Language of document : ECLI:EU:F:2008:173

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

11 décembre 2008 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Exercice de promotion 2006 – Capacité à travailler dans une troisième langue »

Dans l’affaire F‑93/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Beatriz Acosta Iborra, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Alkmaar (Pays-Bas), et neuf autres fonctionnaires de la Commission dont les noms figurent en annexe au présent arrêt, initialement représentés par MN. Lhoëst, puis par Mes N. Lhoëst et S. Fernández Menéndez, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. G. Berscheid, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes I. Šulce et M. Simm, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. P. Mahoney, président, H. Kanninen et S. Gervasoni (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Cidéron, assistante,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 17 septembre 2007 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 25 septembre suivant), Mme Acosta Iborra et neuf autres fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes, dont les noms figurent en annexe au présent arrêt, demandent au Tribunal, notamment, d’annuler les décisions de ne pas les promouvoir au titre de l’exercice de promotion 2006 (ci-après les « décisions litigieuses »).

 Cadre juridique

2        Le présent litige portant, pour l’essentiel, sur l’interprétation des dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004 (JO L 124, p. 1) (ci-après le « statut »), et de l’article 11 de l’annexe XIII du statut, le cadre juridique sera exposé aux points 28 à 31 du présent arrêt.

 Faits à l’origine du litige

3        Les requérants n’ont pas été reconnus éligibles à la promotion lors de l’exercice de promotion 2006 en raison de leur connaissance insuffisante d’une troisième langue, exigence prévue par l’article 45, paragraphe 2, du statut. Ainsi, leurs noms ne figuraient pas sur la liste des fonctionnaires promus au titre de l’exercice de promotion 2006, qui a été publiée le 17 novembre 2006 aux Informations administratives n° 55‑2006.

4        Chacun des requérants a alors introduit une réclamation le 16 février 2007 contre la décision de ne pas le promouvoir au titre de l’exercice de promotion 2006.

5        Le 6 juin 2007, la Commission a adopté des décisions explicites portant rejet de ces réclamations.

 Conclusions des parties

6        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions litigieuses ;

–        annuler, pour autant que de besoin, les décisions de la Commission du 6 juin 2007 portant rejet de leurs réclamations.

7        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable et en tout état de cause non fondé ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

8        Le Conseil de l’Union européenne, autorisé à intervenir par ordonnance du 26 septembre 2007 du président de la troisième chambre, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le moyen tiré de l’illégalité de l’article 11 de l’annexe XIII du statut comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.

9        Par une ordonnance du 4 juin 2008, le président de la troisième chambre a décidé, les parties entendues, de joindre les affaires F‑58/07, Collotte/Commission, F‑66/07, Dubus et Leveque/Commission, F‑92/07, Evraets/Commission et F‑93/07, Acosta Iborra e.a./Commission, aux fins de la procédure orale, en application de l’article 46, paragraphe 1, du règlement de procédure.

 Objet du litige

10      Les conclusions dirigées contre les décisions de rejet de chacune des réclamations sont, en tant que telles, dépourvues de caractère autonome et doivent être regardées comme dirigées contre les décisions litigieuses.

 En droit

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

11      Selon la Commission, le recours serait manifestement irrecevable.

12      L’institution observe, d’une part, que les requérants n’ont pas joint à leur requête les décisions qu’ils attaquent, contrairement à l’exigence de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal de première instance des Communautés européennes, et fait valoir que le recours est, par suite, irrecevable.

13      La Commission soutient, d’autre part, que les requérants n’ont fourni au Tribunal aucun élément concret permettant d’apprécier s’ils possèdent un intérêt à agir. Ils n’auraient indiqué ni le nombre total de points dont ils disposaient en 2006 aux fins de la promotion ni le seuil de promotion s’appliquant à leurs grades lors de cet exercice ni, par conséquent, s’ils auraient pu être promus dans l’hypothèse où leur connaissance d’une troisième langue aurait été suffisante.

14      Les requérants font valoir que la première fin de non-recevoir n’est pas fondée. D’abord, ils auraient annexé à leur requête les décisions de la Commission du 6 juin 2007 portant rejet de leurs réclamations, dont ils demandent l’annulation. Ensuite, en vertu des dispositions combinées des paragraphes 4 et 6 de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal de première instance, dans l’hypothèse où un requérant n’aurait pas joint l’acte attaqué à sa requête, le greffier devrait l’inviter à le produire, ce qui signifierait que cette irrégularité n’entraîne pas automatiquement l’irrecevabilité du recours. En l’espèce, le greffier du Tribunal ne leur aurait adressé aucune demande de régularisation. Enfin, les requérants auraient annexé à leur mémoire en réplique la liste des fonctionnaires promus au titre de l’exercice de promotion 2006.

