Language of document : ECLI:EU:C:2010:45

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

28 janvier 2010 (*)

«Directive 89/665/CEE – Procédures de recours en matière de passation des marchés publics – Délai de recours – Date à partir de laquelle le délai de recours commence à courir»

Dans l’affaire C‑406/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Royaume-Uni), par décision du 30 juillet 2008, parvenue à la Cour le 18 septembre 2008, dans la procédure

Uniplex (UK) Ltd

contre

NHS Business Services Authority,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 septembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour Uniplex (UK) Ltd, par M. M. Sheridan, barrister, et Mme A. Stanic, solicitor,

–        pour NHS Business Services Authority, par M. R. Williams, barrister,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme I. Rao, en qualité d’agent, assistée de Mme K. Smith, barrister,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. Collins, SC,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. White et M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»), en ce qui concerne la date à partir de laquelle commence à courir le délai de recours en matière de passation des marchés publics.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Uniplex (UK) Ltd (ci-après «Uniplex») à NHS Business Services Authority (ci-après «NHS») au sujet de la conclusion d’un accord-cadre.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 prévoit:

«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE [du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5)], 77/62/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1),] et 92/50/CEE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665:

«Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a)      de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

b)      d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;

c)      d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.»

5        L’article 41, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), prévoit:

«1.      Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais les candidats et les soumissionnaires des décisions prises concernant la conclusion d’un accord-cadre, l’adjudication d’un marché ou l’admission dans un système d’acquisition dynamique, y compris des motifs pour lesquels ils ont décidé de renoncer à conclure un accord-cadre, à passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence et de recommencer la procédure ou à mettre en œuvre un système d’acquisition dynamique; cette information est donnée par écrit si la demande en est faite aux pouvoirs adjudicateurs.

2.      Sur demande de la partie concernée, le pouvoir adjudicateur communique dans les meilleurs délais:

–        à tout candidat écarté les motifs du rejet de sa candidature,

–        à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre, y compris, dans les cas visés à l’article 23, paragraphes 4 et 5, les motifs de sa décision de non-équivalence ou de sa décision selon laquelle les travaux, fournitures ou services ne répondent pas aux performances ou exigences fonctionnelles,

–        à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’adjudicataire ou des parties à l’accord-cadre.

Ces délais ne peuvent en aucun cas dépasser quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite.»

 La réglementation nationale

6        L’article 47, paragraphe 7, sous b), du règlement sur les marchés publics de 2006 (Public Contracts Regulations 2006, ci-après le «règlement de 2006»), adopté en vue de transposer la directive 89/665 en droit interne, dispose:

«Un recours au titre du présent article ne doit pas être engagé à moins que

[…]

b)      ce recours ne soit introduit promptement et en tout état de cause dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle les motifs pour l’introduction du recours sont apparus pour la première fois, à moins que la High Court ne considère qu’il y a une bonne raison d’étendre le délai durant lequel le recours peut être introduit.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7        Uniplex, société établie au Royaume-Uni, est le distributeur exclusif dans cet État membre d’hémostatiques produits par Gelita Medical BV, société établie aux Pays-Bas.

8        NHS fait partie du National Health Service, un service de santé publique au Royaume-Uni relevant de l’État et exploité par celui-ci. Il constitue un pouvoir adjudicateur au sens de la directive 2004/18.

9        Le 26 mars 2007, NHS a lancé une procédure restreinte de passation de marché pour la conclusion d’un accord-cadre pour la fourniture d’hémostatiques. Un avis de marché a été publié dans le Journal officiel de l’Union européenne du 28 mars 2007.

10      Le 13 juin 2007, NHS a envoyé une invitation à soumissionner à cinq des fournisseurs qui avaient exprimé un intérêt pour cet accord-cadre, dont Uniplex. Les offres devaient être soumises avant le 19 juillet 2007.

11      Les critères d’attribution et leur pondération, énoncés dans le dossier d’appel d’offres envoyé aux soumissionnaires, étaient les suivants, à savoir le prix et les autres facteurs de rentabilité, 30 %, la qualité et l’acceptabilité clinique, 30 %, le soutien pour le produit et la formation, 20 %, les performances et la capacité de fourniture, 10 %, la gamme de produits et son développement, 5 %, l’environnement et le développement durable, 5 %.

