Language of document : ECLI:EU:C:2009:102

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. Ján Mazák

présentées le 19 février 2009 (1)

Affaire C‑480/06

Commission des Communautés européennes

contre

République fédérale d'Allemagne

«Marchés publics de services – Champ d’application de la directive 92/50/CEE – Procédure de passation des marchés publics de services – Raisons techniques»





I –    Introduction

1.        Par le présent recours, introduit en vertu de l’article 226 CE, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l'article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (2), au motif que les Landkreise (circonscriptions administratives) Harburg, Rotenburg (Wümme), Soltau-Fallingbostel et Stade ont conclu directement un contrat relatif à l'élimination des déchets avec les services de voirie de la ville de Hambourg et que ce contrat de services n'a pas fait l'objet d'un appel d'offres dans le cadre d'une procédure de marché ouverte ou restreinte à l'échelle de la Communauté.

2.        Les règles de procédures de passation des marchés publics de services introduites par la directive 92/50 constituent une des mesures destinées à établir le marché intérieur en contribuant à supprimer les entraves à la libre circulation des services. Il est indéniable qu’il s’agit d’une mesure bénéficiant tant au prestataire qu’au destinataire de services.

3.        En l’espèce, l’élimination des déchets constitue un service dont les destinataires sont quatre circonscriptions administratives. En réalité, le nombre de destinataires est beaucoup plus élevé. Les circonscriptions administratives sont en effet seulement des intermédiaires pour leurs habitants qui sont les destinataires finaux de ce service. Il me semble utile de rappeler que s’il devait s’avérer qu’un prestataire de services avait été choisi contrairement aux exigences découlant du droit communautaire, les intérêts les plus lésés seraient ceux de ces habitants.

II – Cadre juridique

4.        Conformément à l’article 1er, sous a), de la directive 92/50, les «marchés publics de services» sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, à l’exclusion des contrats énumérés aux points i) à ix) de cette disposition.

5.        Selon l’article 1er, sous b), de la directive 92/50:

«sont considérés comme «pouvoirs adjudicateurs», l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public. Par «organisme de droit public», on entend tout organisme:

–        créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et

–        ayant la personnalité juridique et

–        dont, soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.

[…] »

6.        Selon l’article 1er, sous c), de la directive 92/50, on entend par «prestataire de services» toute personne physique ou morale, y inclus un organisme public, qui offre des services.

7.        Aux termes de l’article 8 de la directive 92/50, les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI de cette directive. L’annexe I A vise, sous la catégorie 16, «Services de voirie et d’enlèvement des ordures : services d’assainissement et services analogues».

8.        Il ressort clairement de la structure de l’article 11 de la directive 92/50 que les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de services en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte, excepté dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du même article, dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant soit à une procédure négociée après avoir publié un avis de marché (cas visés au paragraphe 2) soit à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché (cas visés au paragraphe 3).

9.        Aux termes de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché pour les services dont l'exécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité, ne peut être confiée qu'à un prestataire déterminé.

III – Faits

10.      Le recours de la Commission concerne un contrat conclu entre les circonscriptions administratives d’Harburg, de Rotenburg (Wümme), de Soltau-Fallingbostel et de Stade (ci-après les «circonscriptions»), d’une part, et les services de voirie de la ville de Hambourg, d’autre part (ci après le «contrat litigieux»).

11.      Les circonscriptions ainsi que les services de voirie de la ville de Hambourg sont des organismes de droit public en charge de l’élimination des déchets.

12.      Le Land de Basse-Saxe dont relèvent les circonscriptions, le Land de Schleswig-Holstein ainsi que la ville libre et hanséatique de Hambourg forment la région métropolitaine de Hambourg.

13.      Le contrat litigieux a été conclu le 18 décembre 1995 directement, sans procédure de marché ouverte ou restreinte à l'échelle de la Communauté. Il ressort du préambule du contrat que les services de voirie de la ville de Hambourg ont proposé aux circonscriptions, par courrier du 30 novembre 1994, une capacité partielle de 120 000 tonnes/an sur la capacité annuelle totale de l’installation de valorisation thermique de déchets à Rugenberger Damm (ci-après l’«installation de Rugenberger Damm») et que les circonscriptions ont accepté cette offre par courrier du 6 janvier 1995.

