ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
3 juin 1999 (1)
«Aides d'État Télévisions publiques Plainte Recours en carence
Obligation d'instruction de la Commission Délai Procédure de l'article 88,
paragraphe 2, CE (ex-article 93, paragraphe 2) Difficultés sérieuses Article
81 CE (ex-article 85) Mise en demeure Prise de position Article 86 CE
(ex-article 90) Recevabilité»
Dans l'affaire T-17/96,
Télévision française 1 SA (TF1), société de droit français, établie à Paris,
représentée par Mes Georges Vandersanden, Jean-Paul Hordies et Agnès Maqua,
avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la
fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gérard Rozet,
conseiller juridique, et Klaus Wiedner, membre du service juridique, en qualité
d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz,
membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
soutenue par
République française, représentée par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la
direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et
MM. Philippe Martinet, secrétaire des affaires étrangères, et Frédérik Million, en
qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de
France, 8 B, boulevard Joseph II,
ayant pour objet, à titre principal, une demande fondée sur l'article 232 CE
(ex-article 175) visant à faire constater que la Commission a manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu de ce traité en s'abstenant de prendre
position sur la plainte formulée par la requérante contre la République française
concernant la compatibilité des modes de financement des chaînes de télévision
publiques, France 2 et France 3 (France-Télévision), avec les articles 81 CE
(ex-article 85), 86, paragraphe 1, CE (ex-article 90, paragraphe 1) et 92 du traité
CE (devenu, après modification, article 87 CE), et, à titre subsidiaire, une demande
fondée sur l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE),
visant à l'annulation de la prétendue décision de rejet de la plainte de la
requérante contenue dans une lettre de la Commission du 11 décembre 1995,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),
composé de MM. M. Jaeger, président, K. Lenaerts, Mme V. Tiili, MM. J. Azizi et
P. Mengozzi, juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 novembre 1998,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
- 1.
- Soumise au monopole de l'État jusqu'en 1982, la télédiffusion en France a, depuis
lors, fait l'objet d'une libéralisation progressive. Aujourd'hui, le paysage audiovisuel
français comprend, à côté du secteur public composé des chaînes publiques
France 2 et France 3 (ces deux chaînes constituant le groupe France-Télévision, ci-après «France-Télévision»), plusieurs sociétés privées de télévision.
- 2.
- Tandis que le financement du secteur privé de la télévision est exclusivement
alimenté par des recettes provenant de la publicité (publicité proprement dite,
parrainage de programme, émissions de télé-achat), les chaînes publiques disposent
non seulement de recettes issues de la publicité, mais également de divers
financements publics (répartition du produit de la redevance audiovisuelle,
dotations budgétaires spécifiques, subventions, etc.).
- 3.
- Le 10 mars 1993, la requérante, Télévision française 1 SA (TF1) a saisi la
Commission d'une plainte, dirigée contre les modes de financement et
d'exploitation des chaînes de France-Télévision. Il est constant que cette plainte
dénonçait expressément des violations des articles 81 CE (ex-article 85), 86,
paragraphe 1, CE (ex-article 90, paragraphe 1) et 92 du traité CE (devenu, après
modification, article 87 CE), nommément cités.
- 4.
- Le 16 juillet 1993, la Commission a adressé une demande de renseignements à la
requérante, laquelle y a répondu le 30 septembre 1993.
- 5.
- Le 5 juillet 1995, le membre de la Commission M. Van Miert a informé la
requérante qu'elle était saisie de plaintes similaires concernant d'autres États
membres et soulevant toutes la problématique générale du financement de la
télévision de service public et que, en conséquence, la Commission avait décidé de
commander une étude portant sur les douze États membres de l'Union de
l'époque. La Commission ajoutait que, en raison des difficultés méthodologiques
et de l'envergure de l'enquête, cette étude n'était toujours pas prête mais devrait
fournir ses premiers résultats avant l'été 1995. La Commission se disait cependant
dans l'impossibilité de fixer une échéance précise pour l'exploitation du rapport.
Enfin, la Commission invitait la requérante à lui communiquer les éléments de
nature à établir que France-Télévision bénéficiait d'aides d'État manifestement
disproportionnées par rapport à ses obligations de service public.
- 6.
- Par lettre du 3 octobre 1995, la requérante a rappelé à la Commission qu'en
France les aides d'État aux chaînes publiques faussaient délibérément le jeu de la
concurrence avec l'ensemble des chaînes privées. Soulignant ne pas pouvoir encore
attendre des années, elle a, dès lors, demandé formellement à la Commission et,
pour autant que de besoin, l'a mise en demeure de «prendre attitude et d'agir au
regard des moyens développés dans la plainte» du 10 mars 1993.
- 7.
- Le 11 décembre 1995, la défenderesse a adressé à la requérante une lettre dans
laquelle elle précisait, notamment, ce qui suit: «Suite aux résultats de l'étude
concernant le financement des télévisions publiques dans les douze États qui
étaient membres de l'Union européenne avant le 1er janvier 1995, nous avons
adressé aux autorités françaises, le 21 novembre 1995, une lettre contenant des
questions dont la réponse nous permettra d'être en mesure de prendre une
décision sur la suite à donner à votre plainte. Nous vous tiendrons au courant de
l'instruction du dossier et vous demanderons, le cas échéant, des renseignements
complémentaires.»
Procédure
- 8.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 février 1996, TF1 a introduit le
présent recours.
- 9.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juillet 1996, la République française
a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Par
ordonnance du président de la cinquième chambre élargie du 17 septembre 1996,
il a été fait droit à cette demande.
- 10.
- Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 1997, la Commission a versé au
dossier la copie d'une lettre du 15 mai 1997, adressée à la requérante au titre de
l'article 6 du règlement n° 99/63 CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif
aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du
Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après «règlement n° 99/63»), par laquelle elle
informait cette dernière qu'elle estimait, compte tenu des informations en sa
possession, ne pas pouvoir accorder une suite favorable à sa plainte en ce qu'elle
dénonçait les violations des articles 81 CE et 82 CE (ex-article 86). Elle invitait la
requérante à présenter ses observations dans un délai de deux mois à compter du
15 mai 1997. La Commission ajoutait que, après examen des griefs tirés d'une
violation de l'article 86 CE (ex-article 90), elle n'avait pas été à même d'établir le
caractère d'infraction des faits dénoncés.
- 11.
- Au vu de la lettre du 15 mai 1997, les parties ont été invitées, par lettre du greffier
du Tribunal du 17 juin 1997, à déposer leurs observations sur la suite de la
procédure et sur la question de savoir s'il y avait encore lieu de statuer. La
défenderesse, la requérante et l'intervenante ont répondu à cette invitation
respectivement les 2, 17 et 18 juillet 1998.
- 12.
- Par décision du Tribunal du 21 septembre 1998, le juge rapporteur a été affecté à
la troisième chambre (élargie) du Tribunal à laquelle l'affaire a, par conséquent,
été attribuée.
- 13.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé
d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
- 14.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience du 24 novembre 1998.
Conclusions des parties
- 15.
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
constater que la Commission, en s'abstenant de prendre position dans le
délai de deux mois à dater de la mise en demeure du 3 octobre 1995, est
en état de carence;
inviter la Commission à agir en adoptant une décision sur sa plainte;
à titre subsidiaire, annuler la prise de position de la Commission du 11
décembre 1995;
condamner la Commission à l'ensemble des dépens.
- 16.
