Language of document : ECLI:EU:C:2020:50

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

28 janvier 2020 (*)

« Pourvoi – Intervention – Intérêt à la solution du litige – Absence »

Dans l’affaire C‑689/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 septembre 2019,

VodafoneZiggo Group BV, établie à Utrecht (Pays-Bas), représentée par Mes W. Knibbeler, A. Pliego Selie et B. Verheijen, advocaten,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mme L. Nicolae et M. G. Braun, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

vu la proposition de M. I. Jarukaitis, juge rapporteur,

l’avocat général, M. G. Pitruzzella, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, VodafoneZiggo Group BV (ci-après « VodafoneZiggo ») demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 9 juillet 2019, VodafoneZiggo Group/Commission (T‑660/18, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2019:546), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l’annulation de la lettre du 30 août 2018 de la Commission européenne, adressée à l’Autoriteit Consument en Markt (Autorité des consommateurs et des marchés, Pays-Bas, ci-après l’« ACM »), et contenant ses observations sur un projet de mesures mis à sa disposition par l’ACM, relatives au marché de la fourniture en gros d’accès en position déterminée aux Pays-Bas (affaires NL/2018/2099 et NL/2018/2010) [C(2018) 5848 final, ci-après la « lettre litigieuse »].

2        Par acte déposé au greffe de la Cour le 11 novembre 2019, T-Mobile Netherlands Holding BV, T-Mobile Netherlands BV, T-Mobile Thuis BV et Tele2 Nederland BV (ci-après, ensemble, « TMNL ») ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

3        Cette demande a été présentée sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que des articles 129 et 130 du règlement de procédure de la Cour.

4        Par lettre du 29 novembre 2019, déposée au greffe de la Cour le 2 décembre 2019, VodafoneZiggo a présenté ses observations écrites sur cette demande, en concluant au rejet de celle-ci, au motif que l’intérêt de TMNL à la solution du présent litige n’est ni direct ni actuel, celui-ci ne portant que sur la question de la recevabilité du recours en annulation qui avait été porté devant le Tribunal, ainsi qu’à la condamnation de TMNL aux dépens liés à ladite demande.

5        La Commission n’a pas déposé d’observations sur la demande en intervention.

 Sur la demande en intervention

6        En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis à la Cour, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre ces États et lesdites institutions, est en droit d’intervenir dans ce litige.

7        Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt au regard des moyens ou des arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de la décision mettant fin à l’instance (voir, notamment, ordonnances du président de la Cour du 27 février 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, non publiée, EU:C:2015:135, point 7 ainsi que jurisprudence citée, et du 13 novembre 2019, Commission/Italie et Fondo interbancario di tutela dei depositi, C‑425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980, point 10). Il s’agit ainsi, plus précisément, d’un intérêt direct et actuel à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la partie que le demandeur en intervention se propose de soutenir (voir ordonnance du vice-président de la Cour du 11 juillet 2013, Commission/DEI, C‑553/12 P, non publiée, EU:C:2013:680, point 7 et jurisprudence citée).

8        À cet égard, il convient notamment de vérifier que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (voir, notamment, ordonnances du président de la Cour du 9 octobre 2018, PGNiG Supply & Trading/Commission, C‑117/18 P, non publiée, EU:C:2018:897, point 6, ainsi que du 9 octobre 2019, Région de Bruxelles-Capitale/Commission, C‑352/19 P, non publiée, EU:C:2019:856, point 7 et jurisprudence citée).

9        Il y a également lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une partie qui, au titre de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, est admise à intervenir à un litige soumis à cette dernière ne peut pas modifier l’objet du litige tel que circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Il s’ensuit que seuls les arguments d’un intervenant qui s’inscrivent dans le cadre défini par ces conclusions et ces moyens sont recevables. Ainsi, c’est en tenant compte, notamment, de l’objet du litige sur pourvoi, tel qu’il ressort des conclusions des parties principales et des moyens avancés au soutien de ces conclusions, qu’il y a lieu d’apprécier l’intérêt d’un demandeur à intervenir à la solution de ce litige (ordonnance du président de la Cour du 27 février 2019, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, non publiée, EU:C:2019:174, point 9).

10      En l’espèce, le pourvoi tend à l’annulation de l’ordonnance attaquée par laquelle le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours en annulation de la lettre litigieuse introduit par VodafoneZiggo sur le fondement de l’article 263 TFUE au motif que cette lettre ne produit pas d’effets juridiques contraignants de nature à affecter les intérêts de celle-ci en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique et, partant, ne constitue pas un acte attaquable, au sens de cet article.

