Language of document : ECLI:EU:T:2018:885

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

6 décembre 2018 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Principe de responsabilité personnelle – Absence de continuité économique – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑531/15,

Coveris Rigid France, anciennement Coveris Rigid (Auneau) France SAS, établie à Auneau (France), représentée par Mes H. Meyer-Lindemann, C. Graf York von Wartenburg et L. Stammwitz, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Biolan, F. Jimeno Fernández et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2015) 4336 final de la Commission, du 24 juin 2015, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39563 – Conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail), en ce qu’elle vise la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, président, MM. E. Bieliūnas (rapporteur) et A. Kornezov, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Coveris Rigid France, est un producteur d’emballages souples qui fournit une série de solutions de conditionnement. Elle était connue sous le nom de Polarcup France S.A. jusqu’en 2001, puis sous le nom de Huhtamäki France S.A. jusqu’au 21 décembre 2007, puis Huhtamäki France SAS jusqu’au 7 février 2011, puis Paccor France SAS jusqu’au 4 février 2014, puis Coveris Rigid (Auneau) France SAS jusqu’au 31 décembre 2015, date à laquelle elle est devenue Coveris Rigid France (ci-après, indifféremment, « Coveris » ou la « requérante »).

2        Coveris était une filiale indirectement détenue à 100 % par Huhtamäki Oyj, la société faîtière du groupe Huhtamäki, lequel fabrique et fournit divers produits de conditionnement alimentaire.

3        Le 19 juin 2006, les actifs de Coveris dans le domaine des barquettes plastiques en mousse de polystyrène expansé ou extrudé (ci-après les « barquettes en polystyrène ») ont été vendus à ONO Packaging SAS (ci-après « ONO Packaging »). Le 22 décembre 2010, Coveris a été vendue à Island Acquisitions S.à.r.l., une filiale de Sun European Partners LLP.

4        Huhtamäki Embalagens Portugal SA (ci-après « Huhtamäki Embalagens ») était une autre filiale du groupe Huhtamäki également indirectement détenue à 100 % par Huhtamäki Oyj. Le 19 juin 2006 également, toutes les parts sociales de Huhtamäki Embalagens ont été vendues à ONO Développement SAS, la société mère de ONO Packaging (ci-après « ONO Développement »). Le même jour, Huhtamäki Embalagens a changé son nom en ONO Packaging Portugal S.A. (ci-après « ONO Packaging Portugal »).

5        Le 18 mars 2008, la société Linpac Group Ltd, à savoir la société faîtière du groupe Linpac, lequel est spécialisé dans la fourniture de divers produits de conditionnement alimentaire, a déposé une demande d’immunité auprès de la Commission européenne au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).

6        Les 4 et 6 juin 2008, la Commission a procédé, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs sociétés opérant dans le secteur du conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail.

7        Le 21 septembre 2012, la Commission a adopté une communication des griefs, laquelle a été notamment notifiée à la requérante. Une audition s’est tenue du 10 au 12 juin 2013.

8        Le 24 juin 2015, la Commission a adopté la décision C(2015) 4336 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39563 – Conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail) (ci-après la « décision attaquée »).

9        Par la décision attaquée, la Commission a constaté que des sociétés actives dans le secteur du conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail avaient, au cours de périodes comprises entre 2000 et 2008, participé à cinq infractions distinctes. Celles-ci ont été délimitées selon la zone géographique concernée, à savoir l’Italie, l’Europe du Sud-Ouest (ci-après l’« ESO »), l’Europe du Nord-Ouest, l’Europe centrale et orientale et la France.

10      Les produits concernés par la décision attaquée sont des barquettes servant au conditionnement d’aliments destinés à la vente au détail en polystyrène et, en ce qui concerne l’entente en ENO, des barquettes plastiques en polypropylène rigide.

11      La présente affaire ne concerne qu’une des cinq infractions mentionnées au point 9 ci-dessus, à savoir l’infraction commise en France.