15      Les requérants invitent le Tribunal à rejeter également la deuxième fin de non-recevoir. Ainsi qu’il ressortirait des listes de mérite, ils auraient disposé d’un nombre de points nettement supérieur au seuil de promotion et seule leur connaissance insuffisante d’une troisième langue les aurait empêchés d’être promus en 2006. Les requérants s’étonnent que la Commission conteste leur intérêt à agir dans sa défense, alors que l’institution sait parfaitement qu’ils auraient été promus si leur connaissance d’une troisième langue n’avait pas été prise en compte. La Commission s’était d’ailleurs abstenue de soulever une telle fin de non-recevoir dans la réponse à la réclamation.

 Appréciation du Tribunal

16      En premier lieu, la Commission estime que le recours est irrecevable, les requérants ayant négligé d’annexer les décisions litigieuses à leur requête.

17      À titre liminaire, il y a lieu de préciser au regard de quel règlement de procédure il convient d’examiner la recevabilité du recours. En effet, si le règlement de procédure du Tribunal est entré en vigueur, en vertu de son article 121, le 1er novembre 2007, la recevabilité d’un recours s’apprécie, en vertu d’une jurisprudence constante, à la date de son introduction, soit le 19 septembre 2007 pour le présent recours. Ainsi, les dispositions au regard desquelles la recevabilité de ce dernier doit être appréciée sont celles qui étaient en vigueur avant l’entrée en vigueur du règlement de procédure, c’est-à-dire celles du règlement de procédure du Tribunal de première instance, applicable mutatis mutandis au Tribunal, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7), jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement de procédure de ce dernier. Par suite, c’est à bon droit que la Commission a cité, à l’appui de la fin de non-recevoir mentionnée au point précédent, les dispositions de l’article 44, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal de première instance.

18      Selon ces dernières dispositions, la requête est accompagnée, s’il y a lieu, des pièces indiquées à l’article 21, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, au nombre desquelles l’acte dont l’annulation est demandée. Le paragraphe 6 de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal de première instance, dispose que « [s]i la requête n’est pas conforme aux conditions énumérées aux paragraphes 3 à 5 du présent article, le greffier fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de régularisation de la requête ou de production des pièces mentionnées ci-dessus [et qu’à] défaut de cette régularisation ou de cette production dans le délai imparti, le Tribunal décide si l’inobservation de ces conditions entraîne l’irrecevabilité formelle de la requête ».

19      En l’espèce, il est constant que les requérants n’ont pas annexé les décisions litigieuses à leur requête. Toutefois, contrairement aux prévisions de l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, le greffier du Tribunal n’a pas invité les requérants à régulariser leur recours en leur fixant un délai pour produire les décisions litigieuses. Or, les requérants ne sauraient être privés, de ce fait, de la possibilité, prévue par le paragraphe 6 dudit article, de régulariser leur requête au regard des dispositions du paragraphe 4. Par conséquent, en l’absence d’une invitation à régulariser adressée par le greffier au requérant, les dispositions de l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal de première instance font obstacle à ce que le Tribunal déclare le recours irrecevable pour non-respect des conditions de l’article 44, paragraphe 4, du même règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 novembre 2008, Avanzata e.a./Commission, F‑48/06, non encore publié au Recueil, points 49 et 50). Au demeurant, en réponse à la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, les requérants ont joint les décisions litigieuses à leur mémoire en réplique.

20      En second lieu, la Commission met en doute le fait que les requérants auraient été éligibles à la promotion en 2006 s’ils avaient justifié d’une maîtrise suffisante d’une troisième langue et conteste par voie de conséquence la réalité de leur intérêt à agir.

21      Toutefois, comme la Commission ne pouvait l’ignorer et ainsi qu’il ressort des listes de mérite communiquées par les requérants en annexe à leur mémoire en réplique, chaque requérant disposait d’un nombre de points supérieur au nombre de points requis pour être promu au grade supérieur. Par suite, tous les requérants auraient disposé d’une chance sérieuse d’être promus si la Commission n’avait pas estimé que leur maîtrise insuffisante d’une troisième langue y faisait obstacle. Il suit de là que les requérants ont intérêt à agir à l’encontre du refus de la Commission de les promouvoir pour ce motif. La seconde fin de non-recevoir doit, dès lors, être écartée.

