Language of document : ECLI:EU:C:2020:367

Affaires jointes C924/19 PPU et C925/19 PPU

FMS e.a.

contre

Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság
et
Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság

(demandes de décision préjudicielle,
introduites par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság)

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 mai 2020

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile et d’immigration – Directive 2013/32/UE – Demande de protection internationale – Article 33, paragraphe 2 – Motifs d’irrecevabilité – Article 40 – Demandes ultérieures – Article 43 – Procédures à la frontière – Directive 2013/33/UE – Article 2, sous h), et articles 8 et 9 – Rétention – Légalité – Directive 2008/115/UE – Article 13 – Voies de recours effectives – Article 15 – Rétention – Légalité – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de primauté du droit de l’Union »

1.        Questions préjudicielles – Procédure préjudicielle d’urgence – Conditions – Personne privée de liberté – Notion – Ressortissant d’un pays tiers maintenu dans une zone de transit – Qualification d’un tel maintien indissociablement liée aux réponses à donner aux questions préjudicielles – Solution du litige susceptible d’avoir une incidence sur le maintien dans la zone de transit – Application de la procédure préjudicielle d’urgence

(Statut de la Cour de justice, art. 23 bis ; règlement de procédure de la Cour, art. 107 ; directives du Parlement européen et du Conseil 2008/115, 2013/32 et 2013/33)

(voir points 99-103 et 107)

2.        Questions préjudicielles – Procédure préjudicielle d’urgence – Conditions – Ressortissants de pays tiers faisant l’objet de décisions de retour susceptibles d’être exécutées – Risque de méconnaissance du droit d’asile et risque de traitements inhumains ou dégradants – Solution du litige susceptible d’avoir une incidence sur le contrôle juridictionnel des décisions de retour – Application de la procédure préjudicielle d’urgence

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 18 et 19, § 2 ; statut de la Cour de justice, art. 23 bis ; règlement de procédure de la Cour, art. 107 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115)

(voir points 104, 105 et 107)

3.        Questions préjudicielles – Procédure préjudicielle d’urgence – Conditions – Enfant mineur – Risque de nuire de façon irréparable au développement de l’enfant – Solution du litige susceptible d’avoir une incidence sur la situation à l’origine de ce risque – Application de la procédure préjudicielle d’urgence

(Statut de la Cour de justice, art. 23 bis ; règlement de procédure de la Cour, art. 107)

(voir points 106 et 107)

4.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Décision de retour – Notion – Décision modifiant le pays de destination mentionné dans une décision de retour antérieure – Inclusion

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 3, point 4)

(voir points 116-119)

5.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Recours contre une décision de retour – Notion – Action en justice pouvant être introduite par le ministère public disposant d’un pouvoir général de surveillance de la légalité des décisions de retour – Exclusion – Droit à une protection juridictionnelle effective – Portée – Recours devant pouvoir être exercé par le destinataire de la décision de retour

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 13, § 1)

(voir point 125)

6.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Recours contre une décision de retour ou une décision d’éloignement – Droit à une protection juridictionnelle effective – Portée – Recours contre une décision administrative de retour modifiant le pays de retour initial – Réglementation nationale conférant une compétence exclusive pour statuer sur ce recours à une autorité administrative ne satisfaisant pas à l’exigence d’indépendance caractérisant une instance juridictionnelle – Absence de voies de recours juridictionnelles contre les décisions d’une telle autorité – Inadmissibilité – Obligations et pouvoirs du juge national – Obligation de se déclarer compétent pour connaître dudit recours – Obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au droit de l’Union

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 13, § 1)

(voir points 126-134, 137, 144, 147, disp. 1)

7.        Droit de l’Union européenne – Principes – Droit à une protection juridictionnelle effective – Principe de l’indépendance des juges – Portée

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47)

(voir points 135 et 136)

8.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Demande pouvant être considérée comme irrecevable par les États membres – Motifs – Existence d’un pays tiers sûr – Existence d’un premier pays d’asile – Demande introduite par une personne ayant transité par un pays tiers lui assurant un degré de protection adéquat ou sans y être exposée à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves – Exclusion

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 33)

(voir points 149, 151, 160, 161, 164, 165, disp. 2)

9.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Demande pouvant être considérée comme irrecevable par les États membres – Motif – Existence d’un pays tiers sûr – Concept de pays tiers sûr – Exigence d’un lien de connexion suffisant entre le demandeur et le pays tiers concerné – Transit du demandeur par ledit pays – Absence de lien suffisant

[Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 33, § 2, c), et 38, § 2, a)]

(voir points 152, 153, 156-159)

10.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Rejet d’une demande de protection internationale comme étant manifestement irrecevable – Rejet, confirmé par une décision juridictionnelle définitive, fondé sur un motif d’irrecevabilité contraire au droit de l’Union – Obligation pour l’autorité responsable de l’examen de la demande de la réexaminer d’office afin de tenir compte de la contrariété avec le droit de l’Union constatée par un arrêt de la Cour – Absence

(Art. 4, § 3, TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 18 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 33)

(voir points 189, 190, disp. 3)

11.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Demande pouvant être considérée comme irrecevable par les États membres – Motif – Demande ultérieure ne faisant pas état d’élément ou de fait nouveau – Notion d’élément nouveau – Arrêt de la Cour constatant la contrariété avec le droit de l’Union d’un motif d’irrecevabilité ayant justifié le rejet définitif de la demande de protection internationale initiale – Inclusion – Portée

[Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 2, q), et 33, § 2, d)]

(voir points 191-203, disp. 3)

12.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33 – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Notion de rétention au sens de ces deux directives – Sens similaire – Mesure coercitive privant le demandeur de sa liberté de mouvement et l’isolant du reste de la population en lui imposant de demeurer dans un périmètre restreint et clos

[Directives du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 15 et 16, et 2013/33, art. 2, h)]

(voir points 216-225)

13.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33 – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Notion de rétention au sens de ces deux directives – Obligation faite à un ressortissant d’un pays tiers de demeurer dans une zone de transit – Inclusion – Conditions

(Directives du Parlement européen et du Conseil 2008/115 et 2013/33)

(voir points 226-231, disp. 4)

14.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Article 43 – Procédures spécifiques pouvant être prévues par les États membres à leurs frontières ou dans leurs zones de transit – Placement en rétention d’un demandeur de protection internationale dans une zone de transit dans le cadre d’une telle procédure – Admissibilité – Limite – Durée maximale de la rétention – Durée de quatre semaines à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale – Circonstances d’un afflux massif de demandeurs – Absence d’incidence

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 31, § 8, 33 et 43)

(voir points 235-248, disp. 5)

15.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33 – Placement en rétention – Motifs – Demandeur de protection internationale ne pouvant subvenir à ses besoins – Exclusion – Motif portant atteinte au respect des conditions matérielles d’accueil devant être reconnues audit demandeur

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/33, art. 8, § 3, 1er al., et 17, § 3)

(voir points 250, 251, 253-256, 266, disp. 6)

16.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33 – Garanties offertes aux demandeurs placés en rétention – Portée – Obligation d’examiner la nécessité et la proportionnalité d’une mesure de placement en rétention et d’adopter une décision motivée ordonnant ce placement – Obligation pour les États membres de prévoir un contrôle juridictionnel de la légalité d’une mesure de rétention

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/33, art. 8, § 2 et 3, et 9, § 2, 3 et 5)

(voir points 257-261, 266, disp. 6)

17.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33 – Garanties offertes aux demandeurs placés en rétention – Portée – Durée maximale de la rétention – Obligation de fixer une durée maximale – Absence – Conditions

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/33, art. 9, § 1)

(voir points 262-266, disp. 6)

18.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Rétention à des fins d’éloignement – Motif – Ressortissant d’un pays tiers risquant de compromettre par son comportement l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement – Notion – Ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour et ne pouvant subvenir à ses besoins – Exclusion

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 15, § 1)

(voir points 268-272, 281, disp. 7)

19.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Rétention à des fins d’éloignement – Obligation d’examiner la nécessité et la proportionnalité d’une mesure de placement en rétention et d’adopter une décision motivée ordonnant ce placement – Obligation pour les États membres de prévoir un contrôle juridictionnel de la légalité d’une mesure de rétention

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 15, § 1 à 3)

(voir points 273-277, 281, disp. 7)

20.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115 – Rétention à des fins d’éloignement – Durée maximale de la rétention – Durée de dix-huit mois – Conséquence de l’expiration de cette durée – Obligation de remettre immédiatement en liberté la personne retenue

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 15, § 1 et 4 à 6)

(voir points 278-281, disp. 7)

