Language of document : ECLI:EU:F:2013:84

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

19 juin 2013 (*)

« Personnel de l’AESA – Agent temporaire – Licenciement pour insuffisance professionnelle – Devoir de sollicitude ‑ Cause extérieure aux difficultés professionnelles – Harcèlement moral – Maladie – Dommages-intérêts »

Dans l’affaire F‑8/12,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

BY, ancien agent temporaire de l’Agence européenne de la sécurité aérienne, demeurant à Lasne (Belgique), représenté par Me B.‑H. Vincent, avocat,

partie requérante,

contre

Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), représentée par M. F. Manuhutu, en qualité d’agent, assisté de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de M. S. Van Raepenbusch (rapporteur), président, Mme I. Boruta et M. E. Perillo, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 20 janvier 2012, BY demande la réparation des préjudices prétendument subis du fait de la décision du directeur exécutif de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA ou ci-après l’« Agence »), du 10 juin 2011, de le licencier, avec effet au 15 décembre suivant, et du harcèlement moral dont il aurait été victime dans le cadre de sa relation de travail au sein de l’Agence.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« L’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. »

3        L’AESA a été instituée par le règlement (CE) no 1592/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2002, concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne (JO L 240, p. 1), abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008 (JO L 79, p. 1).

4        Selon l’article 28 du règlement no 216/2008 :

« 1.      L’Agence est un organisme de [l’Union]. Elle a la personnalité juridique.

[…]

4.      L’Agence est représentée par son directeur exécutif. »

5        L’article 29 du règlement no 216/2008, relatif au personnel, dispose :

« 1.      Le statut des fonctionnaires [de l’Union européenne], le régime applicable aux autres agents [de l’Union européenne] et les règles adoptées conjointement par les institutions [de l’Union européenne] aux fins de l’application de ce statut et de ce régime s’appliquent au personnel de l’Agence […]

2.      Sans préjudice de l’article 42, les compétences conférées à l’autorité investie du pouvoir de nomination par le statut, ainsi que par le régime applicable aux autres agents, sont exercées par l’Agence en ce qui concerne son propre personnel.

[…] »

6        Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 1, de la décision 2009/070/E du directeur exécutif, du 30 juin 2010, sur le personnel d’encadrement intermédiaire (ci-après la « décision du 30 juin 2010 ») prévoit que toute personne nouvellement affectée à un poste de chef de département, sans avoir exercé des fonctions d’encadrement intermédiaire pendant au moins deux ans au sein de l’Agence, des institutions européennes ou dans d’autres agences, accomplira une période probatoire de management de neuf mois.

7        L’article 7, point 1.1, de la décision 2009/070/E prévoit la possibilité de réaffecter un membre du personnel d’encadrement intermédiaire, notamment à l’issue de la période probatoire, dans l’hypothèse où l’intéressé fait preuve d’insuffisances managériales en sa qualité de chef de département. L’agent concerné conserve néanmoins son grade.

8        Enfin, le point III, sous B), 3, de l’annexe de la décision 2010/123/E du directeur exécutif, du 23 août 2010, concernant les dispositions contractuelles applicables aux agents temporaires de l’AESA sélectionnés à l’issue de procédures de recrutement (ci-après la « décision du 23 août 2010 ») prévoit l’accomplissement d’une période d’essai de six mois pour toute nouvelle affectation d’un agent temporaire au sein de l’Agence, durant laquelle l’efficacité, les aptitudes et la conduite dans le service font l’objet d’une évaluation spécifique par l’évaluateur et le validateur.

 Faits à l’origine du litige

 Déroulement de la carrière du requérant au sein de l’AESA

9        Le requérant a été recruté au sein de l’AESA en qualité d’agent auxiliaire, pour une durée de six mois, avec effet au 1er mars 2004, sur un poste d’assistant, en vue d’exercer des fonctions dans le domaine informatique.

10      À l’issue de ces six mois, le requérant a été recruté en qualité d’agent temporaire de grade B*5, échelon 2, à compter du 1er septembre 2004, pour une période de cinq années, renouvelable, au titre de l’article 2, sous a), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), sur un poste d’assistant, pour exercer des fonctions dans le domaine informatique (marchés publics).

