Language of document : ECLI:EU:T:2018:664

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

9 octobre 2018 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents relatifs à la procédure EU Pilot no 8572/16 CHAP(2015) 00353 – Refus d’accès – Article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête – Présomption générale de confidentialité – Intérêt public supérieur »

Dans l’affaire T‑632/17,

Éva Erdősi Galcsikné, demeurant à Budapest (Hongrie), représentée par Me D. Lazar, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Erlbacher et Mme C. Ehrbar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér, G. Koós et Mme M. Tátrai, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des décisions des 1er juin et 17 juillet 2017 de la Commission refusant d’accorder à la requérante l’accès aux documents relatifs à la procédure EU Pilot no 8572/16 CHAP(2015) 00353,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Pelikánová, président, MM. P. Nihoul et J. Svenningsen (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Éva Erdősi Galcsikné, ressortissante hongroise, qui a contracté en Hongrie une dette libellée en devise étrangère, est membre de l’organisation de protection des consommateurs hongroise Penzügyi Ismeretterjesztö és Érdek-képviseleti Egyesület (ci-après l’« association PITEE »). Par lettre du 17 décembre 2014, cette association a déposé une plainte auprès de la Commission européenne, par laquelle elle a fait valoir, en substance, que la législation hongroise relative à la conversion en monnaie hongroise de crédits libellés en devises étrangères et son application par les juridictions hongroises violaient l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

2        À la suite de cette plainte et d’autres qu’elle a reçues, la Commission a ouvert dans le courant de l’année 2016 la procédure EU Pilot no 8572/16 CHAP(2015) 00353 (ci-après la « procédure EU Pilot en cause »), relative à la compatibilité de diverses lois hongroises avec la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29). La Commission en a informé l’association PITEE par lettre du 4 juillet 2016.

3        En outre, en réponse à une autre demande de l’association PITEE, la Commission lui a fait savoir, par lettre du 8 novembre 2016, qu’elle tiendrait compte, dans son analyse, de ses affirmations concernant l’incompatibilité de la législation hongroise en cause avec les dispositions de la Charte et de la CEDH.

4        Par courriel du 23 mars 2017, la requérante a adressé à la Commission une demande d’accès à l’ensemble des documents relatifs à la procédure EU Pilot en cause (ci-après les « documents demandés »). La Commission a rejeté cette demande par lettre du 1er juin 2017 (ci-après la « décision initiale de refus d’accès »), invoquant l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), concernant, notamment, la protection des objectifs des activités d’enquête.

5        Le 26 juin 2017, la requérante a adressé à la Commission une demande confirmative tendant à ce que cette institution révise sa position et lui donne accès à l’ensemble des documents relatifs à la procédure EU Pilot en cause.

6        Par lettre du 17 juillet 2017, la Commission a maintenu son refus de divulguer les documents demandés.

7        Elle a motivé cette décision en indiquant, en substance, premièrement, que, s’agissant d’une procédure EU Pilot en cours, il existait une présomption générale qu’une divulgation des documents demandés porterait atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, cette présomption existant jusqu’à la clôture de cette procédure et jusqu’à l’adoption d’une décision définitive de ne pas ouvrir une procédure formelle en manquement contre la Hongrie, deuxièmement, que cette présomption couvrait l’ensemble des documents relatifs à la procédure EU Pilot en cause, de sorte qu’elle s’opposait à la possibilité de donner un accès partiel aux documents demandés en application de l’article 4, paragraphe 6, de ce règlement et, troisièmement, qu’aucun des motifs invoqués ne démontrait l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant qu’il soit passé outre au motif de refus d’accès visé à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, dudit règlement.

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 septembre 2017, la requérante a introduit le présent recours.

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision initiale de refus d’accès ;

–        annuler la décision C(2017) 5146 final de la Commission du 17 juillet 2017 ;

–        enjoindre à la Commission de lui octroyer l’accès aux documents demandés, que ceux-ci soient déjà en sa possession ou qu’ils ne lui soient communiqués qu’à l’avenir ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission, soutenue par la Hongrie, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en tant qu’il est dirigé contre la décision initiale de refus d’accès et qu’il vise à ce qu’il lui soit enjoint de donner à la requérante accès aux documents demandés ;

–        rejeter le recours comme non fondé pour le surplus ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Observations liminaires

11      S’agissant, en premier lieu, de l’objet de la demande, il y a lieu de relever qu’il résulte du dossier produit par la requérante que la décision par laquelle la Commission a maintenu son refus de divulguer les documents demandés, visée par le deuxième chef de conclusions, est la décision C(2017) 5146 final de la Commission du 17 juillet 2017.