12      Uniplex a soumis son offre le 18 juillet 2007.

13      Le 22 novembre 2007, NHS a envoyé à Uniplex une lettre indiquant qu’elle avait décidé de conclure un accord-cadre avec trois soumissionnaires. Uniplex a été informée qu’elle ne bénéficierait pas de la conclusion d’un accord-cadre, ayant obtenu les points les plus faibles des cinq soumissionnaires qui avaient été invités à soumissionner et qui avaient soumis des offres. Cette lettre rappelait les critères d’attribution avec la pondération correspondante et communiquait les noms des soumissionnaires retenus, la fourchette des notes accordées aux offres retenues et la note accordée à l’offre d’Uniplex.

14      D’après cette même lettre, la fourchette des notes accordées aux offres retenues se situait entre 905,5 et 971,5, alors que la note octroyée à Uniplex était de 568.

15      La lettre du 22 novembre 2007 informait également Uniplex de son droit de contester la décision de conclure l’accord-cadre en cause, de la période obligatoire de suspension de 10 jours avant la conclusion de celui-ci qui s’appliquerait à compter de la date de notification de cette décision et de son droit à un compte-rendu supplémentaire.

16      Uniplex a demandé un tel compte-rendu par courrier électronique du 23 novembre 2007.

17      Par lettre du 13 décembre 2007, NHS a fourni des informations plus détaillées quant à la manière dont il avait apprécié les critères d’attribution en ce qui concerne les caractéristiques et les avantages relatifs des offres retenues par rapport à l’offre d’Uniplex.

18      Cette lettre faisait apparaître notamment que, d’une part, Uniplex a reçu une note de zéro au critère du prix et des autres facteurs de rentabilité, car elle avait présenté ses prix figurant au catalogue. Tous les autres soumissionnaires avaient proposé des réductions par rapport à leur prix catalogue. D’autre part, dans le cadre du critère des performances et de la capacité de fourniture, tous les soumissionnaires qui n’étaient pas encore actifs sur le marché de l’hémostatique au Royaume-Uni ont reçu une note de zéro au sous-critère afférent à la base de clientèle au Royaume-Uni.

19      Le 28 janvier 2008, Uniplex a envoyé à NHS une lettre de mise en demeure, alléguant plusieurs violations des dispositions du règlement de 2006. Uniplex affirmait dans cette lettre que le délai pour introduire un recours ne commençait à courir qu’à compter du 13 décembre 2007. Uniplex a demandé à NHS de répondre avant le 13 février 2008, mais a ajouté que, si NHS estimait que ce délai ne commençait pas à courir à partir de cette date, NHS devrait répondre le 6 février 2008 au plus tard.

20      Par lettre du 11 février 2008, NHS a informé Uniplex qu’il y avait eu un changement de circonstances. Il avait été découvert que l’offre d’Assut (UK) Ltd n’était pas conforme et que B. Braun UK Ltd, qui avait été placée en quatrième position lors de l’évaluation des offres, s’était vue accorder une position dans l’accord-cadre à la place d’Assut (UK) Ltd.

21      NHS a répondu à la lettre de mise en demeure d’Uniplex par lettre du 13 février 2008, en rejetant les diverses allégations avancées par Uniplex. Dans cette lettre, NHS a également affirmé, à titre liminaire, que les événements à la base de la réclamation d’Uniplex ne s’étaient pas déroulés au delà du 22 novembre 2007, date à laquelle la décision de ne pas inclure Uniplex dans l’accord-cadre lui a été communiquée. NHS a fait valoir que le 22 novembre 2007 était la date à partir de laquelle le délai de recours commençait à courir aux fins de l’article 47, paragraphe 7, sous b), du règlement de 2006.

22      Uniplex a répondu par lettre du 26 février 2008. Dans cette lettre, elle a continué à soutenir que le délai de recours au titre du règlement de 2006 ne commençait à courir qu’à partir du 13 décembre 2007.

