CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 7 novembre 2013 (1)
Affaire C‑639/11
Commission européenne
contre
République de Pologne
Affaire C‑61/12
Commission européenne
contre
République de Lituanie
«Manquement d’État – Article 2 bis de la directive 70/311/CEE – Article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46/CE – Articles 34 TFUE et 36 TFUE – Libre circulation des marchandises – Restrictions – Mesures d’effet équivalent – Réglementation d’un État membre dans lequel la conduite s’effectue sur le côté droit de la route interdisant l’immatriculation des voitures particulières équipées pour la conduite à gauche qui sont neuves ou ont déjà été immatriculées dans un autre État membre – Acceptabilité de l’exigence selon laquelle le dispositif de direction doit être situé sur le côté gauche du véhicule»
I – Introduction
1. Tant en Pologne qu’en Lituanie, l’immatriculation de véhicules à moteur dont le dispositif de direction est situé du côté droit est interdite et/ou subordonnée au déplacement de ce dispositif vers le côté gauche du véhicule, indépendamment du fait que ces véhicules soient neufs ou qu’ils aient été précédemment immatriculés dans d’autres États membres.
2. La Cour est ici saisie de deux recours en manquement par lesquels la Commission européenne lui demande de constater que, en appliquant de telles dispositions, la République de Pologne et la République de Lituanie respectivement ont manqué aux obligations leur incombant en vertu de l’article 2 bis de la directive 70/311/CEE relative aux dispositifs de direction des véhicules à moteur (2) et de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46/CE qui établit un cadre pour la réception de ces véhicules (3), s’agissant des voitures particulières neuves, ainsi qu’en vertu de l’article 34 TFUE, s’agissant des voitures particulières ayant déjà été immatriculées sur le territoire d’un autre État membre.
3. Les défendeurs contestent avec force les griefs formulés à leur encontre. La République de Pologne soutient que les mesures nationales litigieuses sont conformes à la directive-cadre et à la directive 70/311, tandis que la République de Lituanie affirme qu’elles ne relèvent même pas du champ d’application matériel desdites directives. Seule la République de Pologne prétend que de telles mesures ne constituent pas une entrave à la libre circulation des marchandises prohibée par l’article 34 TFUE. L’une et l’autre considèrent que, en tout état de cause, ces mesures devraient être admises au titre de l’article 36 TFUE, comme étant justifiées par des exigences impératives d’intérêt général liées à la sécurité routière. La Commission ne réfute pas que cet objectif soit susceptible de légitimer une telle entrave, mais elle estime que les réglementations en cause ne sont ni aptes à l’atteindre ni proportionnées à celui‑ci.
4. Bien que les deux présentes affaires n’aient pas fait formellement l’objet d’une jonction, le caractère commun des griefs avancés par la Commission justifie la présentation de conclusions uniques.
II – Les manquements allégués, les réglementations en cause, les procédures précontentieuses et les procédures devant la Cour
5. Il ressort des pièces de l’affaire C‑639/11 qu’en Pologne, conformément à la loi du 20 juin 1997 sur la circulation routière (4), l’immatriculation des véhicules est opérée, s’agissant des véhicules neufs, sur la base notamment d’un extrait de la fiche de réception du véhicule ou de la copie d’une décision de dispense de réception (5), en vertu de l’article 72, paragraphe 1, de ladite loi, et s’agissant des véhicules déjà immatriculés une première fois à l’étranger, à l’issue d’un contrôle technique, en vertu de l’article 81, paragraphe 5, de cette même loi.
6. Ce contrôle technique consiste à vérifier si un véhicule est conforme, entre autres, aux exigences définies dans ladite loi ainsi que dans le règlement du ministre des Infrastructures, du 31 décembre 2002, concernant les conditions techniques applicables aux véhicules et l’étendue de leurs équipements indispensables (6). Aux termes du paragraphe 9.2 dudit règlement, «[l]e volant d’un véhicule ayant plus de trois roues, dont la construction permet d’atteindre une vitesse dépassant 40 km/h, ne doit pas être situé du côté droit du véhicule».
7. La portée et les modalités d’exécution du contrôle technique ont été fixées par le règlement du même ministre datant du 16 décembre 2003 (7). Selon le point 5.1 de l’annexe I de ce règlement, l’emplacement du volant du côté droit constitue un critère essentiel permettant d’établir qu’un tel véhicule ne satisfait pas aux conditions techniques nationales. La même disposition figure au point 6.1 de l’annexe I du règlement ayant été adopté le 18 septembre 2009 par ce ministre (8) aux fins de remplacer le règlement susmentionné datant de 2003.
8. Au vu des données fournies dans l’affaire C‑61/12, l’article 25, paragraphe 4, de la loi lituanienne sur la sécurité routière (9) énonce qu’«[i]l est interdit de faire circuler sur la voie publique des véhicules motorisés destinés à circuler du côté gauche de la chaussée et/ou dont le volant est situé du côté droit, sauf s’ils ont été immatriculés en République de Lituanie avant le 1er mai 1993 ou s’ils sont destinés, de par leur conception et leur équipement, à des fonctions particulières. Cette interdiction ne s’applique pas temporairement (jusqu’à 90 jours par an) aux étrangers arrivés en République de Lituanie dans un véhicule immatriculé à l’étranger et qui ne disposent pas d’un permis de séjourner provisoirement ou définitivement en République de Lituanie, ainsi qu’aux citoyens lituaniens dont le domicile permanent est situé à l’étranger, ainsi qu’aux véhicules appartenant à la catégorie des véhicules historiques conformément à la législation».
9. L’article 27 de cette même loi prévoit que les véhicules motorisés circulant en Lituanie doivent en principe y être immatriculés. Cependant, selon le paragraphe 1 dudit article, cette obligation d’immatriculation ne s’applique pas, de façon temporaire (jusqu’à 90 jours par an), aux étrangers qui y sont arrivés dans un véhicule immatriculé à l’étranger et ne disposent pas d’un permis de séjourner provisoirement ou définitivement en Lituanie ou disposent d’un titre de séjour UE, ainsi qu’aux citoyens lituaniens qui résident en permanence à l’étranger. Le paragraphe 2 de cet article ajoute que les véhicules motorisés conçus pour rouler du côté gauche de la chaussée et/ou disposant d’un volant à droite ne sont pas immatriculés en Lituanie, sauf s’il s’agit de véhicules historiques et de véhicules destinés à des fonctions particulières.
10. L’arrêté nº 2B‑290, du 29 juillet 2008, du directeur de l’Inspection nationale des transports routiers auprès du ministère des Communications, qui fixe notamment les exigences techniques relatives aux véhicules à moteur et à leurs remorques, prévoit, à son chapitre IV, que «le système de direction d’un véhicule [(10)] ne peut pas être installé du côté droit de l’habitacle/la cabine, sauf pour les véhicules automobiles ayant été immatriculés en Lituanie avant le 1er mai 1993, ou pour les véhicules automobiles faisant l’objet d’un régime d’immatriculation spécifique. L’arrêté nº 2B‑515 de ce même directeur, du 23 décembre 2008, définit, au point 28, suivant quelles modalités le déplacement du dispositif de direction d’un véhicule du côté droit vers le côté gauche est autorisé.
