Language of document : ECLI:EU:T:2018:669

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

10 octobre 2018 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative Cuervo y Sobrinos LA HABANA 1882 – Marques nationales verbales antérieures CUERVO Y SOBRINO – Motif relatif de refus – Similitude des produits – Similitude des signes – Article 53, paragraphe 1, sous a), et article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenus article 60, paragraphe 1, sous a), et article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] – Mauvaise foi – Article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑374/17,

Cuervo y Sobrinos 1882, SL, établie à Madrid (Espagne), représentée initialement par Mes S. Ferrandis González et V. Balaguer Fuentes, puis par Me Ferrandis González, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Crawcour et M. D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

A. Salgado Nespereira, SA, établie à Ourense (Espagne), représentée par Me J. L. Rivas Zurdo, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 29 mars 2017 (affaire R 1141/2016-4), relative à une procédure de nullité entre A. Salgado Nespereira et Cuervo y Sobrinos 1882,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva et M. J. Passer (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juin 2017,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 10 octobre 2017,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 18 octobre 2017,

vu le recours incident de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 18 octobre 2017,

vu le mémoire en réponse de la requérante au recours incident déposé au greffe du Tribunal le 16 février 2018,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO au recours incident déposé au greffe du Tribunal le 28 février 2018,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 31 août 2014, la requérante, Cuervo y Sobrinos 1882, SL, a obtenu auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)], l’enregistrement, sous le numéro 010931087, de la marque de l’Union européenne figurative reproduite ci-après :

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2        Les produits pour lesquels cette marque a été enregistrée relèvent des classes 14, 16, 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 14 : « Joaillerie, horlogerie et instruments chronométriques » ;

–        classe 16 : « Stylos, crayons » ;

–        classe 18 : « Portefeuilles, porte-monnaie, porte-documents » ;

–        classe 25 : « Vêtements, y compris chaussures et chapeaux ».

3        Le 27 avril 2015, l’intervenante, A. Salgado Nespereira, SA, a présenté une demande en nullité de la marque contestée dirigée contre les produits visés au point 2 ci-dessus. D’une part, la demande en nullité était fondée sur la cause de nullité absolue visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. D’autre part, ladite demande en nullité était fondée sur la cause de nullité relative prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

4        La demande en nullité était fondée sur les deux marques antérieures suivantes :

–        la marque espagnole verbale CUERVO Y SOBRINO, enregistrée le 7 novembre 1963 sous le numéro 420761 ;

–        la marque espagnole verbale CUERVO Y SOBRINO, enregistrée le 7 novembre 1963 sous le numéro 420762.

5        La marque no 420761 a été enregistrée pour des produits relevant des classes 14 et 16 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 14 : « Articles de bijouterie, quincaillerie, argenterie et joaillerie » ;

–        classe 16 : « Stylographes, stylos-billes, crayons mécaniques et articles de bureau ».

6        La marque no 420762 a été enregistrée pour des produits relevant de la classe 14 et correspondant à la description suivante : « Montres, fournitures et accessoires pour montres ».

7        Les deux marques antérieures ont été renouvelées jusqu’en 2023.

8        Par décision du 29 avril 2016, la division d’annulation a accueilli la demande en nullité dans son intégralité et a déclaré nulle la marque contestée, sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

9        Le 22 juin 2016, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’annulation.

10      Par décision du 29 mars 2017 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a, d’une part, partiellement annulé la décision de la division d’annulation, dans la mesure où celle-ci avait accueilli la demande en nullité s’agissant des produits relevant des classes 18 et 25, et a rejeté ladite demande pour ces produits et, d’autre part, a rejeté le recours pour le surplus.

11      En premier lieu, la chambre de recours a estimé, aux points 44 et 45 de la décision attaquée, qu’il existait un risque de confusion entre la marque contestée et les marques antérieures en ce qui concerne les produits compris dans les classes 14 et 16 visées par la marque contestée, étant donné que les signes en cause étaient très similaires sur les plans visuel et phonétique et que les produits compris dans les classes 14 et 16 étaient identiques aux produits couverts par les marques antérieures.