11      Le 2 novembre 2005, suite à une procédure de sélection externe pour le poste de responsable de l’infrastructure informatique au sein de la direction de l’administration de l’AESA, le requérant a été recruté en tant qu’administrateur de grade A*7, échelon 2, pour une période de cinq ans, renouvelable, à compter du 1er novembre 2005. Avec effet au 1er janvier 2009, il a été classé au grade AD 8, échelon 1.

12      Par décisions du directeur exécutif de l’Agence, respectivement du 26 mars 2009 et du 23 octobre 2009, le requérant a été nommé, avec effet au 1er avril 2009, chef adjoint faisant fonction du département des services d’information au sein de la direction des services financiers et des affaires, puis chef faisant fonction du même département, avec effet au 1er septembre 2009.

13      À l’issue d’une nouvelle procédure de sélection externe, le requérant a été nommé, à compter du 1er avril 2010, chef du département des services d’information, de grade AD 10, au sein de la direction des services financiers et des affaires. À ce titre, le requérant a dû accomplir à la fois une période d’essai de six mois, conformément au point III, sous B), 3, de l’annexe de la décision du 23 août 2010, et une période probatoire de management de neuf mois, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la décision du 30 juin 2010.

14      Entre-temps, pour l’année 2009, le requérant s’était vu attribuer, dans son rapport d’évaluation annuelle, la note de 5 sur 7, correspondant à une évaluation « au-dessus du niveau requis pour la fonction occupée » de son efficacité, de ses aptitudes et des aspects liés à son comportement, les notes 6 et 7 correspondant à des niveaux « sensiblement au-dessus » d’un tel niveau.

15      Par avenant du 18 mai 2010, le contrat à durée déterminée (cinq ans) du requérant a été remplacé par un contrat à durée indéterminée.

16      Le 30 septembre 2010, à l’issue de sa période d’essai de six mois, au titre du point III, sous B), 3, de l’annexe de la décision du 23 août 2010, le requérant a obtenu la confirmation par le directeur exécutif de l’Agence, sur la recommandation de son évaluateur, le directeur des services financiers et des affaires, de sa désignation comme chef du département des services d’information au sein de la direction des services financiers et des affaires. L’évaluateur a néanmoins fait état, dans sa recommandation, de certaines insuffisances managériales dues, notamment, aux absences du requérant, pour des raisons d’ordre personnel, à la fin de la période d’essai.

17      Le 8 novembre 2010, le requérant s’est absenté pour cause de maladie. Initialement d’une durée de 22 jours, la période d’absence s’est, à la suite du dépôt de certificats médicaux successifs, prolongée jusque fin 2011.

18      Dans le rapport d’évaluation de la période probatoire de management de neuf mois du requérant, finalisé le 17 décembre 2010, au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la décision du 30 juin 2010, l’évaluateur, après avoir fait mention de sérieuses difficultés rencontrées par le requérant pour accomplir ses tâches d’ordre managérial, a conclu à l’insuffisance des performances du requérant. Ces commentaires avaient été communiqués, le 26 novembre 2010, au requérant pour observations, sans que, selon l’AESA, ce dernier ait donné suite à cette invitation.

19      Sur la base dudit rapport et conformément à l’article 7, point 1.1, de la décision du 30 juin 2010, le directeur exécutif de l’AESA a, par décision du 17 décembre 2010, réaffecté le requérant, dans l’intérêt du service et avec effet au 1er janvier 2011, du poste de chef du département des services d’information au sein de la direction des services financiers et des affaires sur un poste non managérial d’agent du même département, sans changement de grade (ci-après la « décision de réaffectation »).

20      Le 29 décembre 2010, le requérant a introduit, en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation à l’encontre de la décision de réaffectation. Cette réclamation a été rejetée par décision, du 13 mai 2011, de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement au sein de l’AESA (ci-après l’« AHCC »). Le requérant a introduit, le 11 août 2011, un recours devant le Tribunal à l’encontre de la décision de réaffectation, lequel a été enregistré sous la référence F‑81/11. Ce recours a été joint au présent recours aux fins de la procédure orale et fait l’objet de l’arrêt du Tribunal en date de ce jour, BY/AESA (F‑81/11).