11. La Commission a reçu une série de plaintes émanant de personnes résidant en Pologne ou en Lituanie ayant été confrontées à l’impossibilité de faire immatriculer des voitures particulières en provenance d’un autre État membre, notamment du Royaume‑Uni ou de l’Irlande, du fait que le dispositif de direction de celles‑ci était situé à droite. Elle a considéré que la contrainte tenant à l’obligation de transférer ledit dispositif à gauche équivalait à une interdiction d’immatriculer de tels véhicules dans chacun de ces États membres. Selon elle, cela constituerait, en ce qui concerne les véhicules neufs, un manquement à l’article 4, paragraphe 3, de la directive‑cadre ainsi qu’à l’article 2 bis de la directive 70/311 et, en ce qui concerne les véhicules précédemment immatriculés dans un autre État membre, un manquement à l’article 34 TFUE.
12. Le 9 octobre 2009 et le 3 novembre 2009 respectivement, la Commission a mis en demeure la République de Pologne et la République de Lituanie de mettre un terme à ces manquements. Le 8 décembre 2009, la République de Pologne, et le 5 janvier 2010, la République de Lituanie, ont contesté les griefs de la Commission. N’étant pas convaincue du bien‑fondé des arguments présentés en défense par ces États membres, la Commission leur a adressé un avis motivé respectivement le 1er octobre 2010 et le 25 novembre 2010. Après un examen des réponses à l’avis motivé fournies le 30 novembre 2010 par la République de Pologne et le 19 janvier 2011 par la République de Lituanie, la Commission a décidé d’introduire les présents recours en manquement.
13. Par sa requête déposée le 13 décembre 2011, la Commission a demandé à la Cour de «constater que, en subordonnant l’immatriculation en Pologne de voitures particulières dont le dispositif de direction est situé du côté droit, neuves ou précédemment immatriculées dans d’autres États membres, au déplacement du volant sur le côté gauche, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 2 bis de la directive [70/311], de l’article 4, paragraphe 3, de la directive‑cadre, ainsi que de l’article 34 [TFUE]».
14. La République de Pologne a conclu au rejet du recours, en se fondant sur une interprétation différente des dispositions visées, ainsi qu’à la condamnation de la Commission aux dépens. La République de Lituanie a déposé un mémoire en intervention venant au soutien des prétentions de la République de Pologne. Il n’a pas été tenu d’audience.
15. Par sa requête déposée le 6 février 2012, la Commission a demandé à la Cour de «reconnaître qu’en interdisant l’immatriculation des voitures particulières dont le volant est monté du côté droit, et/ou en exigeant, pour immatriculer les voitures particulières à conduite à droite neuves ou immatriculées précédemment dans un autre État membre, que le volant soit déplacé vers le côté gauche, la République de Lituanie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive [70/311], de la directive[-cadre], et de l’article 34 [TFUE]».
16. La République de Lituanie a conclu au rejet du recours, en contestant l’interprétation des dispositions visées ayant été retenue par la Commission, ainsi qu’à la condamnation de celle‑ci aux dépens. Dans leurs mémoires en intervention, la République d’Estonie et la République de Pologne ont soutenu les conclusions de la République de Lituanie. Il n’a pas été tenu d’audience.
III – Analyse des deux recours en manquement
A – Observations liminaires
17. Il ressort des présentes affaires que les réglementations applicables en Lituanie et en Pologne font obstacle à l’immatriculation des véhicules dont le dispositif de direction est situé à droite. En effet, la République de Lituanie refuse la circulation sur la voie publique ainsi que l’immatriculation des véhicules conçus pour rouler du côté gauche de la chaussée et/ou ayant un volant à droite, sauf exceptions limitativement énumérées par la loi lituanienne sur la sécurité routière (11), et elle impose que le dispositif de direction de ces véhicules soit préalablement déplacé à gauche (12). Pour sa part, la République de Pologne soumet l’immatriculation de tout véhicule automobile, neuf ou déjà immatriculé une première fois à l’étranger, à la production d’un certificat de contrôle technique et, en vertu de plusieurs règlements du ministre polonais des Infrastructures (13), le résultat de ce contrôle ne peut pas être positif pour les véhicules ayant un dispositif de direction à droite, puisque ceux‑ci sont considérés comme non conformes aux exigences techniques nationales.
18. Tout d’abord, il convient de rappeler qu’à l’époque où a commencé l’harmonisation communautaire des réglementations nationales relatives aux caractéristiques techniques des véhicules à moteur, la Communauté européenne n’était constituée que d’États membres où la circulation s’effectuait sur le côté droit de la route. Après l’adhésion tant de l’Irlande que du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, où la circulation routière se fait à gauche (14), une pratique uniforme s’est développée entre les États membres consistant à ce qu’ils ne refusent pas l’immatriculation des véhicules dont le dispositif de direction est situé du même côté que le sens de circulation (15). Ce n’est qu’après l’élargissement de l’Union intervenu en 2004 que cette uniformité a été remise en cause par certains des nouveaux États membres, dont la République de Lituanie et la République de Pologne, qui ont invoqué, en substance, la menace pour la sécurité routière que représenterait la circulation des véhicules automobiles dont l’emplacement du dispositif de direction n’est pas adapté au sens de la circulation (16).
19. Il y a aussi lieu de souligner que les présents recours ont pour objet des manquements qui résulteraient non pas d’une atteinte à la liberté de commercialiser des véhicules dont le dispositif de direction est situé à droite, mais d’une limitation de la possibilité d’immatriculer de tels véhicules respectivement en Lituanie et en Pologne. En effet, ni la vente ni l’importation de ceux‑ci ne sont prohibées dans ces États membres. Seule l’immatriculation de cette catégorie de véhicules, indifféremment du fait qu’ils aient été produits sur place ou importés, est interdite tant que ledit dispositif n’est pas transféré du côté gauche.
20. En outre, ces recours sont limités aux «voitures particulières», tant neuves que d’occasion, ce qui exclut certaines catégories de véhicules à moteur, notamment les véhicules utilitaires, qui sont pourtant couverts par les dispositions visées par la Commission (17). Je souligne que la qualification de «voiture particulière» n’est retenue ni dans la directive‑cadre (18) ni dans la directive 70/311 (19), mais qu’elle correspond à la notion des véhicules relevant de la catégorie M1, à savoir des «véhicules affectés au transport de personnes comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum» (20).
21. La République de Lituanie tire argument de cette limitation sur le fond (21). En revanche, selon la Commission, son choix formel ne remet nullement en cause le domaine couvert par les dispositions visées, mais s’explique par le fait que les présents recours font suite aux plaintes dont elle aurait été saisie concernant précisément des voitures particulières (22) et par la considération que l’un des buts d’une procédure d’infraction est d’aider les citoyens de l’Union à résoudre les problèmes réels auxquels ils sont confrontés dans les États membres. À mon sens, il ressort de la jurisprudence que la Commission dispose du pouvoir discrétionnaire non seulement d’engager une procédure de manquement (23), mais aussi de restreindre l’objet de son recours (24). Le constat ici fait a pour seule conséquence que la portée de l’arrêt à venir sera limitée aux véhicules automobiles appartenant à la catégorie M1, sans préjudice de ce qui pourrait être décidé ultérieurement s’agissant de véhicules d’un autre type.
22. Parmi les voitures particulières dont le dispositif de direction est situé à droite, la Commission opère une distinction entre, d’une part, celles qui sont neuves, pour lesquelles les obstacles à l’immatriculation engendrés par les réglementations lituanienne et polonaise seraient contraires à la directive‑cadre et à la directive 70/311, toutes deux relatives à la réception CE par type des véhicules à moteur neufs, et d’autre part, celles qui ont déjà été immatriculées dans un autre État membre, pour lesquelles ces obstacles constitueraient une infraction à la libre circulation des marchandises prévue à l’article 34 TFUE. Cette distinction est contestée par la République de Lituanie, qui estime que la première catégorie des véhicules visés devrait relever également des articles 34 TFUE et 36 TFUE, et non du champ d’application desdites directives. En tout état de cause, conformément à la jurisprudence de la Cour (25), dans la mesure où l’harmonisation prévue par la directive-cadre et la directive 70/311 présente un caractère exhaustif, les réglementations litigieuses doivent être examinées d’abord à l’aune des dispositions de ces directives, et non au regard des dispositions du TFUE.