14.       Dans le contrat litigieux, les services de voirie de la ville de Hambourg se sont engagés à mettre à la disposition des circonscriptions une capacité de 120 000 tonnes/an en vue de la valorisation thermique de déchets dans l’installation de Rugenberger Damm et les circonscriptions se sont engagées à payer aux services de voirie de la ville de Hambourg une rémunération annuelle composée d’une partie fixe et d’une partie qui est fonction de la quantité livrée.

15.      La durée prévue du contrat litigieux était de vingt ans à compter du 15 avril 1999, dès lors que, à l’époque de la conclusion du contrat, l’installation de Rugenberger Damm était à l’état de projet.

IV – Procédure précontentieuse et procédure devant la Cour

16.      La Commission a décidé d’agir à la suite de la plainte d’un citoyen qui estimait payer des redevances trop élevées pour le traitement des déchets.

17.      Considérant que, en concluant directement un contrat, dont les parties contractantes étaient les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg, relatif à l'élimination des déchets sans procédure de marché ni adjudication à l'échelle de la Communauté, la République fédérale d'Allemagne avait pu enfreindre les dispositions combinées de l'article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50, la Commission a envoyé le 30 mars 2004, conformément à l’article 226 CE, une lettre de mise en demeure à la République fédérale d’Allemagne.

18.      La République fédérale d’Allemagne a répondu par courrier du 30 juin 2004. Elle a fait valoir que, de son point de vue, le contrat litigieux était un accord sur l'exécution en commun d'une mission de service public qui incombait aux circonscriptions administratives et à la ville de Hambourg et qu’il s’agissait donc d’un cas de coopération communale.

19.      Non satisfaite des observations formulées par la République fédérale d’Allemagne, la Commission lui a adressé un avis motivé en date du 22 décembre 2004 dans lequel elle a constaté que le contrat en cause relevait du champ d’application de la directive 92/50 et que, par conséquent, la conclusion directe du contrat entre les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg avait donc enfreint ladite directive.

20.      En dépit des arguments exposés par la République fédérale d’Allemagne dans sa réponse à l’avis motivé du 25 avril 2005, la Commission a introduit le présent recours par lequel elle demande à la Cour de déclarer que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50 et de condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens de l’instance.

21.               Sur la base des arguments présentés dans son mémoire en défense et sa duplique, la République fédérale d’Allemagne demande à la Cour de rejeter le recours et de condamner la requérante aux dépens.

22.      Par ordonnance du président de la Cour du 14 juin 2007, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande ont été autorisés à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne. La République de Finlande n’a toutefois pas déposé de mémoire en intervention.

23.      La République fédérale d’Allemagne a sollicité la tenue d’une audience. Celle-ci a eu lieu le 11 novembre 2008 en présence des agents de la République fédérale d’Allemagne et de la Commission.

V –    Appréciation

24.      Dans sa requête, la Commission part de l’hypothèse que les circonscriptions sont les pouvoirs adjudicateurs au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 92/50, que les services de voirie de la ville de Hambourg sont les prestataires de services au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 92/50, et que le contrat litigieux conclu entre les circonscriptions, d’une part, et les services de voirie de la ville de Hambourg, d’autre part, est un marché public de services au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 92/50. Étant donné que le contrat litigieux a pour objet un service figurant à l’annexe I A de la directive 92/50 et qu’il ne s’agit d’aucun des cas qui justifieraient la passation de ce contrat en recourant à une procédure négociée après avoir publié un avis de marché (article 11, paragraphe 2, de la directive 92/50) ou à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché (article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50), le contrat litigieux n’aurait pu être conclu qu’en recourant, le cas échéant, à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte, au sens de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 92/50.

25.      Je me propose d’examiner le bien-fondé du grief de la Commission sous l’angle des arguments invoqués par la République fédérale d’Allemagne par lesquels elle ne conteste pas que le contrat litigieux n'a pas fait l'objet d'un appel d'offres, mais entend démontrer que les circonscriptions n’étaient pas obligées de lancer un appel d’offres en vue de conclure le contrat litigieux et ce pour quatre motifs.

