Language of document : ECLI:EU:C:2020:945

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 novembre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Directive 2011/95/UE – Conditions d’octroi du statut de réfugié – Refus d’effectuer le service militaire – Article 9, paragraphe 2, sous e) – Droit du pays d’origine ne prévoyant pas le droit à l’objection de conscience – Protection des personnes ayant fui leur pays d’origine après l’écoulement du délai d’un sursis au service militaire – Article 9, paragraphe 3 – Lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive – Preuve »

Dans l’affaire C‑238/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Hannover (tribunal administratif d’Hanovre, Allemagne), par décision du 7 mars 2019, parvenue à la Cour le 20 mars 2019, dans la procédure

EZ

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.–C. Bonichot (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de chambre, Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mars 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour EZ, par Me S. Schröder, Rechtsanwältin,

–        pour la Bundesrepublik Deutschland, par M. A. Horlamus, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. R. Kanitz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes S. Grünheid et M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 28 mai 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous e), et paragraphe 3, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EZ, ressortissant syrien, à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) au sujet de la décision du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) de lui refuser le statut de réfugié.

 Le cadre juridique

 La convention de Genève

3        En vertu de l’article 1er, section A, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], et entrée en vigueur le 22 avril 1954, telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui–même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci–après la « convention de Genève ») :

« Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne :

[...]

(2)      [...] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

[...] »

 La directive 2011/95

4        Les considérants 2, 4, 12, 24 et 29 de la directive 2011/95 énoncent :

« (2)      Une politique commune dans le domaine de l’asile, comprenant un régime d’asile européen commun, est un élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans l’Union.

[...]

(4)      La convention de Genève [...] [constitue] la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés.

[...]

(12)      L’objectif principal de la présente directive est, d’une part, d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres.

[...]

(24)      Il est nécessaire d’adopter des critères communs pour reconnaître aux demandeurs d’asile le statut de réfugié au sens de l’article 1er de la convention de Genève.

[...]

(29)      L’une des conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, est l’existence d’un lien de causalité entre les motifs de persécution que sont la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, et les actes de persécution ou l’absence de protection contre de tels actes. »

5        Aux termes de l’article 2, sous d), de cette directive, aux fins de celle‑ci, on entend par « réfugié », « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...] ».

6        L’article 4 de ladite directive, figurant au chapitre II de celle-ci, intitulé « Évaluation des demandes de protection internationale », dispose :

« 1.      Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

2.      Les éléments visés au paragraphe 1 correspondent aux déclarations du demandeur et à tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris ceux des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalités, le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale.

3.      Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)      tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b)      les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ;

c)      le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

d)      le fait que, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a ou non exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer les conditions nécessaires pour présenter une demande de protection internationale, pour déterminer si ces activités l’exposeraient à une persécution ou à une atteinte grave s’il retournait dans ce pays ;

e)      le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté.

4.      Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

5.      Lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a)      le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande ;

b)      tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ;

c)      les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ;

d)      le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il ne puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait ; et

e)      la crédibilité générale du demandeur a pu être établie. »

7        L’article 9 de la même directive, intitulé « Actes de persécution », dispose :

« 1.      Pour être considéré comme un acte de persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, un acte doit :

a)      être suffisamment grave du fait de sa nature ou de son caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950] ; ou

b)      être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a).

2.      Les actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes :

[...]

e)      les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant du champ d’application des motifs d’exclusion visés à l’article 12, paragraphe 2 ;

[...]

3.      Conformément à l’article 2, point d), il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes de persécution au sens du paragraphe 1 du présent article ou l’absence de protection contre de tels actes. »

8        L’article 10 de la directive 2011/95 est libellé comme suit : 

« 1.      Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

[...]

e)      la notion d’opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels visés à l’article 6, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur.

2.      Lorsque l’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution. »

9        L’article 12 de cette directive, intitulé « Exclusion », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser :

a)      qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

[...] »

 Le droit allemand

10      L’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après l’« AsylG »), prévoit, à son article 3, intitulé « Octroi du statut de réfugié » :

« (1)      Un étranger est un réfugié au sens de la [convention de Genève] lorsque celui-ci

1.      craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social,

2.      se trouve hors du pays (pays d’origine)

a)      dont il a la nationalité et qu’il ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

[...]

(2)      Un étranger n’est un réfugié au sens du paragraphe 1 ci-dessus lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser

1.      qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes,

2.      qu’il a commis, avant d’être admis comme réfugié, un crime grave de droit commun en dehors du territoire fédéral, en particulier une action cruelle, même si elle a été commise avec un objectif prétendument politique, ou

3.      qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies.

[...] » 

11      L’article 3a de l’AsylG, intitulé « Actes de persécution », prévoit :

« (1)      Est considéré comme un acte de persécution, au sens de l’article 3, paragraphe 1, un acte qui

1.      est suffisamment grave du fait de sa nature ou de son caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...] ; ou

2.      est une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point 1 ci-dessus.

(2)      Les actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes :

[...]

5.      les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant du champ d’application des motifs d’exclusion visés à l’article 3, paragraphe 2, de la présente loi,

[...]

(3)      Il doit y avoir un lien entre les motifs de la persécution mentionnés dans les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, point 1, et de l’article 3b, et les actes qualifiés d’actes de persécution au sens des paragraphes 1 et 2 du présent article ou l’absence de protection contre de tels actes. »

12      L’article 3b de l’AsylG, intitulé « Motifs de la persécution », énonce :

« (1)      Dans l’évaluation des motifs de la persécution en application de l’article 3, paragraphe 1, point 1, il convient de tenir compte des éléments suivants :

[...]

5.      la notion d’opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels visés à l’article 3c, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part de l’étranger.

(2)      Lorsque l’on évalue si un étranger craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      EZ, de nationalité syrienne, a quitté son pays le 6 novembre 2014. Arrivé en Allemagne le 5 septembre 2015, il a déposé une demande d’asile le 28 janvier 2016.

14      Il a indiqué avoir fui la Syrie au mois de novembre 2014 pour ne pas y effectuer son service militaire, de crainte de participer à la guerre civile. Il avait obtenu un report de son service militaire jusqu’au mois de février 2015 afin de finir ses études universitaires.

15      Le 11 avril 2017, l’Office fédéral de la migration et des réfugiés lui a accordé la protection subsidiaire, mais a rejeté sa demande d’asile au motif qu’il n’aurait pas lui-même subi de persécutions l’ayant poussé au départ. Selon cette autorité, l’intéressé, ayant seulement fui la guerre civile, n’aurait pas à craindre de persécutions s’il retournait en Syrie. En tout état de cause, il n’existerait pas de lien entre les persécutions qu’il redoute et les motifs de persécution qui peuvent ouvrir droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié.

16      EZ a formé un recours contre cette décision le 1er mai 2017 devant la juridiction de renvoi, le Verwaltungsgericht Hannover (tribunal administratif d’Hanovre, Allemagne). Il considère en substance qu’il est exposé, du fait de sa fuite de son pays d’origine pour se soustraire à l’obligation de service militaire et de sa demande d’asile introduite en Allemagne, à un risque de persécution justifiant que lui soit accordé le statut de réfugié.

17      La juridiction de renvoi constate que la jurisprudence nationale n’est pas fixée en ce qui concerne les demandes d’asile formulées par les appelés syriens qui ont fui leur pays pour se soustraire au service militaire et sont exposés de ce fait à subir des poursuites et des sanctions en cas de retour dans leur pays. 

18      C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Hannover (tribunal administratif d’Hanovre) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Faut-il interpréter l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la [directive 2011/95] en ce sens que le “refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit” ne requiert pas que la personne concernée ait refusé d’effectuer le service militaire dans une procédure de refus bien définie lorsque le droit de l’État d’origine ne prévoit pas de droit de refuser d’effectuer un service militaire ?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative : l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive [2011/95] protège-t-il également les personnes qui, au terme du report du service militaire, ne se présentent pas aux autorités militaires du pays d’origine et se soustraient à l’enrôlement forcé par la suite ?

3)      Si la deuxième question appelle une réponse affirmative : faut-il interpréter l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la [directive 2011/95] en ce sens que, pour un appelé ignorant son futur secteur d’intervention militaire, le service militaire “supposerait” directement ou indirectement “de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant du champ d’application des motifs d’exclusion visés à l’article 12, paragraphe 2” du seul fait que les forces combattantes de son pays d’origine commettent de tels crimes ou actes de manière répétée et systématique en faisant intervenir des appelés ?

4)      Faut-il interpréter l’article 9, paragraphe 3, de la directive [2011/95] en ce sens que, en cas de poursuites au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous e), conformément à l’article 2, point d), il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes qualifiés d’actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, ou l’absence de protection contre de tels crimes ?

5)      Si la quatrième question appelle une réponse affirmative : le lien visé par les dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 3, et de l’article 2, sous d), de la [directive 2011/95] entre les persécutions dues aux poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire et le motif de persécution existe-t-il déjà du simple fait que les poursuites ou sanctions sont liées au refus ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

19      Il importe de rappeler, en premier lieu, qu’il ressort des considérants 4 et 12 de la directive 2011/95 que la convention de Genève constitue la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés et que cette directive a notamment été adoptée afin que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale.

20      L’interprétation des dispositions de la directive 2011/95 doit, dès lors, être effectuée à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention de Genève et des autres traités pertinents visés à l’article 78, paragraphe 1, TFUE. Cette interprétation doit également se faire, ainsi qu’il ressort du considérant 16 de cette directive, dans le respect des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 23 et jurisprudence citée).

21      Il convient de rappeler, en deuxième lieu, que, aux termes de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, le réfugié est, notamment, un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité « parce qu’il craint avec raison d’être persécuté » du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, et qui ne peut ou, « du fait de cette crainte », ne veut se réclamer de la « protection » de ce pays. Le ressortissant concerné doit ainsi, en raison de circonstances existant dans son pays d’origine, être confronté à la crainte fondée d’une persécution exercée sur sa personne pour au moins l’un des cinq motifs énumérés dans cette directive et dans la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 24 et jurisprudence citée).

22      En troisième lieu, il doit être souligné que l’article 9 de la directive 2011/95 définit les éléments qui permettent de considérer des actes comme étant constitutifs d’une persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève. À cet égard, l’article 9, paragraphe 1, sous a), de cette directive précise que les actes pertinents doivent être suffisamment graves en raison de leur nature ou de leur répétition pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits absolus auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ladite directive précise qu’une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui est suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la même directive doit également être considérée comme étant une persécution. Il ressort de ces dispositions que, pour qu’une violation des droits fondamentaux constitue une persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, elle doit atteindre un certain niveau de gravité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 25 et jurisprudence citée).

23      En quatrième lieu, il importe de relever que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, sous a) à c), de la directive 2011/95, lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, il convient de tenir compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, des informations et des documents pertinents présentés par le demandeur ainsi que de son statut individuel et de sa situation personnelle.

24      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’interpréter les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95, aux termes desquelles les actes de persécution, au sens du paragraphe 1 de cet article, peuvent notamment prendre la forme de poursuites ou de sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive.

25      Par ailleurs, s’agissant de l’affaire au principal, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que les crimes que EZ aurait pu être amené à commettre en tant que conscrit dans le cadre de la guerre civile syrienne sont des « crimes de guerre » ou des « crimes contre l’humanité » visés à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/95.

 Sur les première et deuxième questions

26      Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, lorsque le droit de l’État d’origine ne prévoit pas la possibilité de refuser d’accomplir le service militaire, à ce que ce refus soit constaté dans une situation dans laquelle la personne concernée n’a pas formalisé son refus selon une procédure donnée et a fui son pays d’origine sans se présenter aux autorités militaires.

27      Selon l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95, les actes de persécution auxquels soutient être exposé celui qui cherche à se voir reconnaître la qualité de réfugié au titre de cette disposition doivent découler de son refus d’effectuer le service militaire. Par conséquent, ce refus doit constituer le seul moyen permettant à l’intéressé d’éviter la participation aux crimes visés à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la même directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 44).

28      Il s’ensuit que la circonstance que le demandeur du statut de réfugié s’est abstenu de recourir à une procédure visant à l’obtention du statut d’objecteur de conscience exclut toute protection au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95, à moins que ledit demandeur ne prouve qu’aucune procédure d’une telle nature ne lui aurait été disponible dans sa situation concrète (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 45).

29      En particulier, lorsque la possibilité de refuser d’accomplir le service militaire n’est pas prévue par le droit de l’État d’origine et qu’il n’existe en conséquence aucune procédure à cette fin, il ne saurait être exigé du réfractaire qu’il formalise son refus selon une procédure donnée.

30      En outre, dans cette hypothèse, compte tenu du caractère illégal de ce refus en vertu du droit de l’État d’origine et des poursuites et sanctions auxquelles il expose son auteur, on ne saurait raisonnablement attendre de ce dernier qu’il l’ait exprimé devant les autorités militaires.

31      Pour autant, ces circonstances ne sauraient suffire à établir la réalité du refus de l’intéressé d’accomplir son service militaire. Conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous a) à c), de la directive 2011/95, il convient d’évaluer celle-ci, à l’instar des autres éléments présentés à l’appui de la demande de protection internationale, en tenant compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, des informations et des documents pertinents présentés par le demandeur ainsi que de son statut individuel et de sa situation personnelle, ainsi qu’il a été rappelé au point 23 du présent arrêt.

32      Par conséquent, l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, lorsque le droit de l’État d’origine ne prévoit pas la possibilité de refuser d’effectuer le service militaire, à ce que ce refus soit constaté dans le cas où la personne concernée n’a pas formalisé son refus selon une procédure donnée et a fui son pays d’origine sans se présenter aux autorités militaires.

 Sur la troisième question

33      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, pour un appelé qui refuse d’effectuer son service militaire en cas de conflit mais qui ignore son futur secteur d’intervention militaire, l’accomplissement de son service militaire supposerait de commettre des crimes ou des actes visés à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive en raison du seul fait que les forces combattantes de son pays d’origine commettent de tels crimes ou actes de manière répétée et systématique en faisant intervenir des appelés.

34      Il appartient aux seules autorités nationales d’apprécier, sous le contrôle du juge, si l’accomplissement du service militaire par le demandeur qui sollicite l’obtention du statut de réfugié sur le fondement de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 amènerait nécessairement ou, au moins, très probablement ce dernier à commettre des crimes visés à l’article 12, paragraphe 2, de la même directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 40).

35      Cette appréciation des faits doit se fonder sur un faisceau d’indices de nature à établir, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, notamment celles relatives aux faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande ainsi qu’au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur, que la situation d’ensemble rend plausible la réalisation des crimes allégués (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 46).

36      La Cour a, en outre, jugé que ne sont pas exclues, par principe, les situations dans lesquelles le demandeur ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes, parce que, notamment, il n’appartiendrait pas aux troupes de combat mais, par exemple, serait affecté à une unité de logistique ou d’appui (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Shepherd, C‑472/13, EU:C:2015:117, point 37).

37      Dans le contexte syrien de guerre civile généralisée qui prévalait au moment de statuer sur la demande de l’intéressé, c’est-à-dire au mois d’avril 2017, et eu égard en particulier à la commission répétée et systématique de crimes de guerre par l’armée syrienne, y compris par les unités composées d’appelés, largement documentée selon la juridiction de renvoi, la plausibilité qu’un appelé soit conduit, quel que soit son secteur d’intervention, à participer, directement ou indirectement, à la commission des crimes considérés paraît très élevée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

38      En conséquence, l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, pour un appelé qui refuse d’effectuer son service militaire en cas de conflit mais qui ignore son futur secteur d’intervention militaire, dans un contexte de guerre civile généralisée caractérisé par la commission répétée et systématique de crimes ou d’actes visés à l’article 12, paragraphe 2, de la même directive par l’armée en faisant intervenir des appelés, l’accomplissement du service militaire supposerait de participer, directement ou indirectement, à la commission de tels crimes ou actes, quel que soit le secteur d’intervention.

 Sur la quatrième question

39      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la même directive.

40      Il convient de répondre à cette question à la lumière non seulement du texte dudit article 9, mais encore de son contexte comme de l’intention du législateur de l’Union.

41      En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 qu’il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci ou l’absence de protection contre de tels actes. Or, l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive comporte une liste indicative d’actes de persécution, au sens du paragraphe 1 de cet article 9. Par conséquent, l’exigence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, vaut notamment pour les actes de persécution énumérés à l’article 9, paragraphe 2, y compris ceux visés au point e) de cette disposition.

42      En deuxième lieu, cette interprétation est conforme à la définition même de la notion de « réfugié », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, à savoir un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride qui craint avec raison d’être persécuté pour l’un des cinq motifs énumérés par cette disposition et développés à l’article 10 de directive et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle.

43      En troisième lieu, comme l’indique son considérant 24, la directive 2011/95 vise à l’adoption de critères communs pour la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la convention de Genève. Par conséquent, conformément aux stipulations de l’article 1er, section A, point 2), de cette convention, cette directive limite le bénéfice du droit d’asile aux personnes qui craignent avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, ainsi qu’il ressort également du considérant 29 de la directive.

44      Au vu de ce qui précède, l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il impose l’existence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive.

 Sur la cinquième question

45      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 2, sous e), et de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doivent être interprétées en ce sens que l’existence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 2, sous d), ainsi qu’à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions pour refus d’effectuer le service militaire visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive doit être regardée comme établie en raison du seul fait que les poursuites et sanctions sont liées à ce refus.

46      Il convient, d’abord, de relever que, en visant les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95, l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette dernière définit certains actes de persécution par leur motif et que ce motif diffère de ceux qu’énumèrent limitativement l’article 2, sous d), et l’article 10 de cette directive, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.

47      Certes, dans beaucoup d’hypothèses, le refus d’accomplir le service militaire est l’expression d’opinions politiques, qu’elles consistent dans le rejet de tout emploi de la force militaire ou dans l’opposition à la politique ou aux méthodes des autorités du pays d’origine, de convictions religieuses ou encore est motivé par l’appartenance à un certain groupe social. Dans ces cas, les actes de persécution auxquels ce refus peut donner lieu sont également rattachables aux mêmes motifs.

48      Toutefois, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 67 de ses conclusions, le refus du service militaire peut également avoir des motifs distincts des cinq motifs de persécution susmentionnés. Il peut notamment être motivé par la crainte de s’exposer aux dangers que comporte l’accomplissement du service militaire dans un contexte de conflit armé.

49      Par conséquent, admettre que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions définies à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 est lié, en toute hypothèse, à l’un des cinq motifs de persécution prévus par la convention de Genève reviendrait en réalité à ajouter à ces motifs d’autres motifs de persécution et à étendre ainsi le champ d’application de cette directive par rapport à celui de la convention de Genève. Or, une telle interprétation irait à l’encontre de l’intention claire du législateur de l’Union, exposée au considérant 24 de ladite directive, d’harmoniser au sein de l’Union la mise en œuvre du statut de réfugié au sens de la convention de Genève.

50      C’est pourquoi, l’existence d’un lien entre au moins l’un des motifs de persécution mentionnés à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de celle-ci ne saurait être réputée établie ni, par conséquent, être soustraite à l’examen des autorités nationales chargées de l’évaluation de la demande de protection internationale.

51      Cette conclusion est confirmée par les modalités de l’évaluation des demandes de protection internationale prévues par la directive 2011/95.

52      En effet, cette directive dispose, à son article 4, paragraphe 1, que les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Toutefois, les déclarations d’un demandeur de protection internationale ne constituent que le point de départ du processus d’évaluation des faits et des circonstances mené par les autorités compétentes (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, F, C‑473/16, EU:C:2018:36, point 28). En effet, la même disposition prévoit qu’il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur de protection internationale, les éléments pertinents de sa demande.

53      Or, parmi les éléments pertinents soumis à l’évaluation des autorités nationales compétentes, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2011/95 mentionne « les raisons justifiant la demande de protection internationale », lesquelles incluent nécessairement le motif des actes de persécution auxquels le demandeur soutient être exposé. En conséquence, admettre sans examen que les poursuites et sanctions pour refus d’effectuer le service militaire dans les circonstances visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette directive se rattachent à l’un des cinq motifs de persécution retenus par la convention de Genève reviendrait à soustraire à l’évaluation des autorités compétentes un élément essentiel des « raisons justifiant la demande de protection internationale », contrairement à ce que prévoit l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

54      Pour autant, il ne saurait être considéré qu’il incombe au demandeur de protection internationale d’apporter la preuve du lien entre les motifs mentionnés à l’article 2, sous d), ainsi qu’à l’article 10 de la directive 2011/95 et les poursuites et sanctions qu’il encourt en raison de son refus d’effectuer le service militaire dans les conditions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de celle-ci.

55      En effet, une telle charge de la preuve serait contraire aux modalités d’évaluation des demandes de protection internationale, telles que définies à l’article 4 de la directive 2011/95. D’une part, ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive permet seulement aux États membres d’imposer au demandeur la charge de « présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale » et charge l’État membre saisi d’évaluer les éléments pertinents de la demande. D’autre part, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 70 de ses conclusions, l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2011/95 reconnaît qu’un demandeur ne sera pas toujours en mesure d’étayer sa demande par des preuves documentaires ou autres et énumère les conditions cumulatives auxquelles de telles preuves ne sont pas requises. À cet égard, les motifs du refus d’effectuer le service militaire et, en conséquence, des poursuites auxquelles il expose constituent des éléments subjectifs de la demande dont il peut être particulièrement difficile d’apporter une preuve directe.

56      Dans ces conditions, il appartient aux autorités nationales compétentes d’apprécier, au vu de l’ensemble des circonstances rapportées par le demandeur de protection internationale, le caractère plausible du lien entre les motifs mentionnés à l’article 2, sous d), ainsi qu’à l’article 10 de la directive 2011/95 et les poursuites et sanctions encourues en cas de refus d’effectuer le service militaire dans les conditions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de celle-ci.

57      À cet égard, il y a lieu de souligner qu’il existe une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions précisées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette directive se rattache à l’un des cinq motifs rappelés à l’article 10 de ladite directive.

58      En premier lieu, en précisant le motif des actes de persécution mentionnés à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95, il est manifeste que le législateur de l’Union n’a pas entendu rendre plus difficile l’obtention du statut de réfugié par les objecteurs de conscience en posant une condition supplémentaire à l’obtention de ce statut, mais a, au contraire, considéré que ce motif de persécution se rattachait, en règle générale, à l’un au moins des cinq motifs de persécution ouvrant droit au statut de réfugié. En effet, la mention spéciale dans cette directive des objecteurs de conscience lorsque l’accomplissement du service militaire obligerait ces derniers à commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité est pleinement cohérente avec l’exclusion du statut de réfugié des auteurs des crimes susmentionnés prévue à l’article 12 de la directive.

59      En deuxième lieu, ainsi que l’a mentionné Mme l’avocate générale au point 75 de ses conclusions, le refus d’effectuer le service militaire, particulièrement lorsque celui-ci est passible de lourdes sanctions, permet de supposer l’existence d’un fort conflit de valeurs et d’opinions politiques ou religieuses entre l’intéressé et les autorités du pays d’origine.

60      En troisième lieu, dans un contexte de conflit armé, particulièrement de guerre civile, et en l’absence de possibilité légale de se soustraire aux obligations militaires, il est hautement probable que le refus d’effectuer le service militaire soit interprété par les autorités comme un acte d’opposition politique, indépendamment des motivations personnelles éventuellement plus complexes de l’intéressé. Or, selon l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2011/95, « lorsqu’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution ».

61      Il résulte de ce qui précède que les dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 2, sous e), et de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doivent être interprétées en ce sens que l’existence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 2, sous d), ainsi qu’à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions pour refus d’effectuer le service militaire visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive ne peut pas être regardée comme établie en raison du seul fait que ces poursuites et sanctions sont liées à ce refus. Néanmoins, il existe une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions précisées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la même directive se rattache à l’un des cinq motifs rappelés à l’article 10 de celle-ci. Il appartient aux autorités nationales compétentes de vérifier, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, le caractère plausible de ce lien.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, lorsque le droit de l’État d’origine ne prévoit pas la possibilité de refuser d’effectuer le service militaire, à ce que ce refus soit constaté dans le cas où la personne concernée n’a pas formalisé son refus selon une procédure donnée et a fui son pays d’origine sans se présenter aux autorités militaires.

2)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, pour un appelé qui refuse d’effectuer son service militaire en cas de conflit mais qui ignore son futur secteur d’intervention militaire, dans un contexte de guerre civile généralisée caractérisé par la commission répétée et systématique de crimes ou d’actes visés à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive par l’armée en faisant intervenir des appelés, l’accomplissement du service militaire supposerait de participer, directement ou indirectement, à la commission de tels crimes ou actes, quel que soit le secteur d’intervention.

3)      L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il impose l’existence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive.

4)      Les dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 2, sous e), et de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doivent être interprétées en ce sens que l’existence d’un lien entre les motifs mentionnés à l’article 2, sous d), ainsi qu’à l’article 10 de cette directive et les poursuites et sanctions pour refus d’effectuer le service militaire visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de ladite directive ne peut pas être regardée comme établie en raison du seul fait que ces poursuites et sanctions sont liées à ce refus. Néanmoins, il existe une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions précisées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la même directive se rattache à l’un des cinq motifs rappelés à l’article 10 de celle-ci. Il appartient aux autorités nationales compétentes de vérifier, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, le caractère plausible de ce lien.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.