Language of document : ECLI:EU:T:2016:453

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (1)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accord conclu entre un titulaire de brevets et une entreprise de médicaments génériques – Amendes – Sécurité juridique – Principe de légalité des peines – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Durée de l’enquête de la Commission »

Dans l’affaire T‑460/13,

Sun Pharmaceuticals Industries Ltd, anciennement Ranbaxy Laboratories Ltd, établie à Vadodara (Inde),

Ranbaxy (UK) Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

représentées par M. R. Vidal, Mme A. Penny, solicitors, et M. B. Kennelly, barrister,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. C. Vollrath, Mme F. Castilla Contreras et M. B. Mongin, en qualité d’agents, assistés de M. D. Bailey, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2013) 3803 final de la Commission, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 22 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Ranbaxy Laboratories Ltd était une société de droit indien spécialisée dans le développement et la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (ci-après les « IPA ») génériques ainsi que de médicaments génériques. Le 25 mars 2015, elle a cessé d’exister, à la suite de sa fusion avec la société de droit indien Sun Pharmaceuticals Industries Ltd.

4        Ranbaxy (UK) Ltd est une société de droit anglais qui était une filiale de Ranbaxy Laboratories, chargée de la vente des produits de cette dernière au Royaume-Uni. Elle est désormais une filiale de Sun Pharmaceuticals Industries.

 Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

5        Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant un IPA dénommé citalopram.

6        En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

7        En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, ces brevets ont expiré en janvier 2002.

8        Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

9        En particulier, premièrement, en 1998 et 1999, Lundbeck a introduit auprès de l’OEB deux demandes de brevets concernant la production du citalopram par des procédés utilisant respectivement de l’iode et de l’amide. L’OEB a délivré à Lundbeck un brevet protégeant le procédé utilisant l’amide (ci-après le « brevet sur l’amide ») le 19 septembre 2001 et un brevet protégeant le procédé utilisant l’iode (ci-après le « brevet sur l’iode ») le 26 mars 2003.

10      Deuxièmement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram, qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites dans d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation (ci-après les « brevets sur la cristallisation ») dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni. L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé, soit un brevet valable six ans, concédé sans examen préalable.

11      Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur un IPA dénommé escitalopram (ou S-citalopram), pour le milieu de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

 Accord conclu par Lundbeck avec Ranbaxy Laboratories

12      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec des entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont Ranbaxy Laboratories.

13      L’accord pertinent en l’espèce (ci-après l’« accord litigieux »), conclu entre Lundbeck et Ranbaxy Laboratories, a pris effet le 16 juin 2002, pour une durée de 360 jours. En vertu d’un addendum signé le 19 février 2003 (ci-après l’« addendum »), cet accord a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2003. La durée globale de celui-ci est dès lors comprise entre le 16 juin 2002 et le 31 décembre 2003 (ci-après la « période pertinente »).

14      Aux termes du préambule de l’accord litigieux (ci-après le « préambule »), est indiqué ce qui suit :

–        Ranbaxy Laboratories a demandé en Inde deux brevets de procédé concernant le citalopram et a produit des médicaments contenant du citalopram avec l’intention de les mettre sur le marché, notamment dans l’EEE (deuxième et troisième considérants du préambule ainsi qu’annexe A de l’accord litigieux) ;

–        Lundbeck a soumis à des tests de laboratoire ce citalopram et en a conclu que les procédés utilisés pour le produire violaient le brevet sur l’amide et le brevet sur l’iode, ce dernier n’ayant pas encore été concédé (voir point 9 ci-dessus), alors que Ranbaxy Laboratories conteste l’existence de telles violations (cinquième à huitième considérants du préambule) ;

–        Lundbeck et Ranbaxy Laboratories sont parvenues à un accord afin d’éviter un litige en matière de brevets qui serait coûteux et chronophage et dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue (neuvième considérant du préambule).

15      Aux termes de l’accord litigieux, notamment, est indiqué ce qui suit :

–        « [s]ous réserve des conditions et des paiements de la part de Lundbeck prévus dans [cet accord], Ranbaxy Laboratories ne revendique aucun droit sur la [d]emande de [b]revet [visée dans le préambule] ou sur toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories et annule, arrête et renonce à la fabrication ou à la vente de produits pharmaceutiques basés sur celles-ci [notamment dans l’EEE] pendant la durée de cet accord » [point 1.1 de l’accord litigieux (ci-après le « point 1.1 ») et point 1.0 de l’addendum] ;

–        « en cas de violation des obligations prévues [au point] 1.1 ou à la demande de Lundbeck », Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) acceptent de se soumettre aux injonctions provisoires adoptées par les juridictions nationales compétentes, sans que Lundbeck doive fournir un dépôt de garantie ou un engagement autre que ceux découlant de cet accord (point 1.2 de l’accord litigieux) ;

–        compte tenu de l’accord intervenu entre les parties, Lundbeck paie à Ranbaxy Laboratories un montant de 9,5 millions de dollars des États-Unis (USD), par tranches échelonnées pendant la période pertinente (point 1.3 de l’accord litigieux et point 2.0 de l’addendum) ;

–        Lundbeck vend à Ranbaxy Laboratories ou à Ranbaxy (UK) des comprimés de Cipramil (voir point 11 ci-dessus), avec une remise de 40 % sur le prix hors usine, afin que celles-ci les vendent sur le marché du Royaume-Uni (point 1.3 et annexe B de l’accord litigieux) ;

–        Lundbeck et Ranbaxy Laboratories s’engagent, pendant la période pertinente, à ne pas introduire d’actions en justice l’une contre l’autre fondées sur n’importe quel brevet visé plus haut dans l’accord litigieux lui-même (point 1.4 de l’accord litigieux).

 Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

16      Au mois d’octobre 2003, la Commission des Communautés européennes a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

17      Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, des États membres autres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

18      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

19      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché des médicaments innovants et génériques à usage humain.

20      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait la version intégrale dudit rapport d’enquête, en tant qu’« annexe technique », sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

21      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé une procédure à l’égard de Lundbeck.

22      Au cours de l’année 2010 et de la première moitié de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux autres sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont Sun Pharmaceuticals Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK).

23      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard notamment des entreprises de génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

24      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

25      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

26      Le conseiller-auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

27      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

28      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que l’accord litigieux, tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituait une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, commise par Lundbeck ainsi que par Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) (ci-après, prises conjointement, « Ranbaxy ») (article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée).

29      Ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1174 de la décision attaquée, à cette fin, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion de l’accord litigieux, Lundbeck et Ranbaxy étaient des concurrents à tout le moins potentiels au sein de l’EEE ;

–        en vertu de l’accord litigieux, Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Ranbaxy ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Ranbaxy des limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement de Ranbaxy de ne pas produire et de ne pas vendre son citalopram dans l’EEE pendant la période pertinente, que ce fût au moyen de ses propres filiales ou par le biais de tiers ;

–        ce transfert de valeur dépassait considérablement les profits que Ranbaxy aurait pu obtenir par la vente du citalopram générique qu’elle avait produit jusqu’alors ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Ranbaxy à la suite de l’accord litigieux allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        l’accord litigieux ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Ranbaxy dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec son citalopram générique après l’expiration de l’accord litigieux.

30      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). Si, à l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeurs des ventes du produit concerné réalisées par cette entreprise (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée), en revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 de celles-ci, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

31      Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Ranbaxy, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférée en vertu des accords en cause, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée).

32      En ce qui concerne Ranbaxy, la Commission a considéré que le montant total que celle-ci avait reçu de Lundbeck correspondait à la somme des paiements prévus par l’accord litigieux et son addendum, soit 9,5 millions de USD, plus la valeur de la remise de 40 % sur l’achat du Cipramil auprès de Lundbeck, dont Ranbaxy avait bénéficié en vertu de cet accord (voir point 15, quatrième tiret, ci-dessus), estimée s’élever à 3 millions de livres sterling (GBP). Converti en euros, ce montant total était de 12,7 millions (considérant 587 de la décision attaquée). Pour tenir compte, cependant, des frais de distribution exposés par Ranbaxy, la Commission a appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci, découlant de la distribution du Cipramil acheté à Lundbeck (considérant 1373 et note en bas de page n° 2264 de la décision attaquée). Le montant de base a ainsi été fixé à 11,5 millions d’euros (considérant 1374 de la décision attaquée).

33      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

34      Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 10 323 000 euros solidairement à Ranbaxy Laboratories et à Ranbaxy (UK) (article 2, paragraphe 4, de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

35      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 août 2013, les requérantes, Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK), ont introduit le présent recours.

36      La phase écrite de la procédure a été close le 18 juillet 2014.

37      Le 27 novembre 2014, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, les parties ont été invitées à formuler par écrit leurs observations concernant les éventuelles conséquences sur la présente affaire de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204).

38      Les parties ont répondu à cette question dans le délai imparti.

39      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, a invité la Commission à déposer un document et a posé aux parties des questions pour réponse écrite.

40      Les parties ont déféré à ces mesures dans le délai imparti.

41      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 22 octobre 2015.

42      Par lettre du 9 décembre 2015, les requérantes ont informé le Tribunal du fait que Ranbaxy Laboratories avait cessé d’exister à la suite de sa fusion avec Sun Pharmaceuticals Industries.

43      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée, en ce qu’il les concerne ;

–        annuler l’article 2, paragraphe 4, de la décision attaquée, en ce qu’il leur inflige une amende ou, à titre subsidiaire, réduire le montant de celle-ci ;

–        condamner la Commission aux dépens.

44      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

45      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent quatre moyens, tirés, en substance, le premier, du fait que l’accord litigieux ne constitue pas une restriction par objet, le deuxième, de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la concurrence potentielle, le troisième, de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’interprétation de l’accord litigieux et, le quatrième, du caractère injustifié et disproportionné de l’amende.

46      Il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen, ensuite le troisième, puis le premier et, enfin, le quatrième.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la concurrence potentielle

47      Les requérantes contestent l’appréciation, effectuée par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle, à l’époque de la conclusion de l’accord litigieux, elles devaient être considérées comme étant des concurrents potentiels de Lundbeck, notamment aux motifs que les brevets originaires avaient expiré, qu’elles avaient développé leurs propres procédés de production de l’IPA du citalopram, qu’elles pouvaient obtenir, dans un futur proche, une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM »), au sens de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), qu’elles avaient exploré la possibilité de devenir un fournisseur d’IPA pour Lundbeck et ensuite cherché d’autres acheteurs pour leur IPA.

48      La Commission conteste les arguments des requérantes.

49      Avant d’examiner en détail ces arguments, il convient de rappeler brièvement l’analyse de la concurrence potentielle effectuée dans la décision attaquée, en particulier en ce qui concerne les requérantes, et de formuler des observations liminaires concernant la jurisprudence portant sur cette concurrence, sur la charge de la preuve ainsi que sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal.

 Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

50      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

51      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration prochaine du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une AMM, qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

52      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises de génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première entreprise de génériques qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi les entreprises de génériques sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

53      Dans le cadre de ces phases de concurrence potentielle, les entreprises de génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

54      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises de génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Dès lors, la Commission n’a eu aucun doute sur le fait que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords en cause.

55      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise de génériques concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché.

56      Enfin, la Commission a observé que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché. Au considérant 635 de la décision attaquée, elle a identifié en l’espèce huit voies d’accès possibles au marché :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son intermédiaire, afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé de Lundbeck ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

57      En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et les requérantes au moment de la conclusion de l’accord litigieux, la Commission, aux considérants 1090 à 1118 de la décision attaquée, a relevé, notamment, que ces dernières :

–        avaient commencé à développer un procédé pour produire du citalopram déjà en 2001 ;

–        avaient eu des contacts avec Lundbeck à ce sujet dans le but de lui vendre leur produit ;

–        avaient cherché à vendre leur produit à d’autres entreprises de génériques en soutenant que celui-ci ne violait aucun brevet et avait soutenu la même position auprès de Lundbeck, notamment lors d’une réunion ayant eu lieu le 17 avril 2002 ;

–        avaient demandé en Inde des brevets concernant leur procédé ;

–        avaient entamé les démarches nécessaires pour obtenir une AMM couvrant leur produit.

 Principes et jurisprudence applicables

–       Concurrence potentielle

58      Il convient de relever que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

59      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et des contextes économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 58 supra, EU:T:2012:332, point 85).

60      Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 58 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

61      Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 58 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

62      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 59 supra, EU:T:2011:181, point 169).

63      Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

64      S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 58 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

–       Charge de la preuve

65      Il ressort de l’article 2 du règlement n° 1/2003 ainsi que d’une jurisprudence constante que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

66      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

67      En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

68      En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

69      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

70      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

71      Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

72      Lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 65 supra, EU:T:2013:188, point 99 et jurisprudence citée).

–       Portée du contrôle exercé par le Tribunal

73      Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par les requérantes à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

74      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments des requérantes.

 Sur l’aspect temporel de la concurrence potentielle

75      Les requérantes font valoir que, à la différence de ce que soutient la Commission, aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée et dans ses écritures devant le Tribunal, la concurrence potentielle n’a pas débuté plusieurs années avant l’expiration des brevets originaires. Elles avancent qu’une telle approche crée un décalage de huit ans ou plus entre le début du processus concurrentiel et l’entrée effective sur le marché des concurrents, ce qui ne serait pas acceptable.

76      La Commission conteste les arguments des requérantes.

77      À cet égard, il y a lieu de constater que les démarches nécessaires pour obtenir les AMM et pour préparer l’entrée sur le marché relèvent de la concurrence potentielle, lorsqu’elles sont accomplies par des entreprises de génériques ayant effectué des investissements importants en termes de ressources humaines et économiques dans le but de lancer leur médicament générique.

78      Cette concurrence potentielle est protégée par l’article 101 TFUE. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir les démarches indispensables pour préparer le lancement d’un médicament générique, dont l’obtention d’une AMM, et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin, pour arrêter ou simplement ralentir ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu ou subirait des retards significatifs, et ce aux frais des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce.

79      Cette approche est conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770, point 108). En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP (voir point 7 ci-dessus) lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a, en substance, considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des parties requérantes dans l’instance en cause étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle démarre avant l’expiration des brevets est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

80      Dans la décision attaquée, indépendamment de ses affirmations générales concernant les activités des producteurs d’IPA qui précèdent de plusieurs années l’expiration du brevet protégeant un IPA, la Commission a examiné en détail les démarches que les requérantes avaient effectuées pour préparer leur entrée sur le marché jusqu’à la signature de l’accord litigieux, tout en les situant dans le contexte qui s’était créé du fait que les brevets originaires avaient expiré ou expireraient dans un futur proche dans de nombreux pays de l’EEE (voir point 7 ci-dessus).

81      Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que, au jour de la conclusion de l’accord litigieux, les requérantes se trouvaient dans une situation de concurrence potentielle avec Lundbeck. Partant, les présents arguments doivent être rejetés, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir dans quelle mesure les éventuelles activités des requérantes remontant à une période précédant de plusieurs années l’expiration des brevets originaires étaient, à elles seules, pertinentes.

 Sur le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 et les autres éléments de preuve utilisés par la Commission

82      Les requérantes font valoir que le seul élément concret de preuve sur lequel la Commission s’est appuyée pour l’évaluation de la concurrence potentielle dans la décision attaquée consiste dans le compte rendu, rédigé par Lundbeck, d’une réunion entre ces deux entreprises ayant eu lieu le 17 avril 2002 (ci-après le « compte rendu de la réunion du 17 avril 2012 »). Or, celui-ci, d’une part, témoignerait de la simple intention des requérantes d’entrer sur le marché, et non de leur capacité à le faire, et, d’autre part, n’aurait pas de valeur probante, dès lors qu’il ne présenterait que la position de force exagérée que les requérantes voulaient montrer à Lundbeck dans le cadre des négociations ayant abouti à la signature de l’accord litigieux. La Commission aurait dû examiner la situation dans sa globalité, de manière objective, ce qui l’aurait conduite à conclure que les requérantes étaient dans l’incapacité d’entrer sur le marché.

83      La Commission conteste les arguments des requérantes.

84      À cet égard, en premier lieu, il convient d’examiner si le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 constitue un élément de preuve au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 69 et 70 ci-dessus.

85      Dans ce contexte, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a mis en exergue notamment au considérant 1096 de la décision attaquée, il résulte du compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, dont le texte est cité au considérant 1095 de la même décision, que, à cette occasion, les requérantes ont soutenu ce qui suit auprès de Lundbeck :

–        elles disposaient d’un procédé qui ne violait pas les brevets de Lundbeck ;

–        Lundbeck avait connaissance de ce procédé ;

–        elles avaient l’intention d’introduire des demandes d’AMM pour le Royaume-Uni et l’Allemagne, où elles avaient leurs propres filiales, et s’attendaient à recevoir leurs AMM dans un délai de huit mois ;

–        elles s’approchaient de la conclusion d’un accord avec une autre entreprise de génériques, qu’elles n’ont pas identifiée, mais que Lundbeck croyait être Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co. (ci-après « Tiefenbacher ») ou une société du groupe dirigé par Merck KGaA, par lequel elles comptaient faire en sorte que leur IPA entrât sur le marché de l’Europe septentrionale dans un délai de trois à quatre mois ;

–        leur capacité de production était de 4,5 tonnes d’IPA par an dans le monde entier ;

–        elles étaient prêtes à conclure un accord avec Lundbeck.

86      De même, il doit être relevé que, selon ce compte rendu, Lundbeck savait qu’un tel accord pouvait être cher et difficile, notamment du point de vue du droit de la concurrence.

87      Pourtant, Lundbeck a décidé de conclure l’accord litigieux, ce qui démontre qu’elle a pris au sérieux la menace que les requérantes constituaient selon le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002. Au demeurant, un mois après cette réunion, Lundbeck continuait à craindre que les requérantes pussent entrer sur le marché en août 2002 par le biais de Tiefenbacher, ainsi que cela résulte du courriel interne du 21 mai 2002, cité notamment au considérant 1097 de la décision attaquée.

88      Dans ce contexte, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 62 et 63 ci-dessus, la perception que Lundbeck avait des requérantes est un élément qui peut être pris en considération, bien qu’il ne suffise pas, à lui seul, pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle.

89      En ce qui concerne la possibilité que la perception de Lundbeck ait été affectée par la réussite d’un « coup de bluff » de la part des requérantes, il convient de relever, tout d’abord, que Lundbeck était une entreprise expérimentée, qui avait suivi depuis longtemps les démarches des entreprises de génériques concernant le citalopram (voir, notamment, considérants 172 à 183 de la décision attaquée).

90      À l’égard des requérantes, le suivi de la part de Lundbeck avait été particulièrement attentif, dès lors que, entre janvier et juillet 2001, elles avaient eu des contacts fréquents, dans le but affiché d’explorer la possibilité que Lundbeck, qui rencontrait des difficultés à produire suffisamment de citalopram, utilisât l’IPA des requérantes, alors qu’il s