Language of document : ECLI:EU:C:2019:460

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

5 juin 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/21/CE – Article 2, sous c) – Notion de “service de communications électroniques” – Transmission de signaux – Service de voix sur le protocole Internet (VoIP) vers des numéros de téléphone fixes ou mobiles – Service SkypeOut »

Dans l’affaire C‑142/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 7 février 2018, parvenue à la Cour le 23 février 2018, dans la procédure

Skype Communications Sàrl

contre

Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. D. Šváby, S. Rodin et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Skype Communications Sàrl, par Me E. Valgaeren, advocaat, ainsi que par Mes C. Evrard et D. Gillet, avocates,

–        pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet ainsi que par MM. P. Cottin et J.-C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Mes S. Depré, P. Vernet et M. Lambert de Rouvroit, avocats,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. Huurnink, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain, par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes O.-C. Ichim et R.-I. Haţieganu, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes J. Hottiaux et L. Nicolae ainsi que par M. G. Braun, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37) (ci-après la « directive-cadre »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Skype Communications Sàrl à l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT) au sujet de la décision de ce dernier de lui infliger une amende administrative pour avoir fourni un service de communications électroniques sans avoir préalablement procédé à la notification requise.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 10 de la directive-cadre indique :

« La définition du “service de la société de l’information”, qui figure à l’article 1er de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information [(JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18)], se rapporte à une large gamme d’activités économiques se déroulant en ligne ; la plupart de ces activités ne sont pas couvertes par le champ d’application de la présente directive, car elles ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ; les services de téléphonie vocale et de transmission de courrier électronique sont couverts par la présente directive. La même entreprise, par exemple un prestataire de services Internet, peut proposer à la fois un service de communications électroniques, tel que l’accès à Internet, et des services non couverts par la présente directive, tels que la fourniture de contenus sur la toile. »

4        L’article 2, sous c), de la directive-cadre prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c)      “service de communications électroniques” : le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de télécommunications et les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion, mais qui exclut les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus ; il ne comprend pas les services de la société de l’information tels que définis à l’article 1er de la [directive 98/34] qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ».

5        L’article 8 de la directive-cadre, intitulé « Objectifs généraux et principes réglementaires », dispose :

« 1.      Les États membres veillent, dans l’accomplissement des tâches de réglementation spécifiées dans la présente directive ainsi que dans les directives particulières, à ce que les autorités réglementaires nationales prennent toutes les mesures raisonnables visant à la réalisation des objectifs définis aux paragraphes 2, 3 et 4. Ces mesures sont proportionnées à ces objectifs.

Sauf disposition contraire de l’article 9 concernant les radiofréquences, les États membres tiennent le plus grand compte du fait qu’il est souhaitable d’assurer la neutralité technologique de la réglementation et veillent à ce que les autorités réglementaires nationales en fassent de même dans l’accomplissement des tâches de réglementation spécifiées dans la présente directive ainsi que dans les directives particulières, notamment celles destinées à assurer une concurrence effective.

[...]

2.      Les autorités réglementaires nationales promeuvent la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, notamment :

[...]

b)      en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques, y compris pour la transmission de contenu ;

[...]

4.      Les autorités réglementaires nationales soutiennent les intérêts des citoyens de l’Union européenne, notamment :

[...]

b)      en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs dans leurs relations avec les fournisseurs, en particulier en garantissant l’existence de procédures de règlement des litiges simples et peu coûteuses mises en œuvre par un organisme indépendant des parties concernées ;

c)      en contribuant à assurer un niveau élevé de protection des données à caractère personnel et de la vie privée ;

[...] »

 Le droit belge

6        L’article 2, 5°, de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques (Moniteur belge du 20 juin 2005, p. 28070), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « LCE »), prévoit :

« Pour l’application de la présente loi, il faut entendre par :

[...]

5°      “service de communications électroniques” : le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission, en ce compris les opérations de commutation et de routage, de signaux sur des réseaux de communications électroniques, à l’exception (a) des services consistant à fournir un contenu (à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques) ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ce contenu, à l’exception (b) des services de la société de l’information tels que définis à l’article 2 de loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information [(Moniteur belge du 17 mars 2003, p. 12962)] qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques et à l’exception (c) des services de la radiodiffusion y compris la télévision. »

7        L’article 9, paragraphe 1, de la LCE dispose :

« La fourniture ou revente en nom propre et pour son propre compte de services ou de réseaux de communications électroniques ne peut débuter, sans préjudice des dispositions de l’article 39, qu’après une notification à l’[IBPT] contenant les éléments suivants :

1°      le nom, l’adresse, le numéro de [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] et de registre de commerce du prestataire ou un numéro d’identification similaire regroupant valablement ces données ;

2°      la personne de contact avec l’[IBPT] ;

3°      une description succincte et précise de son service ou réseau ;

4°      la date à laquelle les activités devraient probablement débuter.

