Language of document : ECLI:EU:C:2016:679

Affaire C‑16/15

María Elena Pérez López

contre

Servicio Madrileño de Salud (Comunidad de Madrid)

(demande de décision préjudicielle,
introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 4 de Madrid)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord‑cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clauses 3 à 5 – Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique – Mesures visant à prévenir le recours abusif aux relations de travail à durée déterminée successives – Sanctions – Requalification de la relation de travail – Droit à une indemnité »

Sommaire – Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 14 septembre 2016

1.        Politique sociale – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Directive 1999/70 – Champ d’application – Contrat de travail à durée déterminée dans le secteur public – Travailleur employé en tant qu’infirmier faisant partie du personnel statutaire occasionnel du service de santé publique – Inclusion

(Directive du Conseil 1999/70, annexe, clauses 2, point 1, et 3, point 1)

2.        Politique sociale – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Directive 1999/70 – Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs – Réglementation nationale autorisant les services de santé à nommer du personnel statutaire temporaire – Dispositions permettant le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs pour assurer des prestations de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire – Application desdites dispositions pour les besoins permanents et durables – Inadmissibilité – Absence d’obligation de créer des postes structurels dans le cas d’un déficit structurel des postes de personnel titulaire dans le secteur – Inadmissibilité

[Directive du Conseil 1999/70, annexe, clause 5, point 1, a)]

3.        Politique sociale – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Directive 1999/70 – Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs – Objectif – Réglementation nationale imposant la fin de la relation contractuelle à la date prévue par le contrat à durée déterminée et le paiement du solde de tout compte, sans préjudice d’une éventuelle nouvelle nomination – Admissibilité – Condition – Vérification par la juridiction nationale

(Directive du Conseil 1999/70, annexe, clause 5)

4.        Politique sociale – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Directive 1999/70 – Champ d’application – Différences de traitement entre certaines catégories de travailleurs à durée déterminée – Exclusion – Question relevant du droit national et non du droit de l’Union – Incompétence manifeste de la Cour

(Directive du Conseil 1999/70, annexe, clause 4)

1.      Il ressort du libellé même de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, que le champ d’application de ce dernier est conçu de manière large, dès lors qu’il vise de façon générale les « travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre ». En outre, la définition de la notion de « travailleurs à durée déterminée » au sens de l’accord-cadre, énoncée à la clause 3, point 1, de celui-ci, englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée de l’employeur auquel ils sont liés et quelle que soit la qualification de leur contrat en droit interne.

Dans la mesure où l’accord-cadre n’exclut aucun secteur particulier, un travailleur, qui est employé en tant qu’infirmier faisant partie du personnel statutaire occasionnel du service de santé publique, relève du champ d’application de l’accord-cadre.

(voir points 24, 25)

2.      La clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une réglementation nationale autorisant les services de santé à nommer du personnel statutaire temporaire, soit appliquée par les autorités de l’État membre concerné de telle sorte que :

–        le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs, dans le secteur public de la santé, est considéré comme justifié par des « raisons objectives » au sens de ladite clause au motif que ces contrats sont fondés sur des dispositions légales qui permettent le renouvellement pour assurer des prestations de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire, alors que, en réalité, lesdits besoins sont permanents et durables ;

–        il n’existe aucune obligation incombant à l’administration compétente de créer des postes structurels mettant fin à l’engagement du personnel statutaire occasionnel et qu’il lui est permis de pourvoir les postes structurels créés par l’embauche de personnel « temporaire », de telle sorte que la situation de précarité des travailleurs perdure, alors que l’État concerné connaît un déficit structurel de postes de personnel titulaire dans ce secteur.

À cet égard, un remplacement temporaire d’un travailleur en vue de satisfaire des besoins provisoires de l’employeur en termes de personnel peut, en principe, constituer une « raison objective » au sens de la clause 5, point 1, sous a), de cet accord-cadre.