12      S’agissant, en second lieu, des documents demandés, la requérante indique dans la requête que le recours concerne le refus opposé par la Commission à la demande d’accès aux documents relatifs à la procédure EU Pilot no 8572/15 CHAP(2015) 00353, par référence à divers courriers émanant de la Commission, notamment une lettre de cette dernière du 4 juillet 2016, constituant l’annexe A.3 de la requête.

13      Dans le mémoire en défense, la Commission précise que, bien qu’elle ait fait état dans certains documents de la procédure EU Pilot no 8572/15 CHAP(2015) 00353, la procédure effectivement concernée par la demande d’accès aux documents demandés est la procédure EU Pilot en cause.

 Sur la recevabilité des premier et troisième chefs de conclusions

14      La Commission conteste à juste titre la recevabilité des premier et troisième chefs de conclusions de la requérante.

15      En effet, d’une part, s’agissant du premier chef de conclusions, visant à l’annulation de la décision initiale de refus d’accès, il suffit de constater que, conformément à l’article 8 du règlement no 1049/2001, la décision adoptée à la suite d’une demande confirmative au sens de cette disposition est en principe seule susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter les intérêts de la personne sollicitant l’accès à certains documents et, partant, de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 48, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 14 et jurisprudence citée).

16      D’autre part, s’agissant du troisième chef de conclusions, visant à ce qu’il soit enjoint à la Commission d’octroyer à la requérante l’accès aux documents demandés, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union européenne, même si celles-ci ont trait aux modalités d’exécution de ses arrêts (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C‑21/94, EU:C:1995:220, point 33 et jurisprudence citée, et du 17 octobre 2012, Fondation IDIAP/Commission, T‑286/10, non publié, EU:T:2012:552, point 111 et jurisprudence citée).

17      En conséquence, il y a lieu de considérer que le recours n’est recevable qu’en tant qu’il vise à l’annulation de la décision C(2017) 5146 final de la Commission du 17 juillet 2017 (ci-après la « décision attaquée ») et à la condamnation de la Commission aux dépens.

18      Partant, les premier et troisième chefs de conclusions de la requérante doivent être rejetés comme étant irrecevables.

 Sur le fond

19      À l’appui du recours, la requérante présente, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 et, le second, de la violation du dernier membre de phrase dudit article 4, paragraphe 2.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001

20      Par son premier moyen, la requérante soutient que la décision attaquée procède d’une erreur de droit en ce que le refus d’accès aux documents demandés serait fondé, à tort, sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, au motif que la divulgation desdits documents porterait atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, à savoir celles menées dans le cadre de la procédure EU Pilot en cause.

21      Selon la requérante, l’objectif de cette procédure est de parvenir le plus rapidement possible à une mise en conformité du droit hongrois avec le droit de l’Union, s’agissant, en l’occurrence, de trois lois hongroises adoptées en 2014 dont il est soutenu qu’elles sont contraires au principe de l’État de droit et que, pour cette raison, elles ne devraient pas être appliquées par les tribunaux hongrois, sous peine de violation de l’article 47 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH.

22      Or, pour atteindre cet objectif de mise en conformité du droit hongrois avec le droit de l’Union, il ne serait approprié ni de mener des négociations secrètes ni d’établir ou de maintenir un climat de confiance avec le gouvernement hongrois, notamment parce que ce gouvernement n’aurait pas le pouvoir d’adopter des mesures susceptibles de contraindre les tribunaux à refuser l’application des lois hongroises prétendument incompatibles avec le droit de l’Union.

23      Au contraire, un débat public serait nécessaire pour amener les juridictions hongroises à ne pas appliquer de lois incompatibles avec le droit de l’Union ou à ne pas se soumettre à des injonctions incompatibles avec le droit de l’Union, ce qui justifierait que les opinions divergentes qui seraient exprimées par la Commission et le gouvernement hongrois dans le cadre de la procédure EU Pilot en cause soient rendues publiques.

24      En outre, le refus de divulgation des documents demandés ne pourrait pas être justifié par la nécessité de préserver la possibilité de préparer de manière confidentielle une éventuelle future procédure en manquement que la Commission engagerait contre la Hongrie, dès lors que le gouvernement hongrois aurait déjà rendu largement publique, en Hongrie, sa position quant aux questions qui sont au centre de la procédure EU Pilot en cause.

25      La Commission, soutenue par la Hongrie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

26      Il y a lieu de rappeler que la procédure EU Pilot constitue une procédure de coopération entre la Commission et les États membres qui vise à permettre à la Commission de se forger une opinion quant à savoir si, sur une question donnée, le droit de l’Union est respecté et correctement appliqué au sein des États membres. Ce type de procédure, qui s’est substitué à partir de 2008 à la phase informelle de la phase précontentieuse d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, vise à résoudre d’éventuelles infractions au droit de l’Union de manière efficace en évitant, dans la mesure du possible, l’engagement d’une procédure en manquement (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, points 37, 38 et 40 à 43), tout en pouvant déboucher sur l’engagement d’une telle procédure.

