CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer
présentées le 6 septembre 2007 (1)
Affaire C‑267/06
Tadao Maruko
contre
Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen
[demande de décision préjudicielle formée par le Bayerisches Verwaltungsgericht München (Allemagne)]
«Pension de survie servie par un régime obligatoire de prévoyance professionnelle – Refus en raison de l’absence de mariage – Partenaires de même sexe – Directive 2000/78/CE – Champ d’application – Exclusion des prestations de sécurité sociale – Notion de rémunération ‑ Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle»
I – Introduction
1. Conformément à l’article 234 CE, le Bayerisches Verwaltungsgericht München (tribunal administratif de Munich) (Allemagne) a saisi la Cour de cinq questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (2).
2. L’affaire a pour origine le refus d’octroi d’une pension au membre survivant d’un couple formé par deux personnes de même sexe qui n’étaient pas mariées, car le droit national réserve le mariage aux unions hétérosexuelles. Cette affaire s’inscrit ainsi dans le long processus d’acceptation de l’homosexualité (3) qui constitue une étape indispensable pour parvenir à une égalité et à un respect de tous les êtres humains.
3. La juridiction de renvoi cherche à savoir si la demande du requérant au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78 (première et deuxième questions), s’il existe une inégalité liée à l’orientation sexuelle prohibée par cette norme (troisième et quatrième questions) et si la reconnaissance du droit doit être limitée dans le temps (cinquième question).
4. Il est, par conséquent, nécessaire d’analyser deux aspects: celui de la délimitation entre la notion de rémunération et celle de prestation de sécurité sociale, et celui de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. La jurisprudence a fréquemment étudié le premier aspect, mais n’a abordé le second aspect qu’à quelques occasions.
II – Le cadre juridique
A – Le droit communautaire
1. Le traité CE
5. Le traité d’Amsterdam (4) a introduit une nouvelle rédaction de l’article 13 dans le traité CE, selon laquelle:
«Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle».
6. Le traité de Nice (5) a ajouté un paragraphe 2 à l’article 13 CE, en vertu duquel:
«Par dérogation au paragraphe 1, lorsque le Conseil adopte des mesures d’encouragement communautaires, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, pour appuyer les actions des États membres prises en vue de contribuer à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1, il statue conformément à la procédure visée à l’article 251».
2. La directive 2000/78
7. Cette directive a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE, précité, et il est intéressant de souligner certains de ses considérants. Ainsi, son treizième considérant exclut «[les] régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE [et les] versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi». Le vingt‑deuxième considérant indique que les règles communautaires sont «sans préjudice des lois nationales relatives à l’état civil et des prestations qui en dépendent».
8. Selon son article 1er, la directive a pour objet d’établir «un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
9. L’article 2 définit le «concept de discrimination» en effectuant, dans son paragraphe 1, une différenciation entre la discrimination directe et la discrimination indirecte. Conformément au paragraphe 2 de cet article, «une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er» et «une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes». Le paragraphe 2 prévoit quelques exceptions, notamment lorsqu’un objectif légitime, objectivement justifié, et réalisable avec des moyens appropriés et nécessaires est poursuivi.
10. L’article 3 est relatif au champ d’application:
«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé […] en ce qui concerne:
a) les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;
b) l’accès à tous les types et à tous les niveaux d’orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion, y compris l’acquisition d’une expérience pratique;
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;
d) l’affiliation à, et l’engagement dans, une organisation de travailleurs ou d’employeurs, ou toute organisation dont les membres exercent une profession donnée, y compris les avantages procurés par ce type d’organisations.
[…]
3. La présente directive ne s’applique pas aux versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale.
[…]»
B – Le droit allemand
1. La transposition de la directive 2000/78
11. Conformément à l’article 18 de la directive, son délai de mise en œuvre par les États membres a expiré le 2 décembre 2003 (6). Toutefois, ce n’est que le 14 août 2006 que la loi de transposition de directives européennes relatives au principe d’égalité de traitement (Gesetz zur Umsetzung europäischer Richtlinien zur Verwirklichung des Grundsatzes der Gleichbehandlung) a été promulguée (7).
2. La pension de survie et l’organisme payeur
12. L’article 1er de la convention collective des théâtres allemands (Tarifordnung für die deutschen Theater), du 27 octobre 1937 (8), oblige tous les employeurs à souscrire une assurance vieillesse et survie pour le personnel artistique qu’ils emploient. D’après l’article 4 de ce texte, l’employeur et le travailleur supportent les primes par moitié.
13. L’organisme chargé de la gestion des assurances est la Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen (ci-après la «VddB»), une personne morale de droit public représentée par la Bayerische Versorgungskammer. Son siège se trouve à Munich et ses activités s’étendent à l’ensemble du territoire allemand. Ses statuts du 12 décembre 1991 (9) détaillent sa composition, ses fonctions et les prestations qu’elle doit fournir.
14. Conformément à l’article 27, paragraphe 2, des statuts, l’octroi des prestations aux survivants est soumis à la condition que, immédiatement avant la survenance de l’événement ouvrant droit à prestation, l’assurance à titre obligatoire ou volontaire ait été en vigueur et que le délai de carence soit respecté.
15. En particulier, les articles 32 et 34 des statuts reconnaissent le droit à une pension de veuvage pour, respectivement, l’«épouse» ou l’«époux», si le «mariage» a perduré jusqu’au jour du décès de l’assuré.
3. La réglementation relative au partenariat enregistré
16. La loi relative au partenariat enregistré; (Lebenspartnerschaftsgesetz, ci‑après le «LPartG») du 16 février 2001 (10) a créé, pour les personnes du même sexe, une institution de droit de la famille proche du mariage.