B – Sur le grief relatif aux voitures particulières neuves
1. Propos introductifs concernant l’harmonisation des exigences techniques applicables aux voitures particulières et la procédure de réception CE par type
23. Afin de mettre en œuvre la libre circulation des marchandises dans le secteur automobile, la Communauté économique européenne a engagé, dès les années 1960, un processus ambitieux d’harmonisation des prescriptions nationales concernant les exigences techniques et la réception par type des véhicules à moteur, car les différences existant en ce domaine entre les États membres entravaient l’accès au marché intérieur et la libre circulation au sein de ce marché (26). À l’époque, le législateur a retenu à cette fin une méthodologie qui, contrairement à la «nouvelle approche» (27), consistait à ce que toutes les normes techniques soient directement incorporées dans les actes pertinents du droit de l’Union, en l’occurrence, dans une directive‑cadre relative à la réception communautaire par type de véhicules – dite «réception CE» –, complétée par des directives particulières (28), auxquelles la directive‑cadre se réfère.
24. Le développement de ce processus a abouti à l’adoption de la directive‑cadre, dont le considérant 2 met en exergue que «[p]our assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur de la Communauté, il convient de remplacer les systèmes de réception des États membres par une procédure de réception communautaire reposant sur le principe de l’harmonisation totale» (29).
25. L’objet de ladite directive, tel que défini à son article 1er, est d’établir un cadre harmonisé contenant les dispositions administratives et les exigences techniques à caractère général applicables à la réception, notamment, de tous les véhicules neufs relevant de son champ d’application, en vue de faciliter leur immatriculation, leur vente et leur mise en service dans la Communauté.
26. Les exigences techniques nationales ainsi que l’obligation d’une réception nationale par type de véhicule sont motivées par le souci de sauvegarder la sécurité routière. C’est la raison pour laquelle tant la réception CE que les exigences techniques uniformes qui sont définies par le droit de l’Union tendent aussi à garantir un haut niveau de sécurité routière, comme l’indiquent les considérants 3 et 14 de la directive‑cadre (30).
27. Ainsi, l’objectif des règles du droit de l’Union applicables en la matière est de permettre la réalisation et le bon fonctionnement de la libre circulation des marchandises dans le secteur automobile, tout en maintenant des conditions impératives qui offrent un degré élevé de sécurité routière.
28. Comme l’indique une communication interprétative de la Commission (31), aux fins d’immatriculer un véhicule à moteur dans un État membre, trois étapes au maximum doivent être suivies: premièrement, l’homologation des caractéristiques techniques du véhicule, au titre de laquelle intervient le processus de réception communautaire par type de véhicule prévu par la directive‑cadre; deuxièmement, un éventuel contrôle technique, qui permet de s’assurer qu’un véhicule usagé est apte à la circulation routière; troisièmement, l’immatriculation en tant que telle, qui consiste en une autorisation administrative de mise en circulation routière, comportant l’identification du véhicule et l’attribution à celui‑ci d’un numéro d’immatriculation.
29. Dans le but de simplifier, notamment, l’immatriculation dans les États membres, les systèmes de réception nationaux ont été remplacés par une procédure uniforme de réception valant pour chaque type de véhicule à moteur. Grâce à cette procédure, qui repose sur le principe de l’harmonisation totale (32), tous les véhicules mis en vente sur le marché européen doivent être conformes à des normes communes concernant leurs caractéristiques techniques. Les véhicules qui ont été réceptionnés dans l’un des États membres en respectant ces règles harmonisées peuvent ensuite être commercialisés légalement au sein de toute l’Union.
30. Plus précisément, l’article 4, paragraphe 3, de la directive‑cadre fixe les obligations des États membres de sorte que ces derniers «n’immatriculent ou n’autorisent la vente ou la mise en service que pour des véhicules […] conformes aux exigences de la présente directive» et qu’ils «ne peuvent interdire, restreindre ou entraver l’immatriculation, la vente, la mise en service ou la circulation sur route de véhicules […] pour des motifs liés à des aspects de leur construction et de leur fonctionnement couverts par la présente directive, s’ils répondent aux exigences de celle‑ci». Selon l’article 1er, paragraphe 3, de ladite directive, «les exigences techniques spécifiques concernant la construction et le fonctionnement des véhicules sont fixées en application de la présente directive dans des actes réglementaires, dont la liste exhaustive figure à l’annexe IV» (33).
31. La directive 70/311 est le deuxième des actes de droit dérivé qui sont visés par la Commission dans les présents recours en manquement. Relative aux dispositifs de direction des véhicules à moteur et de leurs remorques, elle est l’un des actes réglementaires particuliers qui sont mentionnés à l’annexe IV de la directive‑cadre.
32. L’article 2 bis de la directive 70/311 a été ajouté à celle‑ci dans le cadre de l’adhésion, notamment, de l’Irlande et du Royaume‑Uni aux Communautés européennes (34). Il y est énoncé que «[l]es États membres ne peuvent refuser ou interdire la vente, l’immatriculation, la mise en circulation ou l’usage des véhicules pour des motifs concernant leurs dispositifs de direction si ceux‑ci répondent aux prescriptions figurant à l’annexe [(35)]».
33. L’une des pierres angulaires de la procédure de réception CE est que chaque État membre reconnaît le contrôle effectué par les autres États membres. Cette procédure permet à chaque État membre de constater qu’un type de véhicule a été soumis aux contrôles qui sont prévus par les directives particulières visées à l’annexe IV de la directive‑cadre et relevés sur une fiche de réception. Lorsque les autorités compétentes de l’État membre ayant été saisi de la demande d’un constructeur constatent que le type de véhicule concerné satisfait à l’ensemble des exigences du droit de l’Union applicables, la réception CE qu’elles accordent à l’égard de celui‑ci est valable dans tous les autres États membres. Pour leur part, les constructeurs détenant une réception CE pour un type de véhicule sont tenus de délivrer un certificat de conformité pour tous les véhicules qu’ils produisent, afin d’attester que ces derniers sont conformes à ce type. Si un véhicule est accompagné de ce certificat, il doit être considéré par tous les États membres comme conforme à leurs propres législations (36). Ainsi, l’article 26, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive‑cadre prévoit que les États membres n’immatriculent des véhicules et n’en permettent la vente ou la mise en service que si ces véhicules sont accompagnés d’un certificat de conformité en cours de validité ayant été délivré conformément à l’article 18 de ladite directive.
2. Sur l’applicabilité de la directive-cadre et de la directive 70/311
34. La République de Lituanie prétend que les réglementations litigieuses ne relèvent pas du champ d’application matériel de la directive-cadre et de la directive 70/311 (37). L’interdiction, prévue en droit national, d’immatriculer les véhicules dotés d’un dispositif de direction situé à droite serait liée non pas à des considérations techniques, tenant au bon fonctionnement ou à la fiabilité de tels dispositifs, mais à des considérations de sécurité routière, tenant à la possibilité de conduire de manière sûre de tels véhicules sur des routes où la circulation s’effectue à droite. Or, seul le premier de ces éléments serait réglementé, et ce de manière exhaustive, par la directive-cadre et la directive 70/311, au vu notamment de l’arrêt Voigt, précité (38).