- La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
déclarer irrecevable et, subsidiairement, non fondé le recours en carence;
déclarer irrecevable le recours en annulation introduit à titre subsidiaire;
condamner la requérante aux dépens.
- 17.
- La République française, partie intervenante, soutient les conclusions de la
Commission.
Sur le recours en carence
Sur la recevabilité
Sur la recevabilité du recours, en ce qu'il est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre des articles 92 du traité CE et 88 CE
Moyens et arguments de la partie défenderesse
- 18.
- La Commission soutient, premièrement, que le recours, pour autant qu'il lui fait
grief d'avoir méconnu sa prétendue obligation d'ouvrir la procédure de l'article 88,
paragraphe 2, CE (ex-article 93, paragraphe 2), est irrecevable pour défaut de
légitimité subjective de la requérante. Elle fait valoir, à cet égard, que la décision
qu'elle est appelée à adopter dans le cadre de son examen de la compatibilité
d'une mesure dénoncée comme constitutive d'une aide d'État, une fois établi qu'il
s'agit d'une aide d'État au sens des articles 92 du traité CE et 88 CE (ex-article
93), sera adressée à la République française. La requérante ne saurait être la
destinataire d'une telle décision et n'aurait, dès lors, pas qualité pour intenter
contre la Commission un recours en constatation d'une prétendue carence à
adopter un acte qui ne lui est pas adressé.
- 19.
- La Commission souligne que les règles de procédure applicables dans le contexte
des articles 81 CE et 82 CE ne peuvent être assimilées à celles applicables aux
articles 92 du traité CE et 88 CE, car les règles de concurrence visant le
comportement des entreprises accordent nécessairement un rôle déterminant aux
plaignants, tandis que, dans le domaine des aides d'État, l'interlocuteur principal
de la Commission est l'État membre dont le comportement est mis en cause.
- 20.
- La Commission reconnaît, toutefois, que le traité a réservé une certaine place aux
tiers intéressés dans le dialogue entre l'État membre concerné et la Commission.
Ainsi, elle relève que, si, à l'issue du premier examen, elle n'a pas pu lever tous les
doutes sur la compatibilité d'une aide avec le marché commun, elle est tenue
d'engager la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE. Dans le cadre de cette
procédure, elle devrait mettre les intéressés en demeure de présenter leurs
observations, mais cette communication viserait «exclusivement à obtenir, de la
part des tiers intéressés, toutes informations destinées à éclairer la Commission
dans son action future» (arrêt de la Cour du 12 juillet 1973,
Commission/Allemagne, 70/72, Rec. p. 813, point 19).
- 21.
- La Commission fait valoir que le plaignant ne dispose pas d'un statut particulier
dans le cadre de la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, et qu'il n'est
pas concevable qu'une décision lui soit directement adressée (arrêts de la Cour du
24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, point 28, du 15
juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 10; conclusions de
l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt de la Cour du 19 mai 1993,
Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487, I-2502, I-2510).
- 22.
- La Commission souligne, deuxièmement, que les dispositions de l'article 232,
troisième alinéa, CE (ex-article 175, troisième alinéa), ne peuvent être interprétées
de manière extensive, de façon à légitimer le droit de recours des tiers intéressés.
Elle est d'avis que la différence de rédaction significative entre le quatrième alinéa
de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE) et le
troisième alinéa de l'article 232 CE (ex-article 175), doit être considérée comme
une preuve que le droit de recours au titre de l'article 232 CE est plus limité que
celui au titre de l'article 173 du traité CE. Se fondant sur l'arrêt de la Cour du 10
juin 1982, Lord Bethell/Commission (246/81, Rec. p. 2277, point 16), et sur
l'ordonnance du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission (T-3/90, Rec.
p. II-1, point 35), elle soutient que seul le destinataire potentiel de l'acte est
habilité à former un recours au titre de l'article 232 CE.
- 23.
- Elle souligne encore la différence entre la présente affaire et l'affaire ayant donné
lieu à l'arrêt de la Cour du 16 février 1993, ENU/Commission (C-107/91, Rec.
p. I-599, points 15 à 17), dans laquelle la Cour a déclaré recevable le recours en
carence introduit par une entreprise en se fondant sur la circonstance qu'elle était
directement et individuellement concernée par l'acte requis, bien que n'en étant pas
le destinataire formel. En effet, la position de l'ENU, particulière au regard de
l'économie du traité EA, serait différente de celle de la requérante en l'espèce, en
ce que l'ENU était le destinataire réel de la décision sollicitée et en ce que cette
décision pouvait produire des effets juridiques à l'égard de l'ENU, alors que la
décision demandée par TF1 serait une décision adressée à la France qui n'aurait
pas d'effets directs à son égard.
- 24.
- La Commission tient à souligner que la constatation de l'irrecevabilité du présent
recours en carence n'implique en rien une lacune du système de protection des
intérêts légitimes des tiers intéressés, dans la mesure où les organes juridictionnels
nationaux et la Commission ont un rôle complémentaire. Face à une violation, de
la part des autorités nationales, de la dernière phrase de l'article 88, paragraphe
3, CE (ex-article 93, paragraphe 3), les juridictions nationales devraient, en effet,
prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde des intérêts des
tiers intéressés.
- 25.
- La République française ajoute que la jurisprudence rendue dans le cadre de
plaintes relatives aux articles 81 CE (ex-article 85) et 82 CE (ex-article 86) n'est pas
pertinente, car en matière de concurrence, les règlements n° 17 du Conseil, du 6
février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité
(JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), et n° 99/63 ont conféré un statut
spécial au plaignant, alors que les articles 92 du traité CE et 88 CE n'ont pas
encore fait l'objet d'un règlement de procédure et qu'aucune disposition ne fait
obligation à la Commission d'indiquer, le cas échéant, à un plaignant, qu'elle
n'entend pas donner une suite favorable à sa plainte. L'intervenante souligne,
d'autre part, que la Commission n'est pas seule compétente pour veiller au respect
de l'article 88, paragraphe 3, CE, les juridictions nationales devant constater
l'invalidité des mesures d'aides non notifiées et en tirer toutes les conséquences en
ordonnant, le cas échéant, leur restitution, alors même que la Commission est saisie
(arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce
extérieur des produits alimentaires, C-354/90, Rec. p. I-5505). L'irrecevabilité d'un
recours en carence dirigé contre un refus d'engager la procédure de l'article 88,
paragraphe 2, CE, ou contre le rejet d'une plainte ne priverait donc pas la
requérante du droit à un recours juridictionnel effectif.
Appréciation du Tribunal
- 26.
- Aux termes de l'article 232, troisième alinéa, CE, toute personne physique ou
morale peut saisir le juge communautaire pour faire grief à l'une des institutions
de la Communauté d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une
recommandation ou un avis.
- 27.
- Il ressort de la jurisprudence que les articles 173 du traité CE et 232 CE ne
forment que l'expression d'une seule et même voie de droit et que l'article 232,
troisième alinéa, CE, doit être interprété comme ouvrant aux particuliers la faculté
de former un recours en carence non seulement contre une institution qui aurait
manqué d'adopter un acte dont ils seraient les destinataires, mais également contre
une institution qui aurait manqué d'adopter un acte qui les aurait concernés
directement et individuellement (arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T. Port,
C-68/95, Rec. p. I-6065, point 59).
- 28.