17. Pour enregistrer une union de ce type, l’article 1er, paragraphe 1, requiert une manifestation de la volonté de créer une communauté de vie. Pendant la durée de la relation, les partenaires se doivent mutuellement secours et assistance (article 2), sont tenus de contribuer aux besoins de la communauté, les dispositions du code civil relatives aux époux étant applicables en ce qui concerne les obligations alimentaires (article 5). Comme les époux, les partenaires vivent sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, mais ils peuvent convenir d’un autre régime (article 6). De plus, chaque partenaire est considéré comme un membre de la famille de l’autre (article 11). En cas de séparation, par analogie aux règles du code civil, l’obligation alimentaire est maintenue (article 16) et les droits à pension font l’objet d’une répartition compensatoire (article 20).
18. L’article 46, paragraphe 4, du livre VI du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch) (11) transpose l’équivalence entre le partenariat enregistré et le mariage dans le domaine des régimes légaux d’assurance vieillesse, en assimilant les sujets de ces deux régimes.
III – Les faits, le litige au principal et les questions préjudicielles
19. Le 8 novembre 2001, sur la base du LPartG, M. Tadao Maruko et un autre homme ont constitué un partenariat enregistré.
20. Le compagnon de M. Maruko était créateur de costumes de théâtre et était affilié sans interruption auprès de la VddB depuis le 1er septembre 1959, car, même en l’absence d’obligation d’affiliation, il a continué à cotiser à titre volontaire durant la période comprise entre le 1er septembre 1975 et le 30 septembre 1991. Il est décédé le 12 janvier 2005.
21. Le 17 février 2005, M. Maruko a demandé une pension de veuf (12), qui a été refusée par décision de la VddB du 28 février 2005, au motif que ses statuts ne prévoient pas de telles prestations aux survivants pour les partenaires enregistrés. Après avoir présenté une réclamation, sans succès, l’intéressé s’est tourné vers la voie judiciaire.
22. Le Bayerisches Verwaltungsgericht München a constaté que les règles allemandes n’octroient pas la pension litigieuse au requérant, car les articles 32 et 34 des statuts de la VddB exigent l’existence d’un mariage entre le demandeur et l’affilié, une interprétation extensive des notions de «veuf», de «veuve», d’«époux» ou d’«épouse» étant exclue, puisque l’institution du partenariat enregistré s’adresse exclusivement aux personnes qui ne peuvent pas contracter de mariage entre elles. De plus, ces dispositions seraient conformes à d’autres normes nationales de rang supérieur, à savoir l’article 3 de la Loi fondamentale (13).
23. Dans ces circonstances, considérant que le recours ne pourrait être accueilli qu’en vertu des règles communautaires, le Bayerisches Verwaltungsgericht München a suspendu la procédure pour poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour:
«1) Un régime obligatoire de prévoyance professionnelle – tel que celui géré en l’espèce par la VddB – est-il un régime assimilé aux régimes publics, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78 […]?
2) Les prestations aux survivants servies sous forme de pensions de veuve ou de veuf par une institution de prévoyance obligatoire doivent-elle être considérées comme une rémunération, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78?
3) Les dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 font-elles obstacle aux dispositions des statuts d’un régime complémentaire de prévoyance en vertu desquelles, après le décès de son partenaire, le partenaire enregistré ne perçoit pas de prestations aux survivants équivalentes à celles servies à des époux alors même que, à l’instar des époux, le partenaire enregistré vit au sein d’une communauté d’assistance et d’entraide constituée à vie de manière formelle?
4) Dans le cas où il serait répondu par l’affirmative à la question précédente, une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est-elle autorisée, eu égard au 22e considérant de la directive 2000/78?
5) Le bénéfice aux prestations de survivants se limiterait-il aux périodes postérieures au 17 mai 1990 sur le fondement de la jurisprudence Barber (C-262/88) (14)?»
IV – La procédure devant la Cour
24. La VddB, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites dans le délai prévu à l’article 23 du statut de la Cour de justice.
25. La VddB considère qu’elle gère un régime public de sécurité sociale qui, par conséquent, ne relève pas de la directive 2000/78. En tout état de cause, une prestation de survie accordée à titre de pension de veuvage par une institution de prévoyance obligatoire ne relèverait pas de la notion de «rémunération» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de cette directive. Mais même si l’on faisait application de cette directive, les statuts de la VddB ne contiendraient pas de discriminations directes ou indirectes. De plus, le renvoi au vingt‑deuxième considérant de ladite directive serait utile, même s’il n’a pas été repris dans les articles de la directive. Enfin, la jurisprudence Barber ne serait pas applicable, car elle est relative à un cas de figure différent.
26. Le Royaume-Uni propose d’analyser, en premier lieu, la quatrième question à l’aune du libellé du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78, qui exclut les prestations liées à l’état civil, comme celle qui est en cause au principal et qui est conditionnée par le mariage. Par conséquent, il serait inutile d’examiner les autres questions posées.
27. Pour la Commission, la pension réclamée ne provient pas d’un régime public de sécurité sociale ou d’un régime assimilé, car elle remplit les conditions formulées par la Cour pour pouvoir la qualifier de «rémunération» et, par conséquent, pour relever de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78. En ce qui concerne les troisième et quatrième questions, que la Commission suggère de résoudre conjointement, elle mentionne la valeur interprétative du vingt‑deuxième considérant de cette directive, dont elle déduit l’absence d’obligation pour l’État d’assimiler les partenariats enregistrés aux mariages. Mais la Commission remarque que, si un État assimile les deux institutions, ce qu’il appartient au juge national de constater, il devra alors respecter le principe d’égalité de traitement. Cette prémisse permettrait d’écarter une discrimination directe, mais pas une discrimination indirecte. Enfin, il n’y aurait pas lieu de répondre à la cinquième question, car l’arrêt Barber concerne des questions différentes de celles qui se posent dans la présente affaire.
