Language of document : ECLI:EU:C:2019:467

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 juin 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2008/48/CE – Obligations précontractuelles – Article 5, paragraphe 6 – Obligation pour le prêteur de rechercher le crédit le mieux adapté – Article 8, paragraphe 1 – Obligation pour le prêteur de s’abstenir de conclure le contrat de prêt en cas de doutes sur la solvabilité du consommateur – Obligation pour le prêteur d’apprécier l’opportunité du crédit »

Dans l’affaire C‑58/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la justice de paix du canton de Visé (Belgique), par décision du 22 janvier 2018, parvenue à la Cour le 30 janvier 2018, dans la procédure

Michel Schyns

contre

Belfius Banque SA,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteure), MM. A. Rosas, L. Bay Larsen et M. Safjan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 novembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Belfius Banque SA, par Me D. Blommaert, advocaat, et Me P. Algrain, avocate,

–        pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet et M. P. Cottin, en qualité d’agents, assistés de Me F. de Patoul, avocat,

–        pour la Commission européenne, par M. N. Ruiz García ainsi que par Mmes C. Valero et G. Goddin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 février 2019,

rend le présent      

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66, et rectificatifs JO 2009, L 207, p. 14, JO 2010, L 199, p. 40, JO 2011, L 234, p. 46 et JO 2015 L 36, p. 15).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Michel Schyns à Belfius Banque SA (ci-après « Belfius »), venue aux droits de Dexia Banque Belgique, au sujet d’un contrat de prêt qu’il a souscrit auprès de Belfius en vue de financer l’installation de panneaux photovoltaïques par Home Vision SPRL.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2008/48

3        Les considérants 7, 9, 24, 26, 27 et 44 de la directive 2008/48 se lisent comme suit :

« (7)      Afin de faciliter l’émergence d’un marché intérieur performant en matière de crédit aux consommateurs, il est nécessaire de prévoir un cadre communautaire harmonisé dans un certain nombre de domaines clés. Compte tenu du développement constant du marché du crédit aux consommateurs et de la mobilité croissante des citoyens européens, une législation communautaire tournée vers l’avenir, capable de s’adapter aux futures formes du crédit et offrant aux États membres un degré de souplesse approprié dans la transposition de ses dispositions, devrait permettre d’établir un ensemble moderne de règles sur le crédit aux consommateurs.

[...]

(9)      Une harmonisation complète est nécessaire pour assurer à tous les consommateurs de la Communauté un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts et pour créer un véritable marché intérieur. Par conséquent, les États membres ne devraient pas être autorisés à maintenir ou introduire des dispositions nationales autres que celles prévues par la présente directive. Cependant, une telle restriction ne devrait s'appliquer que dans le cas où il existe des dispositions harmonisées dans la présente directive. En l’absence de telles dispositions harmonisées, les États membres devraient cependant être libres de maintenir ou d’introduire des dispositions législatives nationales. [...]

[...]

(24)      Il est nécessaire que le consommateur soit informé de manière exhaustive avant la conclusion du contrat de crédit indépendamment du fait qu’un intermédiaire intervienne ou non dans la vente du crédit. [...]

[...]

(26)      Les États membres devraient prendre les mesures appropriées afin de promouvoir les pratiques responsables lors de toutes les phases de la relation de prêt, en tenant compte des caractéristiques particulières de leur marché du crédit. Ces mesures peuvent inclure, par exemple, l’information et l’éducation des consommateurs, y compris des mises en garde sur les risques du défaut de paiement ou du surendettement. Il importe, en particulier sur un marché du crédit en expansion, que les prêteurs ne soient pas amenés à octroyer des prêts de manière irresponsable ou à accorder des crédits sans évaluation préalable de la solvabilité, et que les États membres exercent la surveillance nécessaire afin de prévenir de tels comportements, et définissent les moyens nécessaires pour sanctionner les prêteurs qui en seraient auteurs. Sans préjudice des dispositions en matière de risque de crédit de la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice [...], les prêteurs devraient avoir la responsabilité de vérifier la solvabilité de chaque consommateur cas par cas. [...]