21      Pour l’année 2010, le requérant s’est vu attribuer, dans son rapport d’évaluation annuelle, qui lui a été soumis le 21 mars 2011, la note de 1 sur 7, correspondant à une évaluation de son efficacité, de ses aptitudes et des aspects liés à son comportement considérée comme inacceptable compte tenu du niveau requis pour le poste occupé. Le 1er avril 2011, le requérant a introduit un recours contre cette évaluation devant le comité paritaire de notation et de reclassement, lequel a émis, le 1er juillet 2011, l’avis que le rapport d’évaluation était entaché d’un certain nombre de vices de procédure ne lui permettant pas de se prononcer sur le contenu de l’évaluation et que des éléments extérieurs aux performances professionnelles auraient pu influencer l’exercice d’évaluation.

22      Enfin, par lettre du 10 juin 2011, le directeur exécutif de l’AESA a notifié au requérant sa décision de résilier son contrat à durée indéterminée, conformément à l’article 47, sous c), i), du RAA, avec effet au 15 décembre 2011 (ci-après la « décision de licenciement »). Le 20 juin 2011, le requérant a introduit une réclamation à l’encontre de cette décision, en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Cette réclamation, qui comportait également une demande indemnitaire, a été rejetée par décision de l’AHCC, du 27 octobre 2011. C’est notamment en raison du caractère prétendument illégal de la décision de licenciement que le requérant a introduit le présent recours indemnitaire devant le Tribunal.

 Prétendu harcèlement moral dont le requérant aurait été victime

23      À partir du mois d’avril 2010, les relations de travail se sont sérieusement détériorées entre le requérant et l’un de ses subordonnés, M. M., lequel soupçonnait le premier d’entretenir une liaison avec son épouse, également subordonnée du requérant. Il ressort du dossier que les deux subordonnés du requérant étaient en instance de divorce. Le requérant fait état d’une lettre anonyme calomnieuse à son égard ayant été adressée, le 1er juin 2011, au département des ressources humaines de l’Agence. Le requérant prétend n’avoir jamais été formellement informé par ses supérieurs hiérarchiques de l’existence de cette lettre et soupçonne M. M. d’en être l’auteur. À de nombreuses reprises, le requérant s’est plaint de l’attitude de ce dernier et, en particulier, de son manque de collaboration et de son insubordination, par courriels adressés au directeur exécutif, au directeur des services financiers et des affaires, ainsi qu’au directeur des ressources humaines, en leur demandant conseil et assistance. Selon le requérant, ces appels à l’aide seraient restés vains. De plus, le requérant reproche à M. M. de s’être immiscé dans sa vie privée en le faisant filmer par un détective privé en compagnie de l’épouse de M. M. et en divulguant ces images auprès de la hiérarchie ; le requérant lui reproche également d’être l’auteur de plusieurs actes malveillants (mise à feu d’une partie de son jardin privé, crevaison de pneus, appels anonymes, envoi de courriels anonymes au requérant ainsi qu’à l’épouse de M. M.). La situation serait devenue à ce point intenable que le requérant, par courriel du 9 août 2010, a demandé au directeur exécutif un changement d’affectation. Son état de santé s’est également fortement dégradé puisque, de novembre 2010 à fin décembre 2011, le requérant s’est trouvé en arrêt de travail pour dépression, ce qui signifie que, compte tenu de son licenciement intervenu avec effet au 15 décembre 2011, il n’a plus été en mesure de reprendre ses fonctions au sein de l’AESA.