28. Au cours de l’audience qui s’est tenue le 19 juin 2007, des observations orales ont été présentées par les représentants de M. Maruko, de la VddB, de la Commission et des gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni.
V – L’applicabilité de la directive 2000/78
29. Avant toute autre réflexion, il existe des incidences temporelles importantes en l’espèce, car les droits nationaux devaient être mis en conformité avec la directive au plus tard le 2 décembre 2003 et la République fédérale d’Allemagne n’a pas promulgué la loi correspondante avant le 14 août 2006 (15), alors que le requérant au principal avait demandé la prestation le 17 février 2005.
30. C’est ainsi qu’entre en jeu le concept de l’effet direct des directives, qui a fait l’objet d’une jurisprudence abondante en vertu de laquelle, dès lors que les dispositions d’une directive sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l’encontre de l’État qui s’est abstenu d’adapter son ordre juridique national dans le délai fixé ou qui l’a fait de manière incorrecte (16). Une disposition communautaire est inconditionnelle lorsqu’elle n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’adoption d’un acte des institutions communautaires ou des États membres (17); elle est suffisamment précise lorsqu’elle impose une obligation dans des termes non équivoques (18).
31. De plus, parmi les entités devant lesquelles une telle applicabilité peut être invoquée, on trouve les organismes qui, quelle que soit leur forme juridique, sont chargés, en vertu d’un acte de l’autorité publique, d’accomplir, sous le contrôle opportun, un service d’intérêt général grâce à des pouvoirs exorbitants (19).
32. Par conséquent, il convient d’examiner si, compte tenu de la transposition tardive de la directive 2000/78, M. Maruko est en droit d’exiger le respect de ce texte par la VddB.
33. D’une part, l’article 1er de la directive 2000/78 expose son objectif, qui est de lutter contre les exclusions fondées sur l’orientation sexuelle en ce qui concerne l’emploi et le travail, pour que le principe d’égalité soit appliqué. L’article 2 définit le concept de discrimination et l’article 3, paragraphe 1, expose les domaines dans lesquels les personnes peuvent être concernées, parmi lesquels figure le domaine de la rémunération. La directive 2000/78 prévoit ainsi une interdiction inconditionnelle et précise de toute inégalité de rémunération entre salariés fondée sur l’orientation sexuelle.
34. D’autre part, la VddB jouit de la personnalité morale publique et est soumise à la tutelle administrative de l’administration de l’État.
35. Par conséquent, je partage le point de vue du Verwaltungsgericht et de la Commission selon lequel, dans l’affaire au principal, les conditions pour que l’effet direct soit reconnu sont remplies, avec les conséquences qui en découlent.
VI – Le domaine d’application de la directive 2000/78
36. L’incertitude sur la possibilité d’invoquer la norme communautaire étant levée, j’invite la Cour à répondre de manière conjointe aux deux premières questions du Bayerisches Verwaltungsgericht München, puisque toutes deux portent sur le domaine d’application de la directive 2000/78.
37. L’article 3 de la directive trace ses contours de manière positive et négative, puisque le paragraphe 1, sous a) à d), énumère les matières concernées, alors que le paragraphe 3 indique les domaines exclus. La juridiction de renvoi souhaite savoir si la pension demandée par M. Maruko doit être qualifiée de rémunération au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), ou de versement effectué par un régime public de sécurité sociale au sens de l’article 3, paragraphe 3, cette pension relevant des dispositions de la directive dans le premier cas, mais pas dans le deuxième cas.
38. Pour répondre à ces questions et définir la nature juridique de la pension litigieuse, il convient d’approfondir les notions de «prestation de sécurité sociale» et de «rémunération», qui sont incompatibles.
39. La quatrième question préjudicielle concerne la portée de l’exception faite par le vingt‑deuxième considérant de la directive pour les prestations qui dépendent de l’état civil; elle est donc liée au domaine d’application de la norme communautaire, mais, comme elle se situe dans une sphère qui lui est propre, elle devra être traitée séparément.
A – Les prestations de sécurité sociale
40. L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78 exclut les versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale et le treizième considérant de la directive prévoit qu’elle ne s’applique pas «aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE […]».
41. La particularité du domaine de la sécurité sociale, qui est régi par des normes spécifiques telles que le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971 (20), est ainsi maintenue.
1. Les prestations de sécurité sociale
42. Lorsque la directive 2000/78 écarte les «versements de toute nature», elle se réfère à toutes les «prestations», «pensions» et «rentes» que définit l’article 1er, sous t), du règlement n° 1408/71 et qui comprennent «tous les éléments à charge des fonds publics, les majorations de revalorisation ou allocations supplémentaires […], ainsi que les prestations en capital qui peuvent être substituées aux pensions ou rentes et les versements effectués à titre de remboursement de cotisations».
43. Bien que cette délimitation ne soit pas très exacte, elle révèle l’étendue qui a voulu lui être donnée et contient certains éléments essentiels tels que l’origine «publique» des sommes versées.
44. Le règlement n° 1408/71, dans le cadre de la définition de son champ d’application matériel par l’article 4, paragraphe 1, mentionne «toutes les législations […] de sécurité sociale qui concernent: […]d) les prestations de survivants […]». Cette formulation implique que la qualité de pension de veuvage ne suffit pas pour que ce règlement s’applique; un lien avec la sécurité sociale est également nécessaire (21).
2. La sécurité sociale
45. Le règlement n° 1408/71, conscient de la disparité des régimes des États membres à laquelle il fait allusion dans ses troisième et quatrième considérants, ne s’aventure pas à définir le contenu de la notion de sécurité sociale (22). Cette absence de définition n’empêche pas que, pour répondre de la manière la plus adéquate possible à la juridiction de renvoi, l’analyse de cette institution soit approfondie.
46. Indépendamment des précédents discutables (23) et des formules rhétoriques prémonitoires (24), la sécurité sociale s’applique à des risques caractérisés par la généralité de leur incidence et par la conviction, partagée par tous, qu’il doit être fait face à ces risques collectivement et solidairement (25).
47. L’augmentation de la productivité résultant de la révolution industrielle (26) a engendré la mise en place de techniques spécifiques de protection de la population ouvrière (27). Les modèles varient d’un endroit à l’autre et l’on en distingue principalement deux: le modèle contributif, pour lequel le montant des prestations dépend des cotisations préalables, et le modèle de l’assistance, qui est détaché de ces cotisations.
48. Toutefois, presque tous les systèmes existants cumulent des éléments des deux modèles et on peut identifier une tendance à la convergence (28). Dans cette optique, le deuxième rapport de William Beveridge est intéressant. La sécurité sociale y est considérée comme l’ensemble des mesures adoptées par l’État pour protéger les citoyens contre les risques de nature individuelle qui ne peuvent jamais être évités, aussi avancée que soit la société dans laquelle ils vivent (29).
49. Dans ce contexte, certaines remarques se détachent:
– il appartient aux pouvoirs publics, directement ou indirectement, d’adopter les mesures de protection (30);
– la qualité de bénéficiaire résulte du simple fait d’être un citoyen;
– on essaie de prévenir et de remédier à des sinistres que l’on n’a pas pu éviter.
50. Ces éléments comportent des nuances suivant l’époque ou le pays concerné, car chaque période de l’histoire aspire à un «idéal de protection» (31). Cependant, en raison de son internationalisation (32), le contenu matériel de la sécurité sociale fait actuellement l’objet d’une certaine stabilité et l’on peut constater un progrès indéniable de l’intérêt communautaire qu’il éveille (33).
51. Les trois remarques précitées montrent également l’autonomie de la sécurité sociale par rapport au droit du travail (34), qui se manifeste à plusieurs niveaux: les sujets protégés, la protection offerte, ainsi que le financement et la gestion du système (35).
52. Cet éloignement par rapport à la sphère du travail a une incidence sur la notion de rémunération développée par la Cour.
B – La notion de rémunération
1. Idée générale
53. La directive 2000/78 s’applique à toutes les personnes en ce qui concerne «les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération», mais elle ne définit aucune de ces notions.
54. Il convient par conséquent de se référer à la description de la «rémunération» dans l’article 141 CE et à la jurisprudence qui l’a interprétée. Cette disposition oblige les États membres à garantir l’égalité des rémunérations entre les travailleurs des deux sexes, et la directive se situe dans la même ligne, comme le montrent son titre, ses considérants et son article 1er, en ce qui concerne la lutte contre la discrimination dans le domaine du travail, même si la directive ne se limite pas aux seuls motifs de discrimination liés au sexe. De plus, le treizième considérant de la directive renvoie expressément à l’article 141 CE en ce qui concerne la délimitation avec les avantages liés à la sécurité sociale.
55. L’existence d’une contre‑prestation présente une importance essentielle en tant qu’élément de la relation de travail (36), ce qui justifie l’étendue donnée à la notion de rémunération par l’article 141, paragraphe 2, CE, qui recouvre le «salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier».
56. Comme je l’ai indiqué dans des conclusions précédentes (37), la Cour a progressivement établi la définition légale. Elle a jugé que la notion de rémunération inclut notamment les facilités en matière de transport qu’une entreprise de chemin de fer accordait à ses employés pensionnés et qui s’étendaient aux membres de leur famille, de sorte que les parents des anciens employés devaient également pouvoir en bénéficier dans les mêmes conditions (38); la poursuite du paiement du salaire en cas de congé de maladie (39); les prestations servies en cas de licenciement économique (40); l’indemnité payée aux membres du comité d’entreprise, sous forme de congé payé ou de rémunération d’heures supplémentaires, au titre de leur participation à des stages de formation où leur sont dispensés des enseignements nécessaires à l’activité du comité d’entreprise, bien qu’au cours de ces périodes ils n’exercent aucune des activités prévues par leur contrat de travail (41); le droit d’affiliation à un plan de retraite d’entreprise (42); la prestation que l’entreprise verse à une employée durant son congé de maternité, en application de dispositions légales ou de conventions collectives (43); la prime de fin d’année payée par l’employeur en application d’une loi ou d’une convention collective (44); l’indemnité pour cause de cessation de la relation de travail (45); la prime de Noël, volontaire et révocable, versée à titre d’incitation pour le travail futur et la fidélité à l’entreprise (46); une majoration mensuelle de salaire (47); la prise en compte de la durée du service militaire aux fins du calcul de l’ancienneté, avec les répercussions financières qui s’ensuivent (48); ou la pension de transition, complémentaire à la prestation pour licenciement, accordée à l’occasion d’une opération de restructuration de l’entreprise (49).
57. Dans ces arrêts, on retrouve certains éléments communs qui confirment l’idée selon laquelle la «rémunération» comprend tout avantage, en espèces ou en nature, actuel ou futur, payé, même indirectement, par l’employeur (50) au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier (51), même après la cessation de la relation de travail (52), que ce soit en exécution d’un contrat ou de dispositions légales ou à titre volontaire (53).
