Language of document : ECLI:EU:C:2016:694

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 15 septembre 2016 (1)

Affaire C219/15

Elisabeth Schmitt

contre

TÜV Rheinland LGA Products GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Politique industrielle – Contrôle de la conformité des dispositifs médicaux par un organisme notifié désigné par le fabricant – Obligations de cet organisme – Implants mammaires fabriqués à base de silicone défectueux – Responsabilité de l’organisme notifié »






 Introduction

1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, il est demandé à la Cour un éclairage sur le point de savoir dans quelle mesure un organisme notifié au sens de la directive 93/42/CEE relative aux dispositifs médicaux (2) est susceptible d’être responsable à l’égard de tiers qui ont subi un préjudice en raison d’un manquement dudit organisme aux obligations que lui impose cette directive. Si et dans la mesure où une telle responsabilité peut être engagée, il est également demandé à la Cour de préciser la nature des obligations qui incombent à un tel organisme lorsqu’il exécute ses fonctions au titre de ladite directive.

 Cadre juridique

 Droit de l’Union

 Directive 93/42

2.        Les considérants de la directive 93/42 invoquent notamment :

–        qu’il importe d’arrêter des mesures dans le cadre du marché intérieur ; que le marché intérieur comporte un espace sans frontières internes dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée (premier considérant) ;

–        que les dispositions nationales assurant la sécurité et la protection de la santé des utilisateurs en vue de l’utilisation des dispositifs médicaux doivent être harmonisées afin de garantir la libre circulation de ces dispositifs sur le marché intérieur (troisième considérant) ;

–        que les dispositifs médicaux doivent offrir aux utilisateurs un niveau de protection élevé et que le maintien ou l’amélioration du niveau de protection atteint dans les États membres constitue un des objectifs essentiels de la directive (cinquième considérant) ;

–        que l’application, aux dispositifs médicaux, des modules relatifs aux différentes phases des procédures d’évaluation de la conformité établies dans le cadre de la nouvelle approche (3) permet de déterminer la responsabilité des fabricants et des organismes notifiés lors desdites procédures (quatorzième considérant) ;

–        qu’il convient de grouper les dispositifs médicaux en quatre classes de produits, la classe III étant réservée aux dispositifs les plus critiques pour lesquels la mise sur le marché présuppose une autorisation préalable explicite sur la conformité (quinzième considérant) ; et

–        que les dispositifs médicaux doivent être munis, en règle générale, du marquage CE matérialisant leur conformité aux dispositions de la directive et leur permettant de pouvoir circuler librement dans la Communauté européenne et d’être mis en service conformément à leur destination (17e considérant).

3.        L’article 1er de la directive 93/42 prévoit notamment ce qui suit :

« 1.      La présente directive s’applique aux dispositifs médicaux et à leurs accessoires. […]

2.      Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “dispositif médical” : tout instrument, appareil, équipement, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, […] destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins :

–        […]

–        d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique,

[…]

f)      “fabricant” : la personne physique ou morale responsable de la conception, de la fabrication, du conditionnement et de l’étiquetage d’un dispositif en vue de sa mise sur le marché en son propre nom, que ces opérations soient effectuées par cette même personne ou pour son compte par une tierce personne ;

[…]

h)      “mise sur le marché” : la première mise à disposition à titre onéreux ou gratuit d’un dispositif, autre que celui destiné à des investigations cliniques, en vue de sa distribution et/ou de son utilisation sur le marché communautaire, qu’il s’agisse d’un dispositif neuf ou remis à neuf ;

[…]. »

4.        L’article 2 de la directive 93/42 prévoit que les États membres prennent toutes les dispositions nécessaires pour que les dispositifs médicaux ne puissent être mis sur le marché et/ou mis en service que s’ils satisfont aux exigences énoncées dans la directive lorsqu’ils ont été dûment fournis et sont correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination.

5.        L’article 3 de la directive 93/42 énonce que les dispositifs médicaux doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I qui leur sont applicables en tenant compte de la destination des dispositifs concernés.

6.        L’article 8, paragraphe 1, de la directive 93/42 impose aux États membres des obligations concernant les dispositifs portant le marquage « CE » qui ont été correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination mais qui risquent de compromettre la santé et/ou la sécurité des utilisateurs. Les États membres prennent toutes mesures utiles provisoires pour retirer ces dispositifs du marché, interdire ou restreindre leur mise sur le marché ou leur mise en service et notifient immédiatement ces mesures à la Commission européenne en indiquant les raisons de leur décision.

7.        L’article 9 de la directive 93/42 prévoit que les dispositifs médicaux sont répartis en classe I, classe IIa, classe IIb et classe III.

8.        L’article 10 de la directive 93/42 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les données portées à leur connaissance concernant, notamment, tout dysfonctionnement ou toute altération des caractéristiques et/ou des performances d’un dispositif médical des classes I, IIa, IIb ou III soient recensées et évaluées d’une manière centralisée et que la Commission et les autres États membres en soient immédiatement informés.

9.        L’article 11 de la directive 93/42 est intitulé « Évaluation de la conformité ». Pour autant qu’il est pertinent pour les dispositifs médicaux de la classe III, il prévoit qu’un fabricant, aux fins de l’apposition du marquage « CE », doit :

a)      soit suivre la procédure relative à la déclaration « CE » de conformité (système complet d’assurance de qualité) visée à l’annexe II ;

b)      soit suivre la procédure relative à l’examen « CE » de type visée à l’annexe III en liaison :

i)      avec la procédure relative à la vérification « CE » visée à l’annexe IV

ou

ii)      avec la procédure relative à la déclaration « CE » de conformité (assurance de la qualité de la production) visée à l’annexe V.

10.      L’article 16 de la directive 93/42 est intitulé « Organismes notifiés ». Aux termes de son paragraphe 6, lorsqu’un organisme notifié constate, notamment, que les exigences pertinentes de la directive n’ont pas été respectées ou ne le sont plus par le fabricant, il suspend ou retire le certificat délivré, en tenant compte du principe de proportionnalité, ou l’assortit de restrictions, sauf si le fabricant applique, pour que ces exigences soient respectées, des mesures correctives appropriées. Dans le cas d’une suspension ou d’un retrait du certificat ou d’une quelconque restriction, ou si une intervention des autorités compétentes s’avère nécessaire, l’organisme notifié en informe ses autorités compétentes. L’État membre concerné informe les autres États membres et la Commission.