35. Toujours selon la République de Lituanie, il resterait en grande partie de la compétence et de la responsabilité des États membres d’assurer la sécurité routière, en déterminant les conditions d’utilisation des véhicules répondant aux prescriptions techniques de ces directives. Partant, les mesures nationales litigieuses devraient être appréciées non pas sous l’angle desdites directives, mais uniquement sous l’angle des articles 34 TFUE et 36 TFUE, qu’il s’agisse de véhicules neufs ou de ceux déjà immatriculés dans un autre État membre.
36. Cependant, je partage l’analyse de la Commission selon laquelle la directive-cadre et la directive 70/311, ainsi que toutes les directives particulières visées à l’annexe IV de cette première, définissent l’intégralité des prescriptions techniques relatives aux véhicules à moteur neufs, y compris celles relatives au dispositif de direction, et ne laissent aucune marge d’appréciation aux États membres en ce domaine. Ces exigences techniques assurent le niveau de sécurité routière qui est conforme à l’appréciation du législateur de l’Union. S’il est vrai que la détermination de l’emplacement du dispositif de direction ne fait pas, en tant que telle, l’objet de dispositions contraignantes de ces directives, ledit emplacement n’en constitue pas moins une des caractéristiques de la construction d’un véhicule satisfaisant par ailleurs à toutes les prescriptions techniques contenues dans l’ensemble desdites directives. L’arrêt Voigt, précité, ne remet pas en cause cette analyse (39).
37. La réglementation lituanienne, en ce qu’elle impose de modifier la place de ce dispositif, introduit une exigence de nature technique entraînant une modification qui affecte la construction d’un véhicule, exigence régie par la directive-cadre et la directive 70/311. Elle relève donc du champ d’application de ces directives, de même que la réglementation polonaise en cause.
3. Sur les dispositions pertinentes de la directive‑cadre
38. Je rappelle que la directive‑cadre instaure une «harmonisation totale» dans les domaines appréhendés par elle, tout en prévoyant des clauses de sauvegarde afin de garantir la sécurité routière, s’il s’avère qu’un type de véhicule, bien que respectant les exigences applicables en matière de réception CE, représente un danger selon un État membre (40). Toutefois, l’État membre doit alors suivre une procédure d’alerte spéciale qui implique tant les autres États membres que la Commission, sans quoi l’effet utile du système uniformisé de réception serait mis en péril (41).
39. Les présents recours en manquement sont fondés en particulier sur l’article 4, paragraphe 3, de la directive‑cadre. Comme le fait valoir la Commission, en vertu de cette disposition, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, sous a), de ladite directive (42), les autorités compétentes d’un État membre sont tenues d’immatriculer une voiture particulière neuve si celle‑ci est conforme aux exigences techniques prévues par cette directive et par les directives particulières que celle‑ci énumère à son annexe IV.
40. Le libellé de cette disposition se comprend mieux à la lumière du contexte et des motifs de son adoption. En effet, il ressort des travaux préparatoires (43) qu’«une clause de libre circulation a été introduite au troisième paragraphe de l’article 4» (44) «[a]fin de veiller à ce que les dispositions relatives à la réception des véhicules à moteur établies par cette directive et par les actes réglementaires séparés ne soient pas mises en péril par des exigences nationales concernant la construction et le fonctionnement des véhicules, imposées après qu’ils ont été vendus, immatriculés et/ou mis en service».
41. S’agissant des articles 18 (45) et 26 de la directive‑cadre, ainsi que du point 0 de son annexe IX (46), la République de Lituanie prétend que les constructeurs d’automobiles devraient préciser, à la page 1 du certificat de conformité CE (47), quel est le sens de circulation auquel le véhicule concerné serait exclusivement adapté, ce dont il s’ensuivrait qu’aux yeux du législateur de l’Union, des véhicules pourraient être inadaptés à une utilisation sur un côté donné de la chaussée, droit ou gauche selon les cas. Pour sa part, la République d’Estonie invoque que les fabricants doivent constater que le véhicule peut être immatriculé à titre permanent, sans autre réception CE, dans les États membres dans lesquels la conduite s’effectue respectivement à droite ou à gauche.
42. À mon avis, le certificat de conformité CE atteste de la validité de la production du véhicule concerné par un tel certificat, en fonction du type de véhicules dont relève ce véhicule. Il résulte de la description des caractéristiques techniques du véhicule dressée dans ce certificat, par essence, qu’il n’est pas nécessaire que d’autres documents techniques soient produits pour procéder à une immatriculation permanente dans un État membre, quel que soit le sens dans lequel la circulation s’effectue sur le territoire de celui‑ci.
43. S’agissant des position 1.8 et sous‑position 1.8.1 des annexes I et III de la directive-cadre (48), la République de Pologne invoque que le législateur de l’Union aurait prévu une rubrique spéciale à ladite sous‑position 1.8.1 aux fins d’indiquer si le véhicule est adapté à la circulation à droite ou à gauche. En outre, la position 1.8 de ces annexes indiquerait que, pour être autorisé à circuler dans un sens défini, le véhicule devrait être adapté au sens de la circulation en question. Ladite position concernerait donc l’indication de l’emplacement du volant sur la fiche de réception. De même, la République d’Estonie estime qu’il ressort de ces dispositions que les constructeurs doivent mentionner, dans la liste des renseignements requis pour la réception par type de véhicule, si le véhicule concerné est prévu pour être utilisé dans le cadre de la conduite à gauche ou à droite.
44. Cependant, je rejoins la position de la Commission selon laquelle lesdites dispositions signifient seulement que le véhicule en question satisfait aux prescriptions qui permettent de conduire le véhicule en toute sécurité du côté de la chaussée qui est déclaré, droit ou gauche, telles que celles relatives à l’installation des dispositifs d’éclairage et de vision indirecte ainsi qu’aux éléments du dispositif de direction qui sont définis dans la directive 70/311. Il m’apparaît que le législateur de l’Union a entendu distinguer, et non confondre, la question de l’emplacement du dispositif de direction de celle de l’adaptation du véhicule à l’un des côtés de conduite.
45. À cet égard, je rappelle que la note explicative sous d) relative à l’annexe IX de la directive-cadre, susmentionnée, énonce que la «déclaration [selon laquelle le véhicule est adapté à la conduite à droite ou à gauche] ne limite pas le droit des États membres d’exiger des adaptations techniques […] lorsque le sens de la circulation se fait du côté opposé», sans toutefois définir ce qu’il faut entendre par l’expression ici soulignée par mes soins.
46. Selon la République de Lituanie, la République de Pologne et la République d’Estonie, cette mention permettrait à un État membre dans lequel la circulation s’effectue à droite d’exiger qu’un véhicule conçu pour la conduite à gauche fasse l’objet d’une adaptation à la conduite à droite avant son immatriculation, en particulier moyennant le transfert du dispositif de direction vers la gauche.
47. Certes, ladite note explicative prévoit que, si un véhicule est équipé pour la conduite du côté gauche de la route, des modifications peuvent être imposées aux fins de son immatriculation dans un État membre où la circulation se fait du côté droit. Néanmoins, à la lumière des autres dispositions tant de la directive‑cadre que de celles de la directive 70/311, et afin d’éviter de faire perdre leur effet utile à ces dispositions, je considère que le déplacement du dispositif de direction ne constitue pas l’une des «adaptations techniques» qui sont autorisées par la note susmentionnée.