(27)      En dépit de l’information précontractuelle qui doit être fournie, le consommateur peut encore avoir besoin d’une aide supplémentaire pour déterminer quel est le contrat de crédit, parmi l’éventail des produits proposés, qui correspond le mieux à ses besoins et à sa situation financière. Par conséquent, les États membres devraient veiller à ce que les prêteurs apportent une telle assistance à propos des produits de crédit qu’ils proposent au consommateur. Si nécessaire, l’information précontractuelle adéquate, ainsi que les caractéristiques essentielles des produits proposés, devraient faire l’objet d’une explication personnalisée au consommateur de manière à ce que celui-ci puisse comprendre l’impact que ces produits peuvent avoir sur sa situation économique. Le cas échéant, ce devoir de prêter assistance au consommateur devrait également s’appliquer aux intermédiaires de crédit. Les États membres devraient pouvoir déterminer quand et dans quelle mesure de telles explications devraient être fournies au consommateur compte tenu du contexte particulier dans lequel le crédit est offert, de la nécessité d’aider le consommateur et de la nature de chaque produit de crédit.

[...]

(44)      Afin d’assurer la transparence et la stabilité du marché, et dans l’attente d’une plus ample harmonisation, les États membres devraient veiller à mettre en place des mesures appropriées de réglementation ou de contrôle applicables aux prêteurs. »

4        Selon son article 1er, la directive 2008/48 a pour objet d’harmoniser certains aspects des règles des États membres en matière de contrats de crédit aux consommateurs.

5        L’article 5 de cette directive, intitulé « Informations précontractuelles », dispose, à son paragraphe 6 :

« Les États membres veillent à ce que les prêteurs et, le cas échéant, les intermédiaires de crédit, fournissent au consommateur des explications adéquates grâce auxquelles celui-ci sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, le cas échéant en expliquant l’information précontractuelle qui doit être fournie conformément au paragraphe 1, les caractéristiques essentielles des produits proposés et les effets particuliers qu’ils peuvent avoir sur le consommateur, y compris les conséquences d’un défaut de paiement du consommateur. Les États membres peuvent adapter les modalités d’octroi et l’étendue de cette assistance, et établir l’identité de la personne qui la fournit, en fonction du contexte particulier dans lequel le contrat de crédit est proposé, de la personne à qui il est proposé, et du type de contrat de crédit proposé. »

6        L’article 8 de ladite directive, intitulé « Obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée. Les États membres dont la législation prévoit l’évaluation obligatoire par le prêteur de la solvabilité du consommateur sur la base d’une consultation de la base de données appropriée peuvent maintenir cette obligation. »

7        L’article 22 de la même directive, intitulé « Harmonisation et caractère impératif de la présente directive », énonce, à son paragraphe 1 :

« Dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles établies par la présente directive. »

 La directive 2014/17/UE

8        La directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 60, p. 34), a pour objet de créer un marché européen du crédit hypothécaire garantissant un niveau élevé de protection des consommateurs. 

9        Le considérant 3 de la directive 2014/17 énonce :

« La crise financière a montré que le comportement irresponsable de participants au marché pouvait miner les fondements du système financier, avec une perte de confiance chez toutes les parties, en particulier les consommateurs, et des conséquences économiques et sociales potentiellement graves. [...] »

10      L’article 18, paragraphe 5, sous a), de cette directive dispose :

« Les États membres veillent à ce que :

a)      le prêteur accorde uniquement le crédit au consommateur si le résultat de l’évaluation de la solvabilité indique que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ledit contrat ».

 Le droit belge

11      L’article 10 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, dans sa version applicable aux faits au principal (Moniteur belge du 21 juin 2010, p. 38338, ci-après la « loi relative au crédit à la consommation »), énonçait :

« Le prêteur et l’intermédiaire de crédit sont tenus de demander au consommateur sollicitant un contrat de crédit, ainsi que, le cas échéant, aux personnes qui constituent une sûreté personnelle, les renseignements exacts et complets qu’ils jugent nécessaires afin d’apprécier leur situation financière et leurs facultés de remboursement et, en tout état de cause, leurs engagements financiers en cours. [...] »

12      L’article 11, paragraphe 4, de cette loi disposait :

« Les prêteurs et, le cas échéant, les intermédiaires de crédit, fournissent au consommateur des explications adéquates grâce auxquelles celui-ci sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, le cas échéant en expliquant l’information précontractuelle qui doit être fournie conformément au § 1er, les caractéristiques essentielles des produits proposés et les effets particuliers qu’ils peuvent avoir sur le consommateur, y compris les conséquences d’un défaut de paiement du consommateur. »

13      L’article 15, premier et deuxième alinéas, de ladite loi disposait :

« Le prêteur et l’intermédiaire de crédit sont tenus de rechercher, dans le cadre des contrats de crédit qu’ils offrent habituellement ou pour lesquels ils interviennent habituellement, le type et le montant du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur au moment de la conclusion du contrat et du but du crédit.