11.      L’article 17, paragraphe 1, de la directive 93/42 prévoit notamment que les dispositifs médicaux qui sont réputés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3 doivent porter le marquage « CE » de conformité lors de leur mise sur le marché.

12.      L’annexe II de la directive 93/42 est intitulée « Déclaration CE de conformité (Système complet d’assurance de qualité) ». Pour autant qu’elle est pertinente dans l’affaire au principal, ladite annexe prévoit que :

–        le fabricant veille à l’application du système de qualité approuvé pour la conception, la fabrication et le contrôle final des produits concernés et est soumis à la vérification et à la surveillance (paragraphe 1) ;

–        le fabricant qui remplit les obligations imposées au paragraphe 1 rédige et conserve une déclaration de conformité écrite relative aux produits concernés et appose le marquage « CE » conformément à l’article 17 (paragraphe 2) ;

–        le fabricant introduit une demande d’évaluation de son système de qualité auprès d’un organisme notifié, comprenant un engagement de sa part i) de remplir les obligations découlant du système de qualité approuvé, ii) de veiller à ce que ce système demeure adéquat et efficace et iii) de mettre en place et de tenir à jour une procédure systématique d’examen des données acquises sur le dispositif depuis sa production, et de mettre en œuvre des moyens appropriés pour appliquer les mesures correctives nécessaires (paragraphe 3.1) ;

–        l’application du système de qualité doit garantir que les produits satisfont aux dispositions de la directive qui leur sont applicables à toutes les phases, depuis la conception jusqu’à l’inspection finale ; le système de qualité doit comprendre une description adéquate, i) des méthodes permettant de contrôler le fonctionnement efficace du système de qualité et notamment son aptitude à atteindre la qualité voulue de la conception et des produits, y compris le contrôle des produits non conformes, ainsi que ii) des procédures permettant de contrôler et de vérifier la conception des produits (paragraphe 3.2) ;

–        l’organisme notifié effectue une vérification du système de qualité pour déterminer s’il répond aux exigences visées au paragraphe 3.2. ; cette procédure comprend une visite dans les locaux du fabricant (paragraphe 3.3) ;

–        le fabricant doit introduire auprès de l’organisme notifié une demande d’examen du dossier de conception relatif au produit, qui doit être suivie, si le produit est conforme aux dispositions applicables de la directive, par la délivrance, par l’organisme notifié, d’un certificat d’examen « CE » de la conception (paragraphe 4) ;

–        « [l]e but de la surveillance est d’assurer que le fabricant remplit correctement les obligations qui découlent du système de qualité approuvé » (paragraphe 5.1) ; dans ce contexte, le fabricant autorise l’organisme notifié à effectuer toutes les inspections nécessaires et lui fournit toutes les informations pertinentes, en particulier i) la documentation relative au système de qualité, ii) les données prévues dans la partie du système de qualité relative à la conception et iii) les données prévues dans la partie du système de qualité consacrée à la fabrication (paragraphe 5.2) ;

–        au titre de la procédure de surveillance, l’organisme notifié procède périodiquement aux inspections et aux évaluations appropriées afin de s’assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé et fournit un rapport d’évaluation au fabricant (paragraphe 5.3) ;

–        en outre, l’organisme notifié peut faire des visites inopinées au fabricant ; lors de ces visites, il peut, s’il l’estime nécessaire, effectuer ou faire effectuer des essais pour vérifier le bon fonctionnement du système de qualité (paragraphe 5.4).

13.      L’annexe XI de la directive 93/42 prévoit un certain nombre de critères minimaux devant être réunis pour la désignation des organismes notifiés. Elle prévoit, notamment, que leur indépendance doit être garantie (paragraphe 5). Son paragraphe 6 prévoit que « [l]’organisme doit souscrire une assurance de responsabilité civile à moins que cette responsabilité ne soit couverte par l’État sur la base du droit interne ou que les contrôles ne soient effectués directement par l’État membre ».

 Directive 2003/12/CE

14.      En vertu de l’article 1er de la directive 2003/12/CE (4), les implants mammaires ont été classés comme dispositifs médicaux de la classe III « afin d’assurer [leur] niveau de sécurité le plus élevé possible » (5). Cette directive est entrée en vigueur le 1er septembre 2003. Les implants mammaires mis sur le marché avant cette date font l’objet d’une procédure de réévaluation de la conformité en tant que dispositifs médicaux de la classe III avant le 1er mars 2004 (6).

 Droit allemand

15.      La directive 93/42 a été transposée en droit allemand par le Medizinproduktegesetz (loi sur les dispositifs médicaux, ci-après le « MPG »), combinée au Medizinprodukteverordnung (règlement sur les dispositifs médicaux).

16.      En vertu de l’article 6, paragraphe 2, du MPG, les dispositifs médicaux de la classe III ne peuvent être mis sur le marché en Allemagne qu’après, notamment, mise en œuvre d’une procédure d’évaluation de la conformité en vertu des dispositions combinées de l’article 37, paragraphe 1, du MPG, de l’article 7, paragraphe 1, point 1, du règlement sur les dispositifs médicaux, ainsi que de l’annexe II de la directive 93/42.

17.      En vertu du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, Allemagne), et notamment de ses articles 157 et 242, tels qu’interprétés par la jurisprudence nationale, une personne qui n’est pas partie à un contrat peut, dans certaines circonstances, bénéficier des obligations que ledit contrat impose à une partie à celui-ci d’agir avec toute la diligence et les précautions requises. Aux termes de l’article 823, paragraphe 2, du code civil, combiné aux dispositions citées au point 16 des présentes conclusions, une responsabilité délictuelle peut être engagée en raison de la violation d’une disposition conférant une protection juridique.

 Faits, procédure et questions préjudicielles

18.      Le 1er décembre 2008, la partie demanderesse, Mme Elisabeth Schmitt, s’est fait poser en Allemagne des implants mammaires en silicone, qui avaient été fabriqués par une entreprise sise en France qui a fait faillite depuis (7).

19.      La partie défenderesse, TÜV Rheinland LGA Products GmbH (ci-après « TÜV Rheinland »), a été au cours de toutes les périodes pertinentes l’organisme notifié désigné par le fabricant aux fins de la directive 93/42. Il est constant que la partie défenderesse, au titre de ses obligations découlant de son contrat avec le fabricant, a, avant le 1er décembre 2008, effectué des visites annoncées dans les locaux du fabricant aux mois de novembre 1998, janvier 2000, novembre 2000, février 2001, décembre 2001, novembre 2003, novembre 2004 et mars 2006. Elle n’a pas inspecté les documents commerciaux ni ordonné que l’un des produits soit examiné ; elle n’a pas non plus procédé à des visites inopinées.