23      Le 12 mars 2008, Uniplex a introduit un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division, tendant, notamment, à faire constater que NHS avait violé les règles applicables en matière de marchés publics et à en obtenir la réparation.

24      La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Si un opérateur économique conteste dans une procédure nationale l’attribution par un pouvoir adjudicateur d’un accord-cadre suivant une procédure de passation de marché public dans le cadre de laquelle il était soumissionnaire et qui devait être conduite en conformité avec la directive 2004/18 (et les dispositions nationales de mise en œuvre) et qu’il demande la constatation et la réparation d’une violation des dispositions applicables en matière de marchés publics en ce qui concerne cette procédure et cette attribution:

1)      une disposition nationale comme l’article 47, paragraphe 7, sous b), du règlement de 2006 qui affirme que ce recours doit être introduit promptement et en tout état de cause dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle les motifs d’introduction sont apparus pour la première fois, à moins que la juridiction saisie ne considère qu’il y a une bonne raison d’étendre ce délai, doit-elle être interprétée à la lumière des articles 1er et 2 de la directive 89/665, du principe de droit communautaire de l’équivalence, de l’exigence de droit communautaire de protection juridictionnelle effective et/ou du principe d’efficacité, et tenant compte de tout autre principe pertinent de droit communautaire, en ce sens qu’elle confère un droit individuel et inconditionnel au soumissionnaire à l’égard du pouvoir adjudicateur de telle sorte que le délai pour introduire un recours contestant une telle procédure de passation et une telle attribution de marché commence à courir à partir de la date à laquelle le soumissionnaire a su ou aurait dû savoir que la procédure de passation de marché public violait les règles communautaires en la matière ou bien à partir de la date de la violation des dispositions applicables? et

2)      en tout état de cause, comment la juridiction nationale doit-elle appliquer i) toute exigence que le recours soit introduit promptement et ii) tout pouvoir d’appréciation quant à l’extension du délai de forclusion national pour introduire un tel recours?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

25      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 1er de la directive 89/665 exige que le délai pour former un recours tendant à constater la violation des règles de passation des marchés publics ou à obtenir des dommages-intérêts pour la violation de ces règles court à partir de la date de la violation desdites règles ou à partir de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de cette violation.

26      La directive 89/665 a pour objet de garantir l’existence de moyens de recours efficaces en cas de violation du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit, afin de garantir l’application effective des directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics. Elle ne comporte cependant aucune disposition ayant trait spécifiquement aux conditions de délai concernant les recours qu’elle vise à instaurer. Il appartient donc à l’ordre juridique interne de chaque État membre de définir ces conditions de délai (arrêt du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, Rec. p. I‑11617, point 71).

27      Les modalités procédurales de recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés par le droit communautaire aux candidats et aux soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs adjudicateurs ne doivent pas porter atteinte à l’effet utile de la directive 89/665 (arrêt Universale-Bau e.a., précité, point 72).

28      Il convient, dans cette perspective, de vérifier si, au regard de la finalité de cette directive, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne porte pas atteinte aux droits conférés aux particuliers par le droit communautaire (arrêt Universale-Bau e.a., précité, point 73).

29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 impose aux États membres l’obligation de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et aussi rapides que possible (arrêt Universale-Bau e.a., précité, point 74).

30      Or, le fait qu’un candidat ou un soumissionnaire apprend que sa candidature ou son offre a été rejetée ne le met pas à même de former effectivement un recours. De telles informations sont insuffisantes pour permettre au candidat ou au soumissionnaire de déceler l’existence éventuelle d’une illégalité pouvant faire l’objet d’un recours.

31      C’est seulement après qu’un candidat ou un soumissionnaire concerné a été informé des motifs pour lesquels il a été écarté de la procédure de passation d’un marché qu’il lui est possible de former une conviction éclairée sur l’existence éventuelle d’une violation des dispositions applicables et sur l’opportunité d’introduire un recours.

32      Il s’ensuit que l’objectif, fixé à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, de garantir l’existence de recours efficaces contre les violations des dispositions applicables en matière de passation des marchés publics ne peut être atteint que si les délais imposés pour former ces recours ne commencent à courir qu’à partir de la date où le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation alléguée desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêt Universale-Bau e.a., précité, point 78).

