicitude incombant à l’administration – Portée

(Art. 268 TFUE, 270 TFUE et 340, al. 2, TFUE ; statut des fonctionnaires, art. 24, 90 et 91)

3.      Recours des fonctionnaires – Recours en indemnité – Conclusions visant à la réparation du préjudice moral causé par la durée excessive d’une procédure disciplinaire – Recevabilité – Conditions

(Statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

4.      Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Délais – Obligation de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et de l’administration d’agir avec diligence – Appréciation – Inobservation – Circonstances particulières – Charge de la preuve

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1 ; statut des fonctionnaires, annexe IX)

5.      Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Délais – Obligation de l’administration d’agir dans un délai raisonnable – Enquête préalable à l’ouverture de la procédure disciplinaire – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Portée

(Statut des fonctionnaires, annexe IX)

6.      Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure devant le conseil de discipline – Délais fixés à l’annexe IX du statut – Délais non péremptoires

(Statut des fonctionnaires, annexe IX)

7.      Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Poursuites disciplinaires et pénales diligentées concomitamment à propos des mêmes faits – Suspension de la procédure disciplinaire – Justification – Demande du fonctionnaire concerné d’attendre une décision des autorités judiciaires à son sujet – Admissibilité

(Statut des fonctionnaires, annexe IX, art. 25)

8.      Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Compétences de l’autorité investie du pouvoir de nomination et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Portée

(Statut des fonctionnaires, annexe IX, art. 3 ; décision de la Commission 1999/352)

9.      Recours des fonctionnaires – Acte faisant grief – Notion – Rapport d’audit interne – Exclusion

(Statut des fonctionnaires, art. 90)

10.    Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Ouverture d’une enquête par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) puis d’une procédure disciplinaire par l’autorité investie du pouvoir de nomination – Pouvoir d’appréciation – Portée – Nécessité de l’existence d’indices sérieux – Respect du principe de la présomption d’innocence

(Statut des fonctionnaires, annexe IX)

1.      Lorsqu’un chef de préjudice est strictement indemnitaire en ce sens qu’il tend à la réparation d’un préjudice prétendument causé par une faute ou une omission qui, en l’absence de tout effet juridique, ne peut être qualifiée d’acte faisant grief, les conclusions ne sont recevables que si le requérant les a préalablement soulevées à l’occasion d’une demande en indemnité introduite devant l’administration dans un délai raisonnable, lequel doit être considéré comme courant à compter de la réalisation effective du dommage allégué, puis à l’occasion d’une réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande en indemnité dans les délais prévus à l’article 90 paragraphe 2, du statut.

À cet égard, même si le délai raisonnable doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence, un point de comparaison peut être fait avec le délai de prescription de cinq ans prévu en matière d’action en responsabilité non contractuelle par l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et ce, même si ce dernier délai ne trouve pas à s’appliquer dans les litiges entre l’Union et ses agents.

(voir points 95 et 96)


Référence à :

Cour : 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, point 33 ; 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, point 63

Tribunal de première instance : 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, point 71

Tribunal de la fonction publique : 2 mai 2007, Giraudy/Commission, F‑23/05, point 69

2.      Les recours visant à la réparation d’un dommage causé par une institution à un fonctionnaire ou à un agent, introduits sur le fondement de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, obéissent à des règles particulières et spéciales par rapport à celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il ressort du statut que, à la différence de tout autre particulier, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution dont il dépend par une relation d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, lequel est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé. Il s’ensuit que, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, se manifestant par l’obligation de réparer les dommages causés à son personnel par toute illégalité commise en sa qualité d’employeur sans qu’il soit nécessaire, pour établir la responsabilité non contractuelle d’une institution dans le contentieux de la fonction publique européenne, de démontrer l’existence d’une violation suffisamment caractérisée ou d’une méconnaissance manifeste et grave par l’institution des limites de son pouvoir d’appréciation.

(voir point 98)


Référence à :

Tribunal de l’Union européenne : 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, point 46, et la jurisprudence citée ; 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, points 103 et 104

3.      La circonstance que le préjudice moral, dont un fonctionnaire se prévaut en raison de la durée excessive d’une procédure disciplinaire, n’était pas entièrement constitué à la date à laquelle celui-ci a introduit sa demande indemnitaire ne constitue pas une condition de recevabilité d’un chef de conclusions indemnitaires relatif à la durée excessive d’une procédure. En effet, si tel n’était pas le cas, l’administration pourrait retarder indéfiniment la clôture d’une procédure afin de faire obstacle à l’engagement de sa responsabilité pour la durée excessive de celle-ci.