La notification se fait par envoi recommandé. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        La société Skype Communications est l’éditrice d’un logiciel de communication, dénommé Skype, qui permet à l’utilisateur l’installant sur un terminal, à savoir un ordinateur, une tablette ou encore un smartphone, de bénéficier d’un service de téléphonie vocale et de téléconférence, d’appareil à appareil. SkypeOut est une fonctionnalité ajoutée au logiciel Skype qui permet à son utilisateur de passer des appels téléphoniques depuis un terminal vers une ligne de téléphone fixe ou mobile, en utilisant l’Internet Protocol (IP) [protocole Internet (IP)] et, plus précisément, la technique dite « Voice over IP » (VoIP) [« voix sur IP » (VoIP)]. SkypeOut ne permet pas, en revanche, de recevoir des appels téléphoniques provenant d’utilisateurs de numéros de téléphone belges.

9        Le service fourni via SkypeOut est un service dit « hors offre du fournisseur d’accès à l’Internet » (« hors offre FAI »), c’est-à-dire un service disponible sur Internet sans la participation d’un opérateur de communications traditionnel.

10      Le service SkypeOut est à la disposition des utilisateurs selon deux formules tarifaires, à savoir une formule prépayée ou divers abonnements donnant droit à un volume déterminé d’appels téléphoniques par mois pour un prix récurrent.

11      L’utilisation de SkypeOut nécessite, techniquement, une connexion à Internet, fournie par un fournisseur d’accès à Internet (ci-après le « FAI ») et l’intervention de fournisseurs de services de télécommunications dûment autorisés à transmettre et à terminer des appels vers le réseau téléphonique public commuté (RTPC), avec lesquels Skype Communications a conclu des accords et dont l’intervention est rémunérée par celle-ci sous la forme d’une charge de terminaison [fixed termination rate (FTR) ou mobile termination rate (MTR)].

12      Par lettres des 11 mai et 9 août 2011, l’IBPT a invité Skype Communications à lui notifier ses services conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la LCE, en y joignant le formulaire de notification.

13      Le 24 août 2011, Skype Communications a répondu qu’elle n’exerçait aucune activité en Belgique et qu’elle ne fournissait en tout état de cause aucun service de communications électroniques, tel que défini par la directive-cadre, dans la mesure où elle ne transmettait elle-même aucun signal. Elle indiquait, par ailleurs que, pour la fonctionnalité SkypeOut, elle faisait appel à des opérateurs internationaux qui acheminaient eux-mêmes les signaux.

14      Le 14 août 2013, l’IBPT a de nouveau écrit à Skype Communications, lui indiquant qu’elle ne respectait pas l’obligation de notification concernant le service SkypeOut. L’IBPT faisait valoir que SkypeOut faisait bien partie d’un « service de communications électroniques », au sens de l’article 2, 5°, de la LCE. En effet, d’une part, le fait qu’il soit fait usage d’un plan de numérotation établirait qu’il s’agit d’un service qui est davantage qu’une application web et qui ne relève pas de l’exception de contenu, telle que mentionnée dans la définition d’un service de communications électroniques. D’autre part, le fait que Skype Communications n’assure pas le transfert de signaux sur les réseaux de communications électroniques ne l’empêcherait pas d’offrir effectivement de tels services. Enfin, le service SkypeOut viserait les utilisateurs résidant sur le territoire belge.

15      Le 13 décembre 2013, Skype Communications a contesté la position de l’IBPT en faisant valoir qu’elle ne s’était pas vue allouer de numéros depuis le plan belge de numérotation. Le fait que les communications se terminent en des numéros qui font partie dudit plan belge ne pourrait raisonnablement être compris comme conférant le statut de service de communications électroniques. Toute autre interprétation impliquerait que tout opérateur de télécommunications dans le monde serait assujetti au régime belge de notification des services de communications électroniques, même s’il a recours à un opérateur tiers dûment autorisé pour terminer les appels à des numéros du plan belge de numérotation.

16      Le 23 décembre 2014, l’IBPT a communiqué à Skype Communications ses griefs concernant le non-respect de l’article 9, paragraphe 1, de la LCE et les mesures envisagées.