27      La fonction de la procédure EU Pilot étant d’éviter ou, le cas échéant, de préparer l’engagement d’une procédure en manquement contre un État membre au titre de l’article 258 TFUE, la présomption générale de confidentialité qui s’applique en ce qui concerne les documents échangés au cours de la phase précontentieuse d’une procédure en manquement entre la Commission et l’État membre concerné s’applique à une procédure EU Pilot et se justifie jusqu’au moment où cette dernière est clôturée et où l’engagement d’une procédure en manquement est définitivement écarté (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, points 39 et 45).

28      La présomption générale selon laquelle il est nécessaire de protéger la confidentialité des documents relatifs à une procédure EU Pilot existe indépendamment du fait que la demande d’accès ait ou non identifié précisément le ou les documents concernés (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 2016, Sea Handling/Commission, C‑271/15 P, non publié, EU:C:2016:557, point 54) et s’applique à l’ensemble des documents afférents à la procédure EU Pilot concernée, sans que la Commission soit contrainte d’effectuer un examen concret et individuel de ces documents (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, points 47 et 51).

29      Néanmoins, cette présomption générale n’exclut pas la possibilité de démontrer qu’un ou plusieurs documents donnés relevant de cette procédure ne sont pas couverts par ladite présomption (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 46).

30      En l’espèce, il est constant que la procédure EU Pilot en cause était en cours au moment de l’adoption de la décision attaquée.

31      Partant, une présomption générale de confidentialité au titre de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 s’attachait, en principe, à l’ensemble des documents afférents à cette procédure, en raison de la nature de celle-ci. La thèse de la requérante, qui revient à ignorer l’existence de cette présomption, ne saurait dès lors prospérer.

32      Par ailleurs, la requérante ne soutient pas que, par exception, certains documents spécifiques relatifs à ladite procédure n’auraient pas été couverts par cette présomption.

33      En conséquence, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du dernier membre de phrase de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001

34      Par son second moyen, la requérante soutient que, à supposer même que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 puisse être invoquée en l’espèce, la décision attaquée procéderait néanmoins d’une erreur de droit en ce qu’elle ne reconnaît pas l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents demandés, conformément au dernier membre de phrase dudit article 4, paragraphe 2.

35      Cet intérêt public supérieur consisterait dans la nécessité, premièrement, de changer la culture juridique des juges hongrois et, deuxièmement, d’instaurer un débat public au niveau européen en assurant la transparence de la position juridique respective du gouvernement hongrois et de la Commission quant aux implications de l’article 47 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH.

36      La Commission, soutenue par la Hongrie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

37      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, d’une part, la circonstance, soulignée par la Commission, que la procédure EU Pilot en cause porte principalement sur la compatibilité de la législation hongroise avec la directive 93/13 ne rend pas sans pertinence les considérations émises par la requérante relativement à l’article 47 de la Charte ou à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH, dont l’importance a été comprise par la Commission, qui a indiqué dans une lettre du 8 novembre 2016 qu’elle examinerait, dans le cadre de cette procédure EU Pilot, les allégations d’incompatibilité de la législation hongroise avec ces actes.

38      D’autre part, pour l’analyse de la pertinence des motifs de divulgation invoqués par la requérante, il ne saurait être présupposé que les lois hongroises concernées par la procédure EU Pilot en cause sont contraires à l’article 47 de la Charte ou à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH et que les juridictions hongroises faillent à leur mission, car elles appliqueraient ces lois malgré leur contradiction avec le droit de l’Union, s’agissant d’éléments que ladite procédure EU Pilot a, entre autres, pour objet de vérifier.

39      Cela étant, il convient de rappeler que la présomption générale selon laquelle il est nécessaire de protéger la confidentialité des documents relatifs à une procédure EU Pilot n’est pas irréfragable, dès lors qu’elle peut être renversée par la démonstration de l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation d’un ou de plusieurs documents donnés (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 46).

40      La mise en œuvre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, en tant qu’il prévoit des motifs de refus de divulgation de documents liés à la protection de certains intérêts déterminés à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie leur divulgation, suppose la mise en balance d’intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, la décision de donner accès aux documents concernés ou de refuser de les divulguer dépendant de la réponse à la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 42).