 Sur le fond

22      Les requérants soulèvent trois moyens :

–        le premier moyen, tiré de la violation de l’article 45, paragraphe 1, du statut et de l’illégalité de l’article 10, paragraphe 5, des dispositions générales d’exécution de l’article 45 du statut ;

–        le deuxième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et de l’illégalité de l’article 11 de l’annexe XIII du statut et de l’article 1er, paragraphe 1, de la « décision de la Commission du 19 juillet 2006 relative à la réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut » ;

–        le troisième moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 45, paragraphe 2, du statut, et de la violation des principes de bonne gestion administrative, d’effectivité et de respect de la confiance légitime.

23      Il y a lieu d’examiner d’abord le troisième moyen.

 Arguments des parties

24      Selon les requérants, l’article 45, paragraphe 2, du statut prévoit que les institutions arrêtent d’un commun accord les dispositions communes d’exécution dudit article. Or, la réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut ne serait entrée en vigueur que le 1er janvier 2007. C’est à tort que la Commission aurait appliqué aux requérants pour l’exercice de promotion 2006 l’article 45, paragraphe 2, du statut, alors que lesdites dispositions n’étaient pas encore entrées en vigueur.

25      À supposer que l’article 45, paragraphe 2, du statut fût applicable dès l’exercice de promotion 2006, la Commission n’aurait pas mis les requérants suffisamment en mesure d’atteindre le niveau requis dans une troisième langue. L’institution aurait ainsi manqué à ses devoirs de bonne gestion administrative et de sollicitude, entravé l’application effective de l’article 45, paragraphe 2, du statut et violé le principe du respect de la confiance légitime. En effet, la Commission se serait abstenue, avant juillet 2006, de communiquer aux fonctionnaires soumis à l’obligation de démontrer leur capacité à travailler dans une troisième langue toute information, en particulier sur le niveau requis dans cette langue, les formations possibles et les méthodes d’évaluation. De surcroît, les mesures mises en œuvre par la Commission pour l’exercice de promotion 2006 auraient été insuffisantes, en particulier au regard des mesures prévues par la réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

26      La Commission fait valoir, en premier lieu, que l’article 45, paragraphe 2, du statut s’appliquait aux requérants dès l’exercice de promotion 2006. Le principe de la hiérarchie des normes requerrait l’application de la disposition statutaire, même si la réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut, qui en précise les modalités de mise en œuvre, n’était pas entrée en vigueur. Il serait inadmissible qu’une disposition adoptée par le législateur communautaire dans l’intérêt d’un meilleur fonctionnement des institutions européennes puisse être tenue en échec du seul fait qu’une institution tarde à marquer son accord sur la réglementation commune. C’est pourquoi, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette réglementation commune, il aurait incombé à chaque institution d’apprécier la capacité des fonctionnaires susceptibles d’obtenir leur première promotion à travailler dans une troisième langue selon des standards définis de manière autonome.

27      En second lieu, les requérants ne seraient pas fondés à invoquer la violation du principe de protection de la confiance légitime, dès lors que ceux-ci ne justifieraient pas ni même n’allègueraient avoir reçu l’assurance que les dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut ne leur seraient pas appliquées. Par ailleurs, les requérants ne pourraient pas reprocher à la Commission de n’avoir pas mis en œuvre, dès l’exercice de promotion 2006, toutes les mesures prévues par la réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut, dès lors que ladite réglementation n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2007. C’est sur la base du pouvoir, que lui reconnaît la jurisprudence communautaire, d’adopter des décisions en matière de promotion selon la méthode qu’elle juge la plus appropriée que la Commission aurait pris les mesures destinées à la mise en œuvre, lors de l’exercice de promotion 2006, des dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

 Appréciation du Tribunal

28      Le considérant 13 du règlement n° 723/2004 est rédigé comme suit :

« Afin de préserver le caractère multilingue des institutions, il importe d’accorder une importance accrue, lors du recrutement et de la promotion, à la maîtrise des langues et à la capacité d’exercer des fonctions dans une troisième langue communautaire. »

29      Cette intention du législateur s’est notamment concrétisée par la modification de l’article 45 du statut, qui dispose désormais :

« 1. La promotion est attribuée par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination en considération de l’article 6, paragraphe 2. Elle entraîne pour le fonctionnaire la nomination au grade supérieur du groupe de fonctions auquel il appartient. Elle se fait exclusivement au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d’un minimum de deux ans d’ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion. Aux fins de l’examen comparatif des mérites, l’autorité investie du pouvoir de nomination prend en considération, en particulier, les rapports dont les fonctionnaires ont fait l’objet, l’utilisation dans l’exercice de leurs fonctions des langues autres que la langue dont ils ont justifié posséder une connaissance approfondie conformément à l’article 28, [sous] f), et, le cas échéant, le niveau des responsabilités exercées.