En effet, dans une administration disposant d’un effectif important, tel le secteur de la santé publique, il est inévitable que des remplacements temporaires soient nécessaires en raison, notamment, de l’indisponibilité de membres du personnel bénéficiant de congés de maladie, de congés de maternité, de congés parentaux ou autres. Le remplacement temporaire de travailleurs dans ces circonstances est susceptible de constituer une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance de nouveaux besoins, sous réserve du respect des exigences fixées par l’accord-cadre à cet égard.

En outre, l’obligation d’organiser les services de santé de manière à assurer une adéquation constante entre le nombre de membres du personnel soignant et le nombre de patients incombe à l’administration publique et est tributaire d’une multitude de facteurs susceptibles de refléter un besoin particulier de flexibilité qui est de nature, dans ce secteur spécifique, à objectivement justifier, au regard de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, le recours à des contrats de travail à durée déterminée successifs.

En revanche, il ne saurait être admis que des contrats de travail à durée déterminée puissent être renouvelés aux fins de l’accomplissement, de manière permanente et durable, de tâches dans les services de santé qui relèvent de l’activité normale du personnel hospitalier ordinaire.

En effet, le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée pour couvrir des besoins qui revêtent, en fait, un caractère non pas provisoire mais permanent et durable n’est pas justifié au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, dans la mesure où une telle utilisation des contrats ou des relations de travail à durée déterminée va directement à l’encontre de la prémisse sur laquelle se fonde cet accord-cadre, à savoir que les contrats de travail à durée indéterminée constituent la forme générale des relations de travail, même si les contrats de travail à durée déterminée sont une caractéristique de l’emploi dans certains secteurs ou pour certaines occupations et activités.

S’agissant, en outre, de la marge d’appréciation revenant à l’administration lorsqu’il s’agit de créer des postes structurels, l’existence d’une telle modalité, permettant la création d’un poste fixe, à l’instar de celle consistant à convertir un contrat à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée, est susceptible de constituer un recours efficace contre l’usage abusif de contrats temporaires.

Or, même si une réglementation nationale permettant le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs pour remplacer du personnel dans l’attente du pourvoi des postes structurels créés est, en principe, susceptible d’être justifiée par une raison objective, l’application concrète de cette raison doit toutefois, eu égard aux particularités de l’activité concernée et aux conditions de son exercice, être conforme aux exigences de l’accord-cadre.

(voir points 44-48, 53, 54, 56, disp. 1)

3.      La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une législation nationale qui impose que la relation contractuelle prenne fin à la date prévue par le contrat à durée déterminée et qu’il y ait paiement du solde de tout compte, sans préjudice d’une éventuelle nouvelle nomination, pourvu que cette législation ne soit pas de nature à remettre en cause l’objectif ou l’effet utile de cet accord-cadre, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

En effet, l’objectif poursuivi par ladite clause, qui consiste à encadrer les recours successif aux contrats et aux relations de travail à durée déterminée, serait privé de tout contenu si le seul caractère nouveau d’une relation de travail au titre du droit national était susceptible de constituer une « raison objective » au sens de cette clause, de nature à autoriser un renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée.

(voir points 60, 61, disp. 2)

4.      Une différence de traitement entre certaines catégories de personnel à durée déterminée qui est fondée non pas sur la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail, mais sur le caractère statutaire ou contractuel de celle-ci, ne relève pas du principe de non-discrimination consacré par l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée.

Ainsi, la différence de traitement entre le personnel statutaire occasionnel et les travailleurs comparables employés dans le cadre de contrats de travail occasionnels relève-t-elle uniquement du droit national, dont l’interprétation appartient exclusivement à la juridiction nationale.

Dans ces conditions, la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question de savoir si la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui refuse toute indemnité de résiliation du contrat de travail au personnel statutaire occasionnel alors qu’une telle indemnité est pourtant allouée aux travailleurs comparables employés dans le cadre de contrats de travail occasionnels.

(voir points 62, 66, 68, 69)