33      Cette conclusion est confirmée par le fait que l’article 41, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/18 , qui était en vigueur à l’époque des faits au principal, impose aux pouvoirs adjudicateurs de communiquer aux candidats et aux soumissionnaires écartés les motifs de la décision les concernant. De telles dispositions sont cohérentes avec un régime de délais de forclusion en vertu duquel ces délais courent à partir de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation alléguée des dispositions applicables en matière de passation des marchés publics.

34      Cette même conclusion est également confortée par les modifications apportées à la directive 89/665 par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JO L 335, p. 31), bien que le délai de transposition de cette directive ne soit arrivé à son terme qu’après l’intervention des faits au principal. En effet, l’article 2 quater de la directive 89/665, inséré par la directive 2007/66, prévoit que la décision du pouvoir adjudicateur est communiquée à chaque candidat ou soumissionnaire, accompagnée d’un exposé synthétique des motifs pertinents, et que les délais pour former un recours ne viennent à expiration qu’après un certain nombre de jours suivant cette communication.

35      Il convient ainsi de répondre à la première question en ce sens que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 exige que le délai pour former un recours tendant à constater la violation des règles de passation des marchés publics ou à obtenir des dommages-intérêts pour la violation de ces règles court à partir de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de cette violation.

 Sur la seconde question

36      La seconde question comprend deux parties. La première concerne l’interprétation de la directive 89/665 par rapport à une exigence, imposée par la réglementation nationale, selon laquelle le recours doit être introduit promptement. La seconde vise les effets qui découlent de cette directive à l’égard d’un pouvoir d’appréciation reconnu au juge national pour proroger les délais de recours.

 Sur la première partie de la seconde question

37      Par la première partie de la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 89/665 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition, tel l’article 47, paragraphe 7, sous b), du règlement de 2006, qui exige qu’un recours soit formé promptement.

38      Ainsi que rappelé au point 29 du présent arrêt, l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 impose aux États membres l’obligation de garantir que les décisions des pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et aussi rapides que possible. Pour réaliser l’objectif de célérité poursuivi par cette directive, il est loisible aux États membres d’imposer des délais de recours en vue d’obliger les opérateurs à contester dans de brefs délais des mesures préparatoires ou des décisions intermédiaires prises dans le cadre de la procédure de passation d’un marché (voir, en ce sens, arrêts Universale-Bau e.a., précité, points 75 à 79; du 12 février 2004, Grossmann Air Service, C‑230/02, Rec. p. I‑1829, points 30 et 36 à 39, ainsi que du 11 octobre 2007, Lämmerzahl, C‑241/06, Rec. p. I‑8415, points 50 et 51).

39      L’objectif de célérité poursuivi par la directive 89/665 doit être réalisé en droit national dans le respect des exigences de la sécurité juridique. À cette fin, les États membres ont l’obligation de mettre en place un régime de délais suffisamment précis, clair et prévisible pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et obligations (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C‑361/88, Rec. p. I‑2567, point 24, et du 7 novembre 1996, Commission/Luxembourg, C‑221/94, Rec. p. I‑5669, point 22).

40      En outre, l’objectif de célérité poursuivi par la directive 89/665 ne permet pas aux États membres de faire abstraction du principe d’effectivité selon lequel les modalités d’application des délais de forclusion nationaux ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les intéressés tirent du droit communautaire, principe qui est sous-jacent à l’objectif de l’efficacité du recours, explicité à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive.

41      Une disposition nationale, telle que l’article 47, paragraphe 7, sous b), du règlement de 2006, selon laquelle un recours ne doit pas être engagé à moins que «ce recours ne soit introduit promptement et en tout état de cause dans un délai de trois mois» comporte une incertitude. En effet, il ne peut pas être exclu qu’une telle disposition habilite les juridictions nationales à rejeter un recours comme forclos avant même l’expiration du délai de trois mois, si elles estiment que le recours n’a pas été introduit «promptement» au sens de cette disposition.