41      Dans ce contexte, la personne qui entend s’opposer à un motif de refus de divulgation doit, d’une part, faire valoir l’existence d’un intérêt public susceptible de primer ce motif et, d’autre part, démontrer précisément que, dans le cas d’espèce, la divulgation des documents concernés contribuerait, de manière concrète, à assurer la protection de cet intérêt public à un point tel que le principe de transparence prime la protection des intérêts ayant motivé le refus de divulgation, à savoir, en l’espèce, la protection des objectifs de l’activité d’enquête menée dans le cadre de la procédure EU Pilot en cause (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 52). Des considérations d’ordre général ne sont pas suffisantes à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 53 et jurisprudence citée).

42      C’est notamment à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les motifs invoqués par la requérante pour justifier qu’il soit passé outre à la présomption générale de confidentialité qui s’attache, en principe, aux documents afférents à une procédure EU Pilot en cours.

43      S’agissant, premièrement, de la nécessité de changer la culture juridique des juges hongrois, la requérante soutient que la divulgation des documents demandés serait de nature à amener ces juges à exercer leurs fonctions conformément à leur rôle dans un État de droit, c’est-à-dire en toute indépendance, en vérifiant l’applicabilité des lois, sans se soumettre à des pressions extérieures et, s’agissant de la Kúria (Cour suprême, Hongrie), sans adopter des décisions d’uniformisation pour orienter les décisions des autres juges de façon incompatible avec le droit de l’Union.

44      À cet égard, il y a lieu de constater que le fait, pour les juridictions nationales, d’assumer leur rôle en ce qui concerne l’application et le respect du droit de l’Union correspond assurément à un intérêt public majeur.

45      Toutefois, il convient de constater que, tout d’abord, la nécessité de divulguer les documents demandés afin d’assurer la protection de cet intérêt, invoquée par la requérante, est hypothétique, car elle repose sur une appréciation selon laquelle ces juridictions refuseraient de laisser inappliquées des règles nationales contraires au droit de l’Union, alors qu’une telle appréciation ne peut pas être tenue pour avérée, ainsi que cela a été relevé au point 38 ci-dessus. Partant, il ne saurait être considéré que la requérante a démontré que la divulgation des documents demandés contribuerait de manière concrète à assurer la protection de l’intérêt public qu’elle invoque.

46      Ensuite, dans l’hypothèse où l’intention de la requérante serait d’obtenir la divulgation des documents demandés en vue de vérifier elle-même le respect du droit de l’Union en Hongrie quant aux questions dont elle fait état, il ne lui appartient pas d’établir dans quelle mesure le droit de l’Union est respecté par des autorités nationales au regard de données factuelles exposées dans une plainte déposée auprès de la Commission, la vérification par cette dernière du respect du droit de l’Union constituant la voie la plus efficace pour protéger les intérêts publics concernés (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2014, Spirlea/Commission, T‑306/12, EU:T:2014:816, point 98).

47      Enfin, même à considérer que les suppositions de la requérante correspondent à la réalité, encore s’agirait-il d’une situation constitutive d’un manquement aux obligations incombant à l’État membre concerné en vertu des traités, à la cessation duquel la procédure EU Pilot en cause viserait précisément à contribuer, eu égard à sa nature. En conséquence, l’intérêt supérieur invoqué par la requérante ne saurait, en principe, primer la présomption générale de confidentialité qui s’attache aux activités d’enquête menées dans le cadre de cette procédure, dès lors que cette présomption servirait elle-même ledit intérêt.

48      S’agissant, deuxièmement, de l’utilité d’assurer la transparence de la position juridique respective du gouvernement hongrois et de la Commission quant aux implications de l’article 47 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH en vue de l’instauration d’un débat public au niveau européen, la requérante souligne le caractère central de ces dispositions pour la démocratie et, accessoirement, que la procédure EU Pilot en cause est l’occasion pour le gouvernement hongrois d’exprimer sa position dans une langue autre que le hongrois.

49      À cet égard, il convient de constater que l’intérêt supérieur invoqué correspond aux principes qui sous-tendent le règlement no 1049/2001. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 41 ci-dessus, il ne saurait être passé outre à un motif de refus d’accès prévu à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement qu’en démontrant l’existence de circonstances concrètes établissant que le principe de transparence présente, en l’espèce, une acuité particulière qui primerait les raisons justifiant le refus de divulgation des documents demandés. Or, les considérations générales invoquées par la requérante quant à l’utilité d’un large débat public sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH ne satisfont pas à cette exigence.

50      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il apparaît que la requérante n’a pas démontré que la divulgation des documents demandés serait justifiée par un intérêt public supérieur.

51      En conséquence, il y a également lieu de rejeter le second moyen comme étant non fondé et, dès lors, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

52      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

53      La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

54      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Hongrie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Éva Erdősi Galcsikné supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission européenne.

3)      La Hongrie supportera ses propres dépens.

Pelikánová

Nihoul

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 octobre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.