24      Le 21 octobre 2010, le requérant a adressé un courriel au directeur exécutif et à son supérieur hiérarchique direct, le directeur des services financiers et des affaires, pour leur demander de diligenter une enquête externe à l’encontre de M. M. Cette demande étant restée sans suite, le requérant a formellement introduit, le 13 décembre 2010, par avocat, une demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut, concernant des faits allégués de harcèlement moral depuis avril 2010, et ce, de la part tant de M. M. que du directeur exécutif, du directeur des ressources humaines et de son supérieur hiérarchique direct. Une procédure d’enquête administrative interne a été ouverte, le 24 janvier 2011, sur décision du directeur exécutif, ce dont le requérant avait été informé, le 14 janvier précédent, par le chef du service juridique de l’Agence. Le 11 février 2011, un premier rapport, clôturant une phase dite de vérification, a conduit à la désignation d’une commission d’enquête, laquelle fut constituée le 18 mars suivant. Par lettre du 8 avril 2011, le requérant a exprimé ses doutes sur l’impartialité et l’indépendance de certains de ses membres. La commission d’enquête a rendu son rapport le 25 juillet 2011, aux termes duquel elle conclut à l’absence de toute preuve quant à l’existence d’un harcèlement moral envers le requérant et recommande le classement du dossier sans suite. Par décision du 2 novembre 2011, le directeur exécutif a classé sans suite la demande d’assistance du 13 décembre 2010 et un résumé et les conclusions du rapport de la commission d’enquête ont été communiqués au requérant le 24 novembre 2011.

 Conclusions des parties et procédure

25      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’AESA à lui verser la somme de 1 514 257,48 euros à titre de réparation du « préjudice économique et extra-économique lié à la perte de sa fonction d’agent temporaire », montant à majorer des intérêts au taux légal depuis la date d’exigibilité ;

–        condamner l’AESA à lui verser la somme, fixée ex æquo et bono à 500 euros par jour, pour la période comprise entre le 31 mai 2010 et le jour de la notification de la décision à intervenir du Tribunal, à titre de réparation du préjudice causé par le harcèlement dont les agents de l’AESA se sont rendus coupables à son égard, montant à majorer des intérêts au taux légal depuis la date d’exigibilité ;

–        condamner l’AESA à lui verser la somme de 18 750 euros « à titre de remboursement des frais de défense et de justice », montant à majorer des intérêts au taux légal depuis la date d’exigibilité ;

–        condamner l’AESA aux dépens.

26      L’AESA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la requête comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondée dans son ensemble ;

–        rejeter plus particulièrement la demande de réparation des préjudices prétendument subis ;

–        rejeter plus particulièrement la demande de « remboursement des frais de défense et de justice » ;

–        condamner le requérant aux dépens.

27      Par lettre du greffe du 19 juin 2012, le requérant a été invité, conformément à l’article 55, paragraphe 2, et à l’article 56 du règlement de procédure du Tribunal, à déposer ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par l’AESA dans son mémoire en défense. Le requérant a déféré à cette invitation par lettre du 10 juillet 2012.

28      Par ordonnance du 25 octobre 2012, BY/AESA (F‑8/12), le Tribunal a rejeté, au titre de l’article 76 du règlement de procédure, le présent recours comme manifestement irrecevable à l’exception du chef de conclusions tendant à la condamnation de l’AESA au paiement d’indemnités pour le préjudice subi en raison du licenciement et uniquement en ce qu’il soulève, à cet égard, le grief tiré de la méconnaissance du devoir de sollicitude et réservé les dépens. Par le présent arrêt le Tribunal statue sur ce dernier chef de conclusions et sur les dépens.

 En droit

29      Il convient de constater, à titre liminaire, que le requérant, ainsi qu’il en avait la possibilité, a introduit, par le présent recours, une action indemnitaire en se fondant notamment sur la prétendue illégalité de la décision de licenciement, sans cependant demander l’annulation de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 février 2008, Skoulidi/Commission, F‑4/07, point 50).

30      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité de l’administration suppose la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, point 42, et du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, point 52). Ces trois conditions sont cumulatives.

 En ce qui concerne la prétendue illégalité de la décision de licenciement

31      Le requérant reproche à l’AESA d’avoir mis en cause ses performances professionnelles et son comportement sans s’interroger sur le point de savoir si les difficultés rencontrées par lui dans l’accomplissement des tâches qui lui incombaient n’avaient pas pour origine le harcèlement moral dont il soutient avoir été victime sur son lieu de travail. L’AESA aurait, pour ce motif, méconnu ses obligations découlant du devoir de sollicitude, lesquelles sont substantiellement renforcées lorsqu’est en cause la situation d’un agent dont il est avéré que la santé psychologique est affectée : le requérant se réfère à cet égard aux arrêts du Tribunal du 28 octobre 2010, U/Parlement (F‑92/09, points 65 à 67) et du 17 février 2011, Strack/Commission (F‑119/07, point 85).

