Language of document : ECLI:EU:C:2019:687

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

5 septembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Certificat complémentaire de protection pour les médicaments – Règlement (CE) n° 469/2009 – Article 3, sous b) –Conditions d’obtention – Autorisation de mise sur le marché – Autorisation délivrée à un tiers – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑239/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], par décision du 4 mars 2019, parvenue à la Cour le 20 mars 2019, dans la procédure

Eli Lilly and Company

contre

Genentech Inc.,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. D. Šváby et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, sous b), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO 2009, L 152, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eli Lilly and Company (ci-après « Eli Lilly ») à Genentech Inc. au sujet d’une demande introduite par cette dernière en vue de l’obtention d’un certificat complémentaire de protection (ci-après le « CCP »).

 Le cadre juridique

3        L’article 1er du règlement n° 469/2009 dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “médicament” : toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être administrée à l’homme ou à l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions organiques chez l’homme ou l’animal ;

[...]

c)      “brevet de base” : un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un [CCP] ;

[...] »

4        Aux termes de l’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application » :

« Tout produit protégé par un brevet sur le territoire d’un État membre et soumis, en tant que médicament, préalablement à sa mise sur le marché, à une procédure d’autorisation administrative en vertu de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain [(JO 2001, L 311, p. 67),] ou de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires [(JO 2001, L 311, p. 1),] peut, dans les conditions et selon les modalités prévues par le présent règlement, faire l’objet d’un [CCP]. »

5        L’article 3 dudit règlement, intitulé « Conditions d’obtention du [CCP] », prévoit :

« Le [CCP] est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande :

a)      le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ;

b)      le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité [...]

c)      le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un [CCP] ;

d)      l’autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Genentech est titulaire du brevet européen (UK) n° 1 641 822, intitulé « IL17A/F heterologous peptides and therapeutic uses thereof » (« peptides hétérologues IL-17A/F et leurs usages thérapeutiques ») (ci‑après le « brevet de base »), dont la date de priorité est le 8 juillet 2003. À l’heure actuelle, Genentech ne dispose d’aucun produit couvert par ledit brevet.

7        Eli Lilly commercialise une formulation d’un anticorps, dénommé « ixekizumab », pour le traitement du psoriasis en plaque modéré à sévère et de l’arthrite psoriasique de l’adulte. Cette formulation est commercialisée sous la marque Taltz en vertu de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) EU/1/15/1085 (ci-après l’« AMM pour l’ixekizumab »). Genentech soutient que ladite formulation relève du champ de protection du brevet de base.

8        Genentech a déposé une demande de CCP sur le fondement du brevet de base et de l’AMM pour l’ixekizumab.

9        Eli Lilly demande à la juridiction de renvoi de constater qu’un CCP octroyé sur la base d’une telle demande serait nul. Cette juridiction indique qu’elle a examiné ladite demande en parallèle à une autre demande par laquelle Eli Lilly a contesté la validité du brevet de base. Ladite juridiction précise qu’elle a rendu sa décision à cet égard et jugé que les revendications de ce brevet étaient nulles.

10      Dans l’affaire au principal, Eli Lilly soutient que, à supposer que ledit brevet soit valide, deux motifs s’opposent à la délivrance d’un CCP pour l’ixekizumab. En premier lieu, la demande de CCP en cause ne serait pas conforme à l’article 3, sous a), du règlement n° 469/2009, car la formulation faisant l’objet de l’AMM pour l’ixekizumab ne serait pas couverte par le brevet de base. En second lieu, cette demande ne serait conforme ni à l’article 2 ni à l’article 3, sous b) et d), de ce règlement, car l’AMM pour l’ixekizumab ne serait pas une AMM pertinente, étant donné que celle-ci est détenue par un tiers et qu’elle a été invoquée sans le consentement de ce dernier.

11      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le règlement n° 469/2009 s’oppose-t-il à l’octroi d’un [CCP] au titulaire d’un brevet de base pour un produit qui fait l’objet d’une [AMM] détenue par un tiers, sans le consentement de ce dernier ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

12      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

13      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

14      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (ordonnances du 25 octobre 2018, Barba Giménez, C‑426/17, non publiée, EU:C:2018:858, point 36, ainsi que du 17 janvier 2019, Rossi e.a., C‑626/17, non publiée, EU:C:2019:28, point 20 et jurisprudence citée).