(voir point 122)


Référence à :

Tribunal de première instance : 11 avril 2006, Angeletti/Commission, T‑394/03

4.      L’administration a l’obligation d’agir avec diligence lorsqu’elle traite de la situation d’une personne. Cette obligation constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge de l’Union assure le respect et qui est repris comme une composante du droit à une bonne administration par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont le non-respect est de nature à engager la responsabilité de l’Union. Lorsqu’il apparaît que l’administration a manqué de diligence, il incombe à celle-ci d’établir l’existence de circonstances particulières de nature à justifier son comportement.

À cet égard, en matière disciplinaire, l’autorité investie du pouvoir de nomination ou, selon les cas, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a l’obligation d’agir avec diligence, dès le moment où elle prend connaissance de faits et conduites susceptibles de constituer des infractions aux obligations statutaires d’un fonctionnaire afin d’apprécier s’il convient d’ouvrir une enquête, ainsi que, le cas échéant, dans la conduite de cette enquête et, s’agissant de ladite autorité, dans la conduite de la procédure disciplinaire. Notamment, en ce qui concerne la procédure disciplinaire, cette autorité doit veiller à ce que chaque acte adopté intervienne dans un délai raisonnable par rapport au précédent.

Pour apprécier si le manque de diligence de l’administration a rendu difficile, pour le fonctionnaire concerné, l’exercice de ses droits de la défense justifiant ainsi, à l’instar d’une règle de prescription, l’annulation de la sanction adoptée à l’issue de cette procédure, il convient de prendre en compte le délai qui sépare la date à laquelle les faits litigieux ont été commis de celle à laquelle l’autorité investie du pouvoir de nomination ou l’OLAF en a pris connaissance. En revanche, ce délai est dépourvu de pertinence pour apprécier si ladite autorité et l’OLAF ont occasionné à une personne, en la maintenant pendant une durée excessive dans une situation d’angoisse liée au fait d’être suspectée de manquement à ses obligations statutaires, un dommage qui doit être réparé puisque, dans cette hypothèse, tant qu’aucun fait susceptible d’établir l’existence d’un manquement dans le chef du fonctionnaire concerné n’a été porté à la connaissance de cette autorité ou de l’OLAF, il ne peut être reproché à l’une ou à l’autre d’avoir maintenu ledit fonctionnaire excessivement longtemps dans un état d’incertitude en raison d’un manque de diligence.

(voir points 123 et 125 à 127)


Référence à :

Cour : 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, point 35

Tribunal de première instance : Angeletti/Commission, précité, point 162

Tribunal de la fonction publique : 13 janvier 2010, A et G/Commission, F‑124/05 et F‑96/06, point 395 ; 8 mars 2012, Kerstens/Commission, F‑12/10, points 124 à 126

5.      Le choix de l’autorité investie du pouvoir de nomination de procéder, en sus de l’enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), à une enquête administrative interne conduit nécessairement à allonger la durée de la période disciplinaire, mais, pour autant, il ne saurait être considéré que, par principe, la réalisation de ladite enquête administrative interne rend la durée de cette période excessive. En effet, lorsque les faits litigieux présentent une certaine complexité ou lorsque l’administration ne dispose pas de l’expertise suffisante pour apprécier si certaines pratiques, notamment en matière financière, constituent des irrégularités, il peut s’avérer nécessaire pour l’autorité investie du pouvoir de nomination d’avoir recours aux services de tiers afin de l’éclairer sur la portée des actes ayant été relevés par l’OLAF dans son rapport d’enquête.

(voir points 135 et 136)


6.      L’annexe IX du statut ne fait état d’aucun délai dans lequel, une fois que l’autorité investie du pouvoir de nomination a adopté sa décision d’ouvrir la procédure disciplinaire devant le conseil de discipline, celle-ci doit transmettre son rapport au conseil de discipline. En tout état de cause, les délais figurant à l’annexe IX du statut ne sont pas péremptoires et des délais plus longs que ceux prévus à ladite annexe peuvent être nécessaires pour procéder à une appréciation suffisamment complète des faits et présentant pour l’intéressé toutes les garanties voulues par le statut.

(voir point 141)


Référence à :

Tribunal de première instance : 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T‑12/94, points 130 et 131 ; 10 juin 2004, François/Commission, T‑307/01, point 47

7.      Un motif lié au souci d’accéder favorablement à la demande d’un fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire et de poursuites judiciaires nationales d’attendre une décision des autorités nationales à son sujet apparaît comme pouvant valablement justifier une suspension de la procédure disciplinaire et ainsi un allongement de la durée de la période disciplinaire.