12      Le dispositif de la décision attaquée comprend les dispositions suivantes :

« Article premier

[…]

(5)       Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 [TFUE] en participant, au cours des périodes mentionnées, à une infraction unique et continue, constituée par plusieurs infractions distinctes, ayant trait à des barquettes en polystyrène destinées au secteur du conditionnement alimentaire pour la vente au détail et couvrant le territoire de la France :

[…]

(d)       [Coveris Rigid (Auneau) France SAS] et Huhtamäki Oyj, du 3 septembre 2004 au 24 novembre 2005 ;

[…]

Article 2

[…]

5.       Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article premier, paragraphe 5 :

[…]

(d)       [Coveris Rigid (Auneau) France SAS] et Huhtamäki Oyj, conjointement et solidairement : [4 756 000 euros] ;

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2015, la requérante a introduit le présent recours.

14      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a posé des questions écrites aux parties. Les parties ont répondu aux questions écrites dans les délais impartis.

15      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans un délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 5, de la décision attaquée, dans la mesure où il établit que Coveris a violé l’article 101 TFUE en participant, durant la période indiquée à l’article 1er, paragraphe 5, sous d), de cette décision, à une infraction unique et continue consistant en plusieurs infractions dans le secteur des barquettes en polystyrène pour le conditionnement alimentaire destiné à la vente au détail et couvrant le territoire français ;

–        annuler l’article 2, paragraphe 5, de la décision attaquée, dans la mesure où il inflige à Coveris une amende de 4 756 000 euros ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      À l’appui de son recours la requérante soulève deux moyens. Le premier moyen est tiré de l’application incorrecte du principe de responsabilité personnelle et le second moyen est tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

 Sur le premier moyen, tiré de l’application incorrecte du principe de responsabilité personnelle

19      La requérante soutient, en substance, que la Commission a appliqué de manière incorrecte le principe de responsabilité personnelle en considérant qu’elle était responsable de l’infraction unique et continue concernant les barquettes en polystyrène et couvrant le territoire de la France. Selon elle, la Commission aurait dû tenir ONO Packaging pour responsable de l’infraction en France, soit sur la base d’une approche holistique englobant les deux transactions du 19 juin 2006, à savoir, d’une part, la vente de certains actifs de Coveris et, d’autre part, la vente des actions de ONO Packaging Portugal (voir points 3 et 4 ci-dessus), soit sur la base du principe de continuité économique.

20      La Commission s’oppose à l’argumentation de la requérante.

21      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de la concurrence de l’Union européenne vise les activités des entreprises, et la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Lorsqu’une telle entité enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 39 et jurisprudence citée).

22      En l’espèce, Coveris ne conteste pas le constat opéré dans la décision attaquée selon lequel elle a directement participé à l’infraction unique et continue couvrant le territoire de la France pendant la période infractionnelle allant du 3 septembre 2004 au 24 novembre 2005.

23      Par ailleurs, il ressort du dossier que, le 19 juin 2006, ONO Packaging a acheté des actifs de Coveris dédiés à la production française de barquettes en polystyrène (voir point 3 ci-dessus).

24      Il ressort également du dossier que, même si, comme le souligne la requérante, après ce transfert d’une partie de ses actifs à ONO Packaging, Coveris a cessé d’être active sur le marché des barquettes en polystyrène, elle a continué à exister juridiquement et économiquement.

25      Ainsi, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 21 ci-dessus, la Commission était en droit, en vertu du principe de responsabilité personnelle, de tenir Coveris pour responsable de l’infraction commise en France.

26      Aucun des arguments avancés par la requérante n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

27      En premier lieu, la requérante soutient que, sous l’angle du droit des sociétés, Coveris et ONO Packaging Portugal ont été des sociétés sœurs chapeautées par la société faîtière Huhtamäki Oyj. Ainsi, les deux transactions du 19 juin 2006, à savoir la vente d’actifs de Coveris et la vente d’actions d’ONO Packaging Portugal, auraient constitué deux parties d’une seule et même opération et d’une seule et même concentration. Il serait donc artificiel de faire une distinction entre elles.

28      D’une part, il convient de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de la décision attaquée que Coveris était le participant direct à l’infraction commise en France. Huhtamäki Oyj détenait indirectement 100 % des actions de Coveris pendant toute la durée de cette infraction. Ainsi, la Commission a tenu Coveris et Huhtamäki Oyj pour solidairement responsables de l’infraction commise en France.

29      D’autre part, il ressort de la décision attaquée qu’ONO Packaging Portugal était le participant direct à l’infraction commise en ESO pendant la période infractionnelle allant du 7 décembre 2000 au 18 janvier 2005. Huhtamäki Oyj détenait indirectement 100 % des actions d’ONO Packaging Portugal pendant toute la durée de l’infraction. Ainsi, la Commission a tenu ONO Packaging Portugal et Huhtamäki Oyj pour solidairement responsables de l’infraction commise en ESO.

30      Par conséquent, ONO Packaging Portugal ne faisait pas partie de l’entreprise tenue pour responsable de l’infraction commise en France.

31      Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, il est sans pertinence que, du point de vue du droit des sociétés, Coveris et ONO Packaging Portugal aient fait partie du groupe Huhtamäki.

32      En effet, le simple fait que le capital social de deux sociétés commerciales distinctes appartient à une même société faîtière n’est pas suffisant, en tant que tel, pour établir l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit de l’Union de la concurrence, que les agissements de l’une peuvent être imputés à l’autre et que l’une peut être tenue de payer une amende pour l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, EU:C:2003:529, point 99).

33      Enfin, le fait que, sous l’angle du droit des sociétés, les deux transactions, à savoir la vente d’actifs de Coveris et la vente d’actions de ONO Packaging Portugal, pourraient constituer une seule et même opération et le fait que, selon les règles du contrôle des concentrations, ces transactions ont été traitées comme étant une seule et même concentration, comme le soutient la requérante, sont également sans pertinence, eu égard au fait que, aux fins de l’application des règles de concurrence de l’Union, seule la détermination de l’entreprise responsable de l’infraction commise en France est importante. En effet, il ressort de la jurisprudence que l’objectif et la motivation économique de telles opérations sont, dans le cadre de l’appréciation de la responsabilité personnelle, dénués de pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin/Commission, T‑146/09 RENV, EU:T:2016:411, point 47).

34      Partant, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré du caractère artificiel de la distinction entre les deux transactions du 19 juin 2006.

35      En deuxième lieu, la requérante soutient que les deux transactions concernent une opération mixte comprenant à la fois des aspects de cession d’actifs et de cession d’actions. Ainsi, cela justifierait une approche holistique à l’égard des conséquences juridiques d’un comportement antérieur des sociétés concernées. Selon la requérante, cette approche permettrait de ne pas scinder l’entreprise sur la base de critères purement formels.

36      La requérante en déduit que la responsabilité des infractions alléguées commises par la branche d’activité du groupe Huhtamäki dédiées aux barquettes en polystyrène en ESO n’aurait pas dû être scindée en deux entités juridiques, à savoir Coveris et ONO Packaging Portugal, faisant partie d’entreprises distinctes, mais aurait plutôt dû être entièrement imputée aux entités juridiques qui, après les transactions du 19 juin 2006, continuaient à former une entreprise chapeautée par ONO Développement, à savoir ONO Packaging et ONO Packaging Portugal.

37      À cet égard, il convient d’observer que l’argument de la requérante afférent à la nécessité, en l’espèce, d’adopter une approche holistique est fondé sur la prémisse que les deux transactions ont eu lieu dans le cadre du transfert d’une seule et même entreprise composée de Coveris et d’ONO Packaging Portugal et que, après comme avant ce transfert, ces deux sociétés ne formaient qu’une seule et même entreprise, à savoir d’abord au sein du groupe Huhtamäki, puis au sein du groupe ONO.

38      Or, dans le cadre de l’attribution de la responsabilité de l’infraction commise en France, les circonstances qui entourent la vente des actions d’ONO Packaging Portugal, anciennement Huhtamäki Embalagens, sont sans aucune pertinence, étant donné que cette société ne faisait pas partie de l’entreprise tenue pour responsable de cette infraction, comme cela a été déjà conclu au point 30 ci-dessus. Par ailleurs, Coveris a uniquement vendu certains actifs à ONO Packaging, mais en tant que société, elle a continué à faire partie du groupe Huhtamäki (voir point 3 ci-dessus).

39      En tout état de cause, concernant l’argument de la requérante selon lequel, à l’issue de l’adoption d’une approche holistique, c’est ONO Packaging, au lieu de Coveris, qui aurait dû être tenue responsable de l’infraction commise en France, il convient d’observer que s’agissant de la question de savoir dans quelles circonstances une entité qui n’est pas l’auteur de l’infraction peut néanmoins être sanctionnée pour celle-ci, il y a lieu de constater que la situation dans laquelle l’entité ayant commis l’infraction a cessé d’exister juridiquement ou économiquement relève d’une telle hypothèse (arrêt du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, EU:C:2007:775, point 40).

40      Par conséquent, lorsque des actifs d’une entité juridique ayant participé à l’infraction sont transférés à des entreprises indépendantes, la responsabilité suit ces actifs uniquement dans le cas exceptionnel où l’entité juridique qui détenait ces actifs a cessé d’exister juridiquement ou a cessé toute activité économique.

41      Or, il est constant que Coveris n’a cessé d’exister ni juridiquement ni économiquement.

42      Certes, lorsqu’une entité ayant commis une infraction aux règles de la concurrence fait l’objet d’un changement juridique ou organisationnel, ce changement n’a pas nécessairement pour effet de créer une nouvelle entreprise dégagée de la responsabilité des comportements contraires aux règles de la concurrence de la précédente entité si, du point de vue économique, il y a identité entre les deux entités. En effet, si des entreprises pouvaient échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité ait été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels, l’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait compromis (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 40 et jurisprudence citée).

43      Ainsi, lorsque deux entités constituent une même entité économique, le fait que l’entité ayant commis l’infraction existe encore n’empêche pas, par lui-même, que soit sanctionnée l’entité à laquelle elle a transféré ses activités économiques. En particulier, une telle mise en œuvre de la sanction est admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne et ont, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, appliqué pour l’essentiel les mêmes directives commerciales (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 41 et jurisprudence citée).

44      Or, la requérante n’apporte pas la preuve que la cession des actifs de Coveris a été réalisée à l’intérieur d’un même groupe. En effet, le cédant et le cessionnaire, à savoir Coveris et ONO Packaging, n’entretenaient pas de liens structurels au moment de la cession des actifs en cause.

45      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence susmentionnée au point 43 et en particulier des termes « n’empêche pas » et « admissible », que, même s’il existait des liens structurels entre Coveris et ONO Packaging au moment de la cession des actifs, la Commission disposait d’une large marge d’appréciation quant à l’attribution de responsabilité en cas de succession économique intragroupe.

46      Ainsi, l’argument de la requérante tiré d’une approche holistique ne saurait prospérer.

47      En troisième lieu, la requérante soutient que les circonstances exceptionnelles de l’espèce justifiaient une dérogation au principe de responsabilité personnelle et donc qu’un examen isolé de la cession d’actifs de Coveris à ONO Packaging aurait dû conduire à l’attribution de la responsabilité de l’infraction commise en France à ONO Packaging sur la base du principe de continuité économique. Selon elle, une situation telle que celle de l’espèce, à savoir quand une partie de la société a été reprise par ses salariés, pourrait être assimilée à une restructuration interne du fait de la continuité entre le cédant et le cessionnaire des actifs en question.

48      À cet égard, en ce qui concerne l’application du principe de continuité économique au cas d’espèce, il suffit de renvoyer aux points 39 à 45 ci-dessus.

49      Quant à l’argument selon lequel la reprise d’une partie des actifs de la société par ses salariés pourrait être assimilée à une restructuration interne, il convient d’observer, sans se prononcer sur la question de savoir si la situation en l’espèce, dans laquelle, en particulier, deux anciens employés de Coveris ont des participations de 8 % chacun dans ONO Développement, pourrait être assimilée à une restructuration interne, ce qui a priori ne semble pas être le cas, que le critère de la continuité économique ne doit pas se substituer au principe de responsabilité personnelle, mais seulement le compléter, si nécessaire, afin de sanctionner les ententes d’une manière qui soit à la fois proportionnée à la faute et efficace et de contribuer ainsi à la mise en œuvre effective des règles de la concurrence de l’Union. En conséquence, le recours au critère de la continuité économique doit garder un caractère exceptionnel (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ETI e.a., C‑280/06, EU:C:2007:404, point 81). En outre, dans la mise en œuvre du principe de continuité économique, les facteurs subjectifs, telle, en l’espèce, la perception par la requérante que la reprise d’une partie des actifs de la société par ses salariés doit être regardée comme étant une restructuration interne, sont incompatibles avec une application transparente et prévisible de ce principe (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 53).

50      À titre surabondant, il convient d’observer que, en présence d’un risque de contournement de la mise en œuvre effective des règles de la concurrence de l’Union, une exception au principe de responsabilité personnelle pourrait certes être justifiée dans des limites étroites, y compris dans les cas de transfert d’actifs entre deux entreprises indépendantes lorsque l’entité juridique responsable de l’infraction n’a pas cessé d’exister juridiquement ou économiquement.

51      Toutefois, le critère de la continuité économique et, partant, l’imputation d’une infraction à un tel cessionnaire pourrait être admise uniquement si la transaction avait eu lieu entre deux entreprises indépendantes agissant de mauvaise foi, notamment, dans l’intention d’échapper aux sanctions prévues par des règles de concurrence de l’Union (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ETI e.a., C‑280/06, EU:C:2007:404, points 82 et 83).

52      Or, sur la base des informations qui ont été fournies au Tribunal dans la présente affaire, il n’est pas possible de conclure à l’existence de manœuvres spécifiques dans le but d’échapper à des sanctions infligées pour violation des règles de la concurrence.

53      Ainsi, en l’espèce, il n’existe aucune circonstance exceptionnelle qui pouvait justifier que la Commission se départît du principe de responsabilité personnelle. Au moment de l’adoption de la décision attaquée, Coveris existait juridiquement et économiquement. Ainsi, la Commission était en droit de la tenir responsable de l’infraction en cause.

54      L’argument tiré de l’existence de circonstances exceptionnelles, ainsi que le premier moyen dans son ensemble, doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

55      La requérante soutient, en substance, que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle a fait une distinction entre la cession d’actifs et la cession d’actions et a ainsi attribué la responsabilité des infractions à Coveris et à ONO Packaging Portugal, deux entités juridiques appartenant à des entreprises distinctes, bien que les infractions en France et en ESO auraient été commises, selon elle, par une seule et même entreprise, laquelle serait restée intacte à la suite des deux transactions du 19 juin 2006.

56      La Commission s’oppose à l’argumentation de la requérante.

57      À cet égard, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit au respect duquel la Commission est tenue dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 101 TFUE et qui s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2012, GDF Suez/Commission, T‑370/09, EU:T:2012:333, point 386).

58      En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que l’argumentation de la requérante n’est pas autonome dans la mesure où elle est fondée sur la prémisse que Coveris et ONO Packaging Portugal constituaient une seule et même entreprise. Or, ainsi qu’il ressort du point 30 ci-dessus, ONO Packaging Portugal ne faisait pas partie de l’entreprise tenue pour responsable de l’infraction commise en France.

59      En outre, le fait que la cession d’actions et la cession d’actifs étaient étroitement liées ou que ces deux transactions avaient le même objectif, à savoir transférer les activités, dans le secteur des barquettes en polystyrène dans la région concernée, du groupe Huhtamäki à ONO Développement est dépourvu de pertinence, étant donné que le but de ces transactions et la motivation économique les entourant ne peuvent être pris en considération pour procéder à la comparaison objective de ces deux transactions.

60      Enfin, la situation de Coveris et celle de ONO Packaging Portugal ne peuvent être qualifiées de comparables. En effet, d’une part, ces deux entités ont été tenues pour responsables de deux infractions distinctes. D’autre part, une cession d’actifs et une cession d’actions sont deux transactions différentes par leur nature.

61      En tout état de cause, il convient de constater que la Commission a attribué la responsabilité à Coveris et à Ono Packaging Portugal selon le principe de responsabilité personnelle. En effet, pour l’infraction commise en France comme pour l’infraction commise en ESO, la Commission a tenu pour responsables les entités directement impliquées dans chacune des deux infractions.

62      Par conséquent, le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble doivent être rejetés comme étant non fondés.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Coveris Rigid France est condamnée aux dépens.

Tomljenović

Bieliūnas

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 décembre 2018.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais