Language of document : ECLI:EU:T:1998:91

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Concurrence — Article 85, paragraphe 1, du traité CE — Imputabilité du comportement infractionnel — Amende — Motivation»

Dans l'affaire T-309/94,

NV Koninklijke KNP BT, société de droit néerlandais, établie à Amsterdam, représentée par Mes Tom R. Ottervanger et Francis Herbert, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Carlos Zeyen, 56-58, rue Charles Martel,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Richard Lyal et Wouter Wils, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La présente affaire concerne la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

3.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

4.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après

«règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

5.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

6.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

7.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

8.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

ix)    NV Koninklijke KNP BT NV, une amende de 3 000 000 d'écus;

[...]»

9.
    Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé «Groupe d'étude de produit Carton» (ci-après «GEP Carton»), composé de plusieurs groupes ou comités.

10.
    Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un «Presidents Working Group» (ci-après «PWG») réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

11.
    Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants.

12.
    Le PWG faisait rapport à la «President Conference» (ci-après «PC») à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

13.
    A la fin de l'année 1987 a été créé le «Joint Marketing Committee» (ci-après «JMC»). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

14.
    Enfin, le comité économique (ci-après «COE») débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

15.
    Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

16.
    La requérante NV Koninklijke KNP BT (ci-après «KNP») a contrôlé KNP Vouwkarton BV Eerbeek (ci-après «KNP Vouwkarton») à 100 % jusqu'au 1er janvier 1990, date de la cession de cette société à Mayr-Melnhof. Selon la décision, KNP Vouwkarton, qui constituait l'une des divisions du groupe emballage de KNP, a participé aux réunions du PWG (jusqu'au milieu de l'année 1988), du JMC, de la PC et du COE. Durant la période de participation aux réunions du PWG, le représentant de KNP Vouwkarton, directeur du groupe «emballage» de la requérante et membre de son directoire, a présidé les réunions de cet organe ainsi que celles de la PC. Le comportement infractionnel de KNP Vouwkarton, pour la période allant du milieu de l'année 1986 au 1er janvier 1990, a été imputé à la requérante.

17.
    KNP a aussi acheté, avec effet au 31 décembre 1986, le fabricant allemand d'emballages Herzberger Papierfabrik Ludwig Osthushenrich GmbH und Co KG, dont la succursale Badische Kartonfabrik (ci-après «Badische») a participé aux réunions de la PC, du JMC et du COE. La dernière participation de Badische au JMC date de mai 1989, et elle s'est officiellement retirée du GEP Carton à la fin de cette même année. Badische ayant toutefois procédé à des augmentations de prix après qu'elle eut quitté le GEP Carton, la Commission a considéré qu'elle avait continué à participer en marge à l'entente, jusqu'au mois d'avril 1991. La participation de Badische à l'entente a été imputée à la requérante.

Procédure

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

19.
    Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295/94, T-301/94, T-304/94, T-308/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94).

20.
    La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

21.
    Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94).

22.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

23.
    Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

24.
    Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a

accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334/94.

25.
    Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337/94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

26.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

27.
    Les parties dans les affaires mentionnées au point 23 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

28.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler entièrement ou partiellement la décision;

—    annuler l'amende infligée ou au moins en réduire le montant;

—    prendre les dispositions que le Tribunal estimera nécessaires;

—    condamner la partie défenderesse aux dépens.

29.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation de la décision

Sur les moyens tirés, d'une part, d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne l'imputation à la requérante des comportements de KNP Vouwkarton et de Badische et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité à cet égard

Arguments des parties

30.
    La requérante soutient que la décision ne respecte pas l'obligation de motivation de l'article 190 du traité en tant qu'elle lui impute la participation à l'entente de KNP Vouwkarton et de Badische.

31.
    Elle rappelle que le point 143 des considérants de la décision indique que le comportement d'une filiale a été considéré comme imputable au groupe, représenté par la société mère, lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe avaient participé à l'infraction ou lorsqu'il existait des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente. Le critère choisi par la Commission pour imputer à la requérante le comportement de KNP Vouwkarton et de Badische ne ressortirait cependant pas clairement de la décision.