- Il s'ensuit que la Commission estime à tort que les conclusions en carence, en ce
qu'elles sont dirigées contre son abstention d'agir au titre des articles 92 du traité
CE et 88 CE, sont irrecevables au seul motif que la requérante n'est la destinataire
potentielle d'aucune des trois décisions qu'elle pouvait adopter, en l'espèce, à
l'égard de la République française, au terme de la phase préliminaire d'examen
visée à l'article 88, paragraphe 3, CE, à savoir, soit une décision constatant que les
mesures dénoncées ne constituent pas une «aide» au sens de l'article 92,
paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1,
CE), soit une décision constatant que ces mesures, bien que constituant une aide
au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE, sont compatibles avec le marché
commun, en vertu de l'article 92, paragraphes 2 ou 3, du traité CE (devenu, après
modification, article 87, paragraphes 2 ou 3, CE), soit enfin, dans l'hypothèse où
la Commission a acquis la conviction contraire ou n'a pas pu surmonter toutes les
difficultés soulevées par l'appréciation des mesures en cause, la décision d'ouvrir
la procédure visée à l'article 88, paragraphe 2, CE.
- 29.
- Il convient, dès lors, d'examiner si la requérante est directement et individuellement
concernée par ces actes.
- 30.
- A cet égard, il ressort de l'arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC
e.a./Commission (T-435/93, Rec. p. II-1281, point 60), qu'une entreprise doit être
considérée comme directement concernée par une décision de la Commission
relative à une aide d'État lorsque la volonté des autorités nationales de donner
suite à leur projet d'aide ne fait aucun doute. Or, en l'occurrence, il est constant
que les diverses dotations financières en cause ont déjà été accordées par les
autorités françaises concernées et continuent de l'être. Dans ces circonstances, la
requérante doit être considérée comme étant directement concernée.
- 31.
- Il y a ensuite lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsque, sans
ouvrir la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, sur
le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une mesure ne constitue pas
une aide ou que cette mesure, bien que constituant une aide, est compatible avec
le marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues par
l'article 88, paragraphe 2, CE, ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la
possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision de la
Commission (voir, en dernier lieu, arrêts de la Cour du 2 avril 1998,
Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, points 40 et 47,
et du Tribunal du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission,
T-188/95, non encore publié au Recueil, point 53). Les intéressés au sens de
l'article 88, paragraphe 2, CE, qui sont à considérer comme individuellement
concernés, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées
dans leurs intérêts par l'octroi d'une aide, c'est-à-dire notamment les entreprises
concurrentes (Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 41). En
l'espèce, il est constant que la requérante est une partie intéressée au sens de
l'article 88, paragraphe 2, CE, qualité qui découle de son statut de gérante de l'une
des chaînes de télévision privées se trouvant en concurrence avec les chaînes de
télévision publiques bénéficiaires des dotations financières contestées et de sa
qualité d'auteur de la plainte à l'origine de l'examen préalable desdites dotations
effectuées par la Commission.
- 32.
- Il y a lieu, enfin, de constater que la décision d'ouvrir la procédure de l'article 88,
paragraphe 2, CE, constitue le préalable nécessaire au déroulement d'une
procédure devant déboucher sur l'adoption d'une décision finale de la Commission
qui concernerait individuellement la requérante, telle une décision déclarant
compatibles avec le marché commun les mesures dénoncées, dont la qualification
d'aide soulevait jusqu'alors de sérieuses difficultés.
- 33.
- En conséquence, la requérante doit être considérée comme directement et
individuellement concernée par les décisions susceptibles d'être adoptées par la
Commission à la suite de l'ouverture par celle-ci de la procédure préliminaire
d'examen des dotations attribuées par les autorités françaises aux sociétés de
télévision publiques.
- 34.
- Par ailleurs, la requérante a, dans sa lettre du 3 octobre 1995, valablement mis la
Commission en demeure d'agir, au sens de l'article 232 CE, au titre des articles 92
du traité CE et 88 CE.
- 35.
- Il convient de rappeler, enfin, que l'éventuelle existence de voies de recours
nationales, ouvrant à la requérante la faculté de s'opposer à l'attribution des
dotations litigieuses aux chaînes publiques, ne saurait influer sur la recevabilité des
présentes conclusions en carence (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 juin 1996,
Kahn Scheepvaart/Commission, T-398/94, Rec. p. II-477, point 50).
- 36.
- Il s'ensuit que le recours en carence, en ce qu'il est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre des articles 92 du traité CE et 88 CE, est recevable.
Sur la recevabilité du recours, en ce qu'il est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre des articles 81 CE et 82 CE
Arguments des parties
- 37.
- La Commission rappelle que, conformément à l'article 232 CE, le recours en
carence n'est recevable que si l'institution en cause a été préalablement invitée à
agir. Or, la lettre du 3 octobre 1995, qui mentionne la plainte dirigée contre le
financement de la télévision publique et les aides de l'État en faveur de celle-ci, ne
saurait être considérée comme une «invitation à agir» au titre des articles 81 CE
et 82 CE, au sens de l'article 232 CE. Cette interprétation serait confirmée par la
réponse d'attente de la Commission, dont la rédaction montrerait qu'elle avait
compris la lettre du 3 octobre 1995 comme se référant exclusivement aux éléments
d'aides d'État dénoncés dans la plainte du 10 mars 1993.
- 38.
- La Commission relève également que la lettre du 3 octobre 1995 n'indique pas
avec précision l'acte ou la décision qu'elle se serait abstenue de prendre. Or, il
serait de jurisprudence constante que la Commission n'est pas tenue d'instruire ni,
a fortiori, d'adresser une communication des griefs pour relever, le cas échéant, des
violations des règles des articles 81 CE et 82 CE, lorsqu'elle n'a pas de compétence
exclusive (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90,
Rec. p. II-2223). Dans ces conditions, la lettre du 3 octobre 1995, qui ne demande
pas l'adoption d'une décision de rejet d'une plainte à laquelle seulement la
requérante aurait droit ne pourrait être considérée comme répondant aux
conditions posées par l'article 232 CE.
- 39.
- La Commission en conclut que la lettre du 3 octobre 1995 ne remplit pas les
conditions de clarté et de précision requises par la jurisprudence en matière de
recevabilité des recours en carence (arrêts de la Cour du 10 juin 1986,
Usinor/Commission, 81/85 et 119/85, Rec. p. 1777, du 6 décembre 1990,
Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission, C-180/88, Rec.
p. I-4413).
- 40.
- La requérante conteste que la lettre du 3 octobre 1995 ne puisse être considérée
comme une mise en demeure visant, outre le régime des aides, la méconnaissance
de l'article 81 CE. Elle rappelle, à cet égard, qu'elle avait demandé, dans cette
lettre, à la Commission de prendre attitude et d'agir au regard des moyens
développés dans sa plainte. Or, souligne la requérante, l'intitulé de la plainte du 10
mars 1993 faisait expressément référence à l'article 81 CE et traitait de l'infraction
à l'article 81 CE. La requérante soutient, par ailleurs, que le plaignant a non
seulement le droit d'introduire un recours en annulation contre la décision de rejet
d'une plainte, mais également celui de mettre la Commission en demeure d'agir et,
le cas échéant, de l'assigner en carence sur la base de l'article 232 CE.
Appréciation du Tribunal
- 41.