17      Au terme de plusieurs échanges et auditions, l’IBPT a, le 1er juin 2016, communiqué à Skype Communications sa décision finale, adoptée le 30 mai 2016, par laquelle elle constatait le non-respect par cette dernière de l’article 9, paragraphe 1, de la LCE pour avoir fourni un service de communications électroniques sans procéder à la notification requise, lui ordonnait de mettre fin à l’infraction dans un délai d’un mois maximum et lui imposait une amende de 223 454 euros, payable dans les 60 jours.

18      Le 29 juillet 2016, Skype Communications a saisi la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) d’une demande d’annulation de la décision de l’IBPT du 30 mai 2016, l’invitant par ailleurs, notamment, à dire pour droit que SkypeOut n’est pas un service de communications électroniques et qu’elle n’est, partant, pas un fournisseur de services de communications électroniques. Elle l’invitait, à titre subsidiaire, à adresser à la Cour une demande de décision préjudicielle.

19      Le 9 octobre 2017, Microsoft Ireland Operations, qui fait partie, comme Skype Communications, du groupe Microsoft, a notifié à l’IBPT, sur le fondement de l’article 9 de la LCE, un service dénommé « PSTN Calling » (« Appels RTPC »), qui permet également de placer des appels à partir d’un ordinateur et d’une connexion Internet vers des numéros du RTPC. Selon Skype Communications, le service « PSTN Calling » présente d’importantes différences techniques avec SkypeOut, ce qui justifierait sa notification comme service de communications électroniques.

20      Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi constate que, contrairement à ce qui est allégué par Skype Communications, cette dernière propose une offre adressée aux résidents belges, de sorte qu’il existe bien une offre de service SkypeOut en Belgique. Elle relève, par ailleurs, que les parties au principal s’opposent sur le point de savoir si le service rendu par SkypeOut consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur les réseaux de communications électroniques. Elle souligne, à cet égard, que la Cour a jugé, dans son arrêt du 30 avril 2014, UPC DTH (C‑475/12, EU:C:2014:285, point 43), que « la circonstance que la transmission du signal a lieu par le truchement d’une infrastructure qui n’appartient pas [au demandeur] est sans pertinence pour la nature du service. En effet, seul importe à cet égard le fait que [le demandeur] est responsable envers les utilisateurs finals de la transmission du signal qui garantit à ces derniers la fourniture du service auquel ils se sont abonnés ».

21      C’est dans ces circonstances que la cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La définition du service de communications électroniques, édictée à [l’article 2, sous c), de la directive-cadre] doit-elle être comprise en ce sens qu’un service de voix sur IP offert via un logiciel terminé sur un réseau téléphonique public commuté vers un numéro fixe ou mobile d’un plan national de numérotation (sous la forme E.164) doit être qualifié de service de communications électroniques, nonobstant le fait que le service d’accès à Internet par le biais duquel un utilisateur accède audit service de voix sur IP constitue déjà lui-même un service de communications électroniques, mais alors que le fournisseur du logiciel offre ce service contre rémunération et conclut des accords avec les fournisseurs de services de télécommunications dûment autorisés à transmettre et à terminer des appels vers le réseau téléphonique public commuté qui permettent la terminaison des appels vers un numéro fixe ou mobile d’un plan national de numérotation ?

2)      En cas de réponse positive à la première question, la réponse demeure-t-elle inchangée si l’on tient compte du fait que la fonctionnalité du logiciel qui permet l’appel vocal n’est qu’une fonctionnalité de celui-ci, qui peut être utilisé sans elle ?

3)      En cas de réponses positives aux [première et deuxième] questions, la réponse à la première question demeure-t-elle inchangée si l’on tient compte du fait que le fournisseur du service prévoit dans ses conditions générales qu’il n’assume pas de responsabilité envers le client final pour la transmission des signaux ?

4)      En cas de réponses positives aux [première à troisième] questions, la réponse à la première question demeure-t-elle inchangée si l’on tient compte du fait que le service rendu répond également à la définition de “service de la société de l’information” ? »

 Sur les questions préjudicielles

22      Par ses quatre questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous c), de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que la fourniture par l’éditeur d’un logiciel d’une fonctionnalité offrant un service VoIP, qui permet à l’utilisateur d’appeler un numéro fixe ou mobile d’un plan national de numérotation via le RTPC d’un État membre à partir d’un terminal, doit être qualifié de « service de communications électroniques » au sens de cette disposition, dès lors que la fourniture dudit service, d’une part, donne lieu à rémunération de l’éditeur et, d’autre part, implique la conclusion par ce dernier d’accords avec les fournisseurs de services de télécommunications dûment autorisés à transmettre et à terminer des appels vers le RTPC.

23      À cet égard, elle se demande si une telle qualification doit être retenue nonobstant le fait que, premièrement, le service d’accès à Internet au moyen duquel l’utilisateur accède au service VoIP constitue lui-même un service de communications électroniques, deuxièmement, ledit service VoIP est offert à travers une fonctionnalité additionnelle d’un logiciel qui peut être utilisé sans elle, troisièmement, le fournisseur du service prévoit dans ses conditions générales qu’il n’assume pas la responsabilité de la transmission des signaux envers le client final et, quatrièmement, le service rendu relève également de la notion de « service de la société de l’information ».

24      Il convient de rappeler, tout d’abord, que la notion de « service de communications électroniques » est définie, en des termes positifs et négatifs, à l’article 2, sous c), de la directive-cadre et que cette définition est reprise, en des termes équivalents, à l’article 1er, point 3, de la directive 2002/77/CE de la Commission, du 16 septembre 2002, relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques (JO 2002, L 249, p. 21) (arrêt du 7 novembre 2013, UPC Nederland, C‑518/11, EU:C:2013:709, points 36 et 37).

25      En effet, l’article 2, sous c), de la directive-cadre définit, premièrement, le service de communications électroniques comme étant « le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de télécommunications et les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion ».

26      Cette même disposition précise, deuxièmement, que la notion de « service de communications électroniques » exclut, d’une part, « les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus » et ne comprend pas, d’autre part, « les services de la société de l’information tels que définis à l’article 1er de la [directive 98/34], qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ».

27      Le considérant 5 de la directive-cadre expose à cet égard, notamment, que la convergence des secteurs des télécommunications, des médias et des technologies de l’information implique que tous les réseaux de transmission et les services associés soient soumis à un même cadre réglementaire et que, dans le contexte de l’établissement dudit cadre, il est nécessaire de séparer la réglementation portant sur la transmission de celle relative aux contenus.

28      Comme la Cour l’a déjà relevé, les différentes directives composant le nouveau cadre réglementaire applicable aux services de communications électroniques, en particulier la directive-cadre et la directive 2002/77, établissent ainsi une distinction claire entre la production des contenus, impliquant une responsabilité éditoriale, et l’acheminement des contenus, exclusif de toute responsabilité éditoriale, les contenus et leur transmission relevant de réglementations séparées poursuivant des objectifs qui leur sont propres (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2013, UPC Nederland, C‑518/11, EU:C:2013:709, point 41, et du 30 avril 2014, UPC DTH, C‑475/12, EU:C:2014:285, point 36).

29      La Cour a également jugé que, pour relever de la notion de « service de communications électroniques », un service devait comprendre la transmission de signaux, étant précisé que la circonstance que la transmission du signal a lieu par le truchement d’une infrastructure qui n’appartient pas au prestataire de services est sans pertinence pour la qualification de la nature du service, puisque seul importe à cet égard le fait que ce prestataire est responsable envers les utilisateurs finals de la transmission du signal qui garantit à ces derniers la fourniture du service auquel ils se sont abonnés (arrêt du 30 avril 2014, UPC DTH, C‑475/12, EU:C:2014:285, point 43).

30      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations écrites présentées à la Cour que Skype Communications, éditrice du logiciel Skype, propose une fonctionnalité additionnelle audit logiciel (SkypeOut) qui permet à son utilisateur d’appeler, à partir d’un terminal connecté à Internet tel qu’un ordinateur, un smartphone ou une tablette, un numéro fixe ou mobile sur le RTPC en utilisant l’IP et, plus précisément, la technique VoIP.

31      Il est constant que Skype Communications propose le service VoIP en Belgique et qu’elle perçoit une rémunération de la part de ses utilisateurs, l’utilisation de SkypeOut étant subordonnée soit à un prépaiement, soit à un abonnement.

32      Il est également constant que l’utilisation de SkypeOut requiert l’intervention de fournisseurs de services de télécommunications, autorisés à transmettre et à terminer des appels vers les numéros de téléphones fixes ou mobiles via le RTPC et que Skype Communications conclut à cet effet des accords avec ces derniers, auxquels elle verse une rémunération sous la forme de tarifs de terminaison d’appel fixe [fixed termination rate (FTR)] ou d’appel mobile [mobile termination rate (MTR)].

