Language of document : ECLI:EU:C:2019:317

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

11 avril 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Marques – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 9, paragraphe 1 – Directive 2008/95/CE – Article 5, paragraphes 1 et 2 – Droits conférés par la marque – Marque individuelle constituée d’un label de test »

Dans l’affaire C‑690/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 30 novembre 2017, parvenue à la Cour le 8 décembre 2017, dans la procédure

ÖKO-Test Verlag GmbH

contre

Dr. Rudolf Liebe Nachf. GmbH & Co. KG,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. C. Lycourgos, E. Juhász, M. Ilešič (rapporteur) et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 novembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour ÖKO-Test Verlag GmbH, par Me N. Dinig, Rechtsanwältin,

–        pour Dr. Rudolf Liebe Nachf. GmbH & Co. KG, par Me M. Wiume, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann, J. Techert et U. Bartl, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. É. Gippini Fournier, W. Mölls et G. Braun, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 janvier 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1), ainsi que de l’article 5 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ÖKO-Test Verlag GmbH à Dr. Rudolf Liebe Nachf. GmbH & Co. KG (ci-après « Dr. Liebe ») au sujet de l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque individuelle constituée d’un label de test.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 207/2009

3        Le règlement no 207/2009 a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), qui est entré en vigueur le 23 mars 2016. Il a, par la suite, été abrogé et remplacé, avec effet au 1er octobre 2017, par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits à l’origine du litige au principal, le présent renvoi préjudiciel est examiné au regard du règlement no 207/2009, dans sa version initiale.

4        Aux termes du considérant 8 du règlement no 207/2009 :

« La protection conférée par la marque [de l’Union européenne], dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, devrait être absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services. La protection devrait valoir également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services. [...] »

5        L’article 9, paragraphes 1 et 2, dudit règlement disposait :

« 1.      La marque [de l’Union européenne] confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque [de l’Union européenne] pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque [de l’Union européenne] et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque [de l’Union européenne] et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

c)      d’un signe identique ou similaire à la marque [de l’Union européenne] pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque [de l’Union européenne] est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans [l’Union] et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque [de l’Union européenne] ou leur porte préjudice.

2.      Il peut notamment être interdit, si les conditions énoncées au paragraphe 1 sont remplies :

a)      d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;

[...] »

 La directive 2008/95

6        La directive 2008/95, qui a abrogé et remplacé la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), a elle-même été abrogée et remplacée, avec effet au 15 janvier 2019, par la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits à l’origine du litige au principal, le présent renvoi préjudiciel doit être examiné au regard de la directive 2008/95.

7        Le considérant 11 de la directive 2008/95 énonçait :

« La protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, devrait être absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services. La protection devrait valoir également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services. [...] »

8        Aux termes de l’article 5, paragraphes 1 à 3, de la directive 2008/95 :

« 1.      La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2.      Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou comparable à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.

3.      Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit :

a)      d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;

[...] »

 Le droit allemand

9        La République fédérale d’Allemagne a mis en œuvre la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 par l’adoption de l’article 14, paragraphe 2, point 3, du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi relative à la protection des marques et d’autres signes distinctifs).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      ÖKO-Test Verlag est une entreprise qui évalue, par des tests de performance et de conformité, des produits pour ensuite informer le public des résultats de ces évaluations. Elle vend un magazine qui paraît en Allemagne et contient, outre des informations générales destinées aux consommateurs, lesdits résultats.

11      Depuis l’année 2012, ÖKO-Test Verlag est titulaire d’une marque de l’Union européenne, constituée du signe suivant, qui représente un label destiné à présenter le résultat des tests auxquels ont été soumis des produits (ci-après le « label de test ») :

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12      Elle est également titulaire d’une marque nationale constituée du même label de test.

13      Ces marques (ci-après dénommées, ensemble, les « marques ÖKO-TEST ») sont notamment enregistrées pour des produits de l’imprimerie et pour des services consistant à conduire des tests et à fournir des informations ainsi que des conseils aux consommateurs.

14      ÖKO-Test Verlag sélectionne les produits qu’elle souhaite tester et évalue ceux-ci sur le fondement de paramètres scientifiques également retenus par elle, sans demander le consentement des fabricants. Elle publie ensuite les résultats de ces tests dans son magazine.