26.      Premièrement, le contrat litigieux serait l’expression de la coopération entre organismes étatiques et, donc, concernerait uniquement les relations internes de l’organisation étatique dans le cadre de l’accomplissement de missions publiques. Il s’en suivrait qu’il ne relèverait pas de la directive 92/50. Deuxièmement, le contrat litigieux ne constituerait pas un contrat au sens de l’article 1er, sous a), de ladite directive. Troisièmement, même si le contrat litigieux devait être qualifié de contrat au sens de la directive 92/50, il aurait existé une raison technique au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de cette directive pour laquelle le contrat aurait pu être conclu en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. Quatrièmement, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE, il n’aurait pas été nécessaire d’engager une procédure ouverte ou restreinte étant donné qu’une telle procédure aurait empêché les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg d’accomplir leur mission.

A –    Champ d’application de la directive 92/50

27.      Pour sa défense, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que le contrat litigieux constitue une opération interne à l’État qui, en règle générale, ne relève pas de la directive 92/50. Elle estime, de même que le gouvernement néerlandais, que cette directive concerne l’attribution de marchés à des entreprises et ne s’applique que lorsque l’État a décidé qu’il ne souhaitait pas réaliser une mission lui-même mais se procurer le service correspondant sur le marché.

28.      À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a jugé que les directives en matière de passation des marchés publics (3) sont, en général, applicables lorsqu’un pouvoir adjudicateur envisage de conclure, avec une entité juridiquement distincte, un contrat à titre onéreux, que cette entité soit elle-même un pouvoir adjudicateur ou non (4). De même, cette directive s’applique également si un contrat est passé pour accomplir une mission de satisfaire des besoins d’intérêt général ou sans rapport avec cette mission (5).

29.      Cependant, selon la Cour, il existe une dérogation à cette règle générale. Les directives en matière de passation des marchés publics ne sont pas applicables, même si le cocontractant est une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, lorsque deux conditions sont remplies. D’une part, l’autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, doit exercer sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d’autre part, cette entité doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités publiques qui la détiennent (6).

30.      Ce fut d’ailleurs en vertu de cette dérogation que la Cour a considéré qu’il est impossible d’exclure a priori du champ d’application des directives en matière de passation des marchés publics les relations établies entre des institutions de droit public, quelle que soit la nature de ces relations (7).

31.      En l’espèce, il est évident que, ainsi que l’énonce la République fédérale d’Allemagne, le contrat litigieux constitue un moyen de coopération entre les organismes étatiques. Il ne résulte toutefois pas de cette seule circonstance que le contrat en question ne relève pas du champ d’application de la directive 92/50. Une conclusion contraire ne serait possible que s’il était prouvé que les deux conditions établies pour la première fois dans l’arrêt Teckal sont remplies.

32.      Ainsi que la République fédérale d’Allemagne le souligne à juste titre, il existe encore une autre possibilité pour une autorité publique relevant de la notion de «pouvoir adjudicateur» au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 92/50, d’écarter l’application de cette directive. Il s’agit d’une situation dans laquelle une autorité publique accomplit les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services. Étant donné que, dans un tel cas, il ne peut pas être question de contrat à titre onéreux conclu avec une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles communautaires en matière de marchés publics (8).

33.      Cela signifie que les autorités publiques ne sont pas obligées, dans l’accomplissement des tâches d’intérêt public, de s’adresser au marché afin d’obtenir la prestation d’un service. Elles ont la possibilité de choisir entre le recours à leurs propres moyens (dans ce cas, la directive 92/50 n’est pas applicable) ou au marché.

34.      À cet égard, je ne partage pas l’opinion de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle, en l’espèce, une coopération entre deux entités étatiques différentes s’analyserait comme l’utilisation des moyens propres du pouvoir adjudicateur. Les services de voirie de la ville de Hambourg ne peuvent pas être considérés comme les moyens propres des circonscriptions concernées qui constituent les pouvoirs adjudicateurs.

B –    Marchés publics de services au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 92/50

35.      La République fédérale d’Allemagne considère que le contrat litigieux ne constitue pas un marché public de services au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 92/50, et ce pour trois raisons (9). En premier lieu, le contrat constituerait une mesure interne de coopération plus large entre organismes étatiques dans le cadre de la région métropolitaine de Hambourg. En deuxième lieu, les services de voirie de la ville de Hambourg n’auraient pas, par rapport au contrat, la qualité de prestataire de services, mais offriraient, au contraire en tant qu’organisme de droit public responsable de l’élimination des déchets, une assistance administrative aux circonscriptions qui seraient également en charge de l’élimination des déchets. En troisième lieu, en ce qui concerne son contenu, le contrat irait au-delà d’un marché de services courant.