32      L’AESA rétorque qu’elle a fait preuve de sollicitude à l’égard du requérant dans la gestion du conflit qui l’opposait à M. M.

33      À cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la notion de devoir de sollicitude de l’administration, telle que développée par la jurisprudence, reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’administration et les agents du service public. Cet équilibre implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’administration prenne en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (arrêts de la Cour du 28 mai 1980, Kuhner/Commission, 33/79 et 75/79, point 22, et du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice, C‑298/93 P, point 38 ; arrêt U/Parlement, précité, point 64).

34      Ainsi, le Tribunal a déjà jugé que le devoir de sollicitude impose à l’administration, lorsqu’il existe un doute sur l’origine médicale des difficultés rencontrées par un fonctionnaire pour exercer les tâches qui lui incombent, de faire toutes diligences pour lever ce doute avant qu’une décision aussi grave que celle portant licenciement dudit fonctionnaire ne soit adoptée (arrêt U/Parlement, précité, point 65 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal de première instance du 26 février 2003, Latino/Commission, T‑145/01, point 93).

35      De même, les obligations qu’impose à l’administration le devoir de sollicitude sont substantiellement renforcées lorsqu’est en cause la situation particulière d’un fonctionnaire pour lequel il existe des doutes quant à sa santé mentale et, par conséquent, quant à sa capacité à défendre, d’une manière adéquate, ses propres intérêts (arrêts U/Parlement, précité, point 67, et Strack/Commission, précité, point 85).

36      En l’espèce, il est constant que le requérant a été licencié en raison de graves défaillances professionnelles ayant affecté la gestion du département qu’il dirigeait. Il ressort expressément de la décision de licenciement que la manière dont le requérant a dirigé son équipe, communiqué avec les membres de celle-ci et ses supérieurs hiérarchiques, y compris durant sa période d’absence pour raison médicale, et distribué le travail au sein de l’équipe n’a pas contribué à l’établissement d’un « environnement de travail sain et efficace », mais, au contraire, a nui au bon fonctionnement du département, en particulier, par l’application d’une « pression injustifiée » sur le personnel, dont certains membres ont dû avoir recours, pour ce motif, à une « aide psychologique extérieure ». La conduite du requérant aurait ainsi conduit irrémédiablement à une perte de la confiance que devraient pouvoir entretenir le directeur exécutif et les autres supérieurs hiérarchiques avec un chef de département ainsi que ce dernier avec ses subordonnés.

37      Toutefois, force est de constater également que le requérant avait déjà été réaffecté, le 17 décembre 2010, bien avant que soit prise la décision de licenciement, à un poste non managérial. De plus, il ressort du dossier, notamment, de plusieurs courriels adressés, en août 2010, par le requérant au directeur exécutif de l’AESA, que ce dernier ne pouvait ignorer que l’état de santé du requérant s’était, au fil des mois, fort dégradé. Enfin, une demande formelle d’assistance pour harcèlement moral avait été introduite par le requérant, au titre de l’article 24 du statut, le 13 décembre 2010, sans que les conclusions de l’enquête diligentée à la suite de cette plainte aient été déposées avant l’adoption de la décision de licenciement.