15      Le cas échéant, ÖKO-Test Verlag invite le fabricant d’un produit testé à conclure un contrat de licence avec elle. Aux termes d’un tel contrat, le fabricant est autorisé, moyennant le versement d’une somme d’argent, à apposer le label de test avec le résultat (qui doit être montré dans la case dont les contours font partie de ce label) sur ses produits. Une telle licence demeure valide jusqu’au moment où un nouveau test est organisé pour le produit concerné par ÖKO-Test Verlag.

16      Dr. Liebe est une entreprise qui produit et commerciale des dentifrices, notamment de la gamme « Aminomed ». Parmi les dentifrices de cette gamme, le produit « Aminomed Fluorid-Kamillen-Zahncreme » a, au cours de l’année 2005, été testé par ÖKO-Test Verlag et a obtenu l’appréciation « sehr gut » (« très bien »). Dr. Liebe a conclu, au cours de la même année, un contrat de licence avec ÖKO-Test Verlag.

17      Au cours de l’année 2014, ÖKO-Test Verlag a eu connaissance de la commercialisation, par Dr. Liebe, de l’un de ses produits avec le conditionnement suivant :

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18      ÖKO-Test Verlag a introduit une action en contrefaçon contre Dr. Liebe devant le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), en faisant valoir que Dr. Liebe n’était pas autorisée à utiliser, durant l’année 2014, les marques ÖKO-TEST sur le fondement du contrat de licence conclu en 2005, dès lors que, notamment, un nouveau test comportant de nouveaux paramètres d’évaluation pour des dentifrices avait été publié dans le courant de l’année 2008 et que, par ailleurs, le produit de Dr. Liebe ne correspondait plus au produit ayant fait l’objet du test effectué durant l’année 2005, sa dénomination, sa description et son emballage ayant été modifiés.

19      Dr. Liebe a fait valoir, devant cette juridiction, que le contrat de licence, visé au point 16 du présent arrêt, était resté en vigueur. Elle a contesté, par ailleurs, avoir fait usage du label de test en tant que marque.

20      Ladite juridiction a condamné Dr. Liebe, en lui enjoignant de cesser l’usage du label de test pour des produits de la gamme « Aminomed », de retirer les produits concernés du commerce et de les détruire. Dr. Liebe aurait porté atteinte aux marques ÖKO-TEST, en ayant fait usage du label de test pour les services « informations et conseils aux consommateurs », qui relèvent des services pour lesquels ces marques sont enregistrées.

21      Dr. Liebe a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne). ÖKO-Test Verlag a, quant à elle, formé un appel incident, en demandant d’étendre la décision du juge de première instance à l’usage, par Dr. Liebe, de certains signes verbaux et figuratifs qui n’ont pas été enregistrés en tant que marque mais seraient identiques aux marques ÖKO-TEST.

22      La juridiction de renvoi considère que le juge de première instance a considéré à bon droit que le contrat de licence visé au point 16 du présent arrêt avait pris fin avant l’année 2014. Cette juridiction en déduit que Dr. Liebe a fait usage, dans la vie des affaires et sans le consentement d’ÖKO-Test Verlag, d’un signe identique ou similaire aux marques ÖKO-TEST.

23      Il serait, en revanche, incertain qu’ÖKO-Test Verlag puisse se prévaloir de son droit exclusif, visé à l’article 9, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95, contre Dr. Liebe. En effet, le signe identique ou similaire aux marques ÖKO-TEST aurait été apposé par Dr. Liebe sur des produits qui ne seraient ni identiques ni similaires à ceux pour lesquels les marques ÖKO-TEST sont enregistrées. Il pourrait, par ailleurs, être considéré que ce signe n’a pas été utilisé « en tant que marque ».

24      Ladite juridiction nourrit, dès lors, des doutes sur l’approche suivie par le juge de première instance, qui a assimilé l’usage, par Dr. Liebe, du signe identique ou similaire aux marques ÖKO-TEST à un usage pour les services pour lesquels ces marques sont enregistrées.