15      Dans le cadre de cette coopération, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Cependant, une demande formée par une juridiction nationale doit être rejetée lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (ordonnance du 17 janvier 2019, Cipollone, C‑600/17, non publiée, EU:C:2019:29, point 21 et jurisprudence citée).

16      Il appartient, à cet égard, à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence. En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non pas de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 41 et jurisprudence citée).

17      Ainsi, la justification d’une question préjudicielle n’est pas la formulation de telles opinions, mais est le besoin inhérent à la solution effective d’un litige portant sur le droit de l’Union (arrêt du 13 décembre 2018, Rittinger e.a., C‑492/17, EU:C:2018:1019, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

18      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi, reprises au point 9 de la présente ordonnance, cette juridiction a jugé que les revendications du brevet de base étaient nulles, ce qui était de nature à entraîner la nullité de la demande de CCP fondée sur ce brevet. Tout en reconnaissant, dans ces conditions, le caractère hypothétique de la présente demande de décision préjudicielle, ladite juridiction estime néanmoins que cette demande est nécessaire.

19      Premièrement, il serait probable que Genentech interjette appel de cette décision devant la Court of Appeal (England and Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni]. Or, en raison de la notification par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de son intention de se retirer de l’Union européenne en vertu de l’article 50 TUE, il existerait une grande probabilité que cette dernière juridiction cesse d’être compétente pour poser une question préjudicielle à la Cour, de sorte qu’il serait nécessaire que la juridiction de renvoi pose, dès à présent, une telle question.

20      Deuxièmement, même dans l’hypothèse de nullité du brevet de base, la question faisant l’objet de la présente demande de décision préjudicielle présenterait un intérêt. En effet, Eli Lilly et Genentech s’opposeraient sur cette question dans d’autres États membres que le Royaume-Uni, où Genentech aurait déposé des demandes parallèles pour des CCP fondés sur le brevet de base et l’AMM pour l’ixekizumab.

21      Troisièmement, ladite question se serait posée dans d’autres affaires antérieures dans lesquelles les juridictions saisies n’auraient pas estimé nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour. Cette question ferait également l’objet d’un débat doctrinal.

22      Il y a lieu de constater que ces motifs ne sont pas de nature à justifier que la présente demande de décision préjudicielle soit, en dépit de sa nature hypothétique, déclarée recevable.

23      En premier lieu, la nécessité d’une réponse à cette demande ne saurait être justifiée par l’éventualité que la Court of Appeal (England and Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles)] se voie privée de la possibilité de poser à la Cour une question préjudicielle en raison de la notification par le Royaume-Uni de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE.

24      En effet, d’une part, il y a lieu de constater que cette justification se fonde sur les prémisses hypothétiques que, non seulement Genentech saisira la Court of Appeal (England and Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles)] d’un appel contre la décision de la juridiction de renvoi déclarant nulles les revendications du brevet de base, mais également que la juridiction d’appel infirmera cette décisionet estimera, en outre, nécessaire de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

25      D’autre part, la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union n’a pas pour effet de suspendre l’application du droit de l’Union dans cet État membre, de telle sorte que ce droit reste pleinement en vigueur dans ledit État membre jusqu’à son retrait effectif de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2018, RO, C‑327/18 PPU, EU:C:2018:733, point 44). Il en découle que toute juridiction d’un tel État membre éventuellement confrontée à une question d’interprétation dudit droit dispose de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour, à tout le moins jusqu’à ce retrait.

26      La circonstance, par ailleurs purement hypothétique à ce stade, qu’une telle juridiction soit ultérieurement privée de sa compétence pour poser une telle question en raison de ce retrait, lorsque celui-ci deviendra effectif, ne saurait, à cet égard, être de nature à justifier qu’une autre juridiction, telle que la juridiction de renvoi, puisse, par anticipation, poser cette question malgré son caractère hypothétique.

27      En second lieu, l’existence de litiges dans d’autres États membres de l’Union ou de litiges antérieurs ne permettent manifestement pas de conclure que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée soit nécessaire pour la solution du litige que la juridiction est appelée à trancher.

28      Dès lors, il y a lieu de considérer que la question posée présente un caractère hypothétique pour les besoins du litige au principal.

29      Dans ces conditions, il convient de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], par décision du 4 mars 2019, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.