42      Comme Mme l’avocat général l’a relevé au point 69 de ses conclusions, un délai de forclusion dont la durée est laissée à la libre appréciation du juge compétent n’est pas prévisible dans sa durée. De la sorte, une disposition nationale prévoyant un tel délai n’assure pas une transposition effective de la directive 89/665.

43      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la première partie de la seconde question en ce sens que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à une juridiction nationale de rejeter comme forclos un recours tendant à constater la violation des règles de passation des marchés publics ou à obtenir des dommages-intérêts pour la violation de ces règles en application du critère, apprécié de manière discrétionnaire, selon lequel de tels recours doivent être formés promptement.

 Sur la seconde partie de la seconde question

44      Par la seconde partie de la seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir quels effets découlent de la directive 89/665 à l’égard d’un pouvoir d’appréciation qui est reconnu au juge national pour proroger les délais de recours.

45      Dans le cadre des dispositions nationales transposant une directive, les juridictions nationales sont tenues d’interpréter ces dispositions nationales, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visée par celle-ci (voir arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, Rec. p. 1891, point 26, ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 113).

46      En l’espèce, il appartient à la juridiction nationale de donner aux dispositions internes instaurant le délai de forclusion, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme à l’objectif de la directive 89/665 (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2003, Santex, C‑327/00, Rec. p. I‑1877, point 63, et Lämmerzahl, précité, point 62).

47      En vue de satisfaire aux exigences contenues dans la réponse donnée à la première question, la juridiction nationale saisie doit, dans toute la mesure du possible, interpréter les dispositions nationales relatives au délai de recours de manière à assurer que ce délai ne court qu’à partir de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation des règles applicables à la passation du marché public concerné.

48      Si les dispositions nationales en cause ne se prêtaient pas à une telle interprétation, cette juridiction serait tenue, en utilisant son pouvoir discrétionnaire, de proroger le délai de recours de manière à assurer au requérant un délai équivalent à celui dont il aurait disposé si le délai prévu par la réglementation nationale applicable avait couru à partir de la date à laquelle il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation des règles de passation des marchés publics.

49      En tout état de cause, si les dispositions nationales relatives aux délais de recours n’étaient pas susceptibles d’une interprétation conforme à la directive 89/665, la juridiction nationale serait tenue de les laisser inappliquées, en vue d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers (voir, en ce sens, arrêts précités Santex, point 64, et Lämmerzahl, point 63).

50      Dés lors, il convient de répondre à la seconde partie de la seconde question que la directive 89/665 commande à la juridiction nationale de proroger, en utilisant son pouvoir discrétionnaire, le délai de recours de manière à assurer au requérant un délai équivalent à celui dont il aurait disposé si le délai prévu par la réglementation nationale applicable avait couru à partir de la date à laquelle il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation des règles de passation des marchés publics. Si les dispositions nationales relatives aux délais de recours n’étaient pas susceptibles d’une interprétation conforme à la directive 89/665, la juridiction nationale serait tenue de les laisser inappliquées, en vue d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, exige que le délai pour former un recours tendant à constater la violation des règles de passation des marchés publics ou à obtenir des dommages-intérêts pour la violation de ces règles court à partir de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de cette violation.

2)      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 92/50, s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à une juridiction nationale de rejeter comme forclos un recours tendant à constater la violation des règles de passation des marchés publics ou à obtenir des dommages-intérêts pour la violation de ces règles en application du critère, apprécié de manière discrétionnaire, selon lequel de tels recours doivent être formés promptement.

3)      La directive 89/665, telle que modifiée par la directive 92/50, commande à la juridiction nationale de proroger, en utilisant son pouvoir discrétionnaire, le délai de recours de manière à assurer au requérant un délai équivalent à celui dont il aurait disposé si le délai prévu par la réglementation nationale applicable avait couru à partir de la date à laquelle il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation des règles de passation des marchés publics. Si les dispositions nationales relatives aux délais de recours n’étaient pas susceptibles d’une interprétation conforme à la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 92/50, la juridiction nationale serait tenue de les laisser inappliquées, en vue d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.