- Aux termes de l'article 232, deuxième alinéa, CE (ex-article 175, deuxième alinéa),
un recours en carence n'est recevable que si l'institution en cause a été
préalablement invitée à agir. Cette mise en demeure de l'institution est une
formalité essentielle et a pour effet, d'une part, de faire courir le délai de deux
mois dans lequel l'institution est tenue de prendre position, et, d'autre part, de
délimiter le cadre dans lequel un recours pourra être introduit au cas où
l'institution s'abstiendrait de prendre position. Bien que non soumise à une
condition de forme particulière, il est, néanmoins, nécessaire que la mise en
demeure soit suffisamment explicite et précise pour permettre à la Commission de
connaître de manière concrète le contenu de la décision qu'il lui est demandé de
prendre et faire ressortir qu'elle a pour objet de contraindre celle-ci à prendre parti
(voir en ce sens, arrêt Usinor/Commission, cité au point 39 ci-dessus, point 15).
- 42.
- En l'espèce, dans sa lettre du 3 octobre 1995, la requérante se réfère, à trois
reprises, à la seule problématique du financement de la télévision publique en
France et des aides qui lui sont versées et non à la question de la violation des
articles 81 CE et 82 CE. Toutefois, force est de constater que la requérante a
néanmoins conclu sa lettre du 3 octobre 1995 en demandant, explicitement et
formellement, à la Commission d'agir au regard des moyens développés dans sa
plainte du 10 mars 1993. Or, il est constant que cette plainte visait, non seulement
la «contravention à l'article 92» du traité CE (chapitre 1 du titre 2), mais
également la «contravention à l'article 86 CE» (chapitre 2 du Titre 2) et la
«contravention à l'article 81 CE» (chapitre 3 du titre 2). Il s'ensuit que la lettre du
3 octobre 1995, bien que mettant très fortement l'accent sur la problématique des
aides, doit être interprétée comme valant mise en demeure au sens de l'article 232,
deuxième alinéa, CE, à l'égard de tous les moyens exhaustivement exposés dans la
plainte et donc également à l'égard de ceux dénonçant une violation de l'article 81
CE.
- 43.
- Il s'ensuit que le recours, pour autant qu'il est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre de l'article 81 CE est recevable.
- 44.
- En revanche, pour autant que le recours est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre de l'article 82 CE, force est de constater que la
requérante n'a présenté des conclusions en ce sens que dans le mémoire en
réplique. Il n'y est fait aucune référence, ni dans la plainte du 10 mars 1993, ni
dans la lettre de mise en demeure du 3 octobre 1995, qui se borne simplement à
inviter la Commission à «prendre attitude et à agir au regard des moyens
développés dans la plainte», ni même dans la requête introductive du présent
recours. Il en résulte que la lettre du 3 octobre 1995 ne peut valoir invitation à agir,
au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE, au titre de l'article 82 CE, et que cet
aspect du recours doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur la recevabilité du recours, en ce qu'il est dirigé contre l'abstention de la
Commission d'agir au titre de l'article 86 CE
Moyens et arguments des parties
- 45.
- La Commission soutient, d'abord, que cette partie du recours est irrecevable au
motif que la lettre du 3 octobre 1995 ne peut être considérée comme une invitation
à agir au sens de l'article 232 CE, en ce qui concerne la partie de la plainte du 10
mars 1993 relative à l'article 86 CE.
- 46.
- La Commission fait ensuite valoir que cette partie du recours est, en tout état de
cause, irrecevable, car le large pouvoir d'appréciation dont elle dispose dans la mise
en oeuvre de l'article 86 CE exclut toute obligation d'intervention de sa part. Il en
résulterait que les personnes physiques ou morales qui lui demandent d'intervenir
au titre de l'article 86, paragraphe 3, CE (ex-article 90, paragraphe 3), ne
bénéficient pas du droit d'introduire un recours contre la décision de la
Commission de ne pas faire usage des prérogatives qu'elle détient ou contre
l'abstention de faire usage de cette prérogative (arrêt du Tribunal du 27 octobre
1994, Ladbroke Racing/Commission, T-32/93, Rec. p. II-1015; ordonnance du
Tribunal du 23 janvier 1995, Bilanzbuchhalter/Commission, T-84/94, Rec. p. II-101).
- 47.
- La requérante admet que la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire dans
la mise en oeuvre de l'article 86 CE, mais relève que l'article 86, paragraphe 3, CE,
lui impose de veiller à l'application des dispositions dudit article et d'adresser, en
tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres. Ces
dispositions supposeraient que la Commission agisse dans un délai raisonnable, à
défaut de quoi elle pourrait être assignée en carence.
Appréciation du Tribunal
- 48.
- Il convient de constater, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la
Commission, la lettre du 3 octobre 1995, dans la mesure où la requérante lui
demande formellement d'agir «au regard des moyens développés dans la plainte»
du 10 mars 1993, doit être considérée comme comportant une invitation à agir
régulière, au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE, au titre de l'article 86 CE.
- 49.
- Il convient donc d'examiner, en deuxième lieu, la question de savoir dans quelle
mesure un recours en carence peut viser une abstention d'agir de la Commission
au titre de l'article 86 CE. Il importe à cet égard de rappeler, d'abord, que l'article
86, paragraphe 3, CE, charge la Commission de veiller au respect, par les États
membres, des obligations qui s'imposent à eux, en ce qui concerne les entreprises
visées à l'article 86, paragraphe 1, CE, et l'investit expressément de la compétence
pour intervenir à cet effet par la voie de directives ou de décisions. La Commission
a, notamment, le pouvoir de constater, au moyen d'une décision prise sur le
fondement de l'article 86, paragraphe 3, CE, qu'une mesure étatique déterminée
est incompatible avec les règles du traité, notamment, celles prévues aux articles
81 CE à 89 CE (ex-article 94), et d'indiquer les mesures que l'État destinataire doit
adopter pour se conformer aux obligations découlant du droit communautaire (voir
arrêt de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90,
Rec. p. I 565, points 22 à 30).
- 50.
- Il y a lieu d'observer, ensuite, que l'article 86, paragraphe 3, CE, de par sa place
dans l'économie du traité et sa finalité, s'insère parmi les règles dont l'objet est
d'assurer le libre jeu de la concurrence et tend donc à protéger les opérateurs
économiques contre les mesures par lesquelles un État membre mettrait en échec
les libertés économiques fondamentales consacrées par le traité. Il résulte ainsi, tant
de la place de ces dispositions dans le traité que de leur finalité, qu'un particulier
ne saurait, lorsqu'un État membre édicte ou maintient, en ce qui concerne les
entreprises publiques ou celles bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs, des
mesures produisant un effet anticoncurrentiel équivalent à celui produit par les
comportements anticoncurrentiels de toutes les autres entreprises, être privé de la
protection de ses intérêts légitimes. Il convient, à cet égard, de rappeler, en outre,
que, en vertu de la jurisprudence, figure au nombre des principes généraux du droit
communautaire celui selon lequel toute personne doit pouvoir bénéficier d'un
recours juridictionnel effectif contre les décisions pouvant porter atteinte à un droit
reconnu par les traités (voir, notamment, arrêts de la Cour du 15 mai 1986,
Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et du 19 mars 1991, Commission/Belgique,
C-249/88, Rec. p. I-1275, point 25; arrêt du Tribunal du 27 juin 1995, Guérin
automobiles/Commission, T-186/94, Rec. p. II-1753, point 23).
- 51.