2. Les pensions
58. Dans le cadre de l’application de l’article 141 CE aux pensions, la jurisprudence a nuancé les critères habituels.
59. Ainsi, elle a exclu de la notion de rémunération les pensions de retraite directement réglées par la loi – ce qui exclut tout élément de concertation – dès lors qu’elles sont obligatoirement applicables à des catégories générales de travailleurs et que les cotisations sont fixées en vertu de considérations de politique sociale (54).
60. Toutefois, elle a inclus dans la notion de rémunération les pensions d’entreprise qui, même si elles ont été adoptées en vertu de dispositions légales, trouvent leur source dans un accord entre l’employeur et les représentants des travailleurs, font partie intégrante des contrats de travail et complètent les prestations sociales dues en vertu de la législation nationale par des prestations dont le financement est supporté uniquement par l’employeur (55). Il en va de même lorsqu’un plan de pension s’éloigne du régime général et concerne les salariés de certaines sociétés, bien que les salariés effectuent des apports (56).
61. La jurisprudence a également inclus dans cette notion communautaire de rémunération certains régimes de pension des fonctionnaires néerlandais (57), français (58), finlandais (59) et allemands (60) ainsi que les pensions de veuvage établies par des plans d’entreprises qui dépendent de l’emploi occupé (61) et les pensions de survie (62), sans que, en ce qui concerne ces dernières, le fait que la prestation ne bénéficie pas au travailleur ait une influence (63).
62. La jurisprudence a ainsi élaboré certaines règles de distinction:
– L’origine légale du système constitue un indice du fait que les prestations ont un caractère de sécurité sociale (64), mais cet élément ne suffit pas pour écarter l’article 141 CE (65).
– Le caractère complémentaire de la pension par rapport aux prestations servies par un régime légal de sécurité sociale ne constitue pas non plus un critère déterminant (66).
– Les modalités de financement et de gestion doivent être prises en compte, sans pour autant être décisives pour la qualification (67).
– Il convient d’examiner si la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, si elle est calculée en fonction du temps de service accompli et sur la base du dernier salaire, car ces circonstances empêchent que des considérations de politique sociale, d’organisation, d’éthique ou de nature budgétaire prévalent (68).
– Par conséquent, le facteur pertinent ne réside pas dans la nature juridique des avantages (69), mais dans la relation avec l’emploi (70), qui est le seul critère qui puisse s’avérer décisif, même s’il n’est pas exclusif (71).
C – Caractéristiques de la pension de survie litigieuse
1. Précisions liminaires
63. La VddB a invoqué plusieurs décisions de justice allemandes à l’appui de sa thèse selon laquelle elle gère un régime analogue à un régime légal de sécurité sociale.
64. Il convient toutefois de déterminer si la pension litigieuse correspond à la notion de «rémunération», telle qu’elle est délimitée par les normes européennes, sans juger dans sa totalité le régime que gère la VddB, car la Cour doit analyser les questions préjudicielles à la lumière du droit communautaire, en fonction des informations figurant dans la décision de renvoi.
2. Examen de la pension par rapport à la jurisprudence
65. La pension trouve son origine dans la Tarifordnung für die deutschen Theater, qui équivaut à une «convention collective» ‑ «Tarifvertrag» même si à l’époque de son adoption – le 27 octobre 1937 – il ne s’agissait pas exactement d’une convention collective, puisque le national-socialisme avait remplacé les accords entre les syndicats et le patronat par des règlements déterminant les conditions de travail – les Tarifordnungen.
66. Comme les autres prestations prévues à l’article 27 des statuts de la VddB ‑ retraite, invalidité et survie –, cette pension complète les pensions généralement prévues.
67. Le financement est à charge de l’employeur et du salarié, sans que l’État fédéral ou les Länder apportent une contribution (72).
68. La gestion est attribuée à un organisme ayant la personnalité morale publique – la VddB – qui agit de manière autonome, conformément aux décisions du conseil d’administration, qui est composé de quinze représentants du patronat et d’autant de représentants des travailleurs nommés par les organisations patronales et syndicales. Le conseil d’administration est soumis au contrôle de légalité et à la surveillance du Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung (ministère fédéral du travail et des affaires sociales), qui a délégué ces fonctions aux ministères compétents de l’État bavarois, et la réglementation relative à la surveillance des entreprises d’assurances, qui ne sont pas des organismes gérant un régime légal de sécurité sociale, s’applique par analogie (73).
69. Mais ces particularités ne constituent que des indices; selon les arrêts de la Cour précités, il convient de se focaliser sur la catégorie de travailleurs concernée et sur la méthode de fixation du montant de la pension.
70. Ainsi, en premier lieu, pour que le droit à prestation soit reconnu, il est exigé que le défunt ait été affilié à la VddB avant que le fait générateur ne se produise. Cette affiliation concerne obligatoirement le personnel artistique employé par les théâtres allemands, c’est-à-dire une catégorie particulière de travailleurs (74). Mais une affiliation volontaire est également admise, celle-ci étant justifiée par la précarité et par la discontinuité de l’emploi, qui sont inhérentes aux activités de ce secteur – le compagnon du requérant au principal a fait usage de cette possibilité et a cotisé de manière spontanée durant plus de seize ans.
71. En second lieu, les prestations ne sont pas financées sur la base d’un système de répartition dans lequel les dépenses effectuées au cours d’une année donnée sont couvertes par les cotisations réglées au cours de la même année, mais sur la base du principe de capitalisation, par le biais de la création d’un fonds pour chaque assuré dont le capital et les intérêts sont consommés après la période d’emploi. Le montant des pensions est calculé en fonction du montant des cotisations et en application d’un facteur d’actualisation (articles 32, paragraphe 2, première phrase, et 30, paragraphe 5, des statuts de la VddB) (75).