36.      J’estime que ces arguments ne sont pas de nature à infirmer la conclusion, selon laquelle le contrat conclu entre les quatre circonscriptions, d’une part, et les services de voirie de la ville de Hambourg, d’autre part, constitue un marché public de services au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 92/50.

37.      Il découle de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’un contrat au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 93/36 suppose l’existence d’une convention entre deux personnes distinctes (10).

38.      Cette condition est bien remplie en l’espèce. De plus, l’objet du contrat litigieux, à savoir la valorisation thermique de déchets, relève des services visés par la catégorie 16 de l’annexe I A de la directive 92/50.

39.      Dès lors que les services de voirie de la ville de Hambourg ne sauraient être considérés comme les propres moyens des circonscriptions (11), l’application de la directive 92/50 ne pourrait être exclue que si les deux conditions cumulatives pour l’application de la dérogation que j’ai mentionnées au point 29 de ces conclusions étaient remplies.

40.      Ainsi, il faut examiner si les circonscriptions exercent sur les services de voirie de la ville de Hambourg un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services et si les services de voirie de la ville de Hambourg réalisent l’essentiel de leur activité avec les circonscriptions.

41.      La Cour a été amenée à plusieurs reprises à s’interroger sur la condition relative au «contrôle analogue». Il ressort de sa jurisprudence que, pour apprécier si une autorité publique exerce sur le cocontractant un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, il convient de tenir compte non seulement de l’ensemble des dispositions législatives, mais également des circonstances pertinentes du cas d’espèce. Il doit résulter de cet examen qu’une entité adjudicataire est soumise à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d’influencer les décisions de cette entité. Il doit s’agir d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette entité (12).

42.      La République fédérale d’Allemagne a fait valoir, à cet égard, que la condition du contrôle analogue était remplie, étant donné que les circonscriptions concernées exerceraient un contrôle réciproque l’une sur l’autre au niveau de la région métropolitaine de Hambourg.

43.      Sur ce point, il convient de souligner que rien n’indique que les circonscriptions participent aux services de voirie de la ville de Hambourg et donc qu’elles exercent le contrôle sur ceux-ci.

44.      Du reste, comme la Commission le souligne à juste titre, les services de voirie n’exercent pas leurs activités en faveur des circonscriptions en vertu d’une loi ou d’autres dispositions de droit public, mais sur la base d’un contrat. Le contrat litigieux présente un unique lien juridique entre les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg et ce contrat ne donne aucune possibilité pour un contrôle de la part des circonscriptions.

45.      Selon moi, une référence générale aux objets communs est nettement insuffisante, un contrôle doit avoir un fond plus sensible.

46.      Le principe «d’un donné pour un rendu», sur lequel se fonde la coopération dans le cadre de la région métropolitaine de Hambourg selon la République fédérale d’Allemagne, permet aux circonscriptions d’exercer, tout au plus, un contrôle indirect sur les services de voirie de la ville de Hambourg.

47.      Étant donné que la première condition pour l’application de la dérogation n’est pas, à mon avis, remplie, il est inutile d’examiner si la deuxième est accomplie. Je rappelle néanmoins que l’élimination des déchets ne représente qu’une partie des activités des services de voirie de la ville de Hambourg.

48.      Eu égard à ce qui précède, je ne trouve aucun élément qui permettrait de supposer que le contrat litigieux ne constitue pas le marché public de services au sens de la directive 92/50. Cela signifie que sa passation ne pouvait intervenir que dans le respect des dispositions de ladite directive.

C –    Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché comme exception à la règle générale de procédure de passation de marché public

49.       Pour sa défense, la République fédérale d’Allemagne fait encore valoir que les circonscriptions n’auraient pu conclure le contrat litigieux qu’avec les services de voirie de la ville de Hambourg qui disposaient d’un emplacement assuré en vue de la construction d’une installation de valorisation des déchets. Le fait que dans la région métropolitaine de Hambourg il n’existait aucun autre emplacement pour la construction de telles installations et que les installations existantes ne disposaient pas de capacités disponibles constituerait une raison technique au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50 qui justifierait une passation de marché public de services en utilisant une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

50.      Il ressort clairement de la structure de l’article 11 de la directive 92/50 que son paragraphe 3 constitue une exception à la règle générale contenue dans le paragraphe 4 du même article, selon laquelle les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de services en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte.