20.      Au cours de l’année 2010, l’autorité française compétente a constaté que, contrairement aux normes de qualité applicables, de la silicone industrielle de moindre qualité avait été utilisée lors de la fabrication des implants mammaires. Sur conseil médical, la partie demanderesse s’est alors fait retirer ses implants au cours de l’année 2012. Elle a introduit une action devant les juridictions allemandes, par laquelle elle réclame à la partie défenderesse des dommages et intérêts d’un montant de 40 000 euros au titre du préjudice moral subi et demande que la responsabilité de la partie défenderesse soit constatée en ce qui concerne les préjudices matériels futurs. Elle soutient qu’une inspection des bordereaux de livraison et des factures qui étaient en possession du fabricant aurait fait apparaître à la partie défenderesse que ce n’est pas de la silicone approuvée (qualité médicale) qui avait été utilisée.

21.      L’action introduite n’a pas été accueillie par les juridictions inférieures. Mme Schmitt a alors saisi le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) d’un pourvoi fondé sur un point de droit, dans lequel elle maintient les conclusions qui sous-tendent son action initiale.

22.      Cette juridiction s’interroge sur l’interprétation du droit de l’Union pour statuer sur le litige au principal. Elle a donc saisi la Cour, au titre de l’article 267 TFUE, des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La directive [93/42] a-t-elle pour objet et but que, s’agissant des dispositifs médicaux de la classe III, l’intervention de l’organisme notifié, chargé de la vérification du système d’assurance de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance, vise à protéger tous les patients potentiels et que ledit organisme est dès lors susceptible d’être directement et sans restriction responsable envers les patients concernés en cas de manquement fautif à ses obligations ?

2)      Découle-t-il des [paragraphes 3.3, 4.3, 5.3 et 5.4] de l’annexe II de la directive 93/42 que, s’agissant des dispositifs médicaux de la classe III, l’organisme notifié, chargé de la vérification du système d’assurance de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance, est tenu, de manière générale ou à tout le moins lorsqu’il existe des motifs le justifiant, de contrôler les dispositifs ?

3)      Découle-t-il des [paragraphes] précités de l’annexe II de la directive 93/42 que, s’agissant des dispositifs médicaux de la classe III, l’organisme notifié, chargé de la vérification du système d’assurance de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance, est tenu, de manière générale ou à tout le moins lorsqu’il existe des motifs le justifiant, d’examiner les documents commerciaux du fabricant et/ou de procéder à des inspections inopinées ? »

23.      Mme Schmitt, TÜV Rheinland, les gouvernements français et allemand, l’Irlande ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites. Lors de l’audience du 26 mai 2016, Mme Schmitt, TÜV Rheinland, le gouvernement allemand, l’Irlande et la Commission ont présenté des observations orales.

 Analyse

 Remarques préliminaires

 La nouvelle approche

24.      La nouvelle approche trouve ses origines dans l’arrêt Rewe-Central dit « Cassis de Dijon » (8). En considérant que les États membres pouvaient justifier une interdiction ou une restriction de la commercialisation de produits provenant d’autres États membres sur la base seulement d’une absence de conformité avec ce qui était qualifié dans cet arrêt d’« exigences impératives » (9) (et ce qui est qualifié d’« exigences essentielles » dans la législation ultérieure), la Cour a ouvert la voie à une réflexion sur la question de savoir comment des marchandises pouvaient être commercialisées au mieux au sein de la Communauté dans le plein respect des règles régissant la libre circulation des marchandises tout en garantissant en même temps que les exigences tenant à la sécurité du produit soient remplies. Le résultat initial a été la résolution du Conseil, du 7 mai 1985, concernant une nouvelle approche en matière d’harmonisation technique et de normalisation (10). Cette résolution prévoyait que l’harmonisation législative soit liée aux exigences essentielles que les produits devant être mis sur le marché communautaire doivent remplir afin de bénéficier de la libre circulation au sein des États membres. À cette fin, il était nécessaire d’établir des spécifications techniques pour les produits en cause, devant figurer dans des normes harmonisées qui pourraient être appliquées parallèlement à la législation. Les produits fabriqués conformément à ces normes devaient bénéficier d’une présomption de conformité aux exigences essentielles en cause.

25.      Pour que ce système fonctionne et qu’une confiance soit établie entre les États membres, les normes harmonisées en question devaient offrir un niveau de protection garanti. À cette fin, il fallait développer une politique appropriée en matière d’évaluation de la conformité. Elle consistait en une série de modules devant être sélectionnés par le législateur, au regard de la nature du produit en cause et des risques lui étant associés. Lorsque le niveau de risque associé au produit en question était élevé, le module devait comprendre, à titre d’élément essentiel, la participation d’une entité indépendante connue sous l’appellation « organisme notifié », à laquelle devait incomber, notamment, d’évaluer la conformité du produit aux exigences législatives. Ces modules ont tout d’abord été décrits dans la décision 90/683/CEE (11), mise à jour et remplacée ultérieurement par la décision 93/465/CEE (12). Les dispositions du module H (intitulé « Système complet d’assurance de qualité ») figurant dans les annexes de chacune desdites décisions ressemblent étroitement à celles de l’annexe II de la directive 93/42 (13).

26.      La Cour a considéré que la directive 93/42 doit concilier la libre circulation des dispositifs médicaux et la protection de la santé des patients (14). Elle a également considéré que la directive vise à protéger non seulement la santé au sens strict, mais également la sécurité des personnes (15).

 Applicabilité de la directive 93/42 à l’affaire au principal

27.      La juridiction de renvoi demande un éclairage sur l’interprétation de la directive 93/42 dans l’affaire au principal, en se référant en particulier à l’éventuelle responsabilité de TÜV Rheinland à l’égard de Mme Schmitt. Elle ne précise pas le statut juridique précis de cette entité, mais il semble clair que celle-ci n’est pas, en tant que telle, un organisme étatique ou une émanation de l’État (16). Il en découle que les termes de cette directive ne sauraient être directement applicables à TÜV Rheinland, puisque la relation entre cet organisme et Mme Schmitt est « horizontale » (17) et non « verticale » (18). La Cour peut néanmoins donner un éclairage à la juridiction de renvoi, ainsi que cette dernière l’observe à juste titre dans sa décision, sur l’interprétation correcte de la directive 93/42, à la lumière de son libellé et de sa finalité, permettant ainsi à la juridiction de renvoi d’effectuer dans toute la mesure du possible une interprétation conforme (19).