33      Il s’en déduit, d’une part, que la fonctionnalité SkypeOut consiste principalement à transmettre les signaux vocaux émis par l’utilisateur appelant à destination de l’utilisateur appelé sur les réseaux de communications électroniques, à savoir sur Internet tout d’abord puis sur le RTPC ensuite, et, d’autre part, que Skype Communications doit être considérée comme assumant la responsabilité, envers les utilisateurs de la fonctionnalité SkypeOut, qui sont abonnés audit service ou ont prépayé l’utilisation dudit service, de la transmission des signaux vocaux sur le RTPC, au sens de l’arrêt du 30 avril 2014, UPC DTH (C‑475/12, EU:C:2014:285, point 43).

34      En effet, s’il est vrai que, sur le plan technique, l’acheminement des appels vocaux émis par l’intermédiaire de SkypeOut est matériellement réalisé, en premier lieu, par les FAI sur Internet, sur un premier segment partant de la connexion Internet de l’utilisateur appelant jusqu’à la passerelle d’interconnexion (Gateway) entre Internet et le RTPC, et, en second lieu, par les fournisseurs de services de télécommunications sur le RTPC, sur un second segment partant de ladite passerelle d’interconnexion jusqu’au point de raccordement mobile ou fixe de l’utilisateur appelé, il demeure que cette transmission intervient en vertu des accords passés entre Skype Communications et lesdits fournisseurs de services de télécommunications et ne saurait intervenir sans la conclusion de tels accords.

35      Comme les gouvernements belge, allemand, néerlandais et roumain ainsi que la Commission européenne l’ont, en substance, fait valoir, c’est Skype Communications qui, à travers la conclusion d’accords d’interconnexion avec les fournisseurs de services de télécommunications sur le RTPC, rend techniquement possible la transmission de signaux du réseau Internet vers le RTPC et garantit, en définitive, à ses clients et abonnés le service VoIP qu’elle propose avec la fonctionnalité SkypeOut de son logiciel Skype.

36      Les différents éléments évoqués par la juridiction de renvoi dans ses quatre questions ne sont pas de nature à remettre en cause la qualification de la fonctionnalité SkypeOut comme « service de communications électroniques », au sens de l’article 2, sous c), de la directive-cadre.

37      En effet, premièrement, la circonstance que l’utilisateur de la fonctionnalité SkypeOut accède au service VoIP en utilisant un service d’accès à Internet fourni par un FAI, qui constitue lui-même un service de communications électroniques, n’implique pas que ledit service VoIP ne puisse lui-même être qualifié, en tant que tel, de « service de communications électroniques ».

38      Ainsi que la juridiction de renvoi, le gouvernement belge et la Commission l’ont relevé, le service VoIP implique, en effet, deux services de communications électroniques distincts, le premier consistant à acheminer les signaux vocaux de l’utilisateur appelant jusqu’à la passerelle d’interconnexion (Gateway) entre Internet et le RTPC, qui relève de la responsabilité du FAI de l’utilisateur appelant, et le second consistant à acheminer lesdits signaux sur le RTPC jusqu’à la terminaison fixe ou mobile, qui relève de la responsabilité conjointe des fournisseurs de services de télécommunications des personnes appelées et de Skype Communications, en vertu des contrats les liant.

39      Il convient de considérer, à ce dernier égard, que, si, ainsi que l’a relevé le gouvernement belge, les services fournis par les fournisseurs de télécommunications assurant la terminaison des appels mobiles ou fixes sur le RTPC constituent des services de communications électroniques, ces fournisseurs ne sauraient, pour autant, être tenus pour responsables de la transmission des signaux vocaux à l’égard des utilisateurs de la fonctionnalité SkypeOut, au sens de la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où lesdits fournisseurs n’entretiennent aucune relation contractuelle avec ces utilisateurs.

40      Si, partant, ces mêmes fournisseurs sont contractuellement responsables à l’égard de Skype Communications de l’acheminement des signaux vocaux émis par l’intermédiaire de SkypeOut sur le RTPC, c’est Skype Communications qui est, en revanche, responsable du service VoIP qu’elle rend, moyennant rémunération, à ses clients et abonnés.

41      Deuxièmement, la circonstance que SkypeOut ne constitue qu’une fonctionnalité du logiciel Skype, ce dernier pouvant être utilisé sans ladite fonctionnalité, ne saurait avoir d’incidence sur la qualification du service VoIP fourni par Skype Communications comme service de communications électroniques.