25      Elle s’interroge, par ailleurs, sur la portée de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95. Il serait, certes, établi que le label de test qui a été enregistré en tant que marque jouit d’une renommée sur l’ensemble du territoire allemand. Toutefois, cette renommée porterait sur ce label et non, en tant que tel, sur l’enregistrement de ce label en tant que marque. Il conviendrait de clarifier si, dans de telles circonstances, le titulaire de la marque jouit de la protection conférée par ces dispositions.

26      Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Est-on en présence d’un usage illicite d’une marque individuelle au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase, sous b), du [règlement no 207/2009] ou de l’article 5, paragraphe 1, deuxième phrase, sous a), de la [directive 2008/95] lorsque

–      la marque individuelle est apposée sur un produit pour lequel elle n’est pas protégée,

–      l’apposition de la marque individuelle par un tiers est perçue par le public comme un “label de test”, à savoir en ce sens que le produit a été fabriqué et mis sur le marché par un tiers qui n’est pas sous le contrôle du titulaire de la marque, mais que le titulaire de la marque a testé certaines caractéristiques de ce produit et lui a attribué en conséquence une certaine appréciation mentionnée dans le label de test,

–      et que la marque individuelle est notamment enregistrée pour “informations et conseils aux consommateurs dans la sélection de produits et de services, en particulier en utilisant des résultats de tests et d’examens et des jugements de qualité” ?

2)      Dans l’hypothèse où la Cour apporte une réponse négative à la première question :

Est-on en présence d’un usage illicite d’une marque individuelle au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase, sous c), du [règlement no 207/2009] ou de l’article 5, paragraphe 2, de la [directive 2008/95] lorsque

–      la marque individuelle jouit d’une renommée uniquement en tant que label de test tel que décrit dans la première question et que

–      la marque individuelle est utilisée par un tiers en tant que label de test ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

27      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils habilitent le titulaire d’une marque individuelle constituée d’un label de test à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires aux produits ou aux services pour lesquels ladite marque est enregistrée.

28      En ce qui concerne, tout d’abord, l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95, il y a lieu de rappeler que ces dispositions visent l’hypothèse dite de « double identité », où l’usage par un tiers d’un signe identique à la marque est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit, C‑323/09, EU:C:2011:604, point 33).

29      L’expression « pour des produits ou des services » figurant à ces dispositions porte, en principe, sur les produits ou les services du tiers qui fait usage du signe identique à la marque. Le cas échéant, elle peut également porter sur les produits ou les services d’une autre personne pour le compte de laquelle le tiers agit (arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2010:159, point 60 et jurisprudence citée).

30      En revanche, cette expression ne couvre, en principe, pas les produits ou les services du titulaire de la marque, lesquels relèvent, à l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95, de l’expression « ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ». L’exigence d’identité « entre les produits ou services », visée au considérant 8 du règlement no 207/2009 et au considérant 11 de la directive 2008/95, et qui est contenue à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de ce règlement ainsi qu’à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, vise à limiter le droit d’interdiction, octroyé par ces dispositions aux titulaires de marques individuelles, aux cas où il y a identité non seulement entre le signe utilisé par le tiers et la marque, mais également entre les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers – ou par une personne pour le compte de laquelle ce tiers agit – et les produits ou les services pour lesquels le titulaire a fait enregistrer sa marque.

31      Ainsi que la Cour l’a déjà précisé, est exceptionnellement susceptible de relever desdites dispositions l’usage du signe par le tiers pour identifier les produits du titulaire de la marque lorsque ces produits constituent l’objet même de services fournis par ce tiers. En effet, dans un tel cas, ce signe est utilisé pour identifier la provenance des produits qui font l’objet de ces services et il existe un lien spécifique et indissociable entre les produits revêtus de la marque et lesdits services. Toutefois, hormis cette hypothèse spécifique, l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils visent l’usage d’un signe identique à la marque pour des produits commercialisés ou des services fournis par le tiers qui sont identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel, C‑48/05, EU:C:2007:55, points 27 et 28).

32      L’hypothèse spécifique visée au point précédent porte, en particulier, sur des cas dans lesquels le prestataire d’un service fait un usage non consenti d’un signe identique à la marque d’un fabricant de produits pour annoncer au public qu’il est spécialisé dans, ou spécialiste de, ces produits (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C‑179/15, EU:C:2016:134, point 28 et jurisprudence citée).