32.
    Dans la mesure où la Commission aurait appliqué le second critère susmentionné, à savoir l'existence de preuves précises impliquant la requérante dans la participation à l'entente, les éléments établissant que la requérante aurait été activement et directement concernée par la participation de ses filiales à l'entente auraient dû être indiqués dans la décision. En l'absence de tels éléments, la requérante ne saurait être considérée comme ayant participé à l'entente de propos délibéré.

33.
    La requérante estime, par ailleurs, que la Commission a commis une erreur d'appréciation en lui imputant les comportements de KNP Vouwkarton et de Badische.

34.
    En ce qui concerne la participation de KNP Vouwkarton à l'entente, la requérante relève que le membre de son directoire qui était (indirectement) codirecteur de KNP Vouwkarton et, en cette qualité, assistait aux réunions du PWG et de la PC n'a plus assisté à aucune réunion des organes du GEP Carton après novembre 1988 (mai 1988 concernant le PWG). A partir de ce moment, tout «lien personnel» entre la requérante et l'entente aurait donc été rompu.

35.
    En tout état de cause, toute participation active et directe de la requérante à l'entente aurait pris fin avec la vente de KNP Vouwkarton au groupe Mayr-Melnhof, avec effet au 1er janvier 1990.

36.
    S'agissant de Badische, la requérante n'aurait pas été activement et directement concernée par la participation de Badische à l'entente. En particulier, rien ne permettrait de conclure que la participation du membre du directoire de la requérante aux réunions du PWG et de la PC concernait aussi Badische.

37.
    Celle-ci aurait en effet agi de manière indépendante sur le marché et n'aurait jamais participé à l'entente sur la base d'instructions de la requérante. Dès lors, il ne serait pas justifié d'imputer cette participation à celle-ci (voir arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission, 32/78, et 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435, point 24, et du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310/93 P, Rec. p. I-865).

38.
    En réponse au moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité, la Commission fait valoir que le point 149 des considérants de la décision contient une motivation

expresse de l'imputation à la requérante du comportement de KNP Vouwkarton et de Badische. La participation aux réunions du PWG et de la PC du directeur du groupe «emballage» de la requérante constituerait, en effet, une preuve précise établissant un lien personnel entre elle et l'entente.

39.
    S'agissant du moyen tiré d'une erreur d'appréciation, la Commission estime, en ce qui concerne KNP Vouwkarton, que la participation aux réunions du PWG et de la PC du membre du directoire de la requérante démontre que celle-ci était informée de l'entente, qu'il existait une relation très directe entre elle et ses filiales, et, enfin, qu'elle contribuait activement à la participation de ses filiales à l'entente. Dans ces conditions, le seul fait que, après 1988, le membre de son directoire n'a plus présidé les réunions du PWG et de la PC n'affecterait en rien l'existence du lien personnel de la requérante avec l'entente.

40.
    La Commission soutient par ailleurs que la participation aux réunions du PWG et de la PC du membre du directoire de la requérante constitue également un lien direct entre elle et la participation à l'entente de Badische.

Appréciation du Tribunal

41.
    Il ressort du point 149, premier alinéa, des considérants de la décision que KNP Vouwkarton a été représentée au sein de la PC et du PWG par un membre du directoire de la requérante, qui était également directeur du groupe «emballage» de celle-ci. Il est précisé, dans le même point des considérants, qu'il convient, «compte tenu des liens entre l'entente [et] KNP elle-même, d'adresser la décision à l'ensemble du groupe KNP pour la période précédant l'acquisition de KNP Vouwkarton par [Mayr-Melnhof], au 1er janvier 1990. (Pour la période consécutive au transfert, c'est [Mayr-Melnhof] qui est responsable de la poursuite de la participation de KNP Vouwkarton à l'entente)».

42.
    Selon le point 149, deuxième alinéa, la requérante «a également été, pendant toute la période concernée, propriétaire à 95 % du fabricant allemand de carton Herzbergerpapierfabrik, qui comprenait aussi Badische Kartonfabrik». La Commission en conclut: «Pour ce qui est de la participation de Badische à l'entente, la décision sera donc adressée à KNP.»

43.
    Ainsi, il ressort de manière suffisamment claire de la décision que celle-ci a été adressée à la requérante en application du critère selon lequel la décision a été adressée au groupe, représenté par la société mère, lorsqu'il existait des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente [point 143, 2), des considérants]. A cet égard, en évoquant le fait qu'un membre du directoire de la requérante, également directeur de son groupe «emballage», a participé aux réunions du PWG et de la PC en qualité de représentant de KNP Vouwkarton, la décision contient une indication suffisante des éléments retenus par

la Commission pour conclure que la requérante a été impliquée dans la participation à l'entente.

44.
    Par conséquent, il convient de rejeter le moyen tiré d'une motivation insuffisante de la décision.

45.
    S'agissant du second moyen, c'est à juste titre que la Commission a imputé à la requérante les agissements anticoncurrentiels de KNP Vouwkarton et de Badische.

46.
    Sur ce point, il convient d'abord de relever que la requérante ne fait pas valoir qu'elle ne pouvait pas influencer de manière déterminante la politique commerciale de KNP Vouwkarton et de Badische.

47.
    Ensuite, il est constant qu'un membre du directoire de la requérante a participé aux réunions du PWG, et a même présidé lesdites réunions, jusqu'en 1988. Or, selon la décision, le PWG a constitué l'enceinte où se sont déroulées les principales discussions à objet anticoncurrentiel, constatation que ne conteste pas la requérante.

48.
    Dans ces conditions, la Commission a établi que la requérante était, par l'intermédiaire du membre de son directoire, impliquée d'une manière active dans les agissements anticoncurrentiels de KNP Vouwkarton. En s'impliquant de la sorte dans la participation d'une de ses filiales à l'entente, la requérante connaissait et approuvait aussi nécessairement la participation de Badische à l'infraction à laquelle KNP Vouwkarton prenait part.

49.
    La responsabilité de la requérante n'est pas affectée par le fait que le membre deson directoire a cessé d'assister aux réunions des organes du GEP Carton en 1988. En effet, il incombait à la requérante, en sa qualité de société mère, de prendre à l'égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite d'une infraction dont elle n'ignorait pas l'existence. La requérante n'a d'ailleurs pas contesté qu'elle n'a même pas essayé d'empêcher la poursuite de l'infraction.

50.
    Il s'ensuit également que la cession de KNP Vouwkarton à Mayr-Melnhof, avec effet au 1er janvier 1990, n'a pas affecté la responsabilité de la requérante du fait de la poursuite du comportement anticoncurrentiel de Badische.

51.
    Le moyen tiré d'une erreur d'appréciation de la Commission doit donc également être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une erreur d'appréciation de la durée de la participation à l'entente de Badische

Arguments des parties

52.
    La requérante fait valoir que Badische a cessé de participer à l'entente à la fin de l'année 1989. Bien que la Commission reconnaisse que Badische s'est retirée, à cette date, des réunions des organes du GEP Carton, elle aurait toutefois considéré que la requérante était responsable de la participation de Badische à l'entente jusqu'en avril 1991.

53.
    Le seul fait que Badische a reçu d'un agent commercial indépendant, sans les avoir demandées, des informations sporadiques sur les initiatives en matière de prix sur le seul marché du Royaume-Uni ne suffirait pas pour considérer qu'elle a continué de participer activement à l'entente. Par ailleurs, il ressortirait de l'article 1er, neuvième tiret, de la décision que ce n'est qu'à partir du début de l'année 1990 que les producteurs de carton ont adopté, de plus en plus fréquemment, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché.

54.
    La Commission se réfère au point 162 des considérants de la décision, selon lequel Badische appliquait toujours les initiatives en matière de prix au moment où la Commission a mené son enquête. Dès lors, Badische devrait être considérée comme ayant participé à l'entente même après qu'elle se fut retirée des organes du GEP Carton. La référence, au même point des considérants, au fait qu'elle avait probablement obtenu des renseignements sur les initiatives prévues au Royaume-Uni par l'intermédiaire de son agent anglais ne serait donc qu'accessoire.

Appréciation du Tribunal

55.
    Il a déjà été constaté (voir ci-dessus points 45 à 50) que la Commission a imputé à bon droit le comportement infractionnel de Badische à la requérante.

56.
    Celle-ci reconnaît que, après qu'elle eut quitté les organes du GEP Carton à la fin de l'année 1989, elle a néanmoins continué à recevoir des informations sur les initiatives en matière de prix.

57.
    Elle ne conteste pas, par ailleurs, qu'il ressort des tableaux F et G annexés à la décision que, en avril 1990 et en janvier 1991, elle a augmenté les prix de son carton GD en Allemagne et au Royaume-Uni au même niveau que ceux appliqués par les entreprises ayant participé aux organes du GEP carton jusqu'au mois d'avril 1991.

58.
    Il apparaît ainsi que, de propos délibéré, elle a continué à tirer avantage d'activités contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où elle ne pouvait ignorer l'origine collusoire des informations qu'elle utilisait.

59.
    La Commission a donc considéré à juste titre, au point 162, sixième alinéa, des considérants de la décision, que la requérante devait être «considérée comme partie à l'infraction jusqu'au moment des vérifications», c'est-à-dire jusqu'aux 23 et 24 avril 1991.

60.
    Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

Sur la demande d'annulation ou de réduction du montant de l'amende

Sur le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision quant à la fixation du montant de l'amende

Arguments des parties

61.
    La requérante estime que la décision ne permet pas, nonobstant le niveau général relativement élevé des amendes, de comprendre la manière dont la Commission a concrètement fixé le montant de l'amende prononcée contre elle. En outre, si le Tribunal devait conclure que l'infraction n'est pas établie sur un ou plusieurs points, la base sur laquelle l'amende a été calculée serait affectée.

62.
    Dans son mémoire en réplique, la requérante souligne que le défaut d'indication précise des éléments pris en considération pour le calcul de l'amende ne lui a pas permis d'étayer le présent moyen. La Commission ne pourrait donc contester la recevabilité de celui-ci au motif qu'il n'aurait pas été suffisamment développé dans la requête. En effet, aussi longtemps que la Commission n'avait pas fourni d'indications relatives, notamment, au chiffre d'affaires retenu pour calculer l'amende, à la période retenue à cet égard, et à l'influence d'éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes, elle n'aurait pas été en mesure de présenter des observations plus détaillées.

63.
    La Commission fait valoir que le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'amende est irrecevable en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête ne contenant aucun exposé dudit moyen.

64.
    Subsidiairement, elle rappelle que les points 167 à 172 des considérants de la décision contiennent un exposé détaillé des éléments pris en considération pour calculer les amendes. En toute hypothèse, elle estime qu'elle n'est pas tenue d'établir une sorte de «catalogue» des amendes.

Appréciation du Tribunal

65.
    Il y a lieu de considérer que le présent moyen est recevable. En effet, dans sa requête, la requérante a soutenu expressément, bien que de façon très sommaire, que la décision est insuffisamment motivée sur «la manière dont la Commission a concrètement établi l'amende». La Commission a d'ailleurs répondu en se référant aux points 167 à 172 des considérants de la décision.

66.
    Le moyen en cause doit donc être examiné.

67.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 51).

68.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

69.
    De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

70.
    Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des «chefs de file» de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des «membres ordinaires» de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises, dont la requérante, peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

71.
    Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la

décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

72.
    Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

73.
    Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des «chefs de file» et à celles considérées comme des «membres ordinaires» ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, dont la requérante, d'autre part.

74.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 264).

75.
    En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme

la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

76.
    La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision par le membre de la Commission en charge de la politique de la concurrence. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

77.
    Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147/89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151/89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

78.
    Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

79.
    Dans les circonstances particulières relevées au point 77 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une

violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

80.
    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

Sur les moyens tirés, d'une part, d'une erreur d'appréciation ayant consisté à qualifier la requérante de «chef de file» de l'entente et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation à cet égard

Arguments des parties

81.
    La requérante soutient qu'elle a été considérée à tort comme l'un des «chefs de file» de l'entente (point 170 des considérants de la décision).

82.
    La Commission aurait supposé que le PWG et la PC avaient accepté d'être présidés par le représentant de la requérante en considération de la puissance du groupe KNP. Or, la requérante ne serait qu'un petit producteur de carton qui a «fourni» un président au PWG à la demande de ses collègues, et pour une durée limitée à un an. Postérieurement, ce mandat aurait été, à la demande de ses collègues, prorogé d'une année. En outre, celui qui était aussi le codirecteur de KNP Vouwkarton aurait été choisi pour occuper cette fonction en raison de sa «neutralité» et de ses connaissances linguistiques. Au surplus, il n'aurait présidé, avec certitude, que quatre des huit réunions du PWG tenues au cours de sa présidence.

83.
    En conséquence, la position occupée par le membre de son directoire ne démontrerait pas que la requérante ait joué un rôle de moteur de l'entente.

84.
    Par ailleurs, la décision serait insuffisamment motivée, car elle ne ferait pas apparaître explicitement s'il a été tenu compte de la courte durée de la présidence du PWG. La Commission indiquerait dans son mémoire en défense qu'elle s'est fondée, aux fins du calcul de l'amende, sur la constatation selon laquelle la requérante devait être considérée comme l'un des chefs de file également pour la période postérieure à 1988. Or, cette constatation serait erronée, la décision ayant précisé que la requérante ne devait être considérée comme l'un des chefs de file que «pendant la durée de sa participation au PWG» (point 170 des considérants de la décision).

85.
    La Commission estime que la requérante a été considérée comme l'un des chefs de file de l'entente en raison de sa participation au PWG, voire de sa présidence de cet organe.

86.
    Son rôle de chef de file serait confirmé par des documents (pour l'essentiel des procès-verbaux provenant du GEP Carton) annexés au mémoire en duplique, dans lesquels figure le nom du membre de son directoire.

87.
    Enfin, la Commission aurait eu conscience de la durée limitée de la participation de la requérante aux réunions du PWG. Cependant, il n'aurait pas été raisonnable de tenir compte de cette circonstance lors du calcul de l'amende, étant donné qu'elle n'aurait appliqué l'augmentation de l'amende infligée à la requérante, au motif que celle-ci était l'un des chefs de file, qu'en ce qui concerne la participation de KNP Vouwkarton.

Appréciation du Tribunal

88.
    Aux termes du point 170, premier alinéa, des considérants de la décision, «les 'chefs de file‘, c'est-à-dire les principaux fabricants de carton ayant pris part aux réunions du PWG (Cascades; Finnboard; [Mayr-Melnhof]; MoDo; Sarrió et Stora) doivent porter une responsabilité particulière, car ce sont manifestement eux qui ont pris les principales décisions et qui ont été les moteurs de l'entente».

89.
    Selon le deuxième alinéa du même point, la requérante doit «aussi être considéré[e] comme l'un des chefs de file de l'entente pendant la durée de sa participation au PWG», soit jusqu'au milieu de l'année 1988 (point 36, deuxième alinéa, des considérants). La décision précise que le représentant de la requérante a présidé la PC et le PWG «à un moment critique».

90.
    De plus, elle décrit amplement le rôle central du PWG dans l'entente (notamment, points 36 à 38 et 130 à 132 des considérants).

91.
    Il apparaît ainsi que la décision contient une motivation suffisante des raisons pour lesquelles la requérante a été considérée par la Commission comme un «chef de file».

92.
    Quant au bien-fondé de cette motivation, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas avoir participé aux réunions du PWG ni même en avoir assuré la présidence pendant les deux premières années de l'entente. Elle ne conteste pas non plus la réalité de l'objet essentiellement anticoncurrentiel du PWG ni celle des comportements anticoncurrentiels constatés par la Commission.

93.
    Dès lors, la requérante a été qualifiée à juste titre de «chef de file» aux fins du calcul de l'amende, son comportement réel au sein du PWG et les raisons invoquées pour l'accession à la présidence de cet organe n'affectant en rien la constatation de la Commission.

94.
    Au vu des considérations qui précèdent, la requérante n'a toutefois pu être qualifiée de «chef de file» et, partant, sanctionnée à ce titre, que pour la période allant du milieu de l'année 1986 jusqu'au milieu de l'année 1988. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'examen du moyen tiré d'erreurs

commises lors du calcul de l'amende infligée à la requérante (ci-après points 101 et suivants).

95.
    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

Sur le moyen tiré d'erreurs commises lors du calcul de l'amende infligée à la requérante

Arguments des parties

96.
    La requérante fait valoir que, lors du calcul du montant de l'amende, la Commission aurait dû tenir compte de la part de marché insignifiante de Badische et de sa participation marginale à l'infraction à partir de la fin de l'année 1989 (point 162 des considérants de la décision), participation limitée au Royaume-Uni.

97.
    En outre, la sanction infligée tiendrait erronément compte de la participation de ses deux filiales à l'entente pour toute la période d'infraction, soit du milieu de l'année 1986 jusqu'à avril 1991. Sur ce point, elle souligne qu'il est indiqué à l'article 1er de la version en néerlandais de la décision qu'elle a participé à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de l'année 1988, et non pas au milieu de l'année 1986. Elle demande au Tribunal de tirer d'office les conclusions de cette erreur apparente.

98.
    Lors de l'audience, le représentant de la requérante a indiqué que l'un des chiffres retenus pour calculer l'amende ne correspondait pas au chiffre d'affaires effectivement réalisé par Badische. En effet, la Commission aurait tenu compte du chiffre d'affaires réalisé par Badische sur le marché communautaire du carton en 1989, alors qu'elle aurait dû, en application des critères généraux retenus pour le calcul des amendes, tenir compte du chiffre d'affaires réalisé sur ce même marché en 1990. De plus, elle aurait à tort tenu compte des ventes de carton internes au groupe.

99.
    La Commission soutient avoir tenu compte, lors du calcul de l'amende, de la part de marché minime de Badische puisque les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires des entreprises concernées.

100.
    Elle souligne que l'erreur contenue dans la version en néerlandais de la décision relative au moment où remonte l'entente ne saurait échapper à un lecteur attentif, ce qui est confirmé, affirme-t-elle, par le fait que la requérante n'a fait mention decette erreur que dans son mémoire en réplique.

101.
    Enfin, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a produit un tableau détaillant le calcul des amendes infligées aux entreprises destinataires de la décision. Ce document fait apparaître que, avant réduction, le montant de l'amende infligée à la requérante était constitué par la somme de deux chiffres, à savoir, d'une part, le chiffre résultant de l'application du taux de 9 % au chiffre

d'affaires réalisé par KNP Vouwkarton multiplié par 42/60 — correspondant à la durée de la participation à l'infraction de KNP Vouwkarton —, et, d'autre part, le chiffre résultant de l'application du taux de 7,5 % au chiffre d'affaires réalisé par Badische multiplié par 60/60 — correspondant à la durée de la participation à l'infraction de Badische. Le montant total a ensuite fait l'objet d'une réduction d'un tiers.

102.
    A l'audience, la Commission a déclaré avoir calculé le montant de l'amende à partir de deux chiffres, à savoir les chiffres d'affaires réalisés respectivement par KNP Vouwkarton et Badische, en 1989, sur le marché communautaire du carton.

103.
    Elle a expliqué que, en ce qui concerne KNP Vouwkarton, elle avait dérogé au critère de l'année de référence, soit 1990, afin de tenir compte de la vente de cette société à Mayr-Melnhof dans le courant de cette même année. Elle a par ailleurs déclaré avoir retenu, aux fins de la détermination du montant de l'amende, le chiffre d'affaires réalisé par Badische en 1989 (19 millions d'écus) et non celui de 1990 (15 millions d'écus) au motif qu'une fermeture permanente de l'une de ses installations serait survenue au cours de l'automne de l'année 1989.

Appréciation du Tribunal

104.
    Ainsi que cela a été constaté (ci-dessus points 45 à 50), la Commission a tenu à bon droit la requérante pour responsable du comportement infractionnel de KNP Vouwkarton et de Badische. Elle a également considéré à juste titre que la requérante avait participé à l'entente du milieu de l'année 1986 jusqu'à avril 1991 (ci-dessus points 55 à 60).

105.
    Il s'ensuit que les arguments de la requérante tirés d'une appréciation erronée de sa participation à l'entente doivent être écartés.

106.
    Doit également être écarté l'argument tiré d'une erreur contenue à l'article 1er de la version en néerlandais de la décision, selon lequel la requérante a participé «à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1988». En effet, le dispositif de la décision devant être compris à la lumière de l'exposé de ses motifs (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 122 à 124), il convient de relever qu'il ressort clairement de ceux-ci que la Commission entendait retenir, à l'égard de la requérante, une participation à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986. Il résulte d'ailleurs du mémoire introductif d'instance de la requérante (point 8, dans lequel il est fait référence au point 162 des considérants de la décision) que c'est en ce sens également qu'elle a compris la décision attaquée.

107.
    Il y a lieu de rappeler que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur

le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les chefs de file de l'entente et aux autres entreprises. L'application effective de ces niveaux de base a été confirmée par la Commission lors de la procédure contentieuse et, notamment, dans sa réponse à une question écrite posée par le Tribunal.

108.
    Dans le cas de la requérante, l'argument tiré de la part de marché insignifiante de Badische ne saurait être retenu. En effet, la Commission a pris en compte, comme pour les autres entreprises, le chiffre d'affaires réalisé sur le marché communautaire du carton. Ce faisant, elle a apprécié la taille et la puissance économique réelles de Badische sur celui-ci. Cependant, dans la mesure où elle a retenu le chiffre d'affaires de Badische réalisé en 1989 et non celui, moins élevé, réalisé en 1990 (ci-dessus point 103), comme le principe d'égalité de traitement l'exigeait, le montant de l'amende infligée à la requérante devra être réduit. Il convient d'ajouter, à cet égard, que la Commission ne saurait déroger dans un cas spécifique, sans fournir aucune explication sur ce point dans la décision, aux critères généralement pris en compte afin de déterminer le montant des amendes. En effet, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci. La décision ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge communautaire, sauf circonstances exceptionnelles qui ne sont pas réunies en l'espèce (voir, notamment, arrêt Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, précité, point 131).

109.
    Les explications relatives à la fixation du montant de l'amende infligée à la requérante, produites par écrit sur demande du Tribunal, font également apparaître qu'un taux de 9 % a été appliqué au chiffre d'affaires réalisé en 1989 par KNP Vouwkarton pour l'ensemble de la période pendant laquelle cette société avait été détenue par KNP, soit jusqu'au 1er janvier 1990, nonobstant le fait qu'aucun représentant de KNP n'avait participé aux réunions du PWG après le milieu de l'année 1988.

110.
    Dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal ainsi que lors de l'audience, la Commission a toutefois proposé une méthode alternative de calcul de l'amende. Selon cette autre méthode, l'amende serait calculée en appliquant aux chiffres d'affaires de KNP Vouwkarton et de Badische un taux de base de 9 % pour la période pendant laquelle la requérante avait été l'un des «chefs de file» de l'entente, et, pour la période d'infraction restante, un taux de base de 7,5 %.

111.
    Il doit être constaté que seule cette seconde méthode est conforme aux indications du point 170, deuxième alinéa, des considérants de la décision, selon lequel la requérante doit être considérée «comme l'un des chefs de file de l'entente pendant la durée de sa participation au PWG». Il devra donc être tenu compte de cette constatation lors de la fixation du montant de l'amende.

112.
    Enfin, s'agissant des ventes de carton internes au groupe, force est de constater que la requérante n'a fourni aucun élément de preuve susceptible de démontrer que la Commission aurait dû ne pas en tenir compte lors du calcul de l'amende.

113.
    Il résulte de tout ce qui précède que le montant de l'amende infligée à la requérante doit être réduit.

114.
    Aucun des moyens invoqués par la requérante autres que celui tiré d'erreurs commises lors du calcul de l'amende infligée à la requérante ne justifiant une réduction, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixera le montant de cette amende à 2 700 000 écus.

Sur les dépens

115.
         Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par la Commission et que celle-ci supportera l'autre moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) est fixé à 2 700 000 écus.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par la Commission.

4)    La Commission supportera la moitié de ses propres dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le néerlandais.