Le prêteur ne peut conclure de contrat de crédit que si, compte tenu des informations dont il dispose ou devrait disposer, notamment sur la base de la consultation visée par l’article 9 de la loi du 10 août 2001 relative à la Centrale des crédits aux particuliers, et sur la base des renseignements visés à l’article 10, il doit raisonnablement estimer que le consommateur sera à même de respecter les obligations découlant du contrat. »

14      La loi relative au crédit à la consommation a été abrogée à compter du 1er avril 2015, date d’entrée en vigueur du code de droit économique, qui n’est pas applicable aux faits au principal rationae temporis. Le texte de l’article 15, premier alinéa, de cette loi a été repris à l’article VII.75 de ce code. L’article VII.77, paragraphe 2, premier alinéa, dudit code est formulé dans des termes similaires à ceux de l’article 15, deuxième alinéa, de ladite loi. 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Afin de financer l’achat de panneaux photovoltaïques et l’installation de ceux-ci par Home Vision, M. Schyns a souscrit, le 22 mai 2012, un emprunt auprès de Dexia Banque Belgique, aux droits de laquelle est venue Belfius, d’un montant de 40 002 euros et pour une durée de dix ans. Ce prêt était remboursable par mensualités de 427,72 euros. Le même jour, Belfius a versé la totalité des fonds convenus à M. Schyns, qui, à son tour, les a versés à Home Vision.

16      Aux termes du contrat conclu entre M. Schyns et Home Vision, cette dernière s’engageait, d’une part, à procéder à l’installation de panneaux photovoltaïques, d’une valeur de 40 002 euros, et, d’autre part, à rétrocéder à M. Schyns la totalité de ce montant, par versement de mensualités de 622,41 euros. En contrepartie, pendant dix ans, M. Schyns devait céder à Home Vision les certificats verts attachés à la production d’électricité résultant de l’utilisation desdits panneaux.

17      Le 5 décembre 2013, Home Vision a été déclarée en faillite, sans avoir jamais installé les panneaux photovoltaïques en cause. M. Schyns a payé les mensualités du prêt pendant 4 ans, jusqu’au 21 décembre 2016, date à laquelle il a saisi la justice de paix du canton de Visé (Belgique) en demandant, à titre principal, la résiliation du contrat de prêt en cause aux torts de Belfius et sa libération de toute obligation de remboursement. À titre subsidiaire, il a demandé la modification de ce contrat afin de réduire à 20 000 euros sa dette totale, remboursable par mensualité de 150 euros.

18      M. Schyns reproche notamment à Belfius de lui avoir prêté un montant trop important compte tenu de ses revenus, méconnaissant ainsi les articles 10 et suivants de la loi relative au crédit à la consommation.

19      À cet égard, M. Schyns met en avant le fait que, à la date de la conclusion du contrat de prêt en cause, ses revenus mensuels n’excédaient pas 1900 euros par mois et qu’il devait rembourser, en plus du crédit souscrit, deux prêts hypothécaires pour un montant mensuel total de 421,67 euros.

20      Belfius s’oppose aux demandes de M. Schyns, en soutenant que les dispositions nationales invoquées par celui-ci ne sont pas compatibles avec l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 qui ferait peser la charge d’apprécier l’opportunité du crédit sur le consommateur et n’imposerait pas au prêteur une obligation générale de rechercher le crédit le plus adapté.

21      La juridiction de renvoi estime que les dispositions nationales applicables, notamment l’article 15 de la loi relative au crédit à la consommation, en contraignant le prêteur à s’abstenir de conclure le contrat s’il estime que le consommateur ne sera pas capable de rembourser le prêt, imposent au prêteur d’apprécier l’opportunité du crédit.

22      En l’occurrence, eu égard à l’étendue de ses revenus et des prêts hypothécaires déjà contractés, la juridiction de renvoi considère que la capacité de remboursement de M. Schyns soulevait des doutes à la date de conclusion du contrat.