 Sur la première question

28.      Par la première question, la juridiction de renvoi demande si la directive 93/42 a pour objectif et but qu’un organisme notifié assumant ses fonctions en ce qui concerne des dispositifs médicaux de la classe III agisse afin de protéger tous les patients potentiels et soit, dès lors, susceptible, en cas de manquement fautif à ses obligations, d’être responsable directement et sans restriction à l’égard des patients concernés. J’ai déjà signalé que la Cour a considéré que la directive vise notamment à protéger la sécurité des personnes (20).

29.      Dans sa décision, la juridiction de renvoi indique que, du point de vue du droit allemand, l’objectif poursuivi par l’intervention d’un organisme notifié dans la procédure d’évaluation de la conformité prévue par la directive 93/42 est décisif pour statuer dans le litige au principal. Bien qu’elle n’explique pas précisément ce qu’elle a en vue en utilisant l’expression « responsable directement et sans restriction », la juridiction de renvoi consacre d’assez longs passages à l’exposé des règles du droit national sur la base desquelles la responsabilité de TÜV Rheinland pourrait être engagée soit sur le fondement délictuel, d’une part, soit sur le fondement contractuel, d’autre part, à l’égard d’une tierce personne telle que (en l’espèce) Mme Schmitt.

30.      L’interprétation du droit national appartenant à la seule juridiction de renvoi, les questions concernant la qualification précise de la responsabilité qui est susceptible d’être engagée dans un contexte national, si tant est qu’elle puisse l’être, ne sauraient être abordées dans les présentes conclusions. Il est néanmoins loisible à la Cour de donner un éclairage quant aux circonstances dans lesquelles la directive 93/42 est susceptible de viser à ce qu’une responsabilité soit imposée à un organisme notifié ; c’est ce à quoi je m’attacherai dans ce qui suit.

31.      Pour étayer l’argument selon lequel, en l’espèce, aucune responsabilité ne peut être engagée à l’égard d’un organisme notifié, TÜV Rheinland a souligné la responsabilité imposée au fabricant des dispositifs concernés. Il se fonde à cet égard non seulement sur le libellé de la directive 93/42, mais également sur l’économie générale et la finalité de la directive 85/374/CEE sur la responsabilité du fait des produits défectueux (21).

32.      Le deuxième considérant de la directive 85/374 énonce que seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème d’une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne. À cette fin, l’article 1er impose au producteur une responsabilité pour le dommage causé par un défaut de son produit. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, le producteur sera dans la plupart des cas le fabricant. La Cour a considéré que des tentatives faites par le droit national pour étendre la responsabilité au fournisseur d’un produit seront, de prime abord, contraires à l’objectif poursuivi par la directive d’harmoniser totalement les points qu’elle réglemente (22). Néanmoins, elle a également dit que le champ d’application de la directive, et donc celui de l’harmonisation totale qu’elle cherche à établir, est limité au domaine de la responsabilité sans faute. Il en découle que la directive 85/374 doit être interprétée comme ne s’opposant pas à l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la faute (23). La question de la faute se trouvant au cœur de la présente demande de décision préjudicielle, je ne tire aucun enseignement utile de la directive 85/374.

33.      Dès lors, pour revenir à la directive 93/42, il est clair qu’elle impose une responsabilité pour la conformité du produit d’abord au fabricant. Ainsi, les paragraphes 1 et 2 de l’annexe II prévoient que c’est au fabricant de veiller à l’application du système de qualité approuvé pour la conception, la fabrication et le contrôle final des produits concernés et de rédiger une déclaration de conformité écrite.

34.      Force est cependant de constater que cette directive ne limite pas au seul fabricant les obligations en matière de sécurité du produit. Elle impose également un certain nombre d’obligations aux États membres. En particulier : i) l’article 2 impose aux États membres de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les dispositifs ne puissent être mis sur le marché et/ou mis en service que s’ils satisfont aux exigences énoncées dans la directive, ii) l’article 8, paragraphe 1, prévoit que les États membres prennent des mesures provisoires, notamment, pour retirer du marché des dispositifs qui risquent de compromettre la santé et/ou la sécurité des utilisateurs et informent la Commission de ces mesures, et iii) l’article 10 énonce certaines obligations portant sur le recensement et l’évaluation des informations portées à la connaissance des États membres, et une obligation concomitante d’informer la Commission dans les cas appropriés. Lorsque cette dernière reçoit une notification au titre de l’article 8, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 2, lui impose de consulter les parties concernées dès que possible et, si elle estime que les mesures adoptées par les États membres sont justifiées, de prendre immédiatement les mesures supplémentaires énumérées au premier alinéa.

35.      La directive 93/42 ne comporte aucune mention relative à l’engagement de la responsabilité des organismes notifiés, bien que l’obligation que leur impose le paragraphe 6 de l’annexe XI de souscrire une assurance de responsabilité civile fait clairement apparaître qu’une responsabilité d’une forme ou d’une autre est envisagée. Les organismes notifiés sont-ils susceptibles d’être responsables, en cas de manquement fautif à leurs obligations, envers les utilisateurs de ces dispositifs ?

36.      Si une telle responsabilité existe, il est peut-être nécessaire d’en définir les paramètres de manière stricte.

37.      Pour étayer l’argument selon lequel une responsabilité ne peut pas être imposée à des organismes notifiés, à tout le moins à l’égard d’utilisateurs qui sont dans la situation de Mme Schmitt, le gouvernement allemand attire l’attention de la Cour sur l’arrêt Yonemoto (24). Dans cette affaire, la Cour était appelée à examiner la responsabilité d’un importateur vers un État membre de machines pourvues du marquage « CE » qui avaient été fabriquées dans un autre État membre. La structure de la législation de l’Union applicable (25), quoique n’étant pas identique à celle de la directive 93/42, était similaire. La Cour a considéré que des dispositions nationales imposant à un importateur placé dans cette situation de garantir qu’une telle machine réponde aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par la directive n’étaient pas admissibles, car il serait contraire à l’économie de celle-ci de multiplier le nombre des personnes pouvant être tenues pour responsables de la conformité des machines. Néanmoins, la Cour a également relevé que la directive permettait que certaines obligations soient imposées à un tel importateur. Il en résulte que la législation d’un État membre peut valablement imposer à l’importateur de respecter des obligations de droit national ayant un effet équivalent (26). En d’autres termes, la Cour a considéré qu’une législation nationale imposant une certaine forme de responsabilité générale à une partie autre que le fabricant n’était pas admissible, mais que cette législation pouvait imposer une responsabilité limitée aux obligations spécifiques fixées par la législation.