33      Or, en l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que l’apposition par Dr. Liebe du signe prétendument identique aux marques ÖKO-TEST n’a ni pour objet ni pour effet d’exercer, à l’instar d’ÖKO-Test Verlag ou pour le compte de celle-ci, une activité économique consistant en un service d’information et de conseil aux consommateurs. Il ne semble pas exister non plus d’indice permettant de considérer que, par l’apposition de ce signe, Dr. Liebe cherche à se présenter aux yeux du public en tant que spécialiste dans le domaine du test de produits ou qu’il existe un lien spécifique et indissociable entre son activité économique, qui consiste en la fabrication et la commercialisation de dentifrices, et celle d’ÖKO-Test Verlag. Il apparaît, au contraire, que le signe identique ou similaire auxdites marques est apposé sur le conditionnement des dentifrices commercialisés par Dr. Liebe aux seules fins d’attirer l’attention des consommateurs sur la qualité de ces dentifrices et de promouvoir ainsi la vente des produits de Dr. Liebe. Partant, la situation en cause au principal se distingue de l’hypothèse spécifique visée aux points 31 et 32 du présent arrêt.

34      En ce qui concerne, ensuite, l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, qui octroient au titulaire de la marque une protection spécifique contre l’usage, par des tiers, de signes identiques ou similaires à la marque conduisant à un risque de confusion dans l’esprit du public, il ressort du libellé de ces dispositions, lu à la lumière du considérant 8 de ce règlement et du considérant 11 de cette directive, que ladite protection octroyée au titulaire de la marque est réservée aux cas où il existe une identité ou similitude non seulement entre le signe utilisé par le tiers et la marque, mais également entre les produits ou les services couverts par ce signe, d’une part, et ceux couverts par la marque, d’autre part.

35      À l’instar de l’expression « pour des produits ou des services », figurant à l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95, les termes « produits ou [...] services couverts par [...] le signe » figurant auxdits paragraphes 1, sous b), portent, en principe, sur les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers [arrêt du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK), C‑533/06, EU:C:2008:339, point 34]. En cas de défaut de similitude entre les produits ou les services du tiers et ceux pour lesquels la marque est enregistrée, la protection octroyée par ces dispositions n’a pas vocation à s’appliquer (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 2011, Frisdranken Winters, C‑119/10, EU:C:2011:837, points 31 à 33).

36      L’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 contiennent ainsi, à l’instar desdits paragraphes 1, sous a), une exigence de comparabilité entre les produits ou les services du tiers d’une part et ceux du titulaire de la marque d’autre part. Ces points a) et b) se distinguent, à cet égard, fondamentalement de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de ce règlement et de l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, qui énoncent expressément qu’une telle comparabilité n’est pas exigée lorsque la marque jouit d’une renommée.

37      Cette différence expressément prévue par le législateur de l’Union entre la protection qui est octroyée aux titulaires de toute marque individuelle et celle, supplémentaire, dont le titulaire jouit lorsque sa marque est par ailleurs renommée, a été maintenue lors des modifications successives de la législation de l’Union en matière de marques. Ainsi, les termes « pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée » et « pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée » figurent désormais à l’article 9, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement 2017/1001 et à l’article 10, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2015/2436, distinguant ainsi la protection conférée par toute marque individuelle de celle, prévue à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de ce règlement et à l’article 10, paragraphe 2, sous c), de cette directive, qui s’applique lorsque la marque est renommée et qu’un tiers fait usage d’un signe qui « est identique ou similaire à la marque, indépendamment du fait qu’il soit utilisé pour des produits ou des services qui sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ».

38      Il découle de l’ensemble des éléments qui précèdent que le titulaire d’une marque individuelle constituée d’un label de test, enregistrée pour des produits de l’imprimerie et des services de conduite de tests ainsi que de fourniture d’informations et de conseils aux consommateurs, peut, si toutes les conditions sont remplies, se prévaloir du droit d’interdiction énoncé à l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95 contre les tiers, tels que ses éventuels concurrents, qui utilisent un signe identique ou similaire à cette marque pour des produits de l’imprimerie ou des services de conduite de tests, de fourniture d’informations et de conseils aux consommateurs, ou pour des produits ou des services similaires, mais qu’il ne peut pas se prévaloir de ce droit contre les fabricants des produits de consommation testés qui apposent le signe identique ou similaire à ladite marque sur ces produits de consommation.