38      Il apparaît ainsi que le directeur exécutif de l’Agence disposait de suffisamment d’éléments permettant de supposer que le comportement reproché au requérant, y compris durant sa période d’absence pour raison médicale, pouvait, au moins partiellement, être imputé à une cause extérieure, en particulier, à de prétendus faits de harcèlement moral, ainsi que le soutenait le requérant, ou à des raisons d’ordre médical. Il incombait, dans de telles circonstances, au directeur exécutif, avant d’adopter la décision de licenciement, de faire toutes diligences pour s’assurer que tel n’était pas le cas. Ceci impliquait, à tout le moins, que les résultats de l’enquête administrative portant sur la demande d’assistance pour faits de harcèlement moral soient connus du directeur exécutif. L’attente des résultats de cette enquête n’aurait, d’ailleurs, nullement entravé la bonne marche du service, le requérant, en congé de maladie depuis novembre 2010, ayant déjà été réaffecté sur un poste non managérial. De surcroît, il apparaît que la commission d’enquête a déposé son rapport le 25 juillet 2011, soit peu de temps après qu’a été prise la décision de licenciement.

39      Il est vrai que le rapport du 25 juillet 2011 de la commission d’enquête conclut à l’absence de toute preuve quant à l’existence d’un harcèlement moral envers le requérant et qu’il recommandait le classement du dossier sans suite, recommandation que le directeur exécutif a suivie dans sa décision du 2 novembre 2011 portant rejet de la demande d’assistance du requérant. Toutefois, la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle il a été adopté (arrêts de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, point 7, et du 22 octobre 2002, National Farmers’ Union, C‑241/01, point 37 ; arrêt du Tribunal du 13 janvier 2010, A et G/Commission, F‑124/05 et F‑96/06, point 351). Aussi, la conclusion à laquelle la commission d’enquête et le directeur exécutif sont parvenus postérieurement à la décision de licenciement ne saurait modifier le constat que celle-ci était entachée d’illégalité.

40      Au demeurant, même si ce grief n’a pas été soulevé dans la requête, il n’est pas sans intérêt d’observer que l’AESA n’a pas non plus tenu compte, dans le calcul du délai de préavis, conformément à l’article 47, sous c), i), du RAA, du congé de maladie du requérant, ainsi qu’elle l’a reconnu au cours de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal, ce qui illustre surabondamment le comportement reproché à l’AESA de ne pas avoir pris utilement en considération la situation particulière du requérant.

41      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que le directeur exécutif de l’AESA n’a pas fait toutes diligences pour lever le doute qui existait quant à l’existence d’une cause extérieure aux difficultés professionnelles rencontrées par le requérant et qu’il a donc méconnu le devoir de sollicitude, entachant ainsi la décision de licenciement.

 Sur la réparation du préjudice prétendument subi

42      Le requérant évalue le préjudice matériel qu’il a subi du fait de son licenciement illégal à 1 164 257,48 euros. Il fait valoir que le poste qu’il occupait était un poste permanent et qu’il détenait les qualifications nécessaires et reconnues par l’Agence pour occuper cet emploi encore pour une durée qu’il évalue à dix ans.

43      Le requérant réclame également le versement d’une somme de 350 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi. Il reproche à l’Agence d’avoir eu la volonté de briser tout son avenir professionnel.

44      L’AESA rétorque que, à supposer même que la décision de licenciement ait été irrégulière, le préjudice subi par le requérant s’apparenterait à une perte de chance d’exercer ses fonctions pendant dix ans supplémentaires, le requérant n’étant pas fonctionnaire. Dans ces conditions, le dommage dont le requérant serait en droit d’obtenir réparation ne saurait correspondre au montant de la rémunération qu’il aurait perçue durant ces dix années. Il conviendrait également de tenir compte de la carrière que le requérant pourrait poursuivre par ailleurs.

45      Quant au préjudice moral, l’AESA estime qu’il n’est pas démontré.

46      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du préjudice matériel subi par le requérant du fait de l’illégalité de la décision de licenciement, il convient, pour évaluer ce préjudice, de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, à savoir, notamment, la nature de l’irrégularité commise et tout fait, fût-il postérieur à la décision illégale, ayant pour conséquence d’augmenter ou de réduire le dommage indemnisable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 octobre 2006, Landgren/ETF, F‑1/05, point 95).