51.      À cet égard, il convient de rappeler que, en tant que dérogation aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le traité CE dans le secteur des marchés publics de services, l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 doit faire l’objet d’une interprétation stricte et que c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (13).

52.      La Cour a déjà eu à examiner l’existence de «raisons techniques» dans l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne (14). La Cour a dit pour droit qu’une raison technique tenant à la protection de l’environnement pourrait éventuellement être prise en considération pour apprécier si le marché en question ne pouvait être confié qu’à un prestataire déterminé. Il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour n’a pas donné de définition exhaustive des raisons techniques, mais les a définies négativement en énonçant les faits qui ne constituent pas des raisons techniques au sens de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50.

53.      Dans l’arrêt du 2 juin 2005, Commission/Grèce (15), la Cour a considéré, au sujet de l’article 20, paragraphe 2, sous c), de la directive 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (16), qui comprend une règle analogue à celle énoncée à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50, que l’application de cette disposition était soumise à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, qu’il existe une spécificité technique des travaux faisant l’objet du marché et, d’autre part, que cette spécificité technique rende absolument nécessaire d’accorder ledit marché à une entreprise déterminée.

54.      J’estime, en partant de la jurisprudence citée, que la République fédérale d’Allemagne n’a pas établi que le recours à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 était justifié en l’espèce.

55.      Si l’on admettait l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne, qui est fondée sur la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets(17), cela signifierait que cette directive ferait échec au plein effet de la directive 92/50.

D –    Directive 92/50 comme élément faisant échec à l’accomplissement par les circonscriptions de la mission d’élimination des déchets

56.      La République fédérale d’Allemagne fait encore valoir que les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg, en tant qu’organismes de droit public responsables de l’élimination des déchets, ne pourraient accomplir leur mission que par la conclusion du contrat litigieux. Or, la directive 92/50 obligerait les circonscriptions à attribuer un marché au prestataire proposant les prix les plus bas ou l’offre économiquement la plus favorable dans le cadre d’une procédure ouverte ou restreinte. Ainsi, l’obligation, qui découle de la directive 92/50, de faire l’appel d'offres dans le cadre d'une procédure de marché ouverte ou restreinte, fait échec à l’accomplissement de la mission des circonscriptions et des services de voirie de la ville de Hambourg. Elle ne s’appliquerait donc pas en tant que telle, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE aux circonscriptions et aux services de voirie de la ville de Hambourg.

57.      S’agissant de l’article 86, paragraphe 2, CE, aux termes duquel les entreprises chargées de la gestion de service d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, la Cour a dit pour droit que, s'agissant d'une disposition qui permet, dans certaines circonstances, une dérogation aux règles du traité, cet article du traité était d'interprétation stricte (18) et que c’était à l’État membre ou à l’entreprise qui invoque cette disposition de démontrer que les conditions d’application sont réunies (19).

58.      J'estime que la République fédérale d’Allemagne n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe.

59.      Il apparaît que l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne est fondée, sur ce point, sur deux prémisses. Premièrement, si le contrat litigieux n’avait pas existé, ni les circonscriptions ni les services de voirie de la ville de Hambourg n’auraient pu assurer leurs missions en matière d’élimination des déchets. En effet, l’installation de Rugenberger Damm n’a pu être construite que grâce à ce contrat. Deuxièmement, le contrat litigieux n’aurait pas été conclu si les circonscriptions avaient procédé à un appel d'offres dans le cadre d'une procédure de marché ouverte ou restreinte, parce que, dans le cadre d’une telle procédure, il aurait fallu attribuer le marché au prestataire présentant les prix les plus bas ou l’offre économiquement la plus favorable.

60.      À mon avis, tant la première que la deuxième prémisse sont erronées.

61.      Je doute que le contrat litigieux ait été le seul moyen de permettre l’accomplissement de la mission dans le domaine d’élimination des déchets. Comme le relève, à juste titre, la Commission, les services de voirie de la ville de Hambourg auraient pu proposer leurs capacités libres également à d’autres preneurs (20).

62.      Je ne considère pas non plus que l’application de la procédure ouverte ou de la procédure restreinte aurait pu faire obstacle à la conclusion d’un tel contrat tel qu’il a été conclu entre les circonscriptions et les services de voirie de la ville de Hambourg, étant donné que, dans le cadre de ces procédures, un marché doit être attribué au prestataire présentant les prix les plus bas ou l’offre économiquement la plus favorable.