- Le large pouvoir d'appréciation dont la Commission dispose dans la mise en oeuvre
de l'article 86 CE ne saurait mettre en échec cette protection, la Cour ayant
d'ailleurs constaté dans son arrêt du 20 février 1997, Bundesverband der
Bilanzbuchhalter/Commission (C-107/95 P, Rec. p. I-947, point 25), qu'il ne saurait
être exclu à priori qu'un particulier se trouve dans une situation exceptionnelle lui
conférant qualité pour agir en justice contre un refus de la Commission d'adopter
une décision dans le cadre de sa mission de surveillance prévue à l'article 86,
paragraphes 1 et 3, CE.
- 52.
- Il convient donc d'examiner si, en l'espèce, la requérante se trouve dans une telle
situation exceptionnelle lui conférant qualité pour agir en carence contre
l'abstention de la Commission d'adopter une décision au titre de l'article 86 CE.
- 53.
- A cet égard, il est constant que la requérante est la plus importante des chaînes
privées de télévision en France, disposant de 42 % de parts d'audience en 1992 et
de 55 % des parts du marché publicitaire. En outre, de par sa programmation de
caractère généraliste (informations, sports, films cinématographiques, fictions,
divertissements, magazines, documentaires), elle se trouve en concurrence directe
vis-à-vis d'un même public avec les chaînes de France-Télévision. De même, il est
constant que la requérante et les deux chaînes de France-Télévision sont en
concurrence directe tant en ce qui concerne l'acquisition des droits d'exploitation
des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et des droits de diffusion des
événements sportifs qu'en ce qui concerne la vente de leurs espaces publicitaires
auprès des annonceurs.
- 54.
- Il convient également de rappeler que, selon la requérante, les différents subsides,
avantages, pratiques, ententes et réglementations dénoncés dans la plainte sont liés
et forment un ensemble de mesures ayant pour objet ou pour effet de fausser la
concurrence entre la requérante et les deux chaînes de France-Télévision.
- 55.
- La requérante a encore affirmé, sans être contredite par la défenderesse, que les
diverses mesures édictées par l'État français en faveur de France-Télévision
affectaient sensiblement sa situation économique.
- 56.
- Le Tribunal constate enfin que, à la différence de la plaignante dans l'affaire ayant
donné lieu à l'arrêt Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, cité au point
51 ci-dessus, qui visait, par son recours dirigé contre le refus de la Commission de
prendre une décision, au titre de l'article 86, paragraphes 1 et 3, CE, à l'encontre
de la République fédérale d'Allemagne, à contraindre indirectement cet Étatmembre à adopter un acte législatif de portée générale, la requérante, en l'espèce,
vise à obtenir de la Commission qu'elle prenne position, au titre de l'article 86 CE,
sur les différentes mesures étatiques dénoncées favorisant, selon elle, deux
opérateurs économiques particuliers, clairement identifiés, avec lesquels elle se
trouve en concurrence directe.
- 57.
- Il résulte des considérations qui précèdent, que le recours, pour autant qu'il est
dirigé contre l'abstention d'agir de la Commission au titre de l'article 86 CE, est
recevable.
Sur le fond
Sur la prétendue abstention d'agir au titre des articles 92 du traité CE et 88 CE
Moyens et arguments des parties
- 58.
- La requérante soutient que, lorsque la Commission est saisie d'une demande
d'appréciation de la compatibilité d'une aide, elle est tenue de ne pas s'en tenir à
la phase préliminaire de l'article 88, paragraphe 3, CE, et d'ouvrir la procédure de
l'article 88, paragraphe 2, CE (arrêt Cook/Commission, cité au point 20 ci-dessus;
arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, SIDE/Commission, T-49/93, Rec.
p. II-2501, et du 28 septembre 1995, Sytraval et Brink's France/Commission,
T-95/94, Rec. p. II-2651). Or, en l'espèce, la Commission aurait méconnu cette
obligation.
- 59.
- La défenderesse soulève trois séries d'arguments en vue de démontrer qu'elle ne
se trouve pas en situation de carence.
- 60.
- En premier lieu, la Commission affirme que, si elle n'a certes pas encore pris une
décision sur l'existence d'une aide d'État ou sur l'ouverture de la procédure de
l'article 88, paragraphe 2, CE, elle n'est cependant pas restée inactive pour, au
contraire, avoir entrepris un ensemble d'actions destinées à lui permettre
d'analyser, dans tous ses aspects, une problématique particulièrement complexe et
commune à l'ensemble des États membres. Elle fait valoir, à cet égard, que, dès
le 12 août 1993, elle a invité les autorités françaises à lui présenter leurs
observations sur les différents griefs invoqués par la requérante dans sa plainte,
lesquelles ont répondu le 9 décembre 1993. De même, elle a organisé différentes
réunions avec la plaignante. Elle ajoute que, compte tenu de la nature et de la
complexité de la matière, elle a commandé, en décembre 1993, une étude
approfondie sur l'exploitation et le fonctionnement des chaînes publiques de
télévision dans la Communauté. Dès la réception de cette étude, en octobre 1995,
elle se serait à nouveau adressée aux autorités françaises pour leur demander de
fournir des renseignements complémentaires, qui lui auraient été communiqués le
16 février 1996. En outre, la Commission aurait échangé de nombreux courriers et
maintenu, depuis mars 1993, de multiples contacts avec la plaignante (notamment
des réunions en septembre et en novembre 1994, en janvier et en octobre 1995).
La défenderesse précise que la requérante avait connaissance de ces différentes
actions et qu'elle n'ignorait pas que, en juillet 1995, elle ne disposait pas encore de
l'étude. Elle s'étonne, dès lors, que la requérante lui ait adressé une mise en
demeure le 3 octobre 1995.
- 61.
- La Commission conteste l'affirmation de la requérante selon laquelle elle se serait
bornée à commander une étude. Elle rappelle qu'elle a poursuivi activement
l'instruction du dossier avec les autorités françaises, ainsi qu'en témoignent les
nombreuses réunions qu'elle a eues avec ces dernières, la correspondance échangée
et les questions de plus en plus précises qu'elle leur a adressées, notamment, par
lettres des 4 et 18 octobre 1996.
- 62.
- En deuxième lieu, la Commission argue de la complexité du dossier en cause pour
expliquer son absence de prise de position.
- 63.
- La défenderesse fait observer qu'aucune règle ne fixe un délai dans lequel elle
serait tenue de répondre à une plainte dénonçant l'existence d'aides d'État non
notifiées, ce délai devant s'apprécier à l'aune des principes de diligence et de bonne
administration. Elle considère que le contrôle du respect de ces principes doit être
opéré à la lumière de la complexité et du caractère sensible, tant juridique que
politique, de la matière en cause. De l'avis de la Commission, l'éventuelle
qualification juridique des comportements dénoncés par la requérante comme
constituant des aides d'État requiert une attitude de prudence particulière et
impose que, préalablement à toute décision, la Commission dispose de tous les
éléments de droit et de fait lui permettant une compréhension globale du
problème.
- 64.
- La Commission souligne que l'ouverture de l'activité télévisuelle à la concurrence
constitue un événement relativement récent soulevant une problématique nouvelle,
notamment en ce qui concerne la coexistence des chaînes publiques et privées.
- 65.