38.      Ainsi, je ne pense pas que cet arrêt puisse être utilisé pour étayer la position du gouvernement allemand (27) ; je considère à l’inverse qu’il établit, à tout le moins partiellement, le contraire. Si un État membre est compétent pour imposer des obligations à un importateur d’un État membre vers un autre – et donc à une partie jouant un rôle en comparaison mineur – s’agissant des obligations dudit importateur découlant d’une directive adoptée dans le cadre de la nouvelle approche, il doit a fortiori l’être pour le faire à un organisme notifié. Il se pose alors la question de savoir quelles peuvent être les conséquences à l’égard des tiers subissant un préjudice en conséquence d’une violation desdites obligations. Dans l’arrêt Yonemoto (C‑40/04, EU:C:2005:519), la Cour a par la suite relevé que la directive n’impose aucune obligation spécifique aux États membres en ce qui concerne le régime des sanctions civiles et pénales que le droit national peut édicter. Elle a observé, néanmoins, que cela ne signifie pas que des dispositions nationales prévoyant des sanctions en cas de violation d’une législation mettant en œuvre cette directive seraient incompatibles avec cette dernière. En effet, ces dispositions seraient valables à condition que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés (28). Étant donné que dans cette affaire, les questions de la juridiction de renvoi concernaient le problème de la responsabilité pénale, la Cour s’est concentrée sur ce point en y répondant. Néanmoins, ces principes peuvent clairement s’appliquer également aux sanctions civiles encourues pour des violations d’obligations découlant du droit de l’Union (29).

39.      Compte tenu du rôle crucial que jouent les organismes notifiés dans la procédure de mise sur le marché de dispositifs médicaux prévue dans la directive 93/42 et en gardant à l’esprit, notamment, le niveau élevé de protection des patients et des utilisateurs que cette directive vise à assurer (30) ainsi que les risques associés aux dispositifs que lesdits organismes sont appelés à examiner, il me semble entièrement approprié que ces organismes soient en principe susceptibles de voir leur responsabilité engagée au titre du droit national à l’égard des patients et des usagers, pour manquement fautif aux obligations prévues dans ladite directive, à condition toujours que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés. Il appartiendra à la juridiction nationale de l’apprécier.

40.      Par conséquent, je conclus qu’il convient de répondre à la première question que la directive 93/42 a pour objectif et but que, dans le cas de dispositifs médicaux de classe III, l’organisme notifié chargé de la vérification du système d’assurance de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance agisse afin de protéger tous les patients potentiels et, dès lors, soit susceptible, en cas de manquement fautif à une obligation prévue dans ladite directive, d’être responsable à l’égard des patients et des utilisateurs concernés, à condition que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés. Il appartiendra à la juridiction nationale d’apprécier ce dernier aspect.

 Sur les deuxième et troisième questions

41.      Par les deuxième et troisième questions, qui doivent être lues ensemble, la juridiction de renvoi demande un éclairage sur les obligations incombant à un organisme notifié qui agit dans le contexte de l’annexe II de la directive 93/42, en ce qui concerne i) l’examen des dispositifs et ii) l’examen des documents commerciaux du fabricant et/ou le fait de procéder à des inspections inopinées.

42.      Ces obligations peuvent être soit générales, c’est-à-dire qu’il existe une obligation de les exécuter de manière régulière et sans fondement déterminé d’une quelconque nature, soit particulières, c’est-à-dire que l’organisme notifié est appelé à les exécuter seulement s’il a une raison de le faire.

43.      J’aborderai celles-là avant d’examiner celles-ci.

 Observations préliminaires

44.      Néanmoins avant cela, j’aimerais faire trois observations. La première est que les organismes notifiés doivent remplir des exigences strictes, non seulement quant à leur indépendance, mais également quant à leurs compétences. Cela est mis en lumière notamment au paragraphe 2 de l’annexe XI de la directive 93/42, qui prévoit que ces organismes doivent agir « avec la plus grande intégrité professionnelle et la plus grande compétence requise dans le secteur des dispositifs médicaux ». Il serait totalement contraire à cette exigence que la Cour impose des exigences qui soient inutilement contraignantes quant à leur mode de fonctionnement. Ils doivent se voir accorder une marge d’appréciation appropriée à cet égard.

45.      Ma deuxième observation est que le rôle des organismes notifiés est avant tout scientifique. Ils sont impliqués dans les procédures prévues dans la directive 93/42 aux fins de la sécurité des produits. Ils ne sont en aucun cas des organismes chargés de faire respecter le droit et ne doivent pas être considérés comme ayant des obligations parallèles à cette mission.

46.      Ma troisième observation est que, ainsi que je l’ai expliqué dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Medipac-Kazantzidis, le fait pour des dispositifs médicaux d’être pourvus d’un marquage « CE » ne les rend pas infaillibles (31). L’objectif fixé par la directive 93/42 est d’atteindre un niveau élevé de protection, et non un niveau absolu (32). Les obligations des organismes notifiés doivent être envisagées dans ce contexte.

 Obligations générales imposées à un organisme notifié

47.      L’annexe II de la directive 93/42 divise les obligations incombant à un organisme notifié en trois catégories. La première comprend les obligations qui concernent la surveillance du système de qualité du fabricant qui figurent au paragraphe 3.3. L’objectif de cette surveillance est de garantir que le système en cause réponde aux obligations imposées au fabricant dans le paragraphe 3.2. Si, par nature, un tel exercice doit essentiellement être un exercice documentaire et procédural, il est utile de relever qu’au titre de cette procédure, l’organisme notifié doit également procéder à une inspection dans les locaux du fabricant. Néanmoins compte tenu de ce que ces obligations doivent être remplies à un stade préliminaire, l’organisme notifié ne peut pas être soumis à une obligation générale quant à l’inspection des dispositifs individuels, à l’examen des documents commerciaux du fabricant ou au fait de procéder à des inspections inopinées dans ce contexte.