21.      États membres – Obligations – Établissement des voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective – Réglementation nationale ne prévoyant pas de contrôle juridictionnel d’une mesure de rétention d’un demandeur de protection internationale ou d’un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour – Inadmissibilité – Obligations et pouvoirs du juge national – Obligation de se déclarer compétent pour examiner la légalité d’une telle mesure – Obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au droit de l’Union – Pouvoir de substituer sa propre décision à celle de l’autorité administrative ayant ordonné ledit placement en rétention – Pouvoir de prononcer la libération immédiate des personnes retenues en cas d’illégalité de la mesure de rétention

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directives du Parlement européen et du Conseil 2008/115, art. 15, § 2, et 2013/33, art. 9, § 3)

(voir points 290-294, 301, disp. 8)

22.      États membres – Obligations – Établissement des voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective – Recours contre les décisions relatives à l’octroi des conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale – Obligation de prévoir un recours permettant à un demandeur n’étant plus placé en rétention de faire valoir son droit à l’hébergement – Réglementation nationale ne prévoyant pas de contrôle juridictionnel d’un tel droit – Inadmissibilité – Obligations et pouvoirs du juge national – Obligation de se déclarer compétent pour connaître du recours visant à garantir un tel droit – Pouvoir d’adopter des mesures provisoires

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/33, art. 17 et 26)

(voir points 296-299, 301, disp. 8)

Résumé

Le placement des demandeurs d’asile ou des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour dans la zone de transit de Röszke, à la frontière serbo-hongroise, doit être qualifié de « rétention ». Si, à l’issue du contrôle juridictionnel de la régularité d’une telle rétention, il est établi que les personnes concernées ont été retenues sans motif valable, la juridiction saisie doit les libérer avec effet immédiat.

Dans l’arrêt Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU), rendu le 14 mai 2020 dans le cadre de la procédure d’urgence, la grande chambre de la Cour s’est prononcée sur de nombreuses questions tenant à l’interprétation des directives 2008/115 (1) (ci-après la « directive “retour” »), 2013/32 (2) (ci-après la « directive “procédures” ») et 2013/33 (3) (ci-après la « directive “accueil” »), en rapport avec la réglementation hongroise concernant le droit d’asile ainsi que le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

En l’espèce, des ressortissants afghans (affaire C‑924/19 PPU) et iraniens (affaire C‑925/19 PPU), arrivés en Hongrie par la Serbie, ont introduit des demandes d’asile depuis la zone de transit de Röszke, située à la frontière serbo-hongroise. En application du droit hongrois, ces demandes ont été rejetées comme irrecevables et des décisions de retour vers la Serbie ont été adoptées. Toutefois, la Serbie a refusé la réadmission des intéressés sur son territoire, au motif que les conditions prévues par l’accord de réadmission conclu avec l’Union (4) n’étaient pas réunies. À la suite de cette décision de la Serbie, les autorités hongroises n’ont pas procédé à l’examen au fond des demandes précitées mais ont modifié le pays de destination mentionné dans les décisions de retour initiales, en le remplaçant par le pays d’origine respectif des intéressés. Ces derniers ont alors formé opposition contre les décisions modificatives, laquelle a été rejetée. Bien qu’un tel recours ne soit pas prévu en droit hongrois, les intéressés ont saisi une juridiction hongroise en vue de faire annuler les décisions rejetant leur opposition à l’encontre de ces décisions modificatives et d’enjoindre à l’autorité chargée de l’asile de mener une nouvelle procédure d’asile. Ils ont également introduit des recours en carence liés à leur placement et leur maintien dans la zone de transit de Röszke. En effet, ils ont d’abord été tenus de séjourner dans le secteur de cette zone de transit réservé aux demandeurs d’asile, avant qu’il ne leur soit imposé, quelques mois plus tard, de séjourner dans le secteur de cette même zone réservé aux ressortissants de pays tiers dont la demande d’asile a été rejetée, secteur où ils se trouvent actuellement.