47      Il ressort des points 36 à 39 du présent arrêt que la décision de licenciement a été jugée irrégulière au motif que le directeur exécutif de l’Agence n’avait pas fait toutes diligences pour s’assurer de l’absence de lien, d’une part, entre les mauvaises performances professionnelles reprochées au requérant et un prétendu harcèlement moral dont celui-ci aurait été victime sur le lieu de travail, et ce, en attendant le rapport de la commission d’enquête initiée à la suite de la demande d’assistance introduite par le requérant le 13 décembre 2010, et, d’autre part, entre le comportement reproché au requérant durant sa période d’absence pour raison médicale et précisément son état de santé.

48      Ainsi qu’il a été rappelé au point 39 du présent arrêt, le rapport de la commission d’enquête, déposé le 25 juillet 2011, écarte, faute de preuve, la plainte pour harcèlement moral du requérant et le directeur exécutif a fait sienne les conclusions dudit rapport dans sa décision du 2 novembre 2011 portant rejet de la demande d’assistance du requérant. Cette décision n’ayant pas été attaquée dans les délais par le requérant, ainsi que cela a été constaté au point 53 de l’ordonnance BY/AESA, précitée, les conclusions du rapport susmentionné doivent être tenues comme étant définitives. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que toute décision de licenciement qui aurait été prise après le 2 novembre 2011 par le directeur exécutif de l’AESA n’aurait pas été entachée d’une méconnaissance du devoir de sollicitude, dès lors qu’il serait alors ressorti des faits que l’AESA avait bien donné suite à la demande d’assistance et s’était ainsi assurée de l’absence de tout harcèlement moral dont le requérant se prétendait victime et qui aurait pu expliquer les défaillances professionnelles qui, en elles-mêmes, justifiaient son licenciement.

49      De plus, à la date du 2 novembre 2011, le directeur exécutif de l’AESA aurait dû, en tout état de cause, conformément à l’article 47, sous c), i), du RAA, tenir compte du congé de maladie du requérant, de telle sorte que tout préavis (d’une durée de six mois en l’occurrence) n’aurait pu débuter qu’après le congé de maladie, sans que le report ne dépasse trois mois, soit en janvier 2012, voire en février 2012, si la maladie du requérant s’était prolongée au-delà de décembre 2011.

50      Compte tenu de tout ce qui précède, il sera fait une juste évaluation du préjudice matériel subi par le requérant en fixant le montant des dommages et intérêts à neuf mois de rémunération nette correspondant aux grade et échelon que détenait le requérant au moment de son licenciement.

51      En second lieu, s’agissant du préjudice moral, il est difficilement contestable que le comportement illégal de l’AESA, en la personne de son directeur exécutif, constaté au point 40 du présent arrêt, ait causé un préjudice moral au requérant.

52      Cependant, il ressort de la jurisprudence que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité, laquelle opère ab initio, peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (arrêt de la Cour du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, point 22 ; arrêts du Tribunal de première instance du 9 novembre 2004, Montalto/Conseil, T‑116/03, point 127, et du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, point 131 ; arrêt du Tribunal du 8 mai 2008, Suvikas/Conseil, F‑6/07, point 151), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (arrêt U/Parlement, précité, point 95 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, points 27 et 28). Il doit en aller de même de la constatation par le Tribunal de l’illégalité d’un acte administratif, lorsque, comme en l’espèce, le requérant n’a pas formellement conclu à l’annulation dudit acte pour se limiter à des prétentions indemnitaires.

53      En l’espèce, le requérant a pu éprouver des sentiments d’injustice, de frustration ou d’insécurité, mais ce préjudice doit être considéré comme étant réparé de façon adéquate et suffisante par la constatation de l’irrégularité de la décision de licenciement dans laquelle il trouvait sa cause, dès lors que le requérant n’a pas démontré avoir subi un préjudice moral plus étendu.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

55      Il résulte des motifs du présent arrêt que l’AESA est la partie qui succombe pour l’essentiel. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que l’AESA soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’AESA doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par le requérant, y compris les dépens exposés dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance BY/AESA, précitée.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’Agence européenne de la sécurité aérienne est condamnée à verser à BY la somme correspondant à neuf mois de la rémunération nette que celui-ci percevait à la veille de son licenciement.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’Agence européenne de la sécurité aérienne supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par BY.

Van Raepenbusch

Boruta

Perillo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 juin 2013.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.