11      Par la lettre litigieuse, adoptée en vertu de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37), la Commission a fait part à l’ACM de ses observations sur le projet de mesures envisagées par cette autorité concernant l’analyse du marché de la fourniture en gros d’accès en position déterminée aux Pays-Bas. Il ressort de ce projet que ladite autorité considérait que deux opérateurs, dont VodafoneZiggo, disposaient sur ce marché d’une puissance significative conjointe et proposait de leur imposer des obligations réglementaires spécifiques conformément à l’article 16 de la directive-cadre.

12      À la suite de cette lettre, l’ACM a, le 27 septembre 2018, adopté une décision relative à l’analyse du marché de la fourniture en gros d’accès en position déterminée aux Pays-Bas, désignant deux opérateurs, dont VodafoneZiggo, comme disposant d’une puissance significative conjointe sur ce marché et leur imposant des obligations réglementaires spécifiques (ci-après la « décision de l’ACM »).

13      À l’appui de sa demande en intervention, TMNL fait observer, à titre liminaire, que, en tant que fournisseur de services de télécommunications fixes et mobiles aux Pays-Bas, elle est, s’agissant de la fourniture de services en position déterminée à ses propres clients, dépendante des services d’accès en gros, qu’elle se procure actuellement auprès du premier de ces deux opérateurs et qu’elle souhaite se procurer également auprès du second, VodafoneZiggo, avec lequel elle est en négociation à cet égard. Elle ajoute, d’une part, avoir la qualité de partie intéressée dans le recours qui a été introduit par VodafoneZiggo contre la décision de l’ACM devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas), dans lequel elle conclut au rejet de celui-ci, et, d’autre part, avoir elle-même introduit un recours contre cette décision devant cette juridiction, afin d’obtenir que des obligations réglementaires plus strictes soient imposées aux opérateurs concernés.

14      TMNL soutient que, dans ce contexte, elle dispose d’un intérêt à la solution du présent litige, dès lors que sa situation juridique et économique pourrait être directement affectée par le dispositif de la décision de la Cour à intervenir. Le pourvoi introduit par VodafoneZiggo pourrait, en effet, conduire à l’annulation de l’ordonnance attaquée et, par suite, à l’annulation, totale ou partielle, de la lettre litigieuse. Par ailleurs, il ne pourrait pas être exclu qu’une telle décision de la Cour soit considérée comme un élément pertinent dans le cadre des recours pendants aux Pays-Bas et puisse même entraîner une modification, voire l’annulation, de la décision de l’ACM. Une telle issue porterait directement atteinte à ses intérêts, dès lors que les opérateurs visés par la décision de l’ACM, dont VodafoneZiggo, ne seraient alors plus tenus de lui fournir en gros des services d’accès en position déterminée.

15      En outre, TMNL fait valoir que, même à supposer qu’une issue favorable au pourvoi formé par VodafoneZiggo ne modifie pas directement les décisions qui seront prononcées dans les litiges portés devant la juridiction nationale, elle conserve un intérêt à la solution de la présente affaire. En effet, que la Cour se prononce sur la seule question de la recevabilité du recours porté devant le Tribunal ou bien qu’elle aborde également le fond, le fait que le pourvoi soit accueilli aurait certainement pour effet de prolonger la période d’insécurité juridique s’agissant du point de savoir si la décision de l’ACM demeurera en vigueur, ce qui pourrait, par exemple, conduire l’ACM à entreprendre de manière anticipée une nouvelle analyse en vue de l’adoption d’une nouvelle décision en matière de fourniture en gros d’accès en position déterminée.

16      TMNL aurait d’ailleurs tout intérêt à ce que la sécurité juridique soit acquise aussi tôt que possible et, par conséquent, à ce que le pourvoi soit rejeté, cette insécurité juridique ayant un effet négatif sur sa situation juridique et économique. En particulier, tant que l’affaire est pendante, il existerait un risque que les services réglementés d’accès en gros, dont TMNL dépend pour fournir ses propres services, soient supprimés ou modifiés. Une telle incertitude porterait atteinte à sa capacité de s’engager à promouvoir des services de détail fondés sur cet accès en gros ou à réaliser les investissements nécessaires pour offrir des services de détail attractifs. Cela la placerait également dans une position concurrentielle désavantageuse par rapport aux deux opérateurs concernés, dont VodafoneZiggo, ces opérateurs offrant déjà, ou étant déjà en mesure d’offrir, de tels services au moyen de leurs propres réseaux.