En premier lieu, la Cour a examiné la situation des intéressés dans la zone de transit de Röszke, au regard des règles encadrant tant la rétention des demandeurs de protection internationale (directives « procédures » et « accueil ») que celle des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière (directive « retour »). À cet égard, la Cour a d’abord jugé que le placement des intéressés dans cette zone de transit devait être considéré comme une mesure de rétention. Pour parvenir à cette conclusion, elle a précisé que la notion de « rétention », qui revêt la même signification dans le contexte des différentes directives précitées, vise une mesure coercitive qui suppose une privation, et non une simple restriction, de la liberté de mouvement de l’intéressé et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos. Or, pour la Cour, les conditions prévalant dans la zone de transit de Röszke s’apparentent à une privation de liberté, notamment parce que les intéressés ne peuvent pas, légalement, quitter cette zone volontairement en quelque direction que ce soit. En particulier, ils ne peuvent pas la quitter vers la Serbie dans la mesure où une telle tentative, d’une part, serait considérée comme illégale par les autorités serbes et, de ce fait, les exposerait à des sanctions et, d’autre part, risquerait de leur faire perdre toute chance d’obtenir le statut de réfugié en Hongrie.

La Cour a ensuite examiné la conformité de cette rétention aux exigences imposées par le droit de l’Union. En ce qui concerne les exigences liées au placement en rétention, la Cour a jugé que, en vertu, respectivement, de l’article 8 de la directive « accueil » et de l’article 15 de la directive « retour », ni un demandeur de protection internationale, ni un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour ne peut être placé en rétention au seul motif qu’il ne peut pas subvenir à ses besoins. Elle a ajouté que les articles 8 et 9 de la directive « accueil » et l’article 15 de la directive « retour » s’opposent, respectivement, à ce qu’un demandeur de protection internationale ou un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour soit placé en rétention sans l’adoption préalable d’une décision motivée ordonnant ce placement et sans qu’aient été examinées la nécessité et la proportionnalité d’une telle mesure.

La Cour a également apporté des précisions sur les exigences liées au maintien en rétention et, plus précisément, à la durée de celle-ci. S’agissant des demandeurs de protection internationale, elle a jugé que l’article 9 de la directive « accueil » n’impose pas que les États membres fixent une durée maximale au maintien en rétention. Toutefois, leur droit national doit garantir que la rétention ne dure que tant que le motif qui la justifie demeure d’application et que les procédures administratives liées à ce motif soient exécutées avec diligence. En revanche, s’agissant des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour, il ressort de l’article 15 de la directive « retour » que leur rétention, même lorsqu’elle est prolongée, ne peut excéder dix-huit mois et ne peut être maintenue que tant que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise.

Par ailleurs, s’agissant de la rétention des demandeurs de protection internationale dans le cadre particulier d’une zone de transit, il est également nécessaire de tenir compte de l’article 43 de la directive « procédures ». Il découle de cette disposition que les États membres peuvent imposer aux demandeurs de protection internationale de demeurer à leurs frontières ou dans l’une de leurs zones de transit afin notamment d’examiner, avant de statuer sur le droit d’entrée de ces demandeurs sur leur territoire, si la demande de ces derniers n’est pas irrecevable. Une décision doit néanmoins être adoptée dans un délai de quatre semaines, sans quoi l’État membre concerné doit accorder au demandeur le droit d’entrer sur son territoire et traiter sa demande selon la procédure de droit commun. Dès lors, si les États membres peuvent, dans le cadre d’une procédure visée à cet article 43, placer en rétention les demandeurs de protection internationale se présentant à leurs frontières, cette rétention ne peut, en aucune circonstance, excéder quatre semaines à compter de la date d’introduction de la demande.

Enfin, la Cour a jugé que la légalité d’une mesure de rétention, telle que la rétention d’une personne dans une zone de transit, devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, en application, respectivement, de l’article 9 de la directive « accueil » et de l’article 15 de la directive « retour ». Dès lors, en l’absence de dispositions nationales prévoyant un tel contrôle, le principe de primauté du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective imposent à la juridiction nationale saisie de se déclarer compétente pour se prononcer à ce sujet. De plus, si, à l’issue de son contrôle, la juridiction nationale estime que la mesure de rétention en cause est contraire au droit de l’Union, elle doit pouvoir substituer sa décision à celle de l’autorité administrative l’ayant ordonnée et prononcer la libération immédiate des personnes concernées, ou éventuellement une mesure alternative à la rétention.

Par ailleurs, le demandeur de protection internationale dont la rétention, jugée illégale, a pris fin doit pouvoir se prévaloir des conditions matérielles d’accueil auxquelles il a droit pendant l’examen de sa demande. En particulier, il ressort de l’article 17 de la directive « accueil » que, s’il ne dispose pas de moyens de subsistance, il a le droit d’obtenir soit une allocation financière lui permettant de se loger, soit un hébergement en nature. Dans cette optique, l’article 26 de la directive « accueil » impose qu’un tel demandeur puisse saisir une juridiction d’un recours visant à lui garantir ce droit à l’hébergement, cette dernière disposant de la possibilité d’accorder des mesures provisoires dans l’attente de sa décision définitive. Si aucune autre juridiction n’est compétente en vertu du droit national, le principe de primauté du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective imposent, ici encore, à la juridiction saisie de se déclarer compétente pour connaître du recours visant à garantir ce droit à l’hébergement.