48. À l’instar de la Commission, j’estime que de telles adaptations sont susceptibles de porter uniquement sur des interventions ayant un impact minime, comme le réglage des phares ou l’installation d’un rétroviseur supplémentaire, et non sur des aspects techniques qui modifient d’une façon significative la construction même du véhicule. Or, c’est ce dernier genre de modifications qui est impliqué par les réglementations litigieuses, puisque le déplacement qu’elles exigent nécessite non seulement le transfert du système de direction, mais aussi la transformation de tout le tableau de bord, ainsi que le déplacement des pédales du véhicule et des systèmes que celles‑ci commandent.
49. Je souligne que cette approche est conforme à la pratique de nombreux États membres, où l’immatriculation des véhicules automobiles dont le dispositif de direction est situé du même côté que le sens de la circulation est autorisée dès lors qu’un certificat de conformité CE valide est présenté (49) et/ou sous la seule réserve d’adaptations techniques de portée mineure, telles que celles relatives aux feux de croisement, aux rétroviseurs extérieurs, ou à d’autres modifications de même nature (50).
50. Ainsi, je considère qu’aucune disposition de la directive‑cadre ne prévoit la possibilité de refuser d’immatriculer une voiture particulière neuve en raison du côté où est installé le dispositif de direction. Une telle interprétation, tant littérale que contextuelle, des dispositions de cette directive qui sont visées par les recours en manquement est confortée à la lumière des dispositions de la directive 70/311, laquelle figure parmi les directives particulières énumérées à l’annexe IV de ladite directive‑cadre.
4. Sur les dispositions pertinentes de la directive 70/311
51. Selon la République de Lituanie, la directive 70/311 établirait uniquement des exigences de construction, d’installation et de contrôle du dispositif de direction, sans définir de quel côté du véhicule le dispositif de direction devrait être installé pour des raisons de sécurité routière.
52. S’agissant, en particulier, de la position 1.8 de l’appendice 1 de l’annexe I de la directive 70/311 (51), la République de Pologne fait valoir que cette disposition introduit une distinction entre les véhicules selon qu’ils sont destinés à la conduite à droite ou à gauche et que le législateur de l’Union l’aurait rédigée en partant de l’hypothèse que l’emplacement du conducteur était directement lié au côté de la circulation.
53. La Commission oppose, à juste titre, que le fait qu’il y ait lieu, en vertu de ladite disposition, d’indiquer l’emplacement du volant signifie simplement que la construction du véhicule, et notamment son dispositif de direction, satisfait aux prescriptions techniques de la directive 70/311 relatives au côté de conduite, sans que le législateur de l’Union ait cru utile d’établir un lien formel suivant lequel pour la conduite à droite, le dispositif de direction devrait se trouver à gauche, et inversement.
54. En outre, je partage l’avis de la Commission lorsqu’elle fait valoir que l’article 2 bis de la directive 70/311 interdit aux États membres de refuser ou d’interdire l’immatriculation des véhicules pour des motifs tirés uniquement de la situation de leur dispositif de direction, dans l’hypothèse où ceux‑ci répondent par ailleurs aux prescriptions figurant dans les annexes de cette directive. Étant donné que celles‑ci ne précisent pas si le dispositif de direction doit se trouver à gauche, à droite ou au milieu, les autorités nationales sont donc tenues d’immatriculer un véhicule automobile, quel que soit cet emplacement, si le dispositif de direction est pour le surplus conforme auxdites prescriptions. Selon moi, cette disposition serait sans objet, dans l’économie de la directive 70/311, s’il était considéré qu’elle n’a pas vocation à exclure des restrictions basées sur la seule place du dispositif de direction des véhicules qui relèvent de son champ d’application.
55. Excipant d’éléments historiques, la République de Lituanie fait valoir que la directive 70/311 ayant été adoptée à une époque où la Communauté européenne ne comptait aucun État membre sur le territoire duquel la circulation s’effectuait à gauche, le législateur communautaire ne pouvait donc résoudre un problème qui n’existait pas alors.
56. C’est méconnaître que la disposition pertinente, à savoir l’article 2 bis, a été ajouté à ladite directive par l’acte relatif à l’adhésion, entre autres, de l’Irlande et du Royaume‑Uni, comme je l’ai déjà mentionné. À cet égard, la Commission évoque un rapport, daté du 28 juin 1971, émanant du groupe «ad hoc» du Conseil chargé d’examiner les rapports de la Commission sur les adaptations techniques des réglementations communautaires dans le cadre des négociations avec les États ayant demandé leur adhésion aux Communautés (52), rapport qui certes est intéressant (53), mais me semble ne pas être pertinent, car ce groupe n’a adopté aucune prise de position en la matière. Il est bien plus significatif à mon avis de s’attacher à la teneur dudit acte d’adhésion, en ce qu’il a modifié les directives relatives aux exigences techniques concernant les véhicules à moteur. En effet, il ressort clairement de la lecture de cet acte que des dispositions spéciales ont été adoptées s’agissant de l’emplacement des rétroviseurs (54) aux fins d’introduire une adaptation de celui‑ci en fonction du sens de circulation à droite ou à gauche en vigueur dans chaque État membre, tandis que le législateur s’est abstenu de prévoir des dispositions équivalentes s’agissant de l’emplacement des dispositifs de direction, bien que la directive 70/311 ait aussi fait l’objet de dispositions modificatives (55).
57. Le libellé et la genèse de la directive 70/311 sont donc révélateurs. En outre, une approche téléologique des dispositions des deux directives visées dans les recours en manquement permet de corroborer la position que je propose à la Cour de retenir.
5. Sur les objectifs de la directive-cadre et de la directive 70/311
58. En ce qui concerne l’interprétation téléologique de l’article 4, paragraphe 3, de la directive-cadre et de l’article 2 bis de la directive 70/311, la République de Pologne soutient que la réglementation en cause serait entièrement justifiée eu égard au fait que l’objectif principal poursuivi par ces directives est de garantir un niveau élevé de sécurité routière. Cela serait confirmé par le considérant 3 (56) de la directive‑cadre et par la sous‑position 4.1.1 de l’annexe I de la directive 70/311 (57).
59. La Commission ne conteste pas que les prescriptions techniques définies dans les directives relatives à la réception visent à garantir un niveau élevé de sécurité routière. Cependant, elle fait valoir, à bon droit selon moi, que l’harmonisation totale des procédures de réception des véhicules établie par la directive-cadre et la directive 70/311 a été décidée pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et que, selon le législateur de l’Union, les prescriptions techniques ainsi fixées, pleinement harmonisées, suffisent à garantir la sécurité routière. En effet, cela ressort des motifs, susmentionnés (58), qui ont présidé à l’adoption de l’article 4, paragraphe 3, de la directive‑cadre.
60. La Commission reconnaît aussi que le fait qu’un véhicule soit muni d’un volant à droite, lorsque la circulation se fait à droite, limite la visibilité du conducteur en cas de croisement sur des routes à chaussée unique bidirectionnelles. Néanmoins, il ressort des articles 2 bis de la directive 70/311 et 4, paragraphe 3, de la directive-cadre que le législateur de l’Union n’a pas considéré que ces difficultés étaient si graves qu’elles justifiaient une réglementation telle que celles en cause, contrairement à ce qui a expressément été introduit quant à l’emplacement des rétroviseurs, dans le cadre de l’adhésion de l’Irlande et du Royaume‑Uni.
61. La République de Lituanie s’étonne du fait que la Commission accepte des modifications en ce qui concerne, notamment, les dispositifs d’éclairage, mais s’y oppose en ce qui concerne le dispositif de direction.