17      À cet égard, il convient de relever que TMNL demande à intervenir au soutien des conclusions de la Commission visant au rejet du pourvoi et qu’elle ne peut, par cette demande, conformément à la jurisprudence rappelée au point 9 de la présente ordonnance, modifier l’objet du litige tel qu’il est circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Or, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal ne s’est prononcé que sur l’exception d’irrecevabilité qui avait été soulevée devant lui par la Commission au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal et s’est limité à examiner la première fin de non-recevoir soulevée par celle-ci, tirée de ce que la lettre litigieuse ne constituerait pas un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.

18      Par conséquent, eu égard à l’objet du litige dont la Cour est saisie par le présent pourvoi, la décision de la Cour à intervenir portera uniquement sur cette question de recevabilité du recours en annulation qui avait été examinée par le Tribunal, et non sur la question de savoir si la demande d’annulation de cette lettre est ou non fondée. Ainsi, ce n’est que si TMNL établit avoir un intérêt direct et actuel à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la Commission tendant au rejet de ce pourvoi qu’elle est en droit d’intervenir dans la présente instance. En effet, il convient d’ajouter, à cet égard, que, dans l’hypothèse où l’ordonnance attaquée serait annulée par la Cour, l’affaire ne saurait être considérée comme étant en état d’être jugée sur le fond, conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, dès lors que le Tribunal a statué au titre de l’article 130 de son règlement de procédure, sans engager le débat au fond, et que la Commission n’a, de ce fait, pas formulé de conclusions relatives au fond.

19      Or, par son argumentation, TMNL ne soutient pas avoir un intérêt à ce que le pourvoi soit rejeté au motif que le Tribunal était fondé à considérer que la décision litigieuse ne constitue pas un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, mais allègue, en substance, qu’elle a un intérêt à la solution du litige en raison des conséquences sur ses intérêts commerciaux que pourrait avoir une décision sur les questions de fond que soulève le recours en annulation présenté devant le Tribunal.

20      Il convient d’ailleurs de souligner, eu égard au fait que TMNL cherche à intervenir au soutien des conclusions de la Commission visant au rejet du pourvoi, que, si la Cour fait droit à ces conclusions, le litige sera définitivement réglé dans le sens souhaité par cette demanderesse à intervenir. Si, en revanche, l’ordonnance attaquée est annulée, le litige se poursuivra au fond devant le Tribunal. Or, l’intérêt que l’argumentation de TMNL pourrait éventuellement établir dans le chef de celle-ci se rapporte à la solution qui serait retenue, le cas échéant, lors de cet examen du fond de l’affaire et donc à la solution du litige dont le Tribunal viendrait à être saisi dans cette hypothèse, et non à la solution qui sera retenue dans le cadre de la présente procédure sur pourvoi (voir, en ce sens et par analogie, ordonnances du président de la Cour du 27 février 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, non publiée, EU:C:2015:135, point 11, ainsi que du 7 mars 2019, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C‑572/18 P, non publiée, EU:C:2019:188, point 11).

21      En outre, l’atteinte à la situation juridique et économique de TMNL, résultant prétendument de l’insécurité juridique qui découlerait du fait que cette procédure sur pourvoi est pendante, présente un caractère tout à fait général, propre à toute procédure juridictionnelle, et ne permet pas d’établir l’existence d’un intérêt direct et certain au sort réservé aux conclusions présentées par les parties dans le cadre du présent litige, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 7 et 8 de la présente ordonnance (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 9 octobre 2019, Région de Bruxelles-Capitale/Commission, C‑352/19 P, non publiée, EU:C:2019:856, point 14). Au demeurant, TMNL n’établit pas que son intervention dans la présente affaire pourrait en accélérer la résolution.

22      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que TMNL n’a pas démontré avoir un intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Sa demande en intervention doit, par conséquent, être rejetée.

 Sur les dépens

23      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. VodafoneZiggo ayant conclu à la condamnation de TMNL aux dépens et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par VodafoneZiggo.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

1)      La demande en intervention présentée par T-Mobile Netherlands Holding BV, T-Mobile Netherlands BV, T-Mobile Thuis BV et Tele2 Nederland BV est rejetée.

2)      T-Mobile Netherlands Holding BV, T-Mobile Netherlands BV, T-Mobile Thuis BV et Tele2 Nederland BV sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par VodafoneZiggo Group BV.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.