12      En deuxième lieu, la chambre de recours a considéré, au point 46 de la décision attaquée, qu’un risque de confusion était exclu pour les produits compris dans les classes 18 et 25, étant donné que ces produits n’étaient pas similaires à ceux désignés par les marques antérieures.

13      En troisième lieu, la chambre de recours a estimé, au point 57 de la décision attaquée, que toute mauvaise foi de la part de la requérante était exclue, étant donné que l’enregistrement de la marque contestée n’était pas incompatible avec les relations contractuelles entre les parties et ne portait pas préjudice aux intérêts de l’intervenante.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée en ce qu’elle confirme la décision de la division d’annulation dans la mesure où celle-ci annule la marque contestée pour les produits relevant des classes 14 et 16, de sorte que soit rejetée la demande en nullité faite par l’intervenante ;

–        rejeter le recours incident ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris en ce qui concerne les étapes précédentes de la procédure ;

–        condamner l’intervenante aux dépens.

15      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        faire droit au recours incident ;

–        condamner la requérante aux dépens exposés par elle ;

–        condamner les parties qui s’opposeraient au recours incident aux dépens exposés par elle.

16      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours et le recours incident ;

–        à titre subsidiaire, faire droit au recours incident ;

–        condamner la requérante et l’intervenante aux dépens et, à titre subsidiaire, être condamné à ne supporter que ses propres dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), du même règlement. Elle fait valoir, en substance, que les signes en conflit ne sont pas similaires et qu’un risque de confusion est donc également exclu pour les produits relevant des classes 14 et 16.

18      Au soutien de son recours incident, l’intervenante soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), du même règlement, et, le second, d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. Premièrement, elle allègue, en substance, que les produits relevant des classes 18 et 25 sont similaires aux produits couverts par les marques antérieures et qu’il existe donc un risque de confusion également en ce qui concerne ces produits. Deuxièmement, l’intervenante soutient que, en tout état de cause, la requérante était de mauvaise foi lors du dépôt de la marque contestée.

 Sur le moyen unique de la requérante, tiré d’une violation de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), du même règlement

19      La requérante soutient, en substance, que les signes en conflit ne sont pas similaires.

20      En premier lieu, elle affirme que l’élément dominant de la marque contestée n’est pas l’élément verbal « cuervo y sobrinos », mais l’écusson placé au-dessus de celui-ci. En deuxième lieu, il existerait d’autres différences visuelles pertinentes entres les marques en conflit, à savoir l’élément « la habana 1882 » et l’ajout de la lettre « s », uniquement présents dans la marque contestée, ainsi qu’une typographie caractéristique et stylisée de l’élément verbal « cuervo y sobrinos », en particulier s’agissant des initiales « c » et « s ». Les signes en conflit seraient donc différents sur le plan visuel. Compte tenu de la présence de l’élément « la habana 1882 » dans la marque contestée, les signes en conflit seraient également différents sur le plan phonétique. Par ailleurs, selon la requérante, il convient d’accorder une plus grande importance à l’aspect visuel des signes en conflit qu’à l’aspect phonétique, et ce en raison de la nature des produits désignés par la marque contestée, relevant des classes 14 et 16. Enfin, le risque de confusion serait encore plus improbable en ce qui concerne les produits relevant de la classe 14, pour lesquels le niveau d’attention du consommateur a été jugé « plus élevé » par la chambre de recours.

21      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

22      Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’appréciation globale du risque de confusion, la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. Par ailleurs, la perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue, à ce sujet, un rôle déterminant. Enfin, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 35 et jurisprudence citée).

23      Il ressort également d’une jurisprudence bien établie que, lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers sont, en principe, plus distinctifs que les seconds, car le consommateur moyen fera plus facilement référence aux produits en cause en citant le nom qu’en décrivant l’élément figuratif de la marque [voir arrêt du 24 novembre 2016, CG/EUIPO – Perry Ellis International Group (P PRO PLAYER), T‑349/15, non publié, EU:T:2016:677, point 42 et jurisprudence citée].

24      Certes, il ne s’ensuit pas que les éléments verbaux d’une marque doivent toujours être considérés comme plus distinctifs que les éléments figuratifs. En effet, dans le cas d’une marque complexe, l’élément figuratif peut détenir une place équivalente à celle de l’élément verbal [voir arrêt du 20 septembre 2017, Jordi Nogues/EUIPO – Grupo Osborne (BADTORO), T‑386/15, EU:T:2017:632, point 49, non publié, et jurisprudence citée].

25      Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, au point 37 de la décision attaquée, que l’élément dominant et le plus distinctif de la marque contestée était \/ « cuervo y sobrinos » et que, compte tenu, notamment, de sa taille, l’écusson avait une incidence moindre sur l’impression d’ensemble produite par le signe en cause.

26      Il en va de même pour l’élément verbal « la habana 1882 » qui, comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, toujours au point 37 de la décision attaquée, ne possède pas de caractère distinctif, puisqu’il fait seulement référence à la tradition du signe, à savoir l’existence d’une entreprise dans la capitale cubaine depuis plus de 100 ans. Par ailleurs, cet élément est d’une taille considérablement plus petite que l’élément verbal « cuervo y sobrinos », qui est plus grand et occupe une position centrale dans la marque. De surcroît, contrairement à l’élément verbal « CUERVO Y SOBRINOS », l’élément verbal « la habana 1882 » est écrit en caractères d’imprimerie dans une police normale, sans élément graphique spécifique.

27      Dès lors, les marques antérieures étant des marques verbales ne consistant qu’en l’élément verbal « cuervo y sobrino », c’est sans commettre d’erreurs de droit que la chambre de recours a considéré, au point 44 de la décision attaquée, que les signes en conflit étaient très similaires sur les plans visuel et phonétique et qu’il existait donc un risque de confusion entre les marques en cause pour les produits relevant des classes 14 et 16.

28      Le fait que l’élément dominant de la marque contestée comporte en plus la lettre « s », élément absent dans les marques antérieures, ne saurait remettre en cause cette conclusion. L’élément dominant de la marque contestée et les marques antérieures coïncidant en quatorze lettres, placées dans le même ordre et séparées par deux espaces exactement aux mêmes endroits, force est de constater qu’ils sont en tout état de cause presque identiques, en dépit de la présence, à la fin de l’élément dominant de la marque contestée, de la lettre « s ».

29      La conclusion de la chambre de recours ne saurait non plus être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel, en l’espèce, il conviendrait d’accorder une plus grande importance à l’aspect visuel des signes en conflit qu’à l’aspect phonétique. En effet, l’élément dominant de la marque contestée étant « cuervo y sobrinos », la perception visuelle de ladite marque est en tout état cause, tout comme sa perception phonétique, dominée par cet élément et diffère donc peu de sa perception phonétique. L’argument de la requérante est dès lors, de ce fait, inopérant.

30      Enfin, compte tenu du caractère dominant de l’élément verbal « cuervo y sobrinos » dans la marque contestée, la conclusion de la chambre de recours ne saurait être remise en cause par le fait que le niveau d’attention du public pertinent serait « plus élevé » à l’égard des produits relevant de la classe 14.

31      Partant, le moyen unique de la requérante doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le premier moyen de l’intervenante, tiré d’une violation de l’article de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), du même règlement

32      L’intervenante prétend, en substance, que les produits relevant des classes 18 et 25 présentent un certain degré de similitude avec les produits couverts par les marques antérieures, et ce notamment au regard de l’existence d’un contrat de licence, conclu entre l’intervenante et la requérante le 14 novembre 2002.

33      L’EUIPO et la requérante contestent ces arguments.

34      Selon une jurisprudence constante, les facteurs pertinents aux fins de la comparaison des produits, incluent, en particulier, la nature, la destination, l’utilisation ainsi que le caractère concurrent ou complémentaire des produits en cause. D’autres facteurs peuvent également être pris en compte, tels que, notamment, les canaux de distribution des produits concernés [voir arrêt du 11 juillet 2007, El Corte Inglés/OHMI – Bolaños Sabri (PiraÑAM diseño original Juan Bolaños), T‑443/05, EU:T:2007:219, point 37 et jurisprudence citée].

35      En l’espèce, s’agissant des produits relevant de la classe 25 (vêtements, y compris chaussures et chapeaux), il a déjà été jugé que les bijoux et les montres, voire les pierres précieuses et les pièces de joaillerie, d’une part, et les articles d’habillement, d’autre part, ne pouvaient pas être considérés comme similaires [voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, Beyond Retro/OHMI – S&K Garments (BEYOND VINTAGE), T‑170/12, non publié, EU:T:2014:238, point 36 à 44 et jurisprudence citée].

36      A fortiori, ne peuvent pas non plus être considérés comme similaires les stylographes, stylos-billes, crayons mécaniques et articles de bureau, d’une part, et les articles d’habillement, d’autre part. En effet, non seulement ces produits sont différents par leur nature, leur destination ainsi que leur utilisation et ne sont ni interchangeables ni complémentaires, mais encore ils ne présentent même pas de complémentarité d’ordre esthétique, constatée pour les produits mentionnés au point 35 ci-dessus et jugée pourtant insuffisante pour pouvoir justifier, à elle seule, la conclusion que tous ces produits sont complémentaires et, de ce fait, similaires.

37      S’agissant des produits relevant de la classe 18, à savoir les portefeuilles, porte-monnaie et porte-documents, il y a également lieu d’approuver l’analyse faite par la chambre de recours, sur la base de laquelle elle a conclu que ces produits et les produits désignés par les marques antérieures n’étaient pas non plus similaires. En effet, ces produits sont de nature, de destination et d’utilisation différentes et ne présentent pas de caractère concurrent ou complémentaire.

38      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par le simple fait qu’il existe, entre l’intervenante et la requérante, un contrat de licence.

39      À cet égard, il convient de relever que, sur le plan concret, le contrat de licence conclu entre l’intervenante et la requérante le 14 novembre 2002 ne concerne que les produits relevant de la classe 14, à savoir les montres.

40      Certes, ledit contrat de licence ne se limite pas à octroyer à la requérante l’autorisation de l’intervenante d’utiliser la dénomination CUERVO Y SOBRINO, tout en ajoutant un « s » au dernier mot et l’élément « habana » ou « la habana 1882 », pour désigner des « montres-bracelets », les « montres de poche » étant expressément exclues. En effet, par ce même contrat de licence, l’intervenante interdit également à la requérante d’utiliser ladite dénomination pour toute autre activité ou produit, sauf autorisation expresse et écrite de sa part.

41      Toutefois, il ressort de la jurisprudence que, pour conclure à une similitude entre des produits, prétendument complémentaires, il est nécessaire que les consommateurs considèrent comme courant que ces produits soient commercialisés sous la même marque, ce qui implique, normalement, qu’une grande partie des fabricants ou des distributeurs respectifs de ces produits soient les mêmes [voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2015, Compagnie des montres Longines, Francillon/OHMI – Cheng (B), T‑505/12, EU:T:2015:95, point 60 et jurisprudence citée].

42      Or, le seul élément avancé par l’intervenante est le contrat de licence du 14 novembre 2002, contrat conclu entre l’intervenante et la requérante et donc entre deux entreprises. Un tel contrat n’est pas susceptible d’établir que les consommateurs considèrent comme courant que les produits couverts par ce contrat soient commercialisés sous la même marque et que, normalement, une grande partie des fabricants ou des distributeurs respectifs de ces produits soient les mêmes.

43      Par ailleurs, accepter que l’existence du contrat de licence du 14 novembre 2002 soit susceptible d’établir, à elle seule, une similitude entre les produits couverts par ce contrat impliquerait une conclusion absurde selon laquelle, dans certaines circonstances, tout produit peut être considéré comme similaire à n’importe quel autre, indépendamment des caractéristiques propres à ces produits. En effet, si, sur le plan concret, ledit contrat de licence ne concerne que des montres, au regard de l’interdiction globale mentionnée ci-dessus au point 40, il couvre également toute autre activité ou produit.

44      Dès lors, le premier moyen de l’intervenante doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le second moyen de l’intervenante, tiré d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

45      Selon l’intervenante, la requérante était manifestement de mauvaise foi, au moment du dépôt de la marque contestée.

46      À cet égard, l’intervenante met en avant le contrat de licence conclu entre elle et la requérante le 14 novembre 2002 et en vigueur au jour du dépôt de la marque contestée. D’une part, ce contrat de licence autoriserait la requérante à utiliser l’élément verbal « cuervo y sobrino » pour les montres, mais en aucun cas à enregistrer cet élément verbal à son nom en tant que marque. D’autre part, ce contrat de licence interdirait à la requérante d’utiliser ledit élément verbal pour d’autres produits sans autorisation préalable et expresse de la part de l’intervenante, autorisation qui n’a pas été donnée par cette dernière.

47      La requérante conteste ces arguments. L’EUIPO s’en remet au Tribunal quant à l’appréciation du présent moyen.

48      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le régime d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne repose sur le principe du « premier déposant », inscrit à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 2, du règlement 2017/1001). En vertu de ce principe, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne que pour autant qu’une marque antérieure n’y fasse pas obstacle, qu’il s’agisse d’une marque de l’Union européenne, d’une marque enregistrée dans un État membre ou par l’Office Benelux de la propriété intellectuelle (OBPI), d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre ou encore d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union. En revanche, sans préjudice d’une éventuelle application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001), la seule utilisation par un tiers d’une marque non enregistrée ne fait pas obstacle à ce qu’une marque identique ou similaire soit enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, pour des produits ou des services identiques ou similaires [arrêt du 14 février 2012, Peeters Landbouwmachines/OHMI – Fors MW (BIGAB), T‑33/11, EU:T:2012:77, point 16].

49      L’application de ce principe est nuancée, notamment, par l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, en vertu duquel la nullité d’une marque de l’Union européenne doit être déclarée, sur demande présentée devant l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque (arrêt du 14 février 2012, BIGAB, T‑33/11, EU:T:2012:77, point 17).

50      À cet égard, il incombe au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière (arrêt du 14 février 2012, BIGAB, T‑33/11, EU:T:2012:77, point 17).

51      La notion de « mauvaise foi » visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation de l’Union [voir arrêt du 26 février 2015, Pangyrus/OHMI – RSVP Design (COLOURBLIND), T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 64 et jurisprudence citée].

52      Il découle de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 que le moment pertinent aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur est celui du dépôt, par l’intéressé, de la demande d’enregistrement (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 35).

53      En outre, aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne et, notamment, premièrement, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, deuxièmement, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ainsi que, troisièmement, le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé (voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 37 et 53, et du 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries, C‑320/12, EU:C:2013:435, points 36 et 37).

54      Au regard des termes « doit savoir », il convient de relever qu’une présomption de connaissance, par le demandeur, de l’utilisation par un tiers d’un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé peut résulter notamment d’une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d’une telle utilisation, cette connaissance pouvant être déduite, notamment, de la durée d’une telle utilisation. En effet, plus cette utilisation est ancienne, plus il est vraisemblable que le demandeur en aura eu connaissance au moment du dépôt de la demande d’enregistrement (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 39).

55      Cependant, la circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise depuis longtemps un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie l’existence de la mauvaise foi du demandeur (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 40).

56      Dès lors, aux fins d’apprécier l’existence de la mauvaise foi, il convient également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 41).

57      L’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 42).

58      Ainsi, l’intention d’empêcher un tiers de commercialiser un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 43).

59      De surcroît, il ressort de la formulation retenue dans l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361), que les trois facteurs énumérés au point 53 ci-dessus ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte afin de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur de marque au moment du dépôt de la demande (arrêt du 14 février 2012, BIGAB, T‑33/11, EU:T:2012:77, point 20).

60      Il y a donc lieu de considérer que, dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne ainsi que de la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir arrêt du 26 février 2015, COLOURBLIND, T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 68 et jurisprudence citée).

61      Peut également constituer un des facteurs pertinents, aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi d’un demandeur de marque au moment du dépôt de la demande, l’existence des relations contractuelles directes entre ce dernier et un titulaire d’une marque antérieure [voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Foodcare/EUIPO – Michalczewski (T.G.R. ENERGY DRINK), T‑456/15, EU:T:2016:597, point 55 et jurisprudence citée].

62      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner le second moyen de l’intervenante, tiré d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

63      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, si la cause de nullité n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, la nullité de la marque ne peut être déclarée que pour les produits ou les services concernés.

64      En l’espèce, la marque contestée a été enregistrée pour des produits relevant de quatre classes, à savoir les classes 14, 16, 18 et 25.

65      Cependant, en ce qui concerne les produits relevant des classes 14 et 16, la marque contestée a été annulée par la division d’annulation, décision qui a été ensuite confirmée par la chambre de recours, et ce à bon droit (voir points 19 à 31 ci-dessus).

66      Ainsi, à la suite de l’examen du moyen unique de la requérante, le présent moyen est devenu sans objet en ce qui concerne ces produits.

67      En ce qui concerne les produits relevant des classes 18 et 25, il ressort de l’examen du premier moyen de l’intervenante (voir points 34 à 44 ci-dessus) que c’est à juste titre que la chambre de recours a jugé que ces produits et ceux couverts par les marques antérieures étaient différents, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

68      De surcroît, il ressort du dossier que la requérante est, à tout le moins en tant que filiale de l’entreprise suisse Cuervo y Sobrinos SA, titulaire des marques suivantes :

–        la marque italienne figurative CUERVO Y SOBRINOS, déposée le 29 octobre 1998 pour des produits relevant de la classe 14 ;

–        l’enregistrement international no 770240, du 29 novembre 2011, pour la marque verbale CUERVO Y SOBRINOS, désignant des produits relevant également de la classe 14 ;

–        l’enregistrement international no 830953, du 23 juin 2004, pour la marque verbale CUERVO Y SOBRINOS, désignant des produits relevant de nouveau de la classe 14 ; et

–        l’enregistrement international no 971969, du 2 juillet 2008, pour la marque figurative CUERVO Y SOBRINOS, désignant des produits relevant des classes 16 et 18.

69      Compte tenu de ces enregistrements, il peut être considéré, à l’instar de la chambre de recours, que le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée s’inscrit dans une logique commerciale plausible poursuivie par la requérante.

70      Certes, le contrat de licence du 14 novembre 2012, par lequel l’intervenante octroie à la requérante l’autorisation d’utiliser la dénomination décrite au point 40 ci-dessus pour des « montres-bracelets », interdit également à cette dernière d’utiliser cette même dénomination pour toute autre activité ou tout autre produit, sauf autorisation expresse et écrite de l’intervenante.

71      De plus, la validité de ce contrat étant prévue pour 15 ans à partir de son entrée en vigueur au jour de sa signature (le 14 novembre 2002) et l’existence d’une résiliation ou d’une annulation du contrat en cause avant la fin de la durée de validité ainsi prévue n’ayant pas été démontrée, il peut être présumé que ce contrat de licence était en vigueur au moment du dépôt de la marque contestée, à savoir le 17 mai 2012.

72      Il convient de rappeler, toutefois, que ni le règlement no 207/2009 ni la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (version codifiée) (JO 2008, L 299, p. 25), n’interdisent, en principe, l’enregistrement d’une marque d’autrui pour des produits différents.

73      Dans ces conditions, la mauvaise foi de la requérante, au sens du règlement no 207/2009, ne saurait être déduite de la seule existence d’une interdiction contractuelle, telle que celle mentionnée au point 70 ci-dessus.

74      Compte tenu de tous ces éléments, force est donc de constater que, en ce qui concerne les produits relevant des classes 18 et 25, la mauvaise foi de la requérante au moment du dépôt de la marque contestée n’a pas été démontrée dans le cadre de la présente affaire.

75      Partant, il convient de rejeter le présent moyen comme non fondé.

76      Dès lors, il y a lieu de rejeter le recours ainsi que le recours incident.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

78      L’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

79      La requérante et l’intervenante ayant succombé, il y a lieu de décider qu’elles supporteront chacune, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le recours incident est rejeté.

3)      Cuervo y Sobrinos 1882, SL supportera ses propres dépens et la moitié des dépens exposés par l’EUIPO.

4)      A. Salgado Nespereira, SA supportera ses propres dépens et la moitié des dépens exposés par l’EUIPO.

Collins

Kancheva

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 octobre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.