2. Le fonctionnaire est tenu de démontrer, avant sa première promotion après recrutement, sa capacité à travailler dans une troisième langue parmi celles visées à l’article 314 du traité CE. Les institutions arrêtent d’un commun accord les dispositions communes d’exécution du présent paragraphe. Ces dispositions prévoient l’accès à la formation des fonctionnaires dans une troisième langue et fixent les modalités de l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans une troisième langue, conformément à l’article 7, paragraphe 2, [sous] d), de l’annexe III. »

30      Aux termes de l’article 7 de l’annexe III du statut :

« 1. Les institutions, après consultation du comité du statut, confient à l’[Office de sélection du personnel des Communautés européennes (EPSO)], ci-après dénommé ‘Office’, la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application de normes uniformes dans les procédures de sélection des fonctionnaires des Communautés et dans les procédures d’évaluation et d’examen visées aux articles 45 et 45 bis du statut.

2. Les tâches de l’Office sont les suivantes :

[…]

d)      assumer la responsabilité générale de la définition et de l’organisation de l’évaluation des capacités linguistiques afin de garantir l’application harmonisée et cohérente des conditions établies à l’article 45, paragraphe 2.

[…] »

31      Aux termes de l’article 11 de l’annexe XIII du statut :

« L’article 45, paragraphe 2, ne s’applique pas aux promotions qui prennent effet avant le 1er mai 2006. »

32      Il ressort des dispositions précitées que le législateur, en prévoyant, à l’article 45, paragraphe 2, du statut, l’obligation pour le fonctionnaire de démontrer avant sa première promotion sa capacité à travailler dans une troisième langue, a assorti cette nouvelle obligation de certaines garanties relatives à sa mise en œuvre.

33      En premier lieu, le législateur a entendu garantir une application uniforme de la nouvelle obligation statutaire dans les différentes institutions. C’est pourquoi la deuxième phrase de l’article 45, paragraphe 2, du statut charge les institutions d’arrêter d’un commun accord les dispositions communes d’exécution de ce paragraphe. C’est également à cette fin que l’article 7 de l’annexe III du statut confie à l’EPSO, d’une part, « la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application de normes uniformes […] dans les procédures d’évaluation et d’examen visées aux articles 45 et 45 bis du statut » et, d’autre part, la tâche d’« assumer la responsabilité générale de la définition et de l’organisation de l’évaluation des capacités linguistiques afin de garantir l’application harmonisée et cohérente des conditions établies à l’article 45, paragraphe 2 ». Ainsi, une institution ne peut faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut selon des modalités déterminées par elle seule.

34      En deuxième lieu, le législateur a explicitement lié, dans le libellé même de l’article 45, paragraphe 2, du statut, la nouvelle obligation statutaire à la possibilité pour les fonctionnaires d’accéder à la formation dans une troisième langue et à la fixation des modalités de l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans cette troisième langue.

35      En troisième lieu, le législateur, pour garantir que les fonctionnaires ne se verraient pas imposer la nouvelle obligation statutaire sans période de transition, a expressément exclu que l’article 45, paragraphe 2, puisse s’appliquer aux promotions prenant effet avant le 1er mai 2006, ainsi qu’il ressort de l’article 11 de l’annexe XIII du statut. Ainsi, même à supposer que les dispositions communes d’exécution de l’article 45, paragraphe 2, du statut aient été adoptées avant le 1er mai 2006, cet article n’aurait pu devenir applicable aux promotions prenant effet avant cette date. Contrairement à ce que soutient la Commission, l’article 11 de l’annexe XIII du statut ne saurait être interprété comme imposant aux institutions de faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut aux promotions prenant effet après le 1er mai 2006, sans attendre l’entrée en vigueur des dispositions communes d’exécution. En effet, une telle interprétation de l’article 11 de l’annexe XIII du statut n’est pas autorisée par son libellé. En outre l’interprétation a contrario de cet article que fait valoir la Commission ne saurait être admise. En effet, elle suppose que cette dernière disposition soit prise isolément. Or, l’article 11, de l’annexe XIII du statut ne peut qu’être interprété à la lumière de l’article 45, paragraphe 2, du statut, duquel il ressort une volonté clairement exprimée par le législateur d’instituer des conditions particulières de mise en œuvre de l’obligation incombant aux fonctionnaires de démontrer leur capacité à travailler dans une troisième langue avant leur première promotion.