62. Toutefois, cela se justifie, à mon avis, par le fait que des adaptations techniques minimes sont tolérables, et même autorisées en vertu de la note explicative sous d) de l’annexe IX de la directive‑cadre susmentionnée, contrairement aux modifications d’éléments structurels qui affectent la construction ou le fonctionnement d’un véhicule alors que celui‑ci remplit toutes les conditions requises pour bénéficier d’une réception CE.
63. En conclusion, je propose à la Cour de considérer, d’une part, que la directive-cadre et la directive 70/311 sont bien applicables aux réglementations litigieuses s’agissant des voitures particulières neuves et, d’autre part, qu’un manquement se trouve constitué de ce chef à l’égard tant de la République de Lituanie que de la République de Pologne.
64. Au cas où lesdites directives seraient déclarées inapplicables par la Cour, conformément aux prétentions de la République de Lituanie, il y aurait lieu, en tout état de cause, de retenir que, pour l’ensemble des véhicules concernés par les présents recours en manquement (59), les États membres doivent respecter, dans l’exercice de leurs compétences législatives, les obligations résultant des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises (60).
C – Sur le grief relatif aux voitures particulières déjà immatriculées dans un autre État membre
1. Sur les positions des parties
65. La Commission reproche à la République de Lituanie comme à la République de Pologne d’avoir, en limitant l’immatriculation sur leur territoire des voitures particulières dont le dispositif de direction est situé à droite, manqué aux obligations qui pèsent sur tous les États membres en vertu des dispositions de droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises. Elle considère que ces restrictions constituent un obstacle disproportionné au droit d’importer de tels véhicules à partir d’autres États membres de l’Union où ils ont précédemment été immatriculés.
66. En défense, la République de Pologne estime que les mesures nationales en cause ne sauraient être considérées comme une restriction interdite par l’article 34 TFUE. En revanche, la République de Lituanie concède que les dispositions applicables et la pratique suivie en Lituanie constituent une limitation de la libre circulation des marchandises au sens de l’article 34 TFUE. Toutes deux s’accordent à affirmer que, en tout état de cause, une restriction de cette nature serait justifiée par des finalités tenant à la sauvegarde de la sécurité routière ainsi qu’à la protection de la vie et de la santé humaines. La Commission ne conteste pas le caractère d’intérêt général revêtu par de tels objectifs, mais elle réfute que les mesures prises par les deux États défendeurs soient pleinement nécessaires et adaptées pour satisfaire à ces préoccupations.
2. Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises au sens de l’article 34 TFUE
67. En l’absence d’une harmonisation par le droit de l’Union des législations nationales applicables en matière d’immatriculation par un État membre des véhicules importés sur son territoire après avoir été précédemment immatriculés dans un autre État membre, les mesures nationales mises en cause doivent être examinées à l’aune des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises. À cet égard, je rappelle qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive‑cadre que celle‑ci harmonise seulement «les dispositions administratives et les exigences techniques à caractère général applicables à la réception de tous les véhicules neufs relevant de son champ d’application» (61).
68. Je précise d’emblée que je considère que l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation qui est énoncée à l’article 34 TFUE s’applique à des dispositions nationales telles que celles visées par les présents recours.
69. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que les réglementations des États membres qui sont susceptibles d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce au sein de l’Union doivent être considérées comme des mesures d’effet équivalent à de telles restrictions (62).
70. Or, en l’occurrence, la Commission invoque à bon droit que les réglementations lituanienne et polonaise ont pour effet de traiter moins favorablement des marchandises provenant d’autres États membres, à savoir des véhicules dont le dispositif de direction est situé à droite qui ont été précédemment immatriculés en dehors du territoire national, dans la mesure où les détenteurs de tels véhicules peuvent être dissuadés de les importer en vue de les faire immatriculer en Lituanie ou en Pologne compte tenu de l’obligation de déplacer ce dispositif à gauche, ce qui implique une transformation importante (63).
71. La République de Lituanie ne conteste pas cet aspect du recours en manquement dirigé à son encontre, à l’instar de la République d’Estonie selon le mémoire en intervention qu’elle a déposé dans ladite affaire.
72. En revanche, la République de Pologne soutient que sa réglementation n’entrave pas la libre circulation des marchandises, aux motifs, d’une part, que l’immatriculation n’est qu’une formalité administrative, et non une condition d’acquisition du véhicule, et, d’autre part, que l’obligation litigieuse s’applique à tous les véhicules dont le dispositif de direction est situé du côté droit, sans considération de leur origine, étant précisé que de tels véhicules sont aussi fabriqués en Pologne (64) et peuvent y être achetés.
73. Toutefois, la Cour a itérativement jugé que même si, comme dans les présentes affaires, les mesures en cause sont indistinctement applicables et ne visent donc pas seulement les marchandises originaires d’autres États membres, cette circonstance n’empêche pas de considérer que l’interdiction litigieuse a un effet équivalent à une restriction quantitative conformément à l’article 34 TFUE, lorsqu’une marchandise légalement fabriquée et commercialisée dans un autre État membre n’est pas admise sans conditions limitatives sur le marché de l’État membre défendeur (65).
74. Or, il m’apparaît que les réglementations faisant l’objet des présents recours en manquement sont de nature à défavoriser plus spécifiquement des véhicules importés depuis les autres États membres après y avoir été immatriculés, alors qu’ils doivent bénéficier de la libre circulation des marchandises. En effet, les éventuels acheteurs résidant en Lituanie ou en Pologne, sachant qu’ils devront exposer des frais élevés pour la transformation d’un véhicule équipé d’un volant à droite, perdent pratiquement l’intérêt qu’ils pourraient avoir à acquérir de tels véhicules dans un autre État membre où leur vente est fréquente (66).
75. À cet égard, je rappelle que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises s’appliquent aux produits qui sont originaires des États membres ainsi qu’aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres (67). En outre, selon une jurisprudence constante (68), un produit devient national dès lors qu’il a été importé et mis sur le marché, ce dont il résulte que les voitures d’occasion importées et celles qui sont achetées sur place constituent des produits similaires ou concurrents.
76. Le traitement qui est réservé par la République de Lituanie et par la République de Pologne à l’immatriculation de véhicules munis d’une conduite à droite provenant d’autres États membres est donc désavantageux par rapport aux véhicules d’occasion se trouvant sur leur territoire national, qui sont très majoritairement équipés d’une conduite à gauche.
77. Il résulte de toutes ces considérations qu’une réglementation telle que celles en cause a, selon moi, pour effet d’entraver la libre circulation des marchandises au sens de l’article 34 TFUE.
3. Sur l’existence d’une justification au titre de l’article 36 TFUE
78. La République de Lituanie et la République de Pologne se défendent contre les recours formés à leur encontre en soutenant que, même si la Cour devait considérer que l’entrave est constituée, il conviendrait néanmoins de ne pas les condamner dès lors que les mesures litigieuses tendent à préserver tant la sécurité routière que la santé et la vie humaines. Au contraire, selon la Commission, les entraves relevées ne sauraient ici bénéficier d’une justification de cette nature.
a) Sur l’admissibilité de la justification invoquée
79. L’article 36 TFUE prévoit expressément que l’objectif de «protection de la santé et de la vie des personnes» est l’une des raisons susceptibles de justifier les entraves à la libre circulation des marchandises qui sont constitutives de restrictions quantitatives ou de mesures d’effet équivalent. La Cour a déjà jugé que ledit objectif occupe même le premier rang parmi les intérêts qui sont sauvegardés par cette disposition à caractère dérogatoire (69). Il est aussi de jurisprudence constante qu’en l’absence de règles d’harmonisation aptes à garantir la santé et la vie des personnes, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de celles‑ci et de la manière dont ce niveau peut être atteint, étant précisé que la marge d’appréciation ainsi laissée doit toutefois s’exercer dans les limites imposées par le traité (70).
80. Par ailleurs, la Cour a consacré l’inclusion de la sécurité routière parmi les exigences impératives d’intérêt général qui, bien que non mentionnées à l’article 36 TFUE, sont également susceptibles de justifier des restrictions à la libre circulation des marchandises intracommunautaire, en l’absence d’une réglementation commune exhaustive s’appliquant dans le domaine concerné (71). S’il est vrai, comme le font valoir la République de Lituanie et la République de Pologne, que les États membres peuvent décider du niveau auquel ils entendent assurer la sécurité routière sur leur territoire, à défaut de dispositions d’harmonisation complète existant au niveau de l’Union, ils doivent toutefois tenir compte des exigences inhérentes à la libre circulation des marchandises, ainsi que la Cour l’a maintes fois rappelé (72).
81. En l’occurrence, la Commission ne conteste pas le caractère sérieux des risques contre lesquels la République de Lituanie et la République de Pologne affirment vouloir se prémunir, puisqu’elle admet que les objectifs que ceux‑ci invoquent puissent en soi être légitimes. Cependant, elle soutient, à juste titre, que cela n’est pas suffisant pour satisfaire aux obligations résultant du droit de l’Union.
82. En effet, comme la Cour l’a dit pour droit, une réglementation nationale peut certes déroger au principe fondamental de la libre circulation des marchandises au titre de la protection de la vie et de la santé humaines ou de la sécurité routière, mais seulement pour autant que les mesures prises, d’une part, sont propres à préserver les intérêts légitimes qui sont invoqués et, d’autre part, ne portent pas une atteinte audit principe qui soit plus forte que cela n’est indispensable à cette fin (73). Il convient dès lors de vérifier si ces conditions sont réunies s’agissant des mesures qui font l’objet des présents recours.
b) Sur la proportionnalité des moyens utilisés
83. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que c’est aux États membres défendeurs qu’il incombe de démontrer, conformément au principe de proportionnalité, en premier lieu, que la réglementation mise en cause est apte à réaliser les objectifs visés et, en second lieu, qu’elle ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour que ces objectifs soient atteints (74).
84. La question qui se pose à l’égard de la première de ces conditions est de savoir si les mesures prises par la République de Lituanie et par la République de Pologne, consistant à subordonner l’immatriculation des véhicules dont le dispositif de direction est situé à droite au déplacement vers la gauche de ce dernier, sont effectivement de nature à garantir la sécurité routière et à sauvegarder la santé et la vie des personnes.
85. J’observe que, après l’avoir semble‑t‑il mis en doute dans un premier temps, la Commission ne conteste plus véritablement la réalité des dangers contre lesquels les États membres défendeurs indiquent vouloir se prémunir en imposant ces exigences particulières à l’égard de tels véhicules. À mon avis, il est indéniable que la conduite de ceux‑ci sur un territoire où la circulation s’effectue à droite est plus difficile, voire plus périlleuse, puisque le conducteur a un champ de vision moins large que s’il était placé du côté gauche du véhicule et ainsi plus près de l’axe médian de la route. Cela pose problème surtout lors des manœuvres de dépassement, et en particulier sur des routes à chaussée unique bidirectionnelles, comme la République de Lituanie et la République de Pologne le font valoir (75) et comme la Commission semble l’admettre, même si elle souligne que l’emplacement du dispositif de direction n’est pas l’unique facteur de risque d’accidents (76).
86. Je précise que je ne partage pas l’avis de la Commission selon lequel il apparaît paradoxal voire incohérent de la part de la République de Lituanie et de la République de Pologne qu’elles soient plus tolérantes à l’égard des véhicules de ce type qui circulent de façon temporaire sur leur territoire (77). Cette tolérance résulte expressément de la loi lituanienne sur la sécurité routière (78). S’agissant de la République de Pologne, il ressort de son mémoire en défense que la réglementation litigieuse ne concerne pas les touristes (79).
87. À ce titre, je souligne que les dérogations en question résultent d’accords de droit international. En effet, conformément à l’article 39, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’annexe 5, point 1, de la convention sur la circulation routière, signée à Vienne le 8 novembre 1968 (80), tout véhicule automobile en circulation internationale doit satisfaire aux dispositions de ladite convention, ainsi qu’aux prescriptions techniques en vigueur dans son pays d’immatriculation lors de sa première mise en service. Toutefois, le point 8 de l’annexe 1 de ladite convention (81) prévoit que «les parties contractantes peuvent ne pas admettre en circulation internationale sur leur territoire toute automobile munie de feux‑croisement à faisceau asymétrique lorsque le réglage des faisceaux n’est pas adapté au sens de la circulation sur leur territoire». En vertu des dispositions de cette convention, qui lient la République de Lituanie et la République de Pologne (82), celles‑ci sont donc tenues d’admettre la circulation sur leur territoire national des véhicules automobiles dont le dispositif de direction est situé à droite qui ont été immatriculés à l’étranger, même si elles peuvent exiger une adaptation temporaire de leur dispositif d’éclairage, moyennant, par exemple, l’utilisation d’autocollants correcteurs de couleur noire.
88. En tout état de cause, j’admets que le fait de subordonner l’immatriculation à un déplacement du dispositif de direction des véhicules conçus pour circuler à gauche est une mesure qui, de par sa nature radicale, est apte à assurer une protection efficace des usagers de la route sur le territoire d’États membres où, comme en Lituanie et en Pologne, la circulation s’effectue à droite, puisque ladite mesure jugule les risques propres au déplacement de ces véhicules dans de telles conditions.
89. Toutefois, l’entrave à la libre circulation des marchandises créée par une exigence de cette nature est, selon moi, disproportionnée en ce que des mesures moins exorbitantes du droit commun auraient pu être prises pour parvenir aux mêmes fins.
90. À cet égard, la Commission souligne, à juste titre, que les mesures en cause s’appliquent d’une manière automatique et de façon générale, notamment sans considération du fait que le véhicule concerné a déjà été homologué et immatriculé dans un État membre où la circulation s’opère à gauche ou bien dans un État membre où celle‑ci s’effectue à droite (83). Les réglementations litigieuses imposent, effectivement, des obligations contraignantes sans tenir compte de ce que les mesures éventuellement prises dans l’État membre où le véhicule a déjà été immatriculé, aussi en vue d’assurer la sécurité routière, pourraient être d’une efficacité équivalente à celles prescrites par l’État membre d’importation, particulièrement dans le cas où le sens de circulation dans le premier État membre est le même qu’en Lituanie et en Pologne.
91. En outre, la Commission fait valoir qu’il existe des mesures moins invasives que celles adoptées par la République de Lituanie et par la République de Pologne, mais qui seraient néanmoins de nature à aider les conducteurs de véhicules équipés d’un volant à droite à se déplacer sans risques dans un trafic dont le sens de circulation est à droite.
92. Proposant diverses modalités de substitution, elle évoque tout d’abord la possibilité que le dépassement sur des routes à chaussée unique et à double sens de circulation soit interdit de façon absolue par la loi à l’égard de ce type de véhicules, mais j’indique d’emblée que cette proposition me paraît inopérante voire dangereuse (84). La Commission suggère aussi d’imposer que ces véhicules soient équipés de dispositifs corrigeant le champ de vision du conducteur dans le but de lui faciliter les manœuvres de dépassement (85). Malgré le fait que la République de Lituanie et la République de Pologne contestent la pertinence de cette seconde approche, il convient de souligner que c’est précisément des mesures d’une telle nature qui ont été retenues par la plupart des États membres.
