Language of document : ECLI:EU:T:2019:342

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

16 mai 2019 (*)

« Recours en annulation – Rapprochement des législations – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac et des produits connexes ‐ Mise en place et fonctionnement d’un système de traçabilité des produits du tabac – Règlement délégué et actes d’exécution – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑396/18,

International Tax Stamp Association Ltd (ITSA), établie à Sunbury-on-Thames (Royaume-Uni), représentée par Me F. Scanvic, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes I. Rubene et C. Valero, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation du règlement délégué (UE) 2018/573 de la Commission, du 15 décembre 2017, relatif aux éléments essentiels des contrats de stockage de données devant être conclus dans le cadre d’un système de traçabilité des produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 1), du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission, du 15 décembre 2017, relatif aux normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement d’un système de traçabilité des produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 7), et de la décision d’exécution (UE) 2018/576 de la Commission, du 15 décembre 2017, concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 57),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. M. Prek (rapporteur), président, F. Schalin et Mme M. J. Costeira, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, International Tax Stamp Association (ITSA), est une association de droit du Royaume-Uni dont les membres sont des fabricants de timbres fiscaux.

2        Sur le fondement de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1), la Commission européenne a adopté les actes suivants (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») :

–        le règlement délégué (UE) 2018/573 de la Commission, du 15 décembre 2017, relatif aux éléments essentiels des contrats de stockage de données devant être conclus dans le cadre d’un système de traçabilité des produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 1) ;

–        le règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission, du 15 décembre 2017, relatif aux normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement d’un système de traçabilité des produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 7) ;

–        la décision d’exécution (UE) 2018/576 de la Commission, du 15 décembre 2017, concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac (JO 2018, L 96, p. 57).

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juin 2018, la requérante a introduit le présent recours.

4        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 octobre 2018, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal.

5        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 novembre 2018, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

6        Le 22 novembre 2018, la requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission.

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Commission et d’annuler les actes attaqués.

8        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

10      En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

11      La requérante soulève un unique moyen d’annulation, tiré de la violation de l’article 8 du premier protocole à la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac (CCLAT), à savoir le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, adopté le 12 novembre 2012 (ci-après le « protocole »).

12      Il est constant que ni la requérante ni ses membres ne sont destinataires des actes attaqués.

13      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission soulève deux fins de non-recevoir, tirées, la première, du défaut de qualité pour agir de la requérante et de ses membres et, la seconde, du défaut d’intérêt à agir de ceux-ci.

14      En ce qui concerne la qualité pour agir, elle soutient que la requérante et ses membres ne sont ni directement ni individuellement concernés par les actes attaqués, qui, en outre, comporteraient des mesures d’exécution.

15      Il convient de rappeler d’emblée que, la requérante étant une association représentant des fabricants de timbres fiscaux, elle n’est, selon la jurisprudence, en principe recevable à introduire un recours en annulation que si les entreprises qu’elle représente ou certaines d’entre elles ont qualité pour agir à titre individuel ou si elle peut faire valoir un intérêt propre (voir, en ce sens, ordonnance du 27 avril 2016, European Union Copper Task Force/Commission, T‑310/15, non publiée, EU:T:2016:265, point 19 et jurisprudence citée).

16      La requérante ne fait pas de distinction entre ses intérêts propres et ceux de ses membres et fait valoir, de manière générale, que les différentes dispositions des actes attaqués affectent directement ses membres et elle-même.

17      Cependant, il convient de relever que la requérante ne soulève aucun argument précis tendant à démontrer que sa position juridique propre serait affectée par les actes attaqués et ne démontre pas l’existence de droits spécifiques qui lui auraient été accordés dans le cadre de la procédure d’élaboration des actes attaqués, notamment en ce qu’elle aurait joué un rôle dans l’élaboration desdits actes (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, points 88 et 89 et jurisprudence citée).

18      Dès lors, il y a lieu d’examiner uniquement la qualité pour agir des membres de la requérante.

19      À cet égard, il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (voir arrêt du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 32 et jurisprudence citée).

20      Les deux cas de figure présupposant que les actes attaqués concernent directement les membres de la requérante, cette condition doit être examinée en premier.

21      Selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux conditions soient cumulativement satisfaites, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir ordonnance du 19 juillet 2017, Lysoform Dr. Hans Rosemann et Ecolab Deutschland/ECHA, C‑666/16 P, non publiée, EU:C:2017:569, point 42 et jurisprudence citée).

22      La Commission soutient, en substance, que les actes attaqués ne produisent pas d’effets directs sur la situation juridique des membres de la requérante.

23      Dans la requête, la requérante fait valoir que les termes des actes attaqués sont particulièrement clairs et précis et ne laissent pas de marge aux États membres dans leur transposition. Selon elle, les timbres de marquage, fabriqués par ses membres, relèvent de l’une des technologies dominantes permettant la mise en œuvre de la traçabilité des produits du tabac. Notamment, ces fabricants auraient développé et mis en œuvre une solution de traçabilité numérique, baptisée « Codentify », qu’ils utiliseraient de façon permanente. Or, les actes attaqués laisseraient les producteurs de cigarettes maîtres d’une part très importante des opérations de traçabilité. Dès lors, les membres de la requérante se verraient privé, du fait de ces actes, de toute possibilité de développer leurs activités dans ce domaine.

24      Afin de pouvoir examiner si les actes attaqués produisent des effets directs sur la situation juridique des membres de la requérante, il convient de les situer dans leur contexte juridique.

25      Les actes attaqués ont été adoptés sur le fondement de la directive 2014/40. Cette directive a intégré dans la législation de l’Union des règles détaillées relatives à la traçabilité des produits du tabac, incluant le marquage des unités de conditionnement des produits du tabac avec un identifiant unique ainsi que des règles concernant l’apposition de dispositifs de sécurité, dont l’objectif commun est de lutter contre le commerce illicite des produits du tabac. Ces règles sont contenues aux articles 15 et 16 de ladite directive.

26      Selon l’article 15 de la directive 2014/40, intitulé « Traçabilité », il est prévu ce qui suit :

« 1. Les États membres veillent à ce que chaque unité de conditionnement des produits du tabac porte un identifiant unique. Afin de garantir l’intégrité de l’identifiant, celui-ci est imprimé ou apposé de façon inamovible et indélébile, et n’est en aucune façon dissimulé ou interrompu, y compris par des timbres fiscaux ou des étiquettes de prix, ou par l’ouverture de l’unité de conditionnement. En ce qui concerne les produits du tabac fabriqués en dehors de l’Union, les obligations énoncées au présent article s’appliquent uniquement aux produits destinés au marché de l’Union ou mis sur le marché de l’Union.

2. Cet identifiant unique permet de déterminer ce qui suit :

a)      la date et le lieu de fabrication ;

b)      l’installation de production ;

c)      la machine utilisée pour la fabrication des produits du tabac ;

d)      le créneau de production ou l’heure de fabrication ;

e)      la description du produit ;

f)      le marché de vente au détail de destination ;

g)      l’itinéraire d’acheminement prévu ;

h)      le cas échéant, l’importateur dans l’Union ;

i)      l’itinéraire d’acheminement effectif, depuis le lieu de fabrication jusqu’au premier détaillant, y compris l’ensemble des entrepôts utilisés, ainsi que la date d’acheminement, la destination, le point de départ et le destinataire ;

j)      l’identité de tous les acheteurs, depuis le lieu de fabrication jusqu’au premier détaillant ; et

k)      la facture, le numéro de commande et la preuve de paiement de tous les acheteurs, depuis le lieu de fabrication jusqu’au premier détaillant.

3. Les informations visées au paragraphe 2, [sous] a) [à] g) et, le cas échéant, [sous] h), font partie de l’identifiant unique.

4. Les États membres veillent à ce que les informations visées au paragraphe 2, [sous] i) [à] k), soient accessibles électroniquement au moyen d’un lien vers l’identifiant unique.

[…]

8. Les États membres veillent à ce que les fabricants et les importateurs de produits du tabac concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant, dans le but d’héberger l’installation de stockage destinée à toutes les données pertinentes. L’installation de stockage de données est physiquement située sur le territoire de l’Union. L’adéquation du tiers, notamment son indépendance et ses capacités techniques, de même que le contrat de stockage de données, sont approuvés par la Commission.

Les activités du tiers sont contrôlées par un auditeur externe, lequel est proposé et rémunéré par le fabricant de tabac et approuvé par la Commission. L’auditeur externe soumet aux autorités compétentes et à la Commission un rapport annuel dans lequel sont en particulier évaluées les irrégularités éventuelles liées à l’accès.

Les États membres veillent à ce que la Commission, les autorités compétentes des États membres et l’auditeur externe aient pleinement accès aux installations de stockage de données. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission ou les États membres peuvent permettre aux fabricants ou aux importateurs d’accéder aux données de stockage, à condition que les informations commercialement sensibles continuent de bénéficier d’une protection adéquate, conformément au droit de l’Union et des États membres applicable.

[…]

11. Par voie d’actes d’exécution, la Commission :

a)      détermine les normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement du système d’identification et de traçabilité prévu au présent article, y compris le marquage à l’aide d’un identifiant unique, l’enregistrement, la transmission, le traitement et le stockage des données et l’accès aux données stockées ;

b)      détermine les normes techniques nécessaires afin que les systèmes utilisés pour l’identifiant unique et les fonctions connexes soient pleinement compatibles entre eux dans toute l’Union.

Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 25, paragraphe 2.

12. La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 27 afin de définir les éléments essentiels des contrats de stockage de données visés au paragraphe 8 du présent article, tels que la durée, la possibilité de reconduction, l’expertise requise ou la confidentialité, y compris le suivi régulier et l’évaluation de ces contrats.

[…] »

27      L’article 16 de la directive 2014/40, intitulé « Dispositif de sécurité », prévoit ce qui suit :

« 1. Outre l’identifiant unique visé à l’article 15, les États membres exigent que toutes les unités de conditionnement des produits du tabac qui sont mises sur le marché comportent un dispositif de sécurité infalsifiable, composé d’éléments visibles et invisibles. Le dispositif de sécurité est imprimé ou apposé de façon inamovible et indélébile, et n’est en aucune façon dissimulé ou interrompu, y compris par des timbres fiscaux et des étiquettes de prix, ou par tout autre élément imposé par la législation.

Les États membres qui exigent des timbres fiscaux ou des marques d’identification nationales à des fins fiscales peuvent permettre qu’ils soient utilisés pour le dispositif de sécurité à condition que les timbres fiscaux ou les marques d’identification nationales répondent à toutes les normes et fonctions techniques exigées par le présent article.

2. Par voie d’actes d’exécution, la Commission définit les normes techniques nécessaires pour le dispositif de sécurité et son éventuelle rotation, et adapte celles-ci aux avancées scientifiques et techniques ainsi qu’à l’évolution du marché.

[…] »

 Règlement d’exécution 2018/574

28      Le règlement d’exécution 2018/574 définit les normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement du système de traçabilité prévu par l’article 15 de la directive 2014/40.

29      L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement d’exécution 2018/574 prévoient que les fabricants et les importateurs des produits du tabac, d’une part, marquent chaque unité de conditionnement fabriquée ou importée dans l’Union au moyen d’un identifiant unique conforme à l’article 8 dudit règlement et, d’autre part, vérifient l’application et la lisibilité correctes de ces identifiants uniques, cette vérification étant protégée par un dispositif anti-manipulation fourni et installé par un tiers indépendant.

30      Dans la requête, la requérante conteste ces dispositions. Selon elle, l’opération de marquage des produits ne peut être déléguée à l’industrie du tabac sans enfreindre les dispositions du protocole. En particulier, les dispositions de l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2018/574 confèreraient aux industriels un contrôle certain du mécanisme de vérification de l’application de l’identifiant sur chaque produit et empêcheraient les États membres de contrôler la correcte apposition des codes sur les produits du tabac.

31      Cette faculté conférée à l’industrie du tabac serait aggravée par l’article 5, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2018/574, qui prévoit que le système d’entrepôts de stockage des données garantit que les identifiants uniques qui n’ont pas été utilisés dans le délai de six mois à compter de la date de leur réception doivent être automatiquement désactivés.

32      La requérante conteste également l’article 26, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2018/574, qui prévoit que chaque fabricant et importateur veille à la mise en place d’un entrepôt primaire de stockage des données et que, à cette fin, chaque fabricant et importateur conclut un contrat avec un fournisseur tiers indépendant. Selon elle, la mission centrale de stockage des identifiants uniques serait ainsi confiée aux industriels du tabac, ce qui serait incompatible avec l’article 8, paragraphe 12, du protocole et ne permettrait pas de confier le contrôle du système aux États membres.

33      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission, la requérante soutient que le règlement d’exécution 2018/574 concerne directement ses membres, dans la mesure où il remplacerait leurs systèmes de sécurisation des produits du tabac par une méthode nouvelle. Elle précise à cet égard qu’il serait impossible d’imprimer toutes les informations nécessaires sur le support du timbre fiscal dans les conditions prévues par la nouvelle règlementation. La circonstance que la livraison physique des identifiants uniques soit rendue possible par l’article 9, paragraphe 4, du règlement d’exécution 2018/574, mentionné par la Commission, s’avèrerait purement théorique et ne saurait constituer l’ouverture d’une voie pour opérer sur le marché de l’identification des produits du tabac aux membres de la requérante.

34      Ainsi, confier le marquage de l’identifiant unique et l’opération du dispositif anti-manipulation sur les unités de conditionnement à l’industrie du tabac affecterait directement les membres de la requérante qui se verraient privés de leur marché dans le marquage d’identifiant des produits du tabac qui leur serait traditionnellement confié par les États membres.

35      S’agissant des entrepôts primaires de stockage de données, la requérante rappelle que ses membres sont tenus d’enregistrer certaines données dont l’enregistrement relève de l’activité traditionnelle de contrôle des producteurs de timbres fiscaux.

36      Selon la Commission, aucune disposition du règlement d’exécution 2018/574 ne produit d’effets juridiques sur la situation des membres de la requérante. En effet, ce règlement fixerait des exigences applicables aux États membres, aux opérateurs économiques, aux entités chargées de la génération et de la délivrance des identifiants uniques et des systèmes d’entrepôts de stockage des données, mais ne ferait pas référence aux producteurs de timbres fiscaux et ne contiendrait aucune disposition qui porterait atteinte à l’utilisation des timbres fiscaux dans le cadre du fonctionnement du système de traçabilité des produits du tabac qu’il met en place. La Commission observe notamment que l’opération de marquage des unités de conditionnement par un identifiant unique par les industriels est différente de l’opération consistant à générer l’identifiant unique, opération qui relèverait de la compétence exclusive des entités de délivrance desdits identifiants désignées par chaque État membre, conformément à l’article 3 du règlement d’exécution 2018/574, et répondant à des conditions très strictes d’indépendance vis-à-vis de l’industrie.

37      À cet égard, il convient de constater que, premièrement, aucune disposition du règlement d’exécution 2018/574 ne mentionne les fabricants de timbres fiscaux ou l’utilisation de la méthode de recours auxdits timbres dans le cadre du système de traçabilité.

38      Deuxièmement, en ce qui concerne les informations devant apparaître sur l’identifiant unique ainsi que l’obligation, pour les fabricants et les importateurs de produits du tabac, de conclure des contrats de stockage de données avec un tiers indépendant, il convient de relever que ces règles ont déjà été prévues par l’article 15, paragraphes 2 et 8, de la directive 2014/40 (voir point 26 ci-dessus), qui, en tout état de cause, n’avait pas été contestée par la requérante ou ses membres.

39      En ce que la requérante avance qu’elle avait excipé de l’illégalité de ladite directive dans la requête, il y a lieu de rappeler que cette possibilité donnée par l’article 277 TFUE ne constitue pas un droit d’action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente, de telle sorte que l’absence d’un droit de recours principal ou l’irrecevabilité du recours principal entraîne l’irrecevabilité de l’exception d’illégalité (voir arrêt du 4 octobre 2018, Tataram/Commission, T‑546/16, non publié, EU:T:2018:644, point 33 et jurisprudence citée).

40      Par ailleurs, l’argumentation de la requérante quant à l’identifiant unique n’est pas cohérente, voire est contradictoire. Ainsi, si elle soutient que la nouvelle règlementation rend impraticable l’impression des informations nécessaires sur un timbre fiscal, elle affirme au point suivant que l’identifiant unique est imprimé sur les timbres fiscaux, mais que c’est le fait que les opérations de marquage et celles du dispositif anti-manipulation soient confiées aux industriels du tabac qui l’affecte directement.

41      Troisièmement, si la requérante soutient que, par la détermination de l’identifiant unique et par le fait que les opérations de marquage et celles du dispositif anti-manipulation soient confiés à l’industrie du tabac, ses membres sont désormais écartés des traditionnels marchés qui leur étaient confiés par les États membres, force est d’observer qu’elle ne fournit aucun élément de preuve que tel est effectivement le cas.

42      À cet égard, il est utile d’observer que, dans la requête, la requérante n’avance pas de tels arguments et fait uniquement valoir que les dispositions pertinentes du règlement d’exécution 2018/574 ne seraient pas conformes au protocole, dans la mesure où elles laisseraient tout le contrôle en la matière aux fabricants et importateurs des produits du tabac. Notamment, la requérante n’y affirme pas que les marchés du marquage ou de la vérification étaient traditionnellement confiés à ses membres par les États membres, mais soutient au contraire que le système prévu par le règlement d’exécution 2018/574 n’est pas le seul possible en la matière et qu’il existe bien d’autres solutions de marquage et de vérification indépendants permettant de ne pas confier ces opérations à l’industrie de tabac.

43      À supposer même que le système prévu par le règlement d’exécution 2018/574 soit susceptible de mettre en danger les activités commerciales des membres de la requérante, ces conséquences économiques ne concerneraient pas leur situation juridique, mais uniquement leur situation de fait (voir, en ce sens, ordonnance du 28 septembre 2016, PAN Europe e.a./Commission, T‑600/15, EU:T:2016:601, point 32 et jurisprudence citée).

44      En outre, le fait que les dispositions du règlement d’exécution 2018/574 placent les membres de la requérante dans une situation concurrentielle désavantageuse ne permet pas en soi de considérer qu’ils sont affectés dans leur situation juridique par les dispositions contestées et, partant, directement concernés par celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 37 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2015, Confederazione Cooperative Italiane e.a./Anicav e.a., C‑455/13 P, C‑457/13 P et C‑460/13 P, non publié, EU:C:2015:616, points 46 à 49).

45      La jurisprudence citée au point 44 ci-dessus a été récemment confirmée par la Cour, en ce qui concerne les matières autres que les aides d’État, dans l’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, points 51 et 52).

46      Enfin, la requérante ne présente pas d’arguments concrets permettant de déterminer de quelle manière les dispositions du règlement d’exécution 2018/574 affecteraient directement ses membres en ce qui concerne plus particulièrement leur devoir d’enregistrer certaines données (voir point 35 ci-dessus).

47      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré que les dispositions contestées du règlement d’exécution 2018/574 produisaient directement des effets sur la situation juridique de ses membres.

 Règlement délégué 2018/573

48      Le règlement délégué 2018/573 définit les éléments essentiels des contrats de stockage de données devant être conclus dans le cadre d’un système de traçabilité des produits du tabac. Son article 3 définit les services essentiels qui doivent être assurés par le fournisseur, celui-ci étant défini comme « toute personne morale engagée par contrat par un fabricant ou un importateur de produits du tabac aux fins de la mise en place et de la gestion de son entrepôt primaire de stockage des données et des services connexes ».

49      Dans la requête, la requérante soutient que le règlement délégué 2018/573 opère une délégation au profit de l’industrie du tabac des missions de stockage de données. En effet, les conditions contractuelles qui gouvernent la relation avec l’entrepôt de stockage de données seraient prévues par l’industrie du tabac, et seules des exigences minimales insusceptibles d’assurer le contrôle du système par les États membres y seraient maintenues. Ainsi, si les articles 4 et 6 dudit règlement conféreraient, en apparence, un contrôle aux autorités publiques par une auto-déclaration d’expertise technique et un droit d’accès aux entrepôts de stockage de données, ce contrôle serait en réalité inopérant, dans la mesure où il ne permettrait d’avoir accès qu’à des serveurs informatiques sur lesquels sont stockées des informations que les autorités publiques ne peuvent vérifier valablement. Par ailleurs, la garantie de l’indépendance technique et financière du gestionnaire de l’entrepôt primaire de stockage des données, exigée par l’article 8 du règlement délégué 2018/573, se résumerait en une auto-déclaration produite par celui-ci que les autorités publiques seraient insusceptibles de contrôler valablement.

50      La Commission fait valoir que, selon la directive 2014/40, les contrats concernés doivent être conclus entre les fabricants et les importateurs de produits du tabac et un tiers indépendant et que les fabricants de timbres fiscaux ne font partie d’aucune de ces deux catégories. L’objet de ces contrats (fourniture d’un service de stockage de données) serait, en outre, étranger à la production de timbres fiscaux. De même, les arguments avancés par la requérante dans la requête ne feraient pas apparaître de manière plus claire une possible atteinte à la situation juridique de la requérante ou de ses membres.

51      Dans ses observations, la requérante avance que les fabricants de timbres fiscaux remplissent également des missions de stockage de données. En effet, les contrats de fourniture de timbres fiscaux impliqueraient très souvent une traçabilité de ces timbres ainsi que de certains événements logistiques liés à leur fourniture et à leur apposition sur les produits du tabac. Ces services s’étendraient aussi à des traitements de données relatifs aux produits marqués de timbres fiscaux et tracés pour les besoins de la sécurisation de la chaîne de distribution de ces produits. Dans les contrats que les membres de l’exposante passent habituellement avec les États membres, la mission de stockage serait donc intégrée dans le processus complet de traçabilité.

52      À cet égard, il suffit d’observer que le fait que les contrats de stockage de données soient signés entre les fabricants et les importateurs de produits du tabac et un tiers indépendant ressort déjà de l’article 15, paragraphe 8, de la directive 2014/40 (voir point 26 ci-dessus). Or, le règlement délégué 2018/573 détermine uniquement les éléments essentiels devant figurer dans lesdits contrats.

53      En outre, la requérante n’explique pas en quoi une éventuelle activité de stockage de données de ses membres, telle que décrite dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, serait directement affectée par le règlement délégué 2018/573, qui concerne les contrats spécifiques à conclure entre les industriels et un tiers indépendant.

54      Dès lors, les dispositions du règlement délégué 2018/573 ne sauraient affecter directement la situation juridique des membres de la requérante.

 Décision d’exécution 2018/576

55      La décision d’exécution 2018/576 définit les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac.

56      Dans la requête, la requérante soutient que la décision 2018/576 établit un système dans lequel l’industrie du tabac se voit déléguer le choix des dispositifs de sécurité. L’intégralité des dispositifs de sécurité serait donc choisie par l’industrie du tabac, un seul d’entre eux devant impérativement être fourni par une entité indépendante de l’industrie du tabac, selon l’article 3, paragraphe 2, de ladite décision. Le choix de confier à l’industrie du tabac la sélection de l’essentiel des dispositifs de sécurité destinés à assurer l’authentification des produits du tabac serait donc incompatible avec les exigences du protocole.

57      La Commission relève que les dispositions de l’article 4 de la décision d’exécution 2018/576, qui seraient les seules à concerner les timbres fiscaux ne sont pas mises en cause ni même citées par la requérante. Or, d’une part, l’objet de l’article 4 de la décision d’exécution 2018/576 serait précisément d’organiser les conditions permettant aux États membres qui exigent des timbres fiscaux de les utiliser également en tant que dispositif de sécurité, y compris lorsqu’ils ne respectent pas, à eux-seuls, une ou plusieurs des exigences prévues à l’article 3 de la décision d’exécution 2018/576. D’autre part, la requérante n’expliquerait pas en quoi d’autres dispositions de la décision d’exécution 2018/576 seraient susceptibles d’affecter directement sa situation juridique ou celle de ses membres. Par ailleurs, l’article 2, paragraphe 3 de ladite décision, mentionné par la requérante, ne porterait pas préjudice aux fournisseurs de timbres fiscaux et ne les concernerait pas directement. Selon elle, rien dans la décision d’exécution 2018/576 n’exclut les producteurs de timbres fiscaux du nouveau marché des dispositifs de sécurité créé par la directive 2014/40. À titre subsidiaire, la Commission note que la décision d’exécution 2018/576 offre aux États membres une large pouvoir d’appréciation pour sa mise en œuvre.

58      Dans ses observations, la requérante soutient que la décision d’exécution 2018/576 prévoit qu’un seul des dispositifs de sécurité doit être fourni par un fournisseur indépendant, tel un fabricant de timbres fiscaux. Les membres de la requérante seraient dès lors indiscutablement concernés par un texte qui organise leur mission. La solution adoptée par le juge de l’Union dans l’arrêt du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU:C:1994:197), serait applicable en l’espèce.

59      Selon l’article 4 de la décision d’exécution 2018/576, intitulé « Utilisation des timbres fiscaux en tant que dispositifs de sécurité », il est prévu ce qui suit :

« 1. Les États membres qui autorisent l’utilisation de timbres fiscaux ou de marques d’identification nationales à des fins fiscales pour la mise au point de dispositifs de sécurité veillent à ce que les dispositifs de sécurité finals soient conformes aux prescriptions de l’article 3 de la présente décision et à l’article 16 de la directive 2014/40.

2. Lorsque le timbre fiscal ou la marque d’identification nationale à des fins fiscales destinés à être utilisés en tant que dispositifs de sécurité ne respectent pas une ou plusieurs des exigences visées au paragraphe 1, ils ne constituent qu’une partie du dispositif de sécurité. Dans de tels cas, les États membres veillent à ce que les fabricants et les importateurs de produits du tabac soient informés des types supplémentaires d’éléments authentifiants nécessaires à la mise au point d’un dispositif de sécurité conforme.

[…] »

60      En outre, l’article 3 de la décision d’exécution 2018/576, intitulé « Dispositif de sécurité », en ses paragraphes 1 et 2, prévoit que les États membres exigent que les dispositifs de sécurité comportent au moins cinq types d’éléments « authentifiants » et qu’au moins un de ceux-ci soit fourni par un fournisseur tiers indépendant satisfaisant aux exigences prévues à l’article 8 de ladite décision.