39      Dans la mesure où ÖKO-Test Verlag et le gouvernement allemand ont, dans leurs observations écrites, fait valoir qu’une telle interprétation, bien que fondée sur le libellé et l’économie du règlement no 207/2009 ainsi que de la directive 2008/95, réduirait indûment la protection de titulaires de marques individuelles constituées d’un label de test, tel que celui en cause au principal, il convient de relever, ainsi que la Commission européenne l’a indiqué dans ses observations écrites, que le droit exclusif conféré par la marque n’est pas absolu, le législateur de l’Union ayant, au contraire, délimité de manière précise la portée de ce droit.

40      Par ailleurs, rien dans les objectifs de la législation de l’Union en matière de marques, tel celui de contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union (voir notamment, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2001, Merz & Krell, C‑517/99, EU:C:2001:510, points 21 et 22, ainsi que du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 38), ne permet de conclure que la finalité de cette législation requiert que le titulaire d’une marque individuelle constituée d’un label de test doive pouvoir s’opposer, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 ou de l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95, à l’apposition, par le fabricant d’un produit, de ce label assorti du résultat du test auquel ce produit aurait été soumis.

41      Il en va d’autant plus ainsi que le législateur de l’Union a complété le régime des marques de l’Union européenne en prévoyant aux articles 74 bis et suivants du règlement no 207/2009, devenus articles 83 et suivants du règlement 2017/1001, la possibilité de faire enregistrer, en tant que marque de certification de l’Union européenne, certains signes, parmi lesquels figurent ceux qui sont propres à distinguer les produits ou les services pour lesquels la qualité est certifiée par le titulaire de la marque par rapport aux produits ou aux services qui ne bénéficient pas d’une telle certification. À la différence d’une marque individuelle, une telle marque de certification permet au titulaire d’indiquer, dans un règlement d’usage, quelles personnes sont autorisées à utiliser la marque.

42      Dans la mesure où ÖKO-Test Verlag soutient que l’apposition du label de test par Dr. Liebe n’était pas couverte par le contrat de licence antérieurement conclu, il y a lieu, enfin, d’ajouter que le fait que le titulaire d’une marque, tel qu’ÖKO-Test Verlag, ne peut pas, à l’égard des fabricants dont il a testé les produits, se fonder utilement sur l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95 signifie non pas qu’il se trouve démuni d’une protection légale contre ces fabricants, mais seulement que les conflits qui l’opposent auxdits fabricants doivent être examinés sous l’angle d’autres règles de droit. Parmi ces règles peuvent figurer celles en matière de responsabilité contractuelle ou non contractuelle ainsi que les règles, visées par la seconde question, qui sont énoncées à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95.

43      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’habilitent pas le titulaire d’une marque individuelle constituée d’un label de test à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires aux produits ou aux services pour lesquels ladite marque est enregistrée.

 Sur la seconde question

44      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils habilitent le titulaire d’une marque individuelle renommée, constituée d’un label de test, à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée.

45      Les dispositions visées au point précédent déterminent la portée de la protection qui est conférée aux titulaires de marques renommées. Elles habilitent ces titulaires à interdire à tout tiers de faire, dans la vie des affaires et sans le consentement dudit titulaire, un usage sans juste motif d’un signe identique ou similaire – que ce soit pour des produits ou des services similaires ou pour des produits ou des services non similaires à ceux pour lesquels ces marques sont enregistrées – qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée desdites marques ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée. L’exercice de ce droit ne présuppose pas l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public concerné (voir en ce sens, notamment, arrêts du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit, C‑323/09, EU:C:2011:604, points 68, 70 et 71, ainsi que du 20 juillet 2017, Ornua, C‑93/16, EU:C:2017:571, point 50).

46      Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi considère, en l’occurrence, que Dr. Liebe a apposé, sur ses produits, un signe identique ou similaire aux marques ÖKO-TEST sans le consentement d’ÖKO-Test Verlag. Elle nourrit cependant des doutes sur le point de savoir si ces marques confèrent, à ÖKO-Test Verlag, la protection visée par lesdites dispositions. Elle attire l’attention sur le fait que, au sein du public pertinent allemand, c’est le label de test qui est renommé et non son enregistrement en tant que marque. Ce public percevrait, par ailleurs, l’apposition faite par Dr. Liebe comme l’affichage d’un label de test et non comme l’usage d’un tel label en tant que marque.