72. Tout comme la Commission, je déduis de ces détails que la pension litigieuse découle de la relation de travail du compagnon de M. Maruko; elle doit par conséquent être qualifiée de «rémunération» au sens de l’article 141 CE et relève donc de la directive 2000/78, puisqu’elle satisfait aux conditions de son article 3, paragraphe 1, sous c). Ainsi, elle ne constitue pas un versement effectué par un régime public de sécurité sociale ou assimilé au sens de l’article 3, paragraphe 3, car elle ne correspond ni à ses éléments caractéristiques ni à l’objectif de ce type de paiement.
D – L’incidence de l’état civil
73. Le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 indique que ses dispositions sont «sans préjudice des lois nationales relatives à l’état civil et des prestations qui en dépendent». La juridiction de renvoi souligne ce considérant et doute de son incidence sur le domaine d’application de la directive.
74. Pour le Royaume-Uni, ce considérant consacre une exclusion claire et générale, reprise dans l’article 3, paragraphe 1, qui prévoit l’application de la directive «dans les limites des compétences conférées à la Communauté», dont ne font pas partie les prestations qui dépendent de l’état civil, comme celle en cause dans l’affaire au principal où l’octroi de la pension requiert un mariage. Selon le Royaume-Uni, il ne serait donc pas nécessaire d’examiner les autres questions préjudicielles.
75. Je ne me rallie pas à ces arguments, bien qu’ils paraissent attrayants et bien fondés.
76. Premièrement, comme je l’ai exposé dans d’autres conclusions (76), la norme décrit des faits, des situations ou des circonstances en leur attribuant certaines conséquences, de sorte que les faits et le résultat juridique sont les deux éléments structurels d’une règle (77); mais les exposés des motifs, les préambules et les considérants introductifs sont dépourvus de ces deux éléments, car ils n’ont vocation qu’à illustrer, à motiver ou à expliquer et, par conséquent, bien qu’ils accompagnent et, souvent, précèdent le corps législatif en s’insérant dans la norme, ils n’ont aucune force obligatoire, même s’ils sont utiles en tant que critères d’interprétation, ce qui constitue une fonction évoquée à de nombreuses reprises par la Cour (78). Par conséquent, tout comme les autres considérants, le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 constitue seulement une aide pour l’interprétation des dispositions de la directive et sa signification ne doit pas être exaltée.
77. Deuxièmement, la Communauté ne possède pas d’attributions en matière d’état civil et l’article 3, paragraphe 1, de la directive ainsi que le considérant précité convergent sur cette idée, la compétence nationale dans ce domaine restant intacte. Le droit européen reprend la conception de chaque pays en ce qui concerne le mariage, le célibat, le veuvage et les autres aspects de l’«état civil». Mais ces compétences internes doivent être exercées sans porter atteinte à l’ordre communautaire (79).
78. Troisièmement, le droit à la non-discrimination en raison de l’orientation sexuelle figure dans l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (80) et, de manière explicite, dans l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (81). Son caractère essentiel (82) implique que, selon l’article 6 UE, l’Union garantisse son respect.
79. Quatrièmement, le désavantage dénoncé par le requérant au principal concerne un droit protégé par des textes juridiques de la Communauté, à savoir le droit à la non-discrimination en raison de l’orientation sexuelle en ce qui concerne la rémunération des travailleurs, compte tenu du fait que la pension de survie revêt le caractère de «rémunération», puisqu’elle résulte d’une relation de travail et non pas de l’état civil.
80. Enfin, conformément à l’article 27 des statuts de la VddB, l’événement ouvrant droit à la pension réclamée par le requérant au principal est le décès de son partenaire, comme l’incapacité de travail, l’invalidité ou la retraite le sont pour d’autres pensions.
81. Par conséquent, il n’existe pas de motifs pour que la directive 2000/78 ne s’applique pas dans l’affaire au principal.
VII – La discrimination en raison de l’orientation sexuelle
82. Si la Cour partage mon opinion selon laquelle la pension demandée par M. Maruko entre dans le champ d’application de la directive 2000/78, il convient d’en tirer toutes les conséquences, en recherchant si le refus de la VddB entraîne une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
A – L’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle au niveau communautaire
1. Considérations liminaires
83. Le principe d’égalité est, avec celui de libre circulation, le principe le plus traditionnel et le plus enraciné dans l’ordre juridique européen; de plus, il a évolué avec le temps en dépassant les limites de l’égalité salariale entre les travailleurs des deux sexes pour s’étendre à d’autres domaines et à d’autres sujets, comme le montre la directive 2000/43. Depuis son apparition aux origines du traité, il a été étendu et renforcé de manière successive et est devenu un «cadre général» pour la suppression des disparités injustifiées et la promotion d’une égalité de traitement réelle et effective.
84. Chemin faisant, les préjugés moraux et le rejet social de groupes présentant certaines particularités relatives au sexe sont tombés. Ainsi, bien que la lutte ait pris naissance pour combattre les discriminations de la femme, l’élan postérieur s’est dirigé contre les discriminations concernant les homosexuels (83) – avec un premier pas constitué par la dépénalisation des relations entre les personnes d’un même sexe (84) – ou les transsexuels ou celles relatives à la bisexualité (85).