En deuxième lieu, la Cour s’est prononcée sur la compétence de la juridiction nationale pour connaître du recours en annulation des intéressés contre les décisions rejetant leur opposition à la modification du pays de retour. À cet égard, la Cour a indiqué qu’une décision modifiant le pays de destination mentionné dans la décision de retour initiale est à ce point substantielle qu’elle doit être considérée comme une nouvelle décision de retour. En vertu de l’article 13 de la directive « retour », les destinataires d’une telle décision doivent alors disposer d’une voie de recours effective à son encontre, qui doit également être conforme au droit à une protection juridictionnelle effective garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Dans cette perspective, la Cour a rappelé que, si les États membres peuvent prévoir que les décisions de retour sont contestées devant des autorités autres que judiciaires, le destinataire d’une décision de retour adoptée par une autorité administrative doit toutefois, à un certain stade de la procédure, pouvoir en contester la régularité devant au moins une instance juridictionnelle. En l’espèce, la Cour a relevé que les intéressés ne pouvaient contester les décisions prises par l’autorité de police migratoire et modifiant leur pays de retour qu’en formant une opposition devant l’autorité chargée de l’asile et qu’aucun contrôle juridictionnel ultérieur n’était garanti. Or, cette dernière autorité, qui est placée sous l’autorité du ministre chargé de la police, relève du pouvoir exécutif, si bien qu’elle ne remplit pas la condition d’indépendance exigée d’une juridiction au sens de l’article 47 de la Charte. Dans de telles circonstances, le principe de primauté du droit de l’Union, ainsi que le droit à une protection juridictionnelle effective, imposent à la juridiction nationale saisie de se déclarer compétente pour connaître du recours visant à contester une décision de retour portant modification du pays de destination initial, en laissant, au besoin, inappliquée toute disposition nationale qui le lui interdirait.

En troisième lieu, la Cour a examiné le motif d’irrecevabilité prévu par la réglementation hongroise et ayant justifié le rejet des demandes d’asile. Cette réglementation permet un tel rejet lorsque le demandeur est arrivé en Hongrie par un pays qualifié de « pays de transit sûr » dans lequel il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel est assuré un degré de protection adéquat. En rappelant sa jurisprudence récente (5), la Cour a affirmé qu’un tel motif est contraire à l’article 33 de la directive « procédures », avant d’en préciser les conséquences sur la procédure d’asile, dans la mesure où le rejet des demandes d’asile des intéressés, fondé sur ce motif illégal, a déjà été confirmé par une décision juridictionnelle définitive. Selon la Cour, dans un tel cas, il ressort de la directive « procédures », combinée notamment avec l’article 18 de la Charte, qui garantit le droit d’asile, que l’autorité ayant rejeté les demandes d’asile n’est pas tenue de les réexaminer d’office. Toutefois, les intéressés peuvent toujours déposer une nouvelle demande, qui sera qualifiée de « demande ultérieure », au sens de la directive « procédures ». À cet égard, si l’article 33 de cette directive prévoit qu’une demande ultérieure ne faisant état d’aucun élément ou fait nouveau peut être considérée comme irrecevable, l’existence d’un arrêt de la Cour constatant qu’un motif d’irrecevabilité prévu par une réglementation nationale est contraire au droit de l’Union doit être considérée comme un élément nouveau. En outre, de manière plus générale, la Cour a jugé que le motif d’irrecevabilité prévu à l’article 33 de cette directive n’est pas applicable lorsque l’autorité chargée de l’asile constate que le rejet définitif de la première demande d’asile est intervenu en contrariété avec le droit de l’Union. Ce constat s’impose nécessairement lorsque cette contrariété découle, comme en l’occurrence, d’un arrêt de la Cour ou encore lorsqu’elle a été constatée, à titre incident, par une juridiction nationale.


1      Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).


2      Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


3      Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).


4      Accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, annexé à la décision du Conseil, du 8 novembre 2007 (JO 2007, L 334, p. 45).


5      Arrêt du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa), C‑564/18, EU:C:2020:218.