- La Commission note que la télévision est un domaine dans lequel les autorités
publiques peuvent, dans le cadre de leurs activités télévisuelles, poursuivre des
objectifs non commerciaux et imposer une obligation de servir la totalité de la
population nationale. Elle ne disposerait d'aucune expérience dans le traitement
des aides d'État dans ce secteur et devrait, dès lors, établir à cet effet des critères
et des principes méthodologiques particuliers. Il y aurait ainsi lieu d'établir dans
quelle mesure un risque d'affectation des échanges commerciaux
intracommunautaires existe, la plainte de la requérante, entreprise privée française,
dénonçant le comportement des autorités publiques françaises à l'égard des chaînes
françaises. De même, il conviendrait d'identifier avec précision les obligations de
service public et de déterminer dans quelle mesure les dotations et autres
avantages dénoncés par la requérante dépassent la compensation de ces obligations
et constituent une aide d'État dont il faudrait ensuite apprécier la compatibilité. La
Commission fait observer qu'elle a déjà communiqué aux États membres, en juillet
1995, un premier projet de lignes d'orientation générale pour cette problématique
et qu'elle espère être en mesure de dégager, à brève échéance, en coopération avec
les États membres, un document général qui constituera une référence pour
l'analyse des cas concrets.
- 66.
- En troisième lieu, la Commission fait valoir qu'elle n'est pas encore en mesure de
prendre position et que les conditions procédurales préalables visées au deuxième
alinéa de l'article 232 CE ne sont donc pas réunies.
- 67.
- La Commission soutient qu'elle ne peut être regardée comme s'étant abstenue
d'agir au sens de l'article 232 CE. En effet, lors de l'envoi de la mise en demeure,
elle était dans l'impossibilité d'agir dans le sens souhaité par la requérante, dans
la mesure où elle n'était pas encore arrivée à une conclusion sur la qualification en
tant qu'aides d'État des dotations en capital et autres avantages attribués à France-Télévision, et ce bien qu'elle ait déjà entamé toutes les actions appropriées pour
pouvoir arriver à une telle conclusion.
- 68.
- La Commission souligne, par ailleurs, que, compte tenu des graves répercussions
qu'une éventuelle décision d'ouverture de la procédure de l'article 88, paragraphe
2, CE, peut avoir non seulement sur France-Télévision, mais également sur la
plupart des chaînes publiques de télévision opérant dans la Communauté,
notamment en ce qui concerne l'obligation de suspension de l'octroi des aides
d'État (voir arrêt de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C-312/90, Rec.
p. I-4117), les principes de bonne administration et de diligence l'obligent à
n'adopter une décision qu'au moment où elle est parvenue à se forger une opinion
dûment fondée.
- 69.
- En conclusion, la Commission considère que la demande de la requérante n'est pas
fondée dans la mesure où, d'une part, elle a engagé toutes les démarches
nécessaires exigées par la complexité de la matière, dans un délai raisonnable, au
vu des difficultés de l'analyse du secteur en général, de la nouveauté de la matière,
de l'importance des conclusions auxquelles elle est susceptible d'aboutir, ainsi que
des difficultés propres au cas de France-Télévision et, d'autre part, elle n'était pas,
au moment de la mise en demeure, en mesure d'agir dans le sens souhaité par la
requérante.
- 70.
- Enfin, la Commission soutient que le communiqué de presse du 2 octobre 1996 sur
le financement de la télévision publique portugaise confirme que son attitude à
l'égard du financement des chaînes publiques n'est nullement dilatoire et qu'elle
prend une décision dès qu'elle est en mesure de le faire.
- 71.
- La partie intervenante souscrit entièrement aux arguments soulevés par la
défenderesse et confirme que la Commission poursuit son examen des questions
qui lui ont été soumises et que cet examen pose des problèmes complexes qui
justifient la longueur des délais d'instruction.
Appréciation du Tribunal
- 72.
- A l'effet de statuer sur le bien-fondé des conclusions en carence, il y a lieu de
vérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission, au titre de l'article
232 CE, il pesait sur l'institution une obligation d'agir (ordonnances du Tribunal du
13 novembre 1995, Dumez/Commission, T-126/95, Rec. p. II-2863, point 44, et du
6 juillet 1998, Goldstein/Commission, T-286/97, Rec. p. II-2269, point 24).
- 73.
- Dans la mesure où elle possède une compétence exclusive pour apprécier la
compatibilité d'une aide d'État avec le marché commun, la Commission est tenue,
dans l'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traité
relatives aux aides d'État, de procéder à un examen diligent et impartial d'une
plainte dénonçant l'existence d'une aide incompatible avec le marché commun (voir
en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 62).
- 74.
- Il a été jugé que, tout comme la Commission ne peut repousser sine die une prise
de position relative à une demande d'exemption au titre de l'article 81, paragraphe
3, CE (ex-article 85, paragraphe 3) (arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et
FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 55), elle ne saurait
pas plus prolonger indéfiniment l'examen préliminaire de mesures étatiques
dénoncées comme contraires à l'article 92, paragraphe 1, du traité CE, dès lors
qu'elle a, comme en l'espèce, accepté d'entamer un tel examen (arrêt du Tribunal
du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T-95/96, non encore
publié au Recueil, point 73). Il ressort au contraire d'une jurisprudence constante
que la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE, revêt un caractère indispensable
dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une
aide est compatible avec le marché commun (voir, notamment, arrêt
Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 39).
- 75.
- Le caractère raisonnable de la durée d'une telle procédure administrative doit
s'apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment,
du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit
suivre, de sa complexité ainsi que de son enjeu pour les différentes parties
intéressées (arrêts du Tribunal du 19 mars 1997, Oliveira/Commission, T-73/95,
Rec. p. II-381, point 45, et SCK et FNK/Commission, cité au point 75 ci-dessus,
point 57).
- 76.
- En l'espèce, la plainte de la requérante a été déposée le 10 mars 1993. Il en
découle que, au moment où la Commission a été mise en demeure, conformément
à l'article 232 CE, c'est-à-dire le 3 octobre 1995, l'examen préalable de la
Commission durait depuis 31 mois. En outre, il est constant entre les parties que
la Commission examinait, depuis le dépôt, le 2 mars 1992, d'une plainte similaire
relative à la télévision en Espagne, la problématique générale du financement des
télévisions publiques.
- 77.
- Ces délais sont à ce point importants qu'ils auraient dû permettre à la Commissionde clore la phase préliminaire d'examen des mesures en cause. En conséquence,
l'institution aurait dû adopter dans ce délai une décision sur les mesures en cause
(voir ci-dessus, point 28), sauf à démontrer l'existence de circonstances
exceptionnelles justifiant l'écoulement de tels délais.
- 78.