93. Effectivement, selon les éléments de droit comparé dont je dispose, les normes qui sont en vigueur dans les deux États membres faisant l’objet des présents recours en manquement sont relativement isolées. L’immatriculation des véhicules particuliers dont le dispositif de direction est situé du même côté que le sens de la circulation, qu’il s’agisse de véhicules neufs ou de véhicules ayant déjà été immatriculés dans un autre État membre, n’est interdite également qu’en Lettonie (86) et en Slovaquie (87) ainsi que, dans une moindre mesure, en Estonie (88).
94. Au contraire, dans l’ensemble des autres États membres, soit la réglementation nationale ne contient aucune interdiction ou limitation concernant l’immatriculation de tels véhicules (89), soit elle les autorise de façon expresse avec parfois une référence aux exigences issues du droit de l’Union (90).
95. À ma connaissance, dans tous ces États membres, les modalités prévues pour les immatriculations de ce type se limitent, en règle générale, à des conditions ou adaptations d’ordre essentiellement technique, qui sont relatives surtout voire exclusivement aux dispositifs d’éclairage, afin de ne pas éblouir les autres usagers de la route et de mieux voir les piétons sur le bord de la route, ou aux rétroviseurs, afin d’assurer un plus grand champ de vision au conducteur (91).
96. L’approche plus modérée ayant été retenue dans la plupart des États membres illustre bien que, dans le domaine concerné par les deux recours, la protection de la sécurité routière peut suffisamment être garantie par des procédés moins restrictifs que celui consistant à subordonner l’immatriculation d’un véhicule muni d’un dispositif de direction à droite au déplacement de celui‑ci vers la gauche. Du point de vue des citoyens européens qui veulent importer un tel véhicule en Lituanie ou en Pologne, même si la République de Lituanie prétend – sans en rapporter la preuve formelle – que la Commission a exagéré la charge financière qui découle de cette opération de déplacement, il est à l’évidence moins contraignant et moins onéreux de devoir simplement procéder au réglage des feux de croisements ou investir dans un rétroviseur supplémentaire.
97. Certes, comme le fait valoir la République de Pologne, pour apprécier le respect du principe de proportionnalité en matière de sécurité routière, il convient de tenir compte du fait que chaque État membre peut décider du niveau et de la manière suivant lesquels il entend assurer la protection de celle‑ci. Puisque ce niveau est susceptible de varier d’un État membre à l’autre, il résulte de la marge d’appréciation ainsi reconnue aux États membres que le simple fait qu’un autre État membre impose des règles moins strictes que celles applicables dans l’État membre défendeur n’implique pas nécessairement que ces dernières sont disproportionnées et donc incompatibles avec les règles relatives à la libre circulation des marchandises (92).
98. Néanmoins, à la lumière de la jurisprudence de la Cour (93), il m’apparaît que les éléments de droit comparé ci‑dessus exposés peuvent constituer, en l’occurrence, une indication sérieuse du caractère excessif des réglementations visées par les recours en manquement, puisque ces éléments sont révélateurs de ce que d’autres moyens moins restrictifs sont mis en œuvre sans difficultés particulières, et ce par une large majorité des États membres de l’Union.
99. Je considère que des mesures de substitution moins attentatoires à la libre circulation des marchandises auraient pu être prises également par les deux États défendeurs, étant donné qu’ils ne démontrent pas, alors que la charge d’en rapporter la preuve pèse sur eux (94), que les risques pouvant être liés aux véhicules concernés sur leur territoire diffèrent singulièrement de ceux encourus sur le territoire des autres États membres.
100. Les statistiques mises en avant par les deux États défendeurs ne sont pas probantes à cet égard, car dans la mesure où elles peuvent être le résultat d’autres facteurs d’insécurité routière (95), elles ne permettent pas d’établir que le taux des accidents causés sur leur territoire national par des véhicules dont le dispositif de direction est situé à droite est significativement supérieur par rapport aux accidents du même type survenus sur le territoire des États membres dont la réglementation est moins exigeante (96).
101. Pour le même motif de lacune dans l’administration de la preuve, il convient d’écarter l’argument de la République de Pologne selon lequel elle devrait faire face à un afflux si massif de tels véhicules que cela créerait un danger considérablement plus important sur son territoire national et rendrait nécessaire d’adopter des exigences plus strictes, et ayant des conséquences bien plus onéreuses et donc dissuasives, que dans la majorité des États membres.
102. Certes, la Cour a déjà accepté que soient prises en compte certaines particularités de l’État membre concerné (97) au titre de l’appréciation de la proportionnalité de la restriction en cause. Toutefois, en l’occurrence, il n’est pas démontré que l’adoption des réglementations litigieuses ait été inspirée par la particularité des deux États défendeurs tenant au fait qu’un grand nombre de leurs ressortissants ayant immigré en Irlande et au Royaume‑Uni ont un intérêt élevé à importer des voitures particulières en provenance de ces derniers États lorsqu’ils reviennent s’installer de façon permanente dans leur pays d’origine.
103. Ainsi, il apparaît que les moyens employés tant par la République de Lituanie que par la République de Pologne, consistant à subordonner l’immatriculation de tels véhicules au déplacement du dispositif de direction, sont disproportionnés par rapport aux objectifs de protection de la sécurité routière et de sauvegarde de la santé et de la vie humaines qui sont invoqués.
104. Compte tenu de ces éléments, et en particulier de l’absence de compatibilité des mesures nationales en cause avec l’exigence de proportionnalité posée par le droit de l’Union, je considère que ces deux États membres ont manqué aux obligations leur incombant au titre des articles 34 TFUE et 36 TFUE et que lesdites mesures ne sauraient être maintenues.
D – Sur les dépens
105. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation aux dépens respectivement de la République de Lituanie et de la République de Pologne, il y aura lieu de faire droit à ces demandes si, comme je le propose, les présents recours en manquement sont accueillis et lesdits États membres succombent en leurs moyens de défense.
106. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui ont demandé l’autorisation d’intervenir aux présents litiges supporteront leurs propres dépens.
IV – Conclusion
107. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit:
1) La République de Pologne, dans l’affaire C‑639/11, ainsi que la République de Lituanie, dans l’affaire C‑61/12, ont manqué aux obligations leur incombant en vertu de l’article 2 bis de la directive 70/311/CEE du Conseil, du 8 juin 1970, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs de direction des véhicules à moteur et de leurs remorques, telle que modifiée en dernier lieu par la directive 1999/7/CE de la Commission, du 26 janvier 1999, et de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre), ainsi qu’en vertu des articles 34 TFUE et 36 TFUE, en maintenant en vigueur des dispositions nationales dont il résulte que l’immatriculation, sur leur territoire national, de voitures particulières dont le dispositif de direction est situé du côté droit, qu’elles soient neuves ou aient été précédemment immatriculées dans un autre État membre, est subordonnée au déplacement sur le côté gauche du dispositif de direction de ces voitures.
2) La République de Pologne est condamnée aux dépens dans l’affaire C‑639/11 et la République de Lituanie est condamnée aux dépens dans l’affaire C‑61/12.
3) La République de Lituanie supportera les dépens qu’elle a exposés au titre de son intervention dans l’affaire C‑639/11, tandis que la République d’Estonie et la République de Pologne supporteront les dépens qu’elles ont exposés au titre de leur intervention dans l’affaire C‑61/12.