48.      Le paragraphe 4.3 de l’annexe II impose à l’organisme notifié d’examiner le dossier de conception du fabricant relatif au produit qu’il prévoit de fabriquer. Si l’organisme considère que le produit est conforme aux dispositions applicables de la directive, il délivre un certificat d’examen « CE » de la conception. Ces exigences interviennent à nouveau à un stade préliminaire et l’organisme notifié ne peut donc pas être soumis à une obligation générale d’exécuter les missions mentionnées au point 47 ci-dessus.

49.      Enfin, le paragraphe 5 de l’annexe II impose aux organismes notifiés une série d’obligations relevant de la catégorie de la « surveillance » (33), dont le but est, aux termes du paragraphe 5.1, « d’assurer que le fabricant remplit correctement les obligations qui découlent du système de qualité approuvé ». En application du paragraphe 5.3, l’organisme notifié procède périodiquement aux inspections et aux évaluations appropriées afin de s’assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé. Le paragraphe 5.4 ajoute que cet organisme peut,en outre, faire des visites inopinées au fabricant. Au titre de cette surveillance effectuée par l’organisme notifié, le fabricant est soumis en vertu du paragraphe 5.2 à l’obligation d’autoriser cet organisme à effectuer toutes les inspections nécessaires et de lui fournir toutes les informations pertinentes, en particulier la documentation relative au système de qualité et certaines données prévues dans ledit système. Lorsque cet organisme fait une visite inopinée au fabricant, le paragraphe 5.4 prévoit qu’il peut, s’il l’estime nécessaire, effectuer ou faire effectuer des essais pour vérifier le bon fonctionnement du système de qualité.

50.      Manifestement, la question de savoir s’il existe une obligation générale d’inspecter des dispositifs, d’examiner les documents contractuels du fabricant ou de faire des visites inopinées est susceptible d’être examinée de manière nettement plus pertinente à la lumière de ce paragraphe de l’annexe II qu’elle ne peut l’être à la lumière des paragraphes 3 ou 4.

51.      Il est néanmoins important d’envisager le contexte dans lequel un organisme notifié exécute ses obligations. Souligner l’aspect tenant à la coopération dans la relation entre l’organisme notifié et le fabricant, ainsi que TÜV Rheinland le fait dans ses observations, est à mon sens exagérément simpliste. Cela ne prend pas en compte les obligations d’indépendance et de surveillance (y compris les pouvoirs d’enquête) que la directive 93/42 établit. Cela étant dit, il me semble que, dans le cas normal, un fabricant peut probablement être présumé agir conformément à son système de qualité approuvé et produire des dispositifs respectant la conception du produit, et que, dès lors, un organisme notifié peut partir de cette présomption. Il n’est donc pas soumis à une obligation générale d’inspecter des dispositifs, d’examiner les documents commerciaux du fabricant ou de faire des inspections inopinées.

 Obligations particulières imposées à un organisme notifié

52.      Ainsi que je l’ai mentionné au point 46 des présentes conclusions, le système mis en place par le système de marquage « CE » ne revient pas à une garantie d’infaillibilité. C’est en effet pour cela que la surveillance du marché est nécessaire de manière continue (34). S’il est sans aucun doute possible d’envisager un large nombre de situations potentielles de défaut d’un produit, j’en isolerai trois en particulier aux fins de la discussion : i) un défaut que personne ne pouvait prévoir et dont aucune partie ne peut réalistement être tenue responsable, ii) un véritable oubli du fabricant, survenu entièrement de bonne foi, mais qui aurait pu être identifié avec l’intervention d’une tierce partie ayant des connaissances suffisantes au niveau scientifique et étant bien au fait des procédures et des processus impliqués, ainsi que iii) une tromperie ou une fraude du fabricant.

53.      S’agissant de la première de ces hypothèses, lorsqu’il est clair que le défaut existe, l’organisme notifié sera dans l’obligation, au titre de l’article 16, paragraphe 6, de la directive 93/42, et à la lumière du principe de proportionnalité, de suspendre ou de retirer sa certification ou de l’assortir de restrictions jusqu’à ce que la conformité soit garantie ou que des mesures correctives appropriées soient mises en place par le fabricant. L’organisme notifié doit également informer son autorité nationale compétente lorsque la certification est retirée ou que celle-ci est assortie de restrictions, ou que l’intervention de cette autorité est susceptible de devenir nécessaire.

54.      S’agissant de la deuxième et de la troisième de ces hypothèses, j’ai conclu au point 51 des présentes conclusions qu’un organisme notifié n’est pas soumis à une quelconque forme d’obligation générale quant aux missions qui y sont mentionnées. Néanmoins, il me semble que, au titre de son obligation générale de diligence, un organisme notifié est soumis à l’obligation d’être vigilant sur le fait que l’une ou l’autre de ces hypothèses peut se présenter dans un cas donné. Dès lors, s’il est alerté, que cela soit en conséquence d’informations découlant de ses propres inspections et évaluations ou à un autre titre, il sera soumis à l’obligation d’agir. L’article 16, paragraphe 6, s’appliquera évidemment dans tous les cas.

55.      S’agissant de la deuxième hypothèse, il est probable que puisque l’oubli a été fait de bonne foi, le fabricant fournira à l’organisme notifié toute l’aide nécessaire pour lui permettre de déterminer la position à adopter et de prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier à la situation.

56.      Néanmoins, si et dans la mesure où une telle aide n’est pas disponible ainsi que dans les hypothèses de tromperie ou de fraude de la part du fabricant (troisième hypothèse), la nature précise des prérogatives dont dispose un organisme notifié devra focaliser l’attention. Dans ce contexte et ainsi que je l’ai mentionné au point 45 des présentes conclusions, il est nécessaire de garder à l’esprit que les organismes notifiés n’ont pas pour rôle de faire respecter la loi. Leur obligation est d’établir si oui ou non leur certification peut encore être maintenue (35).