47      À cet égard, il convient de rappeler que la notion de « renommée », visée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, suppose un certain degré de connaissance au sein du public pertinent. Ce public doit être déterminé en fonction du produit ou du service commercialisé sous la marque concernée et le degré de connaissance requis doit être considéré comme atteint lorsque la marque est connue d’une partie significative de ce public (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, PAGO International, C‑301/07, EU:C:2009:611, points 21 à 24, et du 3 septembre 2015, Iron & Smith, C‑125/14, EU:C:2015:539, point 17).

48      Il résulte de ces principes que la « renommée », au sens de ces dispositions, des marques ÖKO-TEST dépend du point de savoir si une partie significative du public auquel ÖKO-Test Verlag s’adresse par son service d’informations et de conseils aux consommateurs ainsi que par son magazine connaît le signe constituant ces marques, en l’occurrence le label de test.

49      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, cette exigence de connaissance ne saurait être interprétée en ce sens que le public doit être au courant du fait que le label de test a été enregistré en tant que marque. Il suffit qu’une partie significative du public pertinent connaisse ce signe.

50      S’agissant, en particulier, dudit article 9, paragraphe 1, sous c), il convient encore de rappeler qu’il suffit, afin que le titulaire d’une marque de l’Union européenne jouisse de la protection octroyée par cette disposition, que cette marque bénéficie d’une renommée sur une partie substantielle du territoire de l’Union, cette dernière pouvant, le cas échéant, correspondre, notamment, au territoire d’un seul État membre. Dès lors que cette condition est remplie, la marque de l’Union européenne en cause doit être considérée comme jouissant d’une renommée dans l’ensemble de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, PAGO International, C‑301/07, EU:C:2009:611, points 27, 29 et 30, ainsi que du 20 juillet 2017, Ornua, C‑93/16, EU:C:2017:571, point 51).

51      Le signe constituant les marques ÖKO-TEST, à savoir le label de test reproduit au point 11 du présent arrêt, est, selon les constatations figurant dans la décision de renvoi, connu d’une partie significative du public pertinent sur l’ensemble du territoire allemand. Il s’ensuit que les marques ÖKO-TEST jouissent d’une renommée, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, de telle sorte qu’ÖKO-Test Verlag jouit de la protection qu’offrent ces dispositions.

52      Il incombera, dès lors, à la juridiction de renvoi d’examiner si l’apposition, par Dr. Liebe, du signe identique ou similaire aux marques ÖKO-TEST sur ses produits a permis à Dr. Liebe de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ces marques ou a porté préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée. Si elle devait constater qu’il en est ainsi, il lui incomberait, par ailleurs, d’examiner si Dr. Liebe a établi, en l’occurrence, un « juste motif », au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, pour l’apposition de ce signe sur ces produits. En effet, dans ce dernier cas, il y aurait lieu de conclure qu’ÖKO-Test Verlag n’a pas le droit d’interdire cet usage sur le fondement de ces dispositions (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries, C‑65/12, EU:C:2014:49, points 43 et 44).

53      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils habilitent le titulaire d’une marque individuelle renommée, constituée d’un label de test, à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, à condition qu’il soit démontré que, par cette apposition, ce tiers tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la même marque ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée et que ledit tiers n’a, dans ce cas, pas établi l’existence d’un « juste motif », au sens de ces dispositions, à l’appui d’une telle apposition.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne], et l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’habilitent pas le titulaire d’une marque individuelle constituée d’un label de test à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires aux produits ou aux services pour lesquels ladite marque est enregistrée.

2)      L’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils habilitent le titulaire d’une marque individuelle renommée, constituée d’un label de test, à s’opposer à l’apposition, par un tiers, d’un signe identique ou similaire à cette marque sur des produits qui ne sont ni identiques ni similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, à condition qu’il soit démontré que, par cette apposition, ce tiers tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la même marque ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée et que ledit tiers n’a, dans ce cas, pas établi l’existence d’un « juste motif », au sens de ces dispositions, à l’appui d’une telle apposition.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.