- Force est cependant de constater qu'aucun des arguments avancés par la
Commission n'est de nature à justifier la longueur des délais concernés. En effet,
ainsi que le Tribunal l'a jugé dans l'arrêt Gestevisión Telecinco/Commission (cité
au point 74 ci-dessus, points 82 à 90) à l'égard d'une plainte soulevant la même
problématique du financement des télévisions publiques, ni la complexité du dossier
en cause, ni la sensibilité politique de la matière traitée, ni les diverses actions
entamées par la Commission, ni la circonstance qu'elle n'était pas encore en
mesure de qualifier d'aides d'État les diverses dotations attribuées à France-Télévision ne sauraient être de nature à justifier un examen préliminaire ainsi
prolongé des mesures en cause. La Commission aurait dû, au moment de la mise
en demeure du 3 octobre 1995, être en mesure d'adopter une décision constatant
soit que les divers financements et dotations litigieux ne constituaient pas des aides
d'État, soit que ceux-ci, bien que constituant des aides d'État, étaient compatibles
avec le marché commun, soit que des difficultés sérieuses l'obligeaient à ouvrir la
procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE, ce qui aurait permis à tous les
intéressés, et notamment à la plaignante et aux États membres, de présenter leurs
observations. Par ailleurs, elle aurait également pu adopter, dans les délais
concernés, une décision hybride combinant, en fonction des circonstances, l'une des
trois décisions précitées (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 février 1998,
Pantochim/Commission, T-107/96, Rec. p. II-311, point 51). Il convient, en outre,
de rappeler que, si un État membre a des doutes sur la qualification d'«aides»
d'État des mesures qu'il projette, il lui est loisible de sauvegarder ses intérêts en
notifiant son projet à la Commission, qui est alors obligée de prendre position dans
un délai de deux mois, à défaut de quoi l'aide est considérée comme une aide
existante soumise au contrôle instauré par l'article 88, paragraphes 1 et 2, CE (ex-article 93, paragraphes 1 et 2), et ledit État membre peut mettre le projet à
exécution après lui en avoir donné préavis (arrêt de la Cour du 11 décembre 1973,
Lorenz, 120/73, Rec. p. 1471, point 4). Cette jurisprudence est fondée sur la
nécessité de tenir compte de l'intérêt légitime de l'État membre concerné à être
rapidement informé de la situation en droit. Cette nécessité fait toutefois défaut
lorsque ce dernier a mis à exécution des mesures sans les avoir préalablement
notifiées à la Commission (arrêt de la Cour du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94,
Rec. p. I-3547, point 48). Dans cette hypothèse, ainsi que la Cour l'a précisé, le
caractère immédiatement applicable de l'interdiction de mise en exécution visée par
l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE (ex-article 93, paragraphe 3,
dernière phrase), s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être
notifiée (arrêt SFEI e.a., précité, point 39). Lorsque, comme en l'espèce, l'État
membre s'est abstenu de notifier son projet d'aide, il se trouve, de ce fait,
confronté à une interdiction absolue de mise à exécution des mesures envisagées,
dont la violation peut être sanctionnée par toute juridiction nationale. Il s'ensuit
que, en l'espèce, la Commission ne saurait, en tout état de cause, justifier son
absence de prise de position en se prévalant de ce que l'ouverture de la procédure
de l'article 88, paragraphe 2, CE, entraînerait la suspension de l'octroi des aides
concernées.
- 79.
- Il est, par ailleurs, constant que la Commission n'a, à ce jour, toujours pas adopté
l'une de ces décisions.
- 80.
- Il résulte des développements qui précèdent que la Commission s'est trouvée en
situation de carence le 3 décembre 1995, à l'expiration du délai de deux mois
suivant l'invitation à agir du 3 octobre 1995, pour s'être abstenue ou bien d'adopter
une décision constatant soit que les mesures étatiques en cause ne constituaient pas
des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE, soit qu'elles devaient
être qualifiées d'aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE, mais
considérées comme compatibles avec le marché commun en vertu de l'article 92,
paragraphes 2 et 3, du traité CE, soit qu'il convenait d'ouvrir la procédure de
l'article 88, paragraphe 2, CE, ou bien d'adopter, en fonction des circonstances, une
combinaison de ces différentes décisions possibles.
- 81.
- En conséquence, les conclusions en carence, pour autant qu'elles tendent à voir
constater que la Commission s'est illégalement abstenue de statuer au titre des
articles 92 du traité CE et 88 CE, doivent être considérées comme fondées.
Sur la prétendue abstention d'agir au titre de l'article 81 CE
Moyens et arguments des parties
- 82.
- La requérante soutient que la Commission avait l'obligation de lui envoyer la
communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99/63 à l'issue de la première
phase d'examen. La Commission n'ayant pas satisfait à cette obligation, elle se
trouverait en situation de carence.
- 83.
- Dans ses observations sur la lettre du 15 mai 1997 adressée au titre de l'article 6
du règlement n° 99/63, la requérante soutient que celle-ci ne peut être considérée
comme une prise de position susceptible de mettre fin à la carence. Elle fait valoir,
à cet égard, que cette lettre est très insuffisamment motivée et même dilatoire,
spécialement au regard des quatre années d'instruction déjà écoulées et ne
constitue, en définitive, qu'une tentative abusive de la part de la Commission de
bénéficier de la jurisprudence développée par la Cour, selon laquelle une prise de
position de l'institution défenderesse met fin à la carence. Elle souligne qu'une
lettre de la Commission ne peut être qualifiée de prise de position, au sens de
l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission (125/78, Rec. p. 3173),
que si celle-ci est conforme aux conditions de l'article 6 du règlement n° 99/63, en
particulier, si elle expose les motifs sur lesquels repose sa position.
- 84.
- La requérante souligne que le motif invoqué par la Commission pour écarter
l'application de l'article 81 CE, à savoir que France-Télévision forme une unité
économique, repose sur des réponses de France 2 et France 3 datant du 10
novembre 1993 et sur une lettre de TF1 du 30 avril 1993. Ni la complexité du
dossier ni les résultats de l'étude n'auraient donc pu avoir la moindre influence sur
le contenu particulièrement sommaire de la lettre du 15 mai 1997. La justification
tirée du défaut d'intérêt communautaire avancée par la Commission négligerait
également les arguments et pièces figurant dans le complément de plainte déposé
le 10 mars 1997. En conséquence, la requérante prie le Tribunal d'inviter la
Commission à lui communiquer une réponse dûment motivée de nature à l'éclairer
et à lui permettre d'apprécier s'il convient ou non d'inviter le Tribunal à statuer sur
la carence.
- 85.
- La défenderesse se réfère à ses arguments développés dans le cadre de son examen
des griefs tirés d'une violation de l'article 92 du traité CE.
- 86.
- En outre, la défenderesse soutient que la lettre qu'elle a adressée à la requérante
le 15 mai 1997 constitue une prise de position au titre de l'article 6 du règlement
n° 99/63, qui interrompt la carence. Il n'y aurait, dès lors, plus lieu de statuer sur
cette partie du recours.
- 87.
- La partie intervenante se réfère aux arguments développés par la défenderesse.
Appréciation du Tribunal
- 88.
- Il ressort de la jurisprudence qu'une lettre adressée au plaignant, qui est conforme
aux conditions de l'article 6 du règlement n° 99/63, constitue une prise de position
au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE (arrêt GEMA/Commission, précité,
point 21). Une telle prise de position met fin à l'inaction de la Commission et prive
d'objet le recours en carence introduit par ledit plaignant (arrêt de la Cour du 18
mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282/95 P, Rec. p. I-1503, points 30
et 31).
- 89.
- Il convient donc d'examiner dans quelle mesure la lettre adressée par la
Commission à la requérante le 15 mai 1997 peut être considérée comme une
communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63.
- 90.
- Le Tribunal constate, à cet égard, que la lettre du 15 mai 1997, qui se réfère
explicitement à l'article 6 du règlement n° 99/63, satisfait à toutes les exigences
formelles prévues à cet article. En effet, d'une part, elle indique à la plaignante,
après avoir rappelé les griefs soulevés dans sa plainte, les motifs du rejet de celle-ci
et lui impartit un délai, fixé en l'espèce à deux mois, pour présenter, par écrit, ses
observations éventuelles.
- 91.
- La requérante soutient, toutefois, que la lettre du 15 mai 1997 ne peut être
considérée comme une prise de position susceptible de mettre fin à la carence, en
ce qu'elle serait très insuffisamment motivée et même dilatoire.
- 92.
