Language of document : ECLI:EU:F:2008:158

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

2 décembre 2008 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Maladie professionnelle – Harcèlement moral – Demande en réparation »

Dans l’affaire F‑15/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

K, ancienne fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Niederanven (Luxembourg), représentée par Me D. Struck, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. J. F. De Wachter, Mme K. Zejdová et M. N. Lorenz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Kreppel (rapporteur), président, H. Tagaras et S. Gervasoni, juges,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 mars 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 27 février 2007 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 1er mars suivant), la requérante sollicite en substance la condamnation du Parlement européen à réparer les préjudices moral et matériel qu’elle aurait subis du fait du harcèlement moral dont elle aurait été victime entre 1993 et 2001 dans le cadre de ses fonctions.

 Faits à l’origine du litige

2        La requérante est entrée en service au Parlement le 1er janvier 1978 et était, depuis le 1er avril 1992, affectée à la division de la traduction allemande de la direction générale (DG) « Traduction et services généraux » pour y exercer les fonctions de secrétaire principale.

3        Par lettre datée du 21 mai 2001, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a informé la requérante que, conformément aux dispositions de l’article 59, paragraphe 1, quatrième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004, le modifiant (JO L 124, p. 1) (ci-après l’« ancien statut »), elle avait décidé de soumettre son cas à la commission d’invalidité afin de vérifier si l’intéressée était atteinte d’une invalidité permanente et totale la mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière.

4        Par décision du 30 août 2001, l’AIPN, se fondant sur l’avis de la commission d’invalidité, a, en vertu de l’article 53 de l’ancien statut, mis la requérante à la retraite, avec effet au 1er octobre 2001, et lui a accordé le bénéfice d’une pension d’invalidité fixée conformément à l’article 78, paragraphe 3, de l’ancien statut.

5        L’année suivante, afin de s’assurer que la requérante réunissait toujours les conditions requises pour bénéficier d’une pension d’invalidité, le Parlement a, en application de l’article 15 de l’annexe VIII de l’ancien statut, de nouveau soumis son cas à la commission d’invalidité.

6        La commission d’invalidité ayant constaté chez la requérante l’existence, notamment, d’une « dépression sévère », l’AIPN a, le 5 décembre 2002, pris une nouvelle décision mettant l’intéressée à la retraite pour invalidité et lui accordant le bénéfice d’une pension d’invalidité. Cette décision a pris effet le 1er janvier 2003.

7        Par courrier du 27 mars 2003, la requérante a demandé la reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Cette demande a été réitérée par un nouveau courrier, daté du 18 juillet 2003, dans lequel il était précisé que cette maladie consistait en une « dépression sévère ».

8        Dans le cadre prévu par la réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la « réglementation »), la requérante a été examinée par un médecin désigné par le Parlement. Celui-ci a, le 14 septembre 2005, établi un rapport d’expertise médicale (ci-après le « rapport d’expertise médicale »), dont les conclusions, fondées notamment sur les constatations d’une expertise psychiatrique établie le 4 juin 2005 par le docteur H., neuropsychiatre (ci-après l’« expertise psychiatrique »), étaient rédigées dans les termes suivants :

« La pathologie psychique chronique dont souffre [la requérante] est la conséquence de situations conflictuelles au travail, réelles ou vécues par elle comme telles.

Il s’agit d’un syndrome de stress et [d’un] état dépressif dorénavant chronicisé, inducteurs de souffrances somatiques protéiformes et multiples concomitantes, notamment arthralgies, fibromyalgie, troubles dyspeptiques.

La symptomatologie est, selon le [docteur H.], caractéristique d’un ‘MOBBING-Syndrom’. […]

La date d’effet des faits générateurs peut être fixée au 11 [juin] 1999, date de première consultation auprès [du docteur A.], neuropsychiatre.

La consolidation est acquise le 4 [juin] 2005, date de l’expertise spécialisée effectuée par le [docteur H.].

L’[invalidité permanente partielle] a été évaluée par le psychiatre à 40 %.

[…] »

9        Par note du 13 octobre 2005, l’AIPN, se fondant sur le rapport d’expertise médicale, a notifié à la requérante un projet de décision reconnaissant l’origine professionnelle de sa maladie, évaluant à 40 % le taux de son invalidité permanente partielle et fixant à 152 041,46 euros le montant du capital devant lui être versé en application de l’article 73, paragraphe 2, sous c), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, tel que modifié par le règlement n° 723/2004 (ci-après le « statut »). Cette note informait par ailleurs la requérante qu’elle pouvait, dans un délai de soixante jours, solliciter la saisine de la commission médicale visée à l’article 23 de la réglementation.

10      La requérante n’ayant pas, dans le délai de soixante jours, sollicité la saisine de la commission médicale, l’AIPN a pris la décision telle que le projet en avait été notifié.

11      Par courrier du 27 décembre 2005, la requérante, se prévalant de l’article 24 du statut, a demandé au Parlement de réparer les préjudices matériel et moral qu’elle aurait subis avant sa mise à la retraite, du fait de l’abstention par l’administration de prendre les mesures qui auraient permis de mettre fin à la « violation aggravée des droits de la personnalité » (« erhebliche Verletzung des allgemeinen Persönlichkeitsrechts ») (ci-après la « demande du 27 décembre 2005 »).

12      Par décision du 26 juin 2006, le Parlement a explicitement rejeté la demande du 27 décembre 2005, en raison de son insuffisante précision (ci-après la « décision du 26 juin 2006 »).

13      Par note du 10 juillet 2006, la requérante a introduit une réclamation à l’encontre de la décision du 26 juin 2006. Cette réclamation a été explicitement rejetée par une décision du président du Parlement du 29 novembre 2006 (ci-après la « décision du 29 novembre 2006 »).

14      Par des courriers des 3 et 25 janvier 2007, envoyés respectivement au secrétaire général et au nouveau président du Parlement, la requérante a proposé un règlement à l’amiable du litige. Ces propositions ont été rejetées par des courriers du Parlement des 19 février et 29 mars 2007.

 Procédure et conclusions des parties

15      La requête est parvenue au greffe du Tribunal le 27 février 2007.

16      La procédure écrite a été clôturée après un seul échange de mémoires.

17      Suite à une demande en ce sens de la requérante en date du 18 juin 2007, le Tribunal a autorisé celle-ci à compléter la requête sur certains points.

18      Par mémoire parvenu au greffe du Tribunal le 11 juillet 2007 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 16 juillet suivant), la requérante a pris « position à titre complémentaire sur le mémoire en défense » produit par le Parlement.

19      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 1er août 2007, le Parlement a présenté ses « [o]bservations sur le mémoire complémentaire de la […] requérante ».

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions du Parlement des 26 juin 2006 et 29 novembre 2006 ;

–        condamner le Parlement au versement d’un pretium doloris d’un montant de 150 000 euros, en ce compris, 5 % d’intérêts à partir du 11 juin 1999 pour le préjudice moral subi dans l’exercice de ses activités professionnelles, en raison de comportements de harcèlement (notamment de la part de ses supérieurs hiérarchiques) ;

–        condamner le Parlement au versement d’un pretium doloris d’un montant de 120 000 euros comprenant 5 % d’intérêts depuis le 11 juin 1999 en raison d’un préjudice matériel subi du fait des comportements de harcèlement et consistant en une réduction de 50 % de la somme versée par l’assurance au titre de son incapacité professionnelle au motif que cette incapacité a été causée par une maladie mentale et que, selon la police de cette assurance groupe, les prestations versées sont, dans ce cas, réduites de moitié ;

–        condamner le Parlement pour violation du principe de l’égalité de traitement, violation intentionnelle et consciente des droits généraux de la personnalité et de la santé, et violation constante et intentionnelle du devoir de sollicitude de l’employeur ;

–        condamner le Parlement pour violation du principe de confiance légitime, violation de l’obligation de motiver les actes administratifs et violation du principe de non-discrimination ;

–        condamner le Parlement à prendre en charge les dépens qu’elle a dû exposer au cours de la procédure précontentieuse ainsi que l’ensemble des dépens de la présente procédure.

21      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal :

–        rejeter comme non fondées les demandes d’annulation des actes contestés, le Parlement n’ayant commis aucun comportement fautif à l’égard de la requérante ;

–        rejeter, par voie de conséquence, comme non fondées, les demandes en dommages-intérêts moraux et matériels ;

–        rejeter comme irrecevables et en tout cas comme non fondées, les demandes de condamnation du Parlement aux différents chefs dont celui-ci est accusé par la requérante ;

–        à titre subsidiaire, au cas où le Tribunal serait d’avis que le Parlement aurait eu un comportement fautif relevant d’un harcèlement moral à l’égard de la requérante, déclarer irrecevables les demandes en dommages-intérêts de la requérante suite à l’introduction tardive de son recours en indemnité ;

–        à titre entièrement subsidiaire, au cas où le Tribunal estimerait que le recours en indemnité serait recevable :

–        rejeter comme non fondée la demande en indemnisation pour les dommages moraux de 150 000 euros du fait de l’absence de dommage moral, ce dommage ayant déjà été couvert par le versement du capital opéré dans le cadre de la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie dont souffre la requérante et, en tout état de cause, rejeter la demande comme manifestement excessive et fixer ex aequo et bono le montant de l’indemnisation en tenant compte du propre comportement de l’intéressée ;

–        rejeter comme non fondée la demande en indemnisation pour les dommages matériels de 120 000 euros, ce dommage n’ayant pas de lien causal avec le comportement incriminé et ne constituant pas un dommage pour lequel le Parlement peut être tenu responsable en tant qu’employeur ;

–        rejeter comme non fondée la demande de condamnation du Parlement aux dépens liés à la procédure antérieure au présent recours ;

–        dans toutes ces hypothèses, décider sur les dépens comme de droit.

22      Suite à une mesure d’organisation de la procédure ordonnée par le Tribunal, le Parlement a produit des documents.

23      Lors de l’audience, le représentant de la requérante a déclaré se désister de ses quatrième et cinquième chefs de conclusions.

24      Une tentative de règlement amiable, intervenue lors de l’audience du 12 mars 2008, est demeurée sans suite.

 En droit

 Sur l’objet du recours

25      Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable qui précède un recours en responsabilité formé devant le Tribunal et que, par conséquent, les conclusions en annulation ne peuvent être appréciées de manière autonome par rapport aux conclusions en responsabilité. En effet, l’acte contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 18 décembre 1997, Gill/Commission, T‑90/95, RecFP p. I‑A‑471 et II‑1231, point 45 ; du 6 mars 2001, Ojha/Commission, T‑77/99, RecFP p. I‑A‑61 et II‑293, point 68, et du 5 décembre 2002, Hoyer/Commission, T‑209/99, RecFP p. I‑A‑243 et II‑1211, point 32).

26      Il résulte de ce qui précède que, le présent recours n’ayant pas d’autre objet que celui d’obtenir réparation des préjudices que la requérante estime avoir subis du fait de son institution, il n’y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation formées par la requérante.

 Sur les conclusions indemnitaires

 Arguments des parties

27      La requérante fait valoir qu’elle aurait été victime, entre 1993 et 2001, de faits de harcèlement moral au sein de la division de la traduction allemande, et ajoute que ces faits seraient à l’origine de sa maladie professionnelle, comme l’établiraient le rapport d’expertise médicale ainsi que des attestations établies respectivement les 25 août 2003 et 27 avril 2005 par un neuropsychiatre et un psychothérapeute.

28      La requérante souligne que l’affection dont elle est atteinte figurerait au nombre de celles qui, de manière typique, résultent d’un comportement de harcèlement moral. Dans ces conditions, le diagnostic chez elle de cette maladie laisserait présumer qu’elle a été exposée à un tel comportement.

29      La requérante poursuit en faisant valoir que le harcèlement moral aurait entraîné un préjudice moral qu’elle évalue à la somme de 150 000 euros et qui résulterait de l’importance et de la gravité de ses troubles physiques et psychiques ainsi que des conséquences de ces troubles sur sa capacité de travail et sur ses relations sociales. En outre, ce préjudice moral n’aurait pas été réparé par la somme de 152 041,46 euros qui lui a été versée en application de l’article 73, paragraphe 2, sous c), du statut, dans la mesure où celle-ci ne lui aurait été octroyée que pour couvrir les conséquences de son invalidité professionnelle permanente jusqu’en 2011.

30      Par ailleurs, la requérante sollicite la condamnation du Parlement à lui payer la somme de 120 000 euros en réparation de son préjudice matériel. Elle explique qu’elle aurait souscrit une police d’assurance destinée à couvrir les conséquences d’une invalidité permanente. Or, une clause de cette police d’assurance stipulait que les prestations seraient réduites de moitié si l’invalidité avait une origine psychique. Dans ces conditions, du fait de la faute du Parlement, responsable de l’affection psychique de la requérante, celle-ci n’aurait reçu qu’une somme égale à 50 % du capital garanti.

31      En défense, le Parlement soulève, pour contester la recevabilité de la requête, trois fins de non-recevoir, tirées du caractère tardif de la demande en indemnisation, de l’insuffisante motivation de la requête et du défaut de concordance entre la réclamation et la requête. Sur le fond, après avoir contesté la réalité du harcèlement moral invoqué par la requérante, le Parlement souligne que, quand bien même une faute pourrait lui être imputée, l’intéressée ne prouverait pas que le préjudice moral qui en aurait résulté n’aurait pas été entièrement réparé par le versement de la somme de 152 041,46 euros. Quant au préjudice matériel, le Parlement fait valoir qu’il serait dépourvu de tout lien direct avec la faute alléguée par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

32      Il convient de rappeler que la couverture des risques de maladie professionnelle et d’accident, prévue par l’article 73 du statut et par la réglementation, permet une indemnisation forfaitaire du fonctionnaire lésé à charge de l’institution qui l’emploie. Cette indemnisation est calculée en fonction du taux d’invalidité et du traitement de base du fonctionnaire, sans que soit prise en considération la responsabilité de l’auteur de l’accident ou celle de l’institution qui a imposé les conditions de travail ayant pu contribuer à la survenance de la maladie professionnelle.

33      Toutefois, les fonctionnaires sont en droit de demander une indemnisation complémentaire des prestations perçues au titre de l’article 73 du statut, lorsque l’institution est responsable de l’accident ou de la maladie professionnelle selon le droit commun et que les prestations statutaires ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink/Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. I‑2801, points 10 à 14, et du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, points 19 à 22).

34      À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d’un ensemble de conditions concernant l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C–136/92 P, Rec. p. I–1981, point 42 ; arrêt du Tribunal de première instance du 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T–36/93, RecFP p. I‑A‑161 et II‑497, point 130).

35      Il importe donc, dans un premier temps, d’examiner si le Parlement peut être regardé comme étant responsable, selon le droit commun, de la maladie professionnelle de la requérante, ce qui suppose de rechercher si celle-ci a été, comme elle le prétend, victime de harcèlement moral. En cas de réponse affirmative, il conviendra, dans un second temps, de déterminer si les prestations statutaires ont suffi à assurer la pleine réparation du préjudice subi.

36      Pour soutenir que la maladie professionnelle dont elle est atteinte résulterait de faits de harcèlement moral, émanant en particulier du chef de la division de la traduction allemande et de la responsable du pool de dactylographie au sein de cette division, la requérante se fonde, premièrement, sur plusieurs événements auxquels elle aurait été confrontée au sein de la division de la traduction allemande, deuxièmement, sur les conclusions du rapport d’expertise médicale, troisièmement, sur des attestations établies par un neuropsychiatre et un psychothérapeute.

37      En ce qui concerne, en premier lieu, les incidents qui seraient survenus au sein de la division de la traduction allemande et dans lesquels la requérante aurait été impliquée, il importe de souligner qu’aucun d’entre eux ne saurait constituer la preuve qu’elle aurait été exposée à un harcèlement moral, qu’une jurisprudence constante définissait, antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, comme un comportement visant, objectivement, à discréditer une personne ou à dégrader délibérément ses conditions de travail (arrêt du Tribunal de première instance du 16 mai 2006, Magone/Commission, T‑73/05, RecFP p. I‑A‑2‑107 et II‑A‑2‑485, point 79).

38      En effet, si l’intéressée fait valoir que, au cours de l’année 1996, les tâches de formation qu’elle assurait jusqu’alors lui auraient été retirées, cette circonstance ne saurait, par elle-même, constituer une preuve du harcèlement moral dénoncé. De même, le fait que, en mars 1997, le chef de la division de la traduction allemande ait demandé à une collègue de celle-ci de lui fournir des exemples de travaux défectueux établis par l’intéressée ne saurait davantage être regardé comme un indice de harcèlement moral, dès lors que le Parlement soutient, sans être sérieusement contredit, que le chef de la division de la traduction allemande avait reçu des doléances sur la qualité du travail de la requérante et qu’il lui appartenait, en sa qualité de supérieur hiérarchique, de vérifier le bien-fondé de telles doléances. Il en va de même de la circonstance selon laquelle le chef de la division de la traduction allemande aurait critiqué devant un tiers la qualité du travail de la requérante.

39      Par ailleurs, la requérante, qui avait signé en 1999, avec d’autres membres de la division de la traduction allemande, une pétition aux fins de faire échec à un projet de promotion d’une de leurs collègues, prétend également que ses supérieurs hiérarchiques lui auraient à tort reproché d’avoir été l’initiatrice de cette pétition. Toutefois, elle ne fournit aucun élément à l’appui d’une telle allégation. De même, s’il est constant que, à la suite de cette pétition, deux membres du comité du personnel du Parlement ont diffusé une lettre ouverte dans laquelle ils faisaient grief au chef de la division de la traduction allemande d’être à l’origine d’une « campagne massive d’intimidation » à l’encontre des signataires de cette pétition, cette circonstance ne saurait non plus corroborer l’affirmation selon laquelle ce chef de division aurait entendu discréditer la requérante ou dégrader délibérément ses conditions de travail. Enfin, outre que des notes et des appréciations, même négatives, contenues dans un rapport de notation ne sauraient, en tant que telles, être considérées comme des indices de ce que le rapport aurait été établi dans un but de harcèlement moral (voir, en ce sens, arrêt Magone/Commission, précité, point 80), il ne ressort nullement des pièces du dossier que la requérante aurait, ainsi qu’elle l’affirme, fait l’objet de « notations extrêmement négatives » ou que, plus généralement, la qualité de ses prestations aurait été injustement évaluée.

40      En ce qui concerne, en deuxième lieu, les conclusions du rapport d’expertise médicale, il est constant que le médecin désigné par le Parlement, à qui il appartenait seulement de déterminer si la maladie de la requérante présentait un lien de causalité avec l’exercice de ses fonctions, a relevé que « [l]a pathologie psychique chronique dont souffr[ait] [l’intéressée] [était] la conséquence de situations conflictuelles au travail, réelles ou vécues par elle comme telles ». Toutefois, une telle mention ne saurait, en elle-même, établir la réalité du harcèlement moral allégué, ce d’autant que le médecin n’a pas exclu que les situations vécues par la requérante comme « conflictuelles » ne l’auraient pas été objectivement. Par ailleurs, si ce médecin a également souligné, dans son rapport d’expertise médicale, que « la symptomatologie [constatée] [était], selon le docteur [H.], caractéristique d’un ‘MOBBING-syndrom’ », il ne saurait être regardé, par cette référence à l’expertise psychiatrique, comme ayant entendu dire que la requérante aurait été discréditée dans l’exercice de ses fonctions ou que ses conditions de travail auraient été délibérément dégradées.

41      En ce qui concerne, en troisième lieu, l’attestation établie le 25 août 2003 par le docteur A., neuropsychiatre, il est constant que celui-ci a indiqué que « d’un point de vue neuropsychiatrique, [il était] parvenu, à l’issue d’une prise en charge intensive et continue [de la requérante], à la conclusion que les diagnostics de stress post-traumatique, de troubles d’adaptation, de sévère dépression et de troubles physiques chroniques [étaient] la conséquence d’un grave harcèlement moral qui s’[était] poursuivi pendant des années et qui a provoqué la maladie de [la requérante] ». Il a également ajouté que « au cours du traitement, [la requérante] [lui avait] décrit l’aggravation des faits de harcèlement moral dont elle était victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques ». Quant à l’attestation établie le 27 avril 2005 par M. W., psychothérapeute, celui-ci a souligné que « [la requérante] se trouv[ait] toujours en traitement en raison d’un état de stress post-traumatique accompagné d’une sévère dépression, résultant d’un comportement de harcèlement moral subi pendant des années dans le cadre de son activité professionnelle ». Or, ces attestations, si elles mettent en évidence la gravité des troubles psychiques subis par la requérante, ne permettent pas d’établir que lesdits troubles résulteraient d’un harcèlement moral, dès lors que, pour conclure à l’existence d’un tel harcèlement, leurs auteurs se sont fondés exclusivement sur la description que l’intéressée leur avait faite de ses conditions de travail au sein du Parlement.

42      Il s’ensuit que la requérante n’a pas rapporté la preuve de ce que le Parlement aurait été, selon le droit commun, responsable de la maladie professionnelle dont elle est affectée. Par conséquent, la première des conditions visées au point 34 du présent arrêt, à savoir l’existence d’une faute, n’est pas satisfaite.

43      À titre surabondant, quand bien même une faute du Parlement aurait été à l’origine de la maladie professionnelle qui l’a affectée, la requérante n’établit pas que le capital qui lui a été versé au titre de l’article 73, paragraphe 2, sous c), du statut, n’aurait pas assuré la réparation du préjudice moral subi du fait de cette maladie. Si, à cet égard, l’intéressée prétend que le capital n’aurait indemnisé que les conséquences de son incapacité à exercer une activité professionnelle jusqu’en 2011, année au cours de laquelle elle aurait dû être mise à la retraite si elle n’avait pas fait l’objet d’une mise à la retraite anticipée pour invalidité, cet argument ne saurait être accueilli, dès lors que la procédure prévue à l’article 73 du statut vise à réparer de manière forfaitaire tant le préjudice matériel que le préjudice moral résultant d’une maladie professionnelle (arrêt du Tribunal du 2 mai 2007, Giraudy/Commission, F‑23/05, non encore publié au Recueil, point 198). Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que l’AIPN s’est fondée, pour prendre la décision de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’affection psychique diagnostiquée et pour fixer le taux d’invalidité permanente partielle à 40 %, sur les conclusions du médecin désigné par le Parlement, lequel avait constaté que la requérante était atteinte « d’un syndrome de stress et [d’un] état dépressif dorénavant chronicisé ». Ainsi, le préjudice moral invoqué par la requérante a déjà été pris en compte et indemnisé au titre de l’article 73 du statut.

44      Quant au préjudice matériel allégué, il ne peut davantage donner lieu à une indemnisation supplémentaire des prestations visées par l’article 73 du statut. En effet, la responsabilité du Parlement ne pourrait être engagée à cet égard que si la requérante parvenait à établir que celui-ci a commis une faute et que cette faute est en relation directe avec le préjudice prétendument subi. Or, ainsi qu’il a été dit, la faute alléguée par la requérante, tendant à l’existence d’un harcèlement moral dont elle aurait été victime, n’a pas été établie. En outre, à supposer même que, nonobstant un quelconque harcèlement, la requête puisse être interprétée comme tendant à démontrer l’existence d’un lien direct entre la maladie professionnelle de la requérante et le préjudice matériel allégué, l’argumentation de la requérante ne pourrait prospérer. En effet, s’il est constant que la requérante, qui avait, dans le cadre d’un contrat collectif conclu par le Parlement, souscrit en 1980 une police d’assurance destinée à couvrir le risque d’invalidité permanente, ne s’est vu verser que la moitié du capital garanti, cette circonstance a pour seule origine le fait qu’une clause du contrat prévoyait, de manière explicite, une diminution de 50 % des prestations garanties en cas d’invalidité ayant une origine psychique.

45      Il découle de ce qui précède que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées comme non fondées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur recevabilité.

 Sur les dépens

46      En vertu de l’article 122 du règlement de procédure du Tribunal, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance des Communautés européennes pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

47      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. La requérante ayant succombé en son recours, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Kreppel

Tagaras

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 décembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Gervasoni

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu


* Langue de procédure : l’allemand.