42      Certes, comme le fait valoir Skype Communications, le logiciel Skype fournit un ensemble de services, qui ne sont pas en cause dans le cadre du litige au principal, notamment, d’une part, un service permettant à ses utilisateurs de passer gratuitement des communications audio et/ou vidéo entre équipements terminaux connectés à Internet et, d’autre part, nombre de services tels que, notamment, des services de partage d’écran, de messagerie textuelle instantanée, de partage de dossier ou de traduction simultanée, qui ne sauraient être qualifiés de « service de communications électroniques » faute de consister entièrement ou principalement en la transmission de signaux.

43      Toutefois, si l’installation de la fonctionnalité SkypeOut sur un terminal suppose l’installation préalable du logiciel Skype, il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’ont notamment relevé les gouvernements belge, allemand, néerlandais et roumain, les services respectivement offerts par le logiciel Skype lui-même et par sa fonctionnalité SkypeOut apparaissent clairement distincts dans leur objet et demeurent totalement autonomes dans leur fonctionnement.

44      Troisièmement, la circonstance que Skype Communications indique, dans ses conditions générales, qu’elle n’assume pas la responsabilité de la transmission des signaux à l’égard des utilisateurs de la fonctionnalité SkypeOut de son logiciel Skype ne saurait avoir d’incidence sur la qualification du service VoIP que cette fonctionnalité offre comme « service de communications électroniques ».

45      En effet, admettre que le fournisseur d’un service relevant matériellement de la qualification de « service de communications électroniques » puisse se soustraire du champ d’application de la directive-cadre à travers l’édiction, dans ses conditions générales, d’une clause d’exonération de toute responsabilité priverait de toute portée le nouveau cadre réglementaire applicable aux services de communications électroniques, dont la finalité est d’établir un véritable marché intérieur des communications électroniques, dans le cadre duquel ces dernières doivent, à terme, être régies par le seul droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2013, UPC Nederland, C‑518/11, EU:C:2013:709, point 45, et du 30 avril 2014, UPC DTH, C‑475/12, EU:C:2014:285, point 44).

46      Enfin, quatrièmement, la circonstance que le service VoIP rendu par SkypeOut relève également de la notion de « service de la société de l’information », au sens de la directive 98/34, n’implique nullement qu’il ne puisse être qualifié de « service de communications électroniques ».

47      En effet, il ressort du libellé même de l’article 2, sous c), de la directive-cadre, lu à la lumière de son considérant 10, que ne sont exclus de la définition des services de communications électroniques que les services de la société de l’information, tels que définis à l’article 1er de la directive 98/34, qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques.

48      Il s’ensuit que, comme l’ont relevé tant les gouvernements belge, allemand, néerlandais et roumain que la Commission, un « service de la société de l’information », au sens de la directive 98/34, relève du champ d’application de la directive-cadre dès lors qu’il consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques.

49      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 2, sous c), de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que la fourniture, par l’éditeur d’un logiciel, d’une fonctionnalité offrant un service VoIP, qui permet à l’utilisateur d’appeler un numéro fixe ou mobile d’un plan national de numérotation via le RTPC d’un État membre à partir d’un terminal, constitue un « service de communications électroniques », au sens de cette disposition, dès lors que la fourniture dudit service, d’une part, donne lieu à rémunération de l’éditeur et, d’autre part, implique la conclusion par ce dernier d’accords avec les fournisseurs de services de télécommunications dûment autorisés à transmettre et à terminer des appels vers le RTPC.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 2, sous c), de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, doit être interprété en ce sens que la fourniture, par l’éditeur d’un logiciel, d’une fonctionnalité offrant un service « Voice over Internet Protocol (VoIP) [voix sur le protocole Internet (VoIP)], qui permet à l’utilisateur d’appeler un numéro fixe ou mobile d’un plan national de numérotation via le réseau téléphonique public commuté (RTPC) d’un État membre à partir d’un terminal, constitue un « service de communications électroniques », au sens de cette disposition, dès lors que la fourniture dudit service, d’une part, donne lieu à rémunération de l’éditeur et, d’autre part, implique la conclusion par ce dernier d’accords avec les fournisseurs de services de télécommunications dûment autorisés à transmettre et à terminer des appels vers le RTPC.

Vilaras

Jürimäe

Šváby

Rodin

 

Piçarra

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juin 2019.

Le greffier

Le président de la IVème chambre

A. Calot Escobar

 

M. Vilaras


*      Langue de procédure : le français.