36      Il résulte de ce qui précède que l’article 45, paragraphe 2, du statut, d’une part, n’était pas immédiatement applicable, le législateur ayant, en toute hypothèse, exclu son application aux promotions prenant effet avant le 1er mai 2006, d’autre part, ne pouvait être appliqué dans les conditions requises par le législateur avant l’entrée en vigueur de dispositions communes d’exécution, arrêtées d’un commun accord par les institutions.

37      Or, cette réglementation commune fixant les modalités d’application de l’article 45, paragraphe 2, du statut est entrée en vigueur, conformément à son article 14, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel le commun accord des institutions a été constaté par décision du président de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 15 décembre 2006, à savoir le 1er janvier 2007. Par suite, l’article 45, paragraphe 2, du statut n’est devenu applicable aux promotions, conformément audit paragraphe et à l’intention du législateur, qu’à compter de cette dernière date.

38      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments opposés par la Commission.

39      En premier lieu, la Commission soutient, en se référant au point 52 de l’arrêt du Tribunal du 19 octobre 2006, De Smedt/Commission (F‑59/05, RecFP p. I‑A‑1‑109 et II‑A‑1‑409), que le principe de la hiérarchie des normes requiert qu’il soit fait application d’une disposition statutaire quand bien même la réglementation commune qui en précise les modalités de mise en œuvre ne serait pas entrée en vigueur. À cet égard, le Tribunal observe, d’abord, que le point 52 de l’arrêt De Smedt/Commission, précité, qui a jugé que le titre IV du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA ») était d’applicabilité autonome, n’a pas la portée générale que lui prête la Commission. Ensuite, les dispositions dont le Tribunal a interprété la portée dans cet arrêt diffèrent de celles en cause ici, tant par leur objet et leur libellé, que par leurs conditions juridiques et pratiques d’application. En outre, il n’est en rien contraire à la hiérarchie des normes de considérer que le statut, norme supérieure, fait obstacle par son libellé même, à l’applicabilité autonome de son article 45, paragraphe 2, en l’absence des dispositions prévues pour son exécution. C’est précisément le respect des dispositions expresses de cette norme supérieure qui aurait dû conduire la Commission à ne pas faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut avant l’entrée en vigueur de ses dispositions communes d’exécution. Enfin, à la différence du titre IV du RAA, l’applicabilité autonome de l’article 45, paragraphe 2, du statut ne pouvait être justifiée par la nécessité d’assurer la continuité de l’action administrative.

40      En deuxième lieu, la Commission a objecté à l’audience que le Tribunal avait jugé, dans son arrêt du 31 janvier 2008, Buendía Sierra/Commission (F‑97/05, non encore publié au Recueil), que l’article 45 du statut était immédiatement applicable dès l’entrée en vigueur, le 1er mai 2004, du règlement n° 723/2004. Cependant, le Tribunal a seulement jugé dans cet arrêt que l’article 45, paragraphe 1, du statut était immédiatement applicable, en l’absence de dispositions dérogeant au principe de l’applicabilité immédiate des règles nouvelles. Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’article 45, paragraphe 2, du statut, ainsi qu’il a été exposé au point 36 du présent arrêt.