85. Le traité d’Amsterdam s’est proposé d’étendre le principe, comme on peut le voir à la lecture de l’article 13, paragraphe 1, CE dans lequel est ajouté le souci d’abolir toute discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
86. L’ajout dans le traité du droit au respect de l’orientation sexuelle est d’autant plus important que tous les États membres ne condamnaient pas ce type de discrimination (86), et que la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne le mentionne pas non plus (87), même si, comme je l’ai exposé, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que ce droit fait partie de l’article 14 de cette convention (88).
87. Pour sa part, la Cour a eu plusieurs occasions de faire obstacle aux désavantages subis par les couples de même sexe.
2. L’arrêt du 17 février 1998, Grant (89)
88. Depuis 1982, à la suite de l’arrêt Garland, précité, il ne faisait plus de doute que les avantages accordés par les entreprises ferroviaires à leurs employés et aux conjoints et personnes à charge de ceux-ci en raison de leur emploi constituent une «rémunération» au sens de l’article 141 CE. Telle a probablement été la conviction qui a conduit Mme Grant, qui entretenait une relation stable avec une autre femme, à dénoncer le fait que le refus de son employeur de lui accorder la réduction sur le prix des transports prévue dans le contrat de travail en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposé, avec laquelle celui-ci vit hors mariage violait l’article 141 CE.
89. Mme Grant estimait que ce refus constituait une discrimination directement fondée sur le sexe. Elle se basait sur l’approche dite du «critère de l’élément distinctif unique» selon laquelle, si un travailleur de sexe féminin ne bénéficie pas des mêmes avantages qu’un travailleur de sexe masculin, toutes choses étant égales par ailleurs, il est victime d’une discrimination fondée sur le sexe. Pour démonter l’inégalité, elle invoquait le fait que l’homme occupant son poste auparavant avait obtenu des réductions sur le prix des transports pour sa partenaire de sexe féminin, sans être marié avec celle-ci. Elle soutenait également qu’un tel refus constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, incluse dans la notion de «discrimination fondée sur le sexe» visée par l’article 141 CE, car les différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle trouvent leur origine dans des préjugés ataviques.
90. L’arrêt a déclaré que le refus par une entreprise d’octroyer une réduction sur le prix des transports en faveur du partenaire de même sexe d’un de ses travailleurs, lorsqu’une telle réduction est accordée en faveur de la personne de sexe opposé avec laquelle tout travailleur entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibée par les règles européennes (point 50). Il n’y avait pas d’inégalité directement fondée sur le sexe, car elle s’appliquait aussi bien aux travailleuses qu’aux travailleurs vivant avec une personne du même sexe (points 27 et 28). De plus, la Cour a relevé que, en l’état actuel du droit communautaire, les relations homosexuelles stables ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations hétérosexuelles stables hors mariage (point 35).
91. Ainsi, alors qu’une distinction fondée sur le sexe est illégale, une telle distinction fondée sur l’orientation sexuelle ne l’est pas, puisque aucune norme communautaire ne l’interdit.
92. L’approche restrictive choisie par la Cour se trouvait en contraste avec, par exemple, la jurisprudence en matière de discrimination liée à la maternité (90) et était surprenante, car l’arrêt lui-même affirmait que le traité d’Amsterdam, signé quelques mois auparavant, habilitait le Conseil à éliminer certaines formes de discrimination, et notamment celle fondée sur l’orientation sexuelle (point 48).
3. La jurisprudence postérieure
93. À la suite de l’arrêt Grant, d’autres arrêts ont écarté certaines discriminations liées à la sexualité. Il convient de renvoyer aux deux affaires mentionnées dans les observations écrites présentées dans le cadre de la présente procédure préjudicielle.
94. L’arrêt du 31 mai 2001, D et Suède/Conseil (91), a statué, dans le cadre d’un pourvoi, sur le refus d’octroi d’une allocation de foyer, prévue pour les personnes mariées, à un fonctionnaire des Communautés européennes, au motif que, bien que le fonctionnaire ait enregistré en Suède son partenariat avec un autre homme, le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ne permettait pas d’assimiler l’état de partenariat enregistré à celui de mariage. L’arrêt a constaté l’existence d’un grand nombre de régimes d’enregistrement des relations non matrimoniales au sein de la Communauté (points 36 et 50), ce qui complique leur reconnaissance (point 37), et a jugé qu’il appartient au législateur d’adopter les mesures pertinentes pour modifier cette situation (point 38) (92).
95. L’arrêt du 7 janvier 2004, K. B. (93), concernait un changement de sexe (94). Une travailleuse britannique demandait le bénéfice pour son partenaire, qui avait fait l’objet d’une opération de changement de sexe pour devenir un homme, de la pension de veuvage lui revenant en tant que conjoint survivant, car le droit national n’autorisait pas le mariage d’un transsexuel conformément à son nouveau sexe. La Cour, qui a suivi la proposition figurant dans mes conclusions du 10 juin 2003, a considéré que l’inégalité de traitement ne se rapporte pas à la reconnaissance de la pension, mais à une condition préalable indispensable à l’octroi de celle-ci, à savoir la capacité de se marier (point 30). Elle a jugé que l’article 141 CE s’oppose à une législation qui, en empêchant les transsexuels de se marier conformément au sexe acquis, les prive d’une pension de veuvage (point 34) (95).
B – La discrimination en raison de l’orientation sexuelle dans le litige au principal
96. M. Maruko se voit refuser le bénéfice de la pension de survie, car il ne s’est pas marié avec son partenaire et n’est pas «veuf», cette qualité étant légalement réservée au conjoint du défunt, et il n’est pas établi que cette pension a été accordée à d’autres personnes se trouvant dans une situation identique ou analogue. Le refus n’est pas fondé sur l’orientation sexuelle de l’intéressé, et il n’y aurait donc pas de discrimination directe au sens de l’article 2 de la directive 2000/78.