63.      Il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur peut se fonder pour attribuer les marchés peuvent être, lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers et variables selon le marché en question, et que chacun des critères d'attribution retenus par le pouvoir adjudicateur afin d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse ne doit pas nécessairement être de nature purement économique (21). La Cour a explicitement affirmé que le pouvoir adjudicateur pouvait tenir compte de critères relatifs à la préservation de l’environnement aux différents stades d’une procédure de passation des marchés publics (22).

VI – Conclusion

64.      Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

–        constater que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l'article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, au motif que les Landkreise Harburg, Rotenburg (Wümme), Soltau-Fallingbostel et Stade ont conclu directement un contrat relatif à l'élimination des déchets avec les services de voirie de la ville de Hambourg et que ce contrat de services n'a pas fait l'objet d'un appel d'offres dans le cadre d'une procédure de marché ouverte ou restreinte à l'échelle de la Communauté ;

–        condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens ;

–        condamner le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande, parties intervenantes, à supporter leurs propres dépens.


1 – Langue originale: le français.


2– JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 92/50».


3– Il s’agit de la directive 92/50, la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1) et la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54). Les trois directives partielles ont été abrogées et remplacées par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).


4– Voir arrêts du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121, points 50 et 51) ; du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C-26/03, Rec. p. I-1, point 47).


5– Voir, en ce sens, arrêts du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., (C-44/96, Rec. p. I-73, point 32) et Stadt Halle et RPL Lochau (cité note 4, point 26).


6– Voir arrêts Teckal (cité note 4, point 50) ; du 8 avril 2008, Commission/Italie (C-337/05, non encore publié au Recueil, point 36) et arrêts y énumérés et du 17 juillet 2008, Commission/Italie (C-371/05, non encore publié au Recueil, point 22)


7– Voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2005, Commission/Espagne (C-84/03, Rec. p. I-139, point 40).


8– Voir arrêt Stadt Halle et RPL Lochau (cité note 4, point 48).


9– Plus précisément, l’Allemagne évoque quatre raisons, mais, à mon avis, l’argument tenant à l’existence d’une «mesure interne» et celui invoquant un «élément d’une coopération plus large» sont étroitement liés.


10– Voir arrêts Teckal (cité note 4, point 49) et du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei (C-340/04, Rec. p. I-4137, point 32).


11– Voir point 34 des présentes conclusions.


12– Voir arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen (C-458/03, Rec. p. I-8585, point 65) ; Carbotermo et Consorzio Alisei (cité note 10, point 36), du 17 juillet 2008, Commission/Italie (cité note 6, point 24) et du 13 novembre 2008, Coditel Brabant (C-324/07, non encore publié au Recueil, point 28).


13– Voir arrêts du 10 avril 2003, Commission /Allemagne (C-20/01 et C-28/01, Rec. p. I-3609, point 58) et du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne (C-126/03, Rec. p. I-11197, point 23).


14– Arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne (cité note 13, points 58 – 67).


15– Arrêt du 2 juin 2005, Commission /Grèce (C-394/02, Rec. p. I-4713, point 34).


16– JO L 199, p. 84.


17– JO L 194, p. 39.


18– Voir arrêts du 17 juillet 1997, GT-Link (C-242/95, Rec. p. I-4449, point 50) et du 17 mai 2001, TNT Traco (C-340/99, Rec. p. I-04109, point 56).


19– Voir arrêts du 23 octobre 1997, Commission/France (C-159/94, Rec. p. I-5815, point 94) ; TNT Traco (cité note 18, point 59) et du 15 novembre 2007, International Mail Spain (C-162/06, Rec. p. I-9911, point 49).


20 – Enfin, une obligation des services de voirie de la ville de Hambourg, en tant que pouvoir adjudicateur au sens de l’article premier, sous b), de la directive 92/50, de lancer un appel d’offres, en cherchant la quantité manquante des déchets, aurait pu être envisagée.


21– Voir arrêt du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland (C-513/99, Rec. p. I-7213, points 53 et 55).


22– Voir arrêts Concordia Bus Finland (cité note 21, point 57) et du 10 avril 2003, Commission /Allemagne (cité note 13, point 60).