41      En troisième lieu, si la jurisprudence reconnaît effectivement à l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), comme le fait valoir la Commission, le pouvoir d’adopter des décisions en matière de promotion selon la méthode qu’elle juge la plus appropriée, ledit pouvoir s’exerce dans le cadre du statut, des principes du droit communautaire et sous le contrôle du juge. Or, l’article 7 de l’annexe III du statut, auquel renvoie l’article 45, paragraphe 2, du statut, confie non à l’AIPN mais à l’EPSO la responsabilité d’organiser la formation dans une troisième langue et l’évaluation de la capacité des fonctionnaires à travailler dans cette troisième langue. Par conséquent, le pouvoir autonome d’organisation de la Commission ne pouvait trouver à s’appliquer en l’espèce. En outre, s’il appartenait à la Commission de prévoir, conformément à la marge d’appréciation dont elle dispose pour déterminer les modalités de promotion de ses fonctionnaires, que les compétences linguistiques seraient prises en considération dans les décisions de promotion, comme l’article 45, paragraphe 1, du statut le lui imposait, cette marge d’appréciation ne pouvait aller jusqu’à autoriser la Commission à décider, seule, de l’applicabilité de la lex specialis qu’est l’article 45, paragraphe 2, du statut. C’est donc à tort que la Commission a estimé, en vertu de son pouvoir autonome d’organisation, pouvoir organiser dès 2006, de son propre chef et selon des modalités qui lui étaient particulières, la formation et l’évaluation dans une troisième langue pour ceux de ses fonctionnaires susceptibles de bénéficier de leur première promotion en 2006, dans le but de leur appliquer l’exigence prévue à l’article 45, paragraphe 2, du statut.

42      En quatrième lieu, la Commission a exposé à l’audience qu’il aurait été discriminatoire de ne pas faire application de l’article 45, paragraphe 2, du statut aux requérants en 2006. Dans ce cas, ces derniers, qui n’avaient pas démontré leur capacité à travailler dans une troisième langue, auraient, en effet, été promus, c’est-à-dire qu’ils se seraient vus traiter de la même manière que les fonctionnaires ayant démontré leur capacité à travailler dans une troisième langue.

43      Toutefois, ce n’est qu’à compter du 1er janvier 2007, date à laquelle les dispositions de l’article 45, paragraphe 2, du statut sont devenues applicables, que les requérants se sont trouvés dans une situation différente de celle des fonctionnaires maîtrisant une troisième langue au regard des possibilités d’obtenir une première promotion. Avant cette date, la maîtrise d’une troisième langue ne constituait pas une condition à laquelle la première promotion d’un fonctionnaire était nécessairement subordonnée. Par conséquent, la Commission ne peut faire valoir que les requérants se trouvaient, à la date des décisions litigieuses, dans une situation différente de celle des fonctionnaires promus. Par suite, l’institution n’est pas fondée à soutenir qu’une éventuelle promotion des requérants au cours de l’exercice de promotion 2006 aurait été discriminatoire.

44      En cinquième et dernier lieu, la Commission fait valoir qu’il serait inadmissible qu’une disposition, adoptée par le législateur communautaire dans l’intérêt d’un meilleur fonctionnement des institutions européennes, puisse être tenue en échec du seul fait qu’une institution tarde à marquer son accord sur une réglementation commune. Il est vrai qu’il serait dommageable à la volonté du législateur et au devoir de coopération loyale entre les institutions qu’une institution puisse ainsi retarder, voire faire obstacle à l’application d’une disposition statutaire. Toutefois, en tout état de cause, la Commission, qui a pour sa part adopté la réglementation commune le 19 juillet 2006, a admis à l’audience que le délai dans lequel le commun accord des institutions sur ladite réglementation avait pu être constaté par le président de la Cour de justice, le 15 décembre 2006, n’était pas déraisonnable. Le risque de paralysie et d’obstruction invoqué par la Commission ne s’est donc pas manifesté lors de la mise en œuvre de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

45      Il résulte de tout ce qui précède que les décisions litigieuses ont été prises à tort en application des dispositions, non applicables à l’exercice de promotion 2006, de l’article 45, paragraphe 2, du statut.

46      Dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d’annuler lesdites décisions.

 Sur les dépens

47      En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et aux frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

48      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé dans la présente instance, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux des requérants, conformément aux conclusions des requérants en ce sens.

49      En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, le Conseil, partie intervenante, supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de ne pas promouvoir au titre de l’exercice de promotion 2006 Mme Acosta Iborra et les neuf autres fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes dont les noms figurent en annexe au présent arrêt sont annulées.

2)      La Commission des Communautés européennes est condamnée à supporter ses dépens et les dépens des requérants.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens.

Mahoney

Kanninen

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       P. Mahoney

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu

ANNEXE

Sylvie Casalta, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Peter Crawley, demeurant à Limal (Belgique),

Philippe Constant, demeurant à Modave (Belgique),

Abdel-Ilah El Ameli, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Marco Ferrari, demeurant à Barcelone (Espagne),

Arnulf Jäger-Waldau, demeurant à Laveno (Italie),

Pierre Maron, demeurant à Wanze (Belgique),

Berverley Joy Moore, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Alessandro Rossi, demeurant à Ispra (Italie).


* Langue de procédure : le français.