23      Dans ces conditions, la justice de paix du canton de Visé a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      L’article 5[, paragraphe 6,] de la [directive 2008/48], en ce qu’il a pour but de faire en sorte que le consommateur sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, ne s’oppose-t-il pas au texte de l’article 15, [premier alinéa,] de la [loi relative au crédit à la consommation] (abrogé et actuellement remplacé par l’article VII.75 du [c]ode de droit économique), en ce qu’il [dispose] que le prêteur et l’intermédiaire de crédit sont tenus de rechercher, dans le cadre des contrat de crédits qu’ils offrent habituellement ou pour lesquels ils interviennent habituellement, le type et le montant du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur au moment de la conclusion du contrat et du but du crédit, dans la mesure où ce dernier établit une obligation générale pour le prêteur ou l’intermédiaire de crédit de rechercher le crédit le mieux adapté pour le consommateur qui n’est pas comprise dans le texte de [cette directive] ?

      b)      L’article 5[, paragraphe 6,] de la [directive 2008/48], en ce qu’il a pour but de faire en sorte que le consommateur sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, ne s’oppose-il pas au texte de l’article 15, [deuxième alinéa,] de la [loi relative au crédit à la consommation] (abrogé et actuellement remplacé par l’article VI1.77, [paragraphe 2, premier alinéa,] du code de droit économique), en ce que le prêteur ne peut conclure de contrat de crédit que si, compte tenu des informations dont il dispose ou devrait disposer, notamment sur la base de la consultation organisée par l’article 9 de la loi du 10 août 2001 relative à la Centrale des crédits aux particuliers, et sur la base des renseignements visés à l’article 10, il doit raisonnablement estimer que le consommateur sera à même de respecter les obligations découlant du contrat, dans la mesure où il a pour conséquence que le prêteur doit lui-même se prononcer sur l’opportunité de la conclusion éventuelle du crédit à la place du consommateur ?

2)      Dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question, la [directive 2008/48] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle impose toujours au prêteur et à l’intermédiaire de crédit d’apprécier à la place du consommateur l’opportunité de la conclusion éventuelle du crédit ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a)

24      Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose aux prêteurs ou aux intermédiaires de crédit de rechercher, dans le cadre des contrats de crédit qu’ils offrent habituellement, le type et le montant du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur à la date de la conclusion du contrat et du but du crédit.

25      Selon l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48, les États membres veillent à ce que les prêteurs et, le cas échéant, les intermédiaires de crédit, fournissent au consommateur des explications adéquates grâce auxquelles celui-ci sera en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, le cas échéant en expliquant l’information précontractuelle qui doit être fournie conformément au paragraphe 1 de cet article, les caractéristiques essentielles des produits proposés et les effets particuliers qu’ils peuvent avoir sur le consommateur, y compris les conséquences d’un défaut de paiement du consommateur.

26      Si l’article 6 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit aux consommateurs [COM(2002) 443 final, JO 2002, C 331 E, p. 200], intitulé « Information réciproque et préalable et obligation de conseil », prévoyait, à son paragraphe 3, que « [l]e prêteur et, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit recherchent parmi les contrats de crédit qu’ils offrent ou pour lesquels ils interviennent habituellement, le type et le montant total du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur, des avantages et désavantages afférents au produit proposé et du but du crédit », cette obligation n’a pas été reprise dans la version finale du texte de la directive 2008/48. Il en résulte que cette directive n’impose pas aux États membres de prévoir une obligation générale pour les prêteurs de proposer aux consommateurs le crédit le mieux adapté.

27      Cela étant, il ressort du point 5.4 de la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 octobre 2005, relative aux contrats de crédit aux consommateurs modifiant la directive 93/13/CE du Conseil [COM(2005) 483 final], que la Commission européenne « maintient le principe selon lequel le prêteur devrait, non pas simplement satisfaire aux exigences d’information précontractuelle, mais fournir des explications supplémentaires pour permettre au consommateur de prendre une décision en connaissance de cause », que « le consommateur est toujours responsable de sa décision finale de conclure un contrat de crédit » et qu’« une plus grande marge de manœuvre a été laissée aux États membres pour adapter leurs dispositions législatives de transposition à la situation commerciale de leur marché ».

28      À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif poursuivi par la directive 2008/48 consiste, ainsi qu’il ressort des considérants 7 et 9 de celle-ci, à prévoir, en matière de crédit aux consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés, laquelle est considérée comme nécessaire pour assurer à tous les consommateurs de l’Union européenne un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts et pour faciliter l’émergence d’un marché intérieur performant du crédit à la consommation (arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

29      S’il résulte de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive que celle-ci réalise une harmonisation complète en ce sens que les États membres ne sont pas autorisés à maintenir ou à introduire des dispositions nationales autres que celles qui sont prévues par ladite directive (arrêt du 12 juillet 2012, SC Volksbank România, C‑602/10, EU:C:2012:443, point 38), la dernière phrase de l’article 5, paragraphe 6, de cette directive laisse aux États membres une marge de manœuvre, en ce qu’ils peuvent « adapter les modalités d’octroi et l’étendue de [l’]assistance » que doivent fournir aux consommateurs les prêteurs et, le cas échéant, les intermédiaires de crédit.