Il est vrai, à cet égard, que l’article 25 de l’annexe IX du statut n’impose pas au conseil de discipline de suspendre ses travaux. D’une part, aux termes de cet article, des poursuites pénales parallèles n’empêchent pas la procédure disciplinaire de suivre son cours mais uniquement l’autorité investie du pouvoir de nomination d’adopter sa décision. D’autre part, l’administration n’est tenue de suspendre une procédure disciplinaire que si le fonctionnaire démontre que des poursuites pénales ont été engagées à son égard, notion qui, du fait qu’elle implique la mise en mouvement de l’action publique pour l’application des peines, ne saurait inclure l’existence d’une enquête, d’une information ou d’une instruction, mais suppose que des poursuites pénales aient été engagées.

Toutefois, la circonstance que la formation du conseil de discipline n’est pas tenue de suspendre la procédure disciplinaire ne signifie pas que la suspension de la procédure disciplinaire qu’elle décide n’est pas justifiée. En effet, pour déterminer si une telle suspension est opportune, il convient de tenir compte des seuls éléments à la disposition de l’autorité ou de l’organe disciplinaire qui l’a prononcée lorsqu’il a adopté sa décision.

Par contre, des motifs liés à la complexité du dossier, au nombre de témoignages à recueillir et aux autres mesures d’instruction envisagées par le conseil de discipline apparaissent comme ne permettant pas de justifier la suspension de la procédure disciplinaire et, par suite, l’allongement de la période disciplinaire, mais, tout au plus, ils doivent conduire le conseil de discipline à investir davantage de ressources dans le traitement du dossier du requérant. De même, s’agissant du calendrier estival, celui-ci ne peut justifier la suspension de la procédure disciplinaire.

(voir points 147 et 150 à 153)


Référence à :

Tribunal de la fonction publique : 17 juillet 2012, BG/Médiateur, F‑54/11, point 70

8.      Si l’article 3 de l’annexe IX du statut prévoit qu’à l’issue de l’enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), il revient à l’autorité investie du pouvoir de nomination et non à l’OLAF de décider de l’ouverture de la procédure disciplinaire et, par suite, de l’opportunité d’adopter une sanction, il ne saurait être déduit de ces dispositions, sauf à remettre en cause le principe d’indépendance des enquêtes de l’OLAF, tel qu’énoncé par l’article 3 de la décision 1999/352, instituant l’OLAF, que ladite autorité peut mettre un terme à une enquête de l’OLAF.

(voir point 159)


9.      Ne constitue pas un acte faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut un rapport d’audit interne d’une institution qui vise à analyser le fonctionnement d’un service et non les agissements d’une personne et qui n’est donc pas lié à l’illégalité d’un acte faisant grief au fonctionnaire à l’égard duquel ce dernier doit, pour être recevable, introduire une réclamation dans le délai de trois mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut.

(voir point 170)


10.    L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et l’autorité investie du pouvoir de nomination disposent réciproquement d’un large pouvoir d’appréciation afin de décider si, au vu des éléments en leur possession, il convient d’ouvrir la phase d’enquête, puis, le cas échéant, l’une des procédures disciplinaires prévues aux sections 4 et 5 de l’annexe IX du statut.

Cependant, ce large pouvoir d’appréciation ne saurait justifier que, selon les cas, l’OLAF ou ladite autorité, diligente une procédure sans même disposer d’un commencement de preuve à l’égard des personnes concernées. Par conséquent, afin de protéger les droits du fonctionnaire concerné, tant l’OLAF que l’autorité investie du pouvoir de nomination doivent s’assurer qu’ils disposent, avant d’ouvrir une enquête, d’indices laissant présager dans le chef de la personne concernée un manquement à ses obligations statutaires et, avant d’ouvrir la procédure disciplinaire, d’éléments suffisamment précis et pertinents pour étayer leurs suspicions. En outre, l’OLAF et ladite autorité doivent tenir compte du principe de la présomption d’innocence, lequel requiert d’eux que, durant l’ensemble de la procédure disciplinaire, ils restent mesurés dans leurs propos.

(voir points 184 et 185)


Référence à :

Tribunal de l’Union européenne : Commission/Nanopoulos, précité, points 150 et 152

Tribunal de la fonction publique : Giraudy/Commission, précité, point 99