57.      Compte tenu de la nature à haut risque des dispositifs médicaux de la classe III associés à cette certification, il me semble que ces organismes sont soumis à une obligation de prendre toutes les mesures nécessaires dans ce contexte. Compte tenu de leurs compétences scientifiques, la manière dont ils choisissent exactement d’agir et les mesures précises qu’ils prennent dans une telle situation me semblent être une question qui relève dans une large mesure de leur marge d’appréciation, à condition qu’ils agissent toujours avec toute la diligence et les précautions requises (36). Il y a lieu ici de relever que les obligations qui incombent au fabricant au titre du paragraphe 5.2 de l’annexe II de fournir aux organismes notifiés certains documents et certaines données (37) ne constituent qu’une illustration et ne sont pas exhaustives. L’obligation primordiale que cette disposition impose au fabricant est d’autoriser l’organisme notifié à procéder à toutes les inspections nécessaires et de lui fournir toutes les informations pertinentes. Si, dans ce contexte, un organisme notifié considère qu’il est nécessaire d’examiner des dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant, ce dernier est alors tenu de l’autoriser à le faire. S’agissant du point de savoir si un tel organisme est soumis à une obligation d’effectuer un examen à cet égard, la Cour ne peut donner aucune orientation précise. Cette question devra être examinée par la juridiction de renvoi en procédant à une analyse au cas par cas. La question sera la suivante : qu’aurait fait un organisme notifié agissant avec toutes les précautions et la diligence requises dans les circonstances en cause ? Il en va de même de la question de savoir si l’organisme notifié aurait dû procéder à des inspections inopinées (38).

58.      J’ajouterais pour le bon ordre que bien que les questions de la juridiction de renvoi se réfèrent au rôle des organismes notifiés agissant en ce qui concerne les dispositifs médicaux de classe III au titre de l’annexe II de la directive 93/42, des règles et des principes analogues s’appliqueront lorsque de tels organismes agissent en ce qui concerne lesdits dispositifs au titre des procédures alternatives prévues à l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, c’est-à-dire de l’annexe III, combinée à soit l’annexe IV, soit l’annexe V.

59.      J’en conclus donc qu’il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’annexe II de la directive 93/42 doit être interprétée comme signifiant que, dans le cas de dispositifs médicaux de classe III, l’organisme notifié chargé de la vérification du système de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance est soumis à l’obligation d’agir avec toutes les précautions et la diligence requises. Lorsqu’il est alerté qu’un dispositif médical est susceptible d’être défectueux, cette obligation lui imposera d’exercer les prérogatives dont il dispose au titre de ladite annexe afin de déterminer si sa certification du dispositif en cause peut être maintenue. La nature précise et l’étendue de cette obligation devront être déterminées au cas par cas, ce qu’il incombera à la juridiction de renvoi de faire.

 Effets dans le temps de l’arrêt de la Cour

60.      L’Irlande a demandé que, dans le cas où la Cour considérait que les questions de la juridiction de renvoi appellent une réponse affirmative, celle-ci limite les effets dans le temps de sa décision ex nunc, à compter de la date de son arrêt. L’Irlande considère que les intérêts tenant à la sécurité juridique l’exigent et que, notamment, il existerait un risque de répercussions économiques sérieuses s’il en allait autrement. Il n’est pas difficile de voir la force de cet argument. Il est notamment possible que l’assurance souscrite par certains, voire par l’ensemble, des organismes notifiés concernés au titre du paragraphe 6 de l’annexe XI de la directive 93/42 ne couvre pas une responsabilité de cette nature. Je suis donc d’accord pour que les effets de tout arrêt à intervenir qui considérerait que les organismes notifiés peuvent voir leur responsabilité engagée par un manquement à leurs obligations au titre de cette directive soient limités de la manière dont l’Irlande le propose. Néanmoins, puisque les organismes notifiés ne seront pas exposés à des risques financiers dans la mesure où cette responsabilité fait en réalité déjà l’objet d’une assurance, je restreindrais une telle limitation dans le temps à la responsabilité encourue par un organisme notifié qui ne fait pas déjà l’objet d’une assurance au titre du paragraphe 6 de ladite annexe.

 Conclusion

61.      Je propose donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) comme suit :

1)      La directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux a pour objectif et but que, dans le cas de dispositifs médicaux de classe III, l’organisme notifié chargé de la vérification du système d’assurance de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance agisse afin de protéger tous les patients potentiels et, dès lors, soit susceptible, en cas de manquement fautif à une obligation prévue dans ladite directive, d’être responsable à l’égard des patients et des utilisateurs concernés, à condition que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés. Il appartiendra à la juridiction nationale d’apprécier ce dernier aspect.

2)      L’annexe II de la directive 93/42 doit être interprétée comme signifiant que, dans le cas de dispositifs médicaux de classe III, l’organisme notifié chargé de la vérification du système de qualité, de l’examen de la conception du produit ainsi que de la surveillance est soumis à l’obligation d’agir avec toutes les précautions et la diligence requises. Lorsqu’il est alerté qu’un dispositif médical est susceptible d’être défectueux, cette obligation lui imposera d’exercer les prérogatives dont il dispose au titre de ladite annexe afin de déterminer si sa certification du dispositif en cause peut être maintenue. La nature précise et l’étendue de cette obligation devront être déterminées au cas par cas, ce qu’il incombera à la juridiction de renvoi de faire.

3)      La directive 93/42 ne doit pas être interprétée comme imposant une responsabilité à un organisme notifié à l’égard d’un patient ou d’un utilisateur d’un dispositif médical lorsque cette responsabilité a été encourue avant la date de l’arrêt à intervenir, sauf et dans la mesure où la responsabilité en cause peut déjà avoir fait l’objet d’une assurance souscrite par l’organisme notifié en cause.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Conseil du 14 juin 1993 (JO 1993, L 169, p. 1). Cette directive a été modifiée à plusieurs reprises depuis son adoption. La version qui est pertinente pour les faits de la procédure au principal est la version modifiée par le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003 (JO 2003, L 284, p. 1). Si la directive 93/42 a été modifiée depuis lors par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007 (JO 2007, L 247, p. 21), entrée en vigueur le 11 octobre 2007, les dispositions à appliquer en vertu de cette directive devaient l’être aux termes de l’article 4, seulement à partir du 21 mars 2010. La directive 93/42, en ce qui la concerne, fait l’objet d’une proposition de modification par un nouveau règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne sur les dispositifs médicaux. Voir, récemment, communiqué de presse du Conseil no 283/16 du 25 mai 2016.


3      Voir points 24 et suiv. des présentes conclusions.


4      Directive de la Commission du 3 février 2003 concernant la reclassification des implants mammaires dans le cadre de la directive 93/42 relative aux dispositifs médicaux (JO 2003, L 28, p. 43).