- Cette thèse ne saurait être accueillie. En effet, la Commission expose dans sa lettre
du 15 mai 1997 les deux motifs qui l'ont conduite à estimer ne pas pouvoir donner
une suite favorable à la plainte de la requérante dénonçant une violation de
l'article 81 CE, seule partie qu'il y ait lieu de prendre en considération dans le
cadre du présent examen. D'une part, la Commission indique que, les deux
entreprises, France 2 et France 3, appartenant à un même groupe et étant placées
sous le contrôle d'un président commun, qui assure une unité de gestion, elles ne
jouissent pas d'une autonomie réelle sur le marché mais forment une unité
économique, de sorte que leur comportement prétendument collusif ne saurait être
considéré, conformément à la jurisprudence (arrêt de la Cour du 24 octobre 1996,
Viho/Commission, C-73/95 P, Rec. p. I-5457), comme contraire à l'article 81 CE.
D'autre part, la Commission estime que les conditions de rejet d'une plainte pour
défaut d'intérêt communautaire suffisant sont remplies, en l'espèce, dès lors que
«cette affaire ne révèle pas une affectation substantielle du commerce
intracommunautaire».
- 93.
- A supposer même que, comme le prétend la requérante, la motivation contenue
dans la lettre du 15 mai 1997 soit contestable et sommaire, un tel grief est, eu
égard à la question de savoir si la Commission a pris position au sens de l'article
232 CE, dépourvu de pertinence.
- 94.
- La lettre du 15 mai 1997 doit, dès lors, être qualifiée de communication au titre de
l'article 6 du règlement n° 99/63, ayant mis fin à une éventuelle carence de la part
de la Commission.
- 95.
- Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions en carence pour autant
qu'elles tendent à voir constater que la Commission s'est illégalement abstenue
d'agir au titre de l'article 81 CE.
Sur la prétendue abstention d'agir au titre de l'article 86 CE
Moyens et arguments des parties
- 96.
- La requérante fait valoir que la lettre de la Commission du 15 mai 1997 lui faisant
part de son intention de ne pas engager de procédure au titre de l'article 86 CE
est sommaire, voire inexistante et très insuffisante pour permettre au plaignant
d'apporter des commentaires utiles. La requérante en conclut que la lettre du 15
mai 1997 n'a pas mis fin à la carence de la Commission, dès lors qu'elle ne peut
s'analyser comme une véritable prise de position.
- 97.
- La Commission fait valoir que la lettre du 15 mai 1997 comprend également une
analyse des faits au regard de l'article 86 CE, bien que cette disposition ne confère
aucun droit au plaignant à ce titre.
- 98.
- La partie intervenante soutient que la prise de position de la Commission, contenuedans la lettre du 15 mai 1997, sur l'applicabilité de l'article 86 CE, prive, en tout
état de cause, d'objet le recours en carence.
Appréciation du Tribunal
- 99.
- Il convient d'examiner dans quelle mesure la lettre de la Commission du 15 mai
1997 constitue une prise de position au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE,
mettant fin à l'inaction de la Commission et privant ainsi d'objet le recours en
carence en ce qu'il est dirigé contre sa prétendue abstention d'agir au titre de
l'article 86 CE.
- 100.
- Le Tribunal constate que, dans sa lettre du 15 mai 1997, la Commission a, d'une
part, informé la requérante que, après examen du bien-fondé de ses griefs formulés
sur le fondement de l'article 86 CE, elle n'était pas à même d'établir le caractère
d'infraction des faits dénoncés et, d'autre part, exposé les motifs pour lesquels elle
n'avait pas l'intention d'ouvrir une procédure en vertu de l'article 86 CE.
- 101.
- Il ressort ainsi clairement, tant du contenu de cette lettre que du contexte dans
lequel elle s'inscrivait, que la Commission considérait, lorsque elle a adressé à la
requérante la lettre du 15 mai 1997, que les éléments qu'elle avait recueillis ne
justifiaient pas qu'il soit donné une suite favorable à la partie de sa plainte
dénonçant une violation de l'article 86 CE.
- 102.
- Par ailleurs, ainsi qu'il a été constaté ci-dessus, un grief tiré d'une éventuelle erreur
ou insuffisance de motivation est, eu égard à la question de savoir si la Commission
a pris position au sens de l'article 232 CE, dépourvu de pertinence.
- 103.
- Il s'ensuit que, en adressant à la plaignante la lettre du 15 mai 1997, la Commission
a pris position au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE, et qu'il n'y a plus lieu
de statuer sur les conclusions en carence pour autant qu'elles tendent à voir
constater que la Commission s'est illégalement abstenue d'agir au titre de l'article
86 CE.
Sur le recours subsidiaire en annulation
- 104.
- A titre subsidiaire, dans la mesure où la lettre de la Commission du 11 décembre
1995 constituerait une décision de rejet de sa plainte du 10 mars 1993, la
requérante soutient qu'il y a lieu de déclarer cette décision illégale au motif qu'elle
ne constate pas la violation des articles 81 CE, 86 CE et 92 du traité CE. Dans sa
réplique, la requérante tout en prenant acte de ce que la Commission admettait
que la lettre du 11 décembre 1995 ne constituait pas une prise de position au sens
de l'article 232 CE, a néanmoins déclaré maintenir le recours en annulation à titre
tout à fait subsidiaire au cas où le Tribunal adopterait la position opposée.
- 105.
- Ainsi qu'il ressort tant de l'avis convergent des parties que de l'appréciation du
Tribunal dans le cadre du recours en carence, la lettre du 11 décembre 1995 est
de nature purement informative et ne comporte aucune prise de position de la
Commission sur le fond du dossier.
- 106.
- Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions en annulation, dès lors qu'elles
n'ont été présentées qu'à titre purement subsidiaire.
Sur les dépens
- 107.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux
termes de l'article 87, paragraphe 6, du même règlement, le Tribunal règle
librement les dépens en cas de non-lieu à statuer.
- 108.
- En l'espèce, d'une part, la Commission a succombé en l'essentiel de ses
conclusions, d'autre part, elle n'a pas donné suite, dans le délai prévu à l'article 232
CE, à la mise en demeure. Par ailleurs, ce n'est que le 15 mai 1997, soit
postérieurement à l'introduction du présent recours, que la Commission a notifié
à la partie requérante une prise de position au sujet de la partie de sa plainte du
10 mars 1993 dénonçant des violations des articles 81 CE et 86 CE.
- 109.
- Il résulte de ce qui précède, qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances
de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens, ainsi
que ceux de la partie requérante, à l'exclusion des dépens occasionnés à la
requérante par l'intervention de la République française.
- 110.
- En application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la
République française supportera ses propres dépens. Elle supportera, par ailleurs,
les dépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) La Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du
traité CE en s'abstenant d'adopter une décision sur la partie de la plainte
relative aux aides d'État déposée par Télévision française 1 SA le 10 mars
1993.
2) Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions en carence en ce qu'elles sont
dirigées contre l'abstention de la Commission d'agir au titre des articles
81 CE (ex-article 85) et 86 CE (ex-article 90).
3) Le recours, en ce qu'il est dirigé contre l'abstention de la Commission
d'agir au titre de l'article 82 CE (ex-article 86), est irrecevable.
4) Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions subsidiaires en annulation.
5) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés
par la partie requérante, à l'exclusion des dépens occasionnés à la
requérante par l'intervention de la République française.
6) La République française supportera ses propres dépens, ainsi que les
dépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.
JaegerLenaerts
Tiili
Azizi Mengozzi
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juin 1999.
Le greffier
Le président
H. Jung
M. Jaeger