97. Cette directive interdit également la discrimination indirecte, qui se produit lorsqu’une disposition apparemment neutre entraîne un désavantage pour des personnes d’une orientation sexuelle donnée, à moins que cette différence de traitement ne poursuive un objectif légitime, ne soit objectivement justifiée et que les moyens employés ne soient appropriés et nécessaires.
98. Dans l’affaire au principal, le mariage est légalement impossible. Mais la Cour n’est pas compétente pour aménager les unions affectives entre des personnes du même sexe, qui constituent une question très controversée (96), ou se prononcer sur les conséquences que chaque législation attribue à l’enregistrement de tels partenariats (97). Comme je l’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire dans laquelle a été rendu l’arrêt K. B., «il ne s’agit pas de construire un ‘droit matrimonial européen’, mais de garantir la pleine efficacité du principe de l’interdiction de toute discrimination» (point 76).
99. Le litige au principal concerne l’inégalité entre les couples mariés et les partenariats constitués sous une autre forme légale. Par conséquent, le débat n’est pas centré sur l’accès au mariage, mais sur les conséquences de ces modèles légaux.
100. Il convient donc de vérifier si ces deux types d’union méritent un traitement équivalent et, à cet effet, il est nécessaire que le juge national décide si la position juridique des époux est analogue à celle des membres d’un partenariat enregistré. Si tel n’est pas le cas, les éléments de comparaison ne sont pas valables.
101. Toutefois, le Verwaltungsgericht a présenté son point de vue, partagé par la Commission, selon lequel un partenariat enregistré conformément au LPartG comporte un régime de droits et d’obligations analogue à celui du mariage (98).
102. Suivant cette prémisse, le refus de la pension en raison de l’absence de mariage lorsque deux personnes de même sexe ne peuvent pas se marier et ont conclu un partenariat qui produit des effets semblables implique une discrimination indirecte en raison de l’orientation sexuelle au sens de l’article 2 de la directive 2000/78.
103. Cette thèse ne s’écarte pas de la jurisprudence précitée, qui concerne d’autres contextes factuels ou juridiques: l’arrêt Grant est antérieur à la directive 2000/78 et indique implicitement, au point 48, que l’adoption de normes interdisant la discrimination en raison de l’orientation sexuelle entraînerait une réponse différente à la question préjudicielle étudiée; l’arrêt D et Suède/Conseil a été rendu dans le cadre juridique du statut des fonctionnaires communautaires; et l’arrêt K. B. concernait un transsexuel qui ne pouvait pas contracter de mariage, ce qui engendrait une problématique spécifique (99).
104. La discrimination est ainsi prouvée et aucun élément objectif permettant de la justifier n’est identifiable et n’a, en outre, été invoqué au cours de la procédure préjudicielle.
VIII – La limitation de la pension de veuvage dans le temps
105. La dernière question du Bayerisches Verwaltungsgericht München est relative à l’éventuelle limitation temporelle de la prestation à la période postérieure au 17 mai 1990, conformément à l’arrêt Barber, précité.
106. L’affaire Barber concernait l’égalité de rémunération entre travailleurs des deux sexes. La Cour a rappelé l’effet direct de l’article 119 du traité CE, prédécesseur de l’article 141 CE, mais l’a nuancé en indiquant qu’il ne peut être invoqué pour demander l’ouverture, avec effet à une date antérieure à celle de l’arrêt, d’un droit à pension, exception faite pour les travailleurs qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable, car, dans le cas contraire, l’«équilibre financier» de nombre de régimes de pensions risquerait d’être bouleversé (100).
107. Par conséquent, comme l’invoque la Commission, cette conception relève de la sphère des répercussions financières et les caractéristiques de la norme communautaire correspondante ne sont pas déterminantes, contrairement à ce que soutiennent la juridiction de renvoi et la VddB.
108. Le débat étant ainsi délimité, la jurisprudence ne permet de limitation qu’à titre exceptionnel (101), dans le cas de l’existence d’un risque économique grave dû, en particulier, au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur (102).
109. L’évaluation de ce risque exige une pondération de facteurs de natures diverses, tels que le nombre de personnes concernées, les montants à verser ou l’incidence sur la viabilité de l’organisme payeur. Dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, il n’y a pas de données confirmant l’existence d’un tel risque (103). Dans ce contexte, une alternative se présente à la Cour: rejeter expressément la limitation des effets dans le temps ou ne pas répondre à la question préjudicielle.
110. La première option lèverait définitivement les doutes, mais sans fondement solide. La deuxième option, que la Commission privilégie et qui attire également mes faveurs, paraît plus prudente, car elle permettrait un nouveau renvoi préjudiciel présenté avec les éléments qui font défaut en l’espèce (104).
IX – Conclusion
111. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Bayerisches Verwaltungsgericht München de la manière suivante:
«1) Une pension de survie telle que celle demandée dans le litige au principal, qui dépend de l’emploi du défunt, entre dans le champ d’application de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, et ne constitue pas un versement effectué par un régime public de sécurité sociale ou assimilé.
2) Le fait de refuser cette pension au motif de l’absence de mariage, qui est réservé aux personnes de sexes différents, alors qu’un partenariat ayant des effets substantiellement identiques a été enregistré entre des personnes du même sexe, constitue une discrimination indirecte en raison de l’orientation sexuelle prohibée par la directive 2000/78, le juge national devant vérifier si la situation juridique des époux est analogue à celle des partenaires enregistrés.
3) Il n’y a pas lieu d’examiner la cinquième question préjudicielle.»