61      Selon l’article 10 de la décision 2018/576, les destinataires de celle-ci sont les États membres.

62      Il ressort de ce qui précède que la décision d’exécution 2018/576 prévoit que l’opération d’apposition, notamment, de timbres fiscaux à des fins fiscales doit rester possible dans les États membres qui exigent ce type de dispositif de sécurité. En effet, ainsi qu’il est précisé au considérant 7 de ladite décision, ces États membres devraient être libres d’autoriser que leurs timbres soient utilisés en tant que dispositifs de sécurité, prévus par cette même décision.

63      La requérante ne conteste pas spécifiquement l’article 4 de la décision d’exécution 2018/576 et ne soutient pas non plus que cette disposition restreindrait les droits de ses membres ou leur imposerait des obligations.

64      En toute hypothèse, il y a lieu d’observer que, selon l’article 4, paragraphe 1, de la décision d’exécution 2018/576, le soin de déterminer dans quelles conditions est autorisée l’utilisation de timbres fiscaux pour la mise au point de dispositifs de sécurité, afin que celle-ci soit conforme aux prescriptions de l’article 3 de ladite décision et à l’article 16 de la directive 2014/40, est laissé aux États membres.

65      Cette disposition laisse donc un certain pouvoir d’appréciation aux États membres souhaitant maintenir l’utilisation des timbres fiscaux en tant que dispositifs de sécurité et n’a pas un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires. Dès lors, elle ne répond pas aux conditions de l’affectation directe définies par la jurisprudence rappelée au point 21 ci-dessus.

66      Quant à l’argument de la requérante selon lequel les obligations d’indépendance ne devraient pas se limiter à un seul des cinq éléments de sécurité à apposer sur les produits du tabac, celle-ci n’apporte pas de précisions tendant à démontrer que ses membres seraient directement concernés par cette disposition. Dans la mesure où la requérante entend affirmer que les fabricants de timbres fiscaux seraient ainsi privés d’une partie de leurs activités ou services, il y a lieu de rappeler qu’une telle situation ne permet pas en soi de considérer qu’ils sont affectés dans leur situation juridique par la disposition contestée (voir points 43 et 44 ci-dessus).

67      Dans ces conditions, il convient de conclure que la décision d’exécution 2018/576 ne produit pas d’effets directs sur la situation juridique des membres de la requérante.

68      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la jurisprudence mentionnée par la requérante telle qu’elle est issue de l’arrêt du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU:C:1994:197). Notamment, cette affaire concernait la perte d’un droit spécifique, à savoir celui d’utiliser la mention « crémant » dans une marque géographique enregistrée. Par ailleurs, en l’espèce, il ne saurait aucunement être affirmé que la décision d’exécution 2018/576 puisse avoir pour résultat, à elle seule, d’empêcher les membres de la requérante de poursuivre leurs activités. La requérante ne présente pas non plus d’arguments dans ce sens.

69      Il résulte de tout ce qui précède que la requérante et les membres de celle-ci ne sont pas directement concernés par les actes attaqués. Dès lors, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et de rejeter le recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

70      Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque la partie défenderesse a déposé une exception d’irrecevabilité visée à l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. En outre, aux termes de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’intervention perd son objet lorsque la requête est déclarée irrecevable. En l’espèce, le recours étant rejeté comme irrecevable dans son ensemble, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention du Conseil.

 Sur les dépens

71      En vertu de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

72      En outre, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, dans le cas où, comme en l’espèce, il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur la demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. Étant donné que la demande d’intervention n’a pas été notifiée à la requérante et à la Commission et que, dès lors, celles-ci n’ont pas été mises en situation d’engager des dépens, il y a lieu de considérer que le Conseil supportera ses propres dépens à cet égard.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention du Conseil de l’Union européenne.

3)      International Tax Stamp Association Ltd (ITSA) supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      Le Conseil supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 16 mai 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Prek


*      Langue de procédure : le français.