5      Considérant 3.


6      Articles 2 et 3.


7      Les implants mammaires en cause ont été fabriqués par Poly Implant Prothèse (PIP).


8      Arrêt du 20 février 1979 (120/78, EU:C:1979:42). Voir, pour une description complète du contexte dans lequel la nouvelle approche a été adoptée, ses caractéristiques essentielles et les réformes à venir éventuelles, communication de la Commission du 5 avril 2016, intitulée Guidebleu relatif à la mise en œuvre de la réglementation de l’Union européenne sur les produits2016 (JO 2016, C 272, p. 1).


9      Voir arrêt du 20 février 1979, Cassis de Dijon (120/78, EU:C:1979:42, point 8).


10      JO 1985, C 136, p. 1.


11      Décision du Conseil du 13 décembre 1990 concernant les modules relatifs aux différentes phases des procédures d’évaluation de la conformité et destinés à être utilisés dans les directives d’harmonisation technique (JO 1990, L 380, p. 13).


12      Décision du Conseil du 22 juillet 1993 concernant les modules relatifs aux différentes phases des procédures d’évaluation de la conformité et les règles d’apposition et d’utilisation du marquage « CE » de conformité, destinés à être utilisés dans les directives d’harmonisation technique (JO 1993, L 220, p. 23).


13      Voir point 12 des présentes conclusions.


14      Voir arrêts du 14 juin 2007, Medipac-Kazantzidis (C‑6/05, EU:C:2007:337, points 51 et 52), ainsi que du 22 novembre 2012, Brain Products (C‑219/11, EU:C:2012:742, points 27 et 28).


15      Voir, à cet égard, arrêt du 19 novembre 2009, Nordiska Dental (C‑288/08, EU:C:2009:718, point 29).


16      Voir, sur le critère à appliquer, arrêt du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:313, notamment points 18 et 20). Voir, également, affaire C‑413/15, Farrell/Whitley, pendante devant la Cour, dans laquelle la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) demande un éclairage supplémentaire sur la nature précise de ce critère et sur le point de savoir s’il est disjonctif ou cumulatif.


17      C’est-à-dire que la relation concerne des personnes privées et n’implique pas l’État.


18      C’est-à-dire une relation dans laquelle l’une des parties est une personne privée et l’autre est l’État ou une émanation de celui-ci.


19      Voir, à cet égard, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing (C‑106/89, EU:C:1990:395, point 8) ; du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 115), ainsi que du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, points 108 et suiv.).


20      Voir point 26 des présentes conclusions.


21      Directive du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29).


22      Voir, notamment, arrêt du 25 avril 2002, Commission/France (C‑52/00, EU:C:2002:252, points 24, 40 et 41).


23      Voir, notamment, arrêt du 10 janvier 2006, Skov et Bilka (C‑402/03, EU:C:2006:6, points 46 à 48). Voir également Mak, V., « The Degree of Harmonisation in the Proposed Consumer Rights Directive : A Review in Light of Liability for Products », Modernising and Harmonising Consumer Contract Law, Howells, G. et Schulze, R., Sellier, European Law Publishers, Munich, 2009, p. 307 et suiv.


24      Arrêt du 8 septembre 2005 (C‑40/04 EU:C:2005:519).


25      L’affaire portait sur la directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO 1998, L 207, p. 1). Cette directive a également été adoptée dans le cadre de la nouvelle approche (voir considérants 9 et 23).


26      Voir arrêt du 8 septembre 2005, Yonemoto (C‑40/04 EU:C:2005:519, points 44, 46 et 48).


27      Pour être complet, je ne tire pas non plus d’enseignement utile de l’arrêt du 12 octobre 2004, Paul e.a. (C‑222/02, EU:C:2004:606), dans lequel la Cour a considéré que si, parmi les objectifs de la législation de l’Union alors applicable s’agissant des systèmes de garantie des dépôts, figure également celui de la protection des déposants, elle ne conférait pas de droit auxdits déposants en cas de surveillance défaillante de la part des autorités nationales compétentes (voir points 38 et 40). Le champ d’application et le contenu de cette législation sont simplement trop différents pour qu’un quelconque parallèle utile puisse être fait.


28      Voir arrêt du 8 septembre 2005, Yonemoto (C‑40/04 EU:C:2005:519, points 56 à 59).


29      Voir, notamment, arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, EU:C:2007:133, point 63).


30      Voir, à cet égard, point 26 des présentes conclusions.


31      C‑6/05, EU:C:2006:724, point 92.


32      En effet, la directive 85/374 part de la prémisse selon laquelle aussi bon que soit le niveau de surveillance et de contrôle du processus de production, des produits défectueux sont fabriqués de manière occasionnelle et se retrouvent sur le marché, au détriment des consommateurs. Voir, à cet égard, septième considérant, qui énonce qu’une juste répartition des risques entre la victime et le producteur implique que ce dernier doive pouvoir se libérer de la responsabilité s’il prouve l’existence de « certains faits qui le déchargent ».


33      La « surveillance du marché » est une mission confiée tout d’abord aux États membres, afin de permettre, d’une part, de détecter, de tenir à l’écart et de retirer du marché des produits dangereux ou des produits qui, pour toute autre raison, ne sont pas conformes aux exigences applicables fixées dans la législation d’harmonisation de l’Union et, d’autre, part, de sanctionner les opérateurs peu scrupuleux (voire criminels) : voir communication de la Commission citée à la note 8 des présentes conclusions et, notamment, en ce qui concerne les obligations imposées aux États membres, point 34 des présentes conclusions. Cela doit être distingué des obligations plus spécifiques de « surveillance » imposées à un organisme notifié au titre du paragraphe 5 de l’annexe II de la directive 93/42.


34      Voir point 92 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Medipac-Kazantzidis (C‑6/05, EU:C:2006:724). Voir également note 33 des présentes conclusions.


35      Voir paragraphe 4 de l’annexe II de la directive 93/42, citée au point 12 des présentes conclusions.


36      Voir point 44 des présentes conclusions.


37      Voir point 49 des présentes conclusions.


38      La juridiction de renvoi utilise l’expression « inspections inopinées » (« unangemeldete Inspektionen » dans le texte original allemand), tandis qu’au paragraphe 5.4 de l’annexe II de la directive 93/42, il est mentionné « visites inopinées » (« unangemeldete Besichtigungen » dans la version en langue allemande de ladite directive). Étant donné que de telles visites ont presque toujours pour objet de procéder à des inspections, je ne tire aucune conclusion de ce choix terminologique.