30      En outre, il ressort de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 et du considérant 27 de celle-ci que, en dépit des informations précontractuelles qui doivent être fournies en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, le consommateur peut, avant de conclure le contrat de crédit, avoir besoin d’une aide supplémentaire pour déterminer quel est le contrat de crédit qui correspond le mieux à ses besoins et à sa situation financière et que les États membres doivent veiller à ce que les prêteurs apportent une telle assistance au titre des produits de crédit qu’ils proposent (arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C‑449/13, EU:C:2014:2464, point 41). Par ailleurs, le considérant 24 de la directive 2008/48 précise que le consommateur doit être informé de « manière exhaustive » avant la conclusion du contrat de crédit.

31      En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal, en prévoyant l’obligation pour le prêteur ou l’intermédiaire de crédit de rechercher le crédit le mieux adapté aux besoins du consommateur, vise un niveau élevé de protection des droits de ce dernier, en poursuivant l’objectif de protection du consommateur au stade précontractuel.

32      En tout état de cause, si une marge de manœuvre est laissée aux États membres pour définir la nature et le contenu de l’assistance précontractuelle que les prêteurs et les intermédiaires de crédit doivent offrir aux consommateurs, il n’en demeure pas moins que les États membres doivent utiliser cette marge de manœuvre d’une manière conforme à l’ensemble des dispositions de la directive 2008/48.

33      Ainsi, dans la détermination de l’aide supplémentaire, et sans préjudice des autres dispositions de la directive 2008/48, les États membres ont la possibilité de décider que le consommateur doit se voir présenter plusieurs modalités d’octroi de crédit. Le prêteur professionnel étant le mieux placé pour identifier, parmi son éventail d’offres habituel, le crédit le mieux adapté aux besoins du consommateur, la présentation de celui-ci constitue une forme d’aide supplémentaire.

34      En effet, d’une part, les informations préalables et concomitantes à la conclusion d’un contrat, relatives aux conditions contractuelles et aux conséquences de ladite conclusion, sont pour un consommateur d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de ces informations que ce dernier décide s’il souhaite se lier par les conditions préalablement rédigées par le professionnel (arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 64). D’autre part, l’identification du crédit le mieux adapté tend à parfaire l’information du consommateur pour lui permettre de prendre la décision finale en toute connaissance de cause. Enfin, l’obligation de fournir une telle information n’est pas de nature à remettre en cause le principe selon lequel le consommateur est responsable de la décision finale de conclure le contrat de crédit qu’il souhaite parmi ceux qui lui sont présentés par le prêteur au stade précontractuel.

35      Il résulte de ce qui précède qu’une réglementation nationale qui impose aux prêteurs ou aux intermédiaires de crédit de rechercher et de présenter au consommateur le crédit le mieux adapté à ses besoins n’excède pas la marge de manœuvre accordée aux États membres par la directive 2008/48 dans le respect des dispositions harmonisées de celle-ci.

36      Par conséquent, il convient de répondre à la première question, sous a), que l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose aux prêteurs ou aux intermédiaires de crédit l’obligation de rechercher, dans le cadre des contrats de crédits qu’ils offrent habituellement, le type et le montant du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur à la date de la conclusion du contrat et du but du crédit.

 Sur la première question, sous b), et la seconde question

37      Par sa première question, sous b), et sa seconde question, qu’il convient d’analyser ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au prêteur de s’abstenir de conclure le contrat de crédit s’il ne peut pas raisonnablement estimer, à l’issue du contrôle de la solvabilité du consommateur, que ce dernier sera en mesure de respecter les obligations découlant du contrat envisagé.

38      Il importe de préciser que, si la juridiction de renvoi ne mentionne que l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48, lesdites questions se réfèrent, essentiellement, à la vérification de la solvabilité du consommateur par le prêteur, prévue à l’article 8 paragraphe 1, de cette directive. Il convient donc, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 66 de ses conclusions, d’intégrer cette disposition parmi les instruments du droit de l’Union dont la juridiction de renvoi demande à la Cour de lui fournir une interprétation (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 45).

39      Selon l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48, les États membres veillent à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée.

40      À cet égard, la Cour a jugé que cette obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur vise à responsabiliser le prêteur et à éviter qu’il octroie un crédit à des consommateurs non solvables (arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C‑449/13, EU:C:2014:2464, point 43).

41      Ainsi, l’obligation précontractuelle du prêteur d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur, en ce qu’elle vise à protéger les consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité, contribue à la réalisation de l’objectif de la directive 2008/48, tel que rappelé au point 28 du présent arrêt.

42      Il convient de relever que la directive 2008/48 ne contient aucune disposition quant au comportement que le prêteur doit adopter en cas de doutes quant à la solvabilité du consommateur.

43      Dans ce contexte, et ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 71 de ses conclusions, la détermination des obligations qui peuvent être imposées au prêteur à la suite du contrôle de solvabilité reste, en ce qui concerne les contrats de crédit relevant de la directive 2008/48, de la compétence des États membres et n’entre donc pas dans le champ d’application de cette directive.

44      Si, comme il a été rappelé au point 29 du présent arrêt, la directive 2008/48 n’harmonise que certains aspects des règles des États membres en matière de contrats de crédit aux consommateurs, il ressort du considérant 44 de cette directive que, afin d’assurer la transparence et la stabilité du marché, et dans l’attente d’une plus ample harmonisation, les États membres devraient veiller à mettre en place des mesures appropriées de réglementation ou de contrôle applicables aux prêteurs.

45       Ainsi, assortir l’obligation du prêteur de vérifier la solvabilité du consommateur d’une conséquence juridique quant au comportement à adopter par le prêteur en cas d’évaluation négative ne porte pas atteinte à l’objectif de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48. En effet, le considérant 26 de cette directive réitère l’objectif de responsabiliser les prêteurs et de les dissuader d’octroyer des prêts de manière irresponsable.

46      Par ailleurs, la directive 2014/17, adoptée, comme le rappelle son considérant 3, en matière de prêts immobiliers aux consommateurs à la suite de la crise financière internationale qui a montré qu’un comportement irresponsable de participants au marché pouvait miner les fondements du système financier, bien que non-applicable rationae temporis et materiae, démontre la volonté du législateur de l’Union de responsabiliser les prêteurs en établissant, à son article 18, paragraphe 5, sous a), que les États membres veillent à ce que « le prêteur accorde uniquement le crédit au consommateur si le résultat de l’évaluation de la solvabilité indique que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ledit contrat ».

47      Ainsi, l’obligation, prévue par une législation nationale, pour le prêteur, de s’abstenir de conclure le contrat de crédit dans le cas où il ne peut pas raisonnablement estimer que le consommateur sera en mesure, eu égard à sa situation financière et personnelle, de rembourser le crédit conformément au contrat, n’est pas de nature à porter atteinte à l’objectif de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 ni à remettre en cause la responsabilité de principe du consommateur de veiller à ses propres intérêts.

48      Il résulte de ce qui précède qu’une réglementation nationale prévoyant l’obligation pour le prêteur de s’abstenir de conclure un contrat de crédit dans le cas où il constate l’insolvabilité du consommateur ne contrevient pas à la directive 2008/48.

49      Par conséquent, il convient de répondre à la première question, sous b), et à la seconde question que l’article 5, paragraphe 6 et l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au prêteur de s’abstenir de conclure le contrat de crédit s’il ne peut pas raisonnablement estimer, à l’issue du contrôle de la solvabilité du consommateur, que ce dernier sera en mesure de respecter les obligations découlant du contrat envisagé.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 5, paragraphe 6, de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose aux prêteurs ou aux intermédiaires de crédit l’obligation de rechercher, dans le cadre des contrats de crédits qu’ils offrent habituellement, le type et le montant du crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur à la date de la conclusion du contrat et du but du crédit.

2)      L’article 5, paragraphe 6 et l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au prêteur de s’abstenir de conclure le contrat de crédit s’il ne peut pas raisonnablement estimer, à l’issue du contrôle de la solvabilité du consommateur, que ce dernier sera en mesure de respecter les obligations découlant du contrat envisagé.

Bonichot

Toader

Rosas

Bay Larsen

 

Safjan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juin 2019.

Le greffier

Le président de la Ière chambre

A. Calot Escobar

 

J.-C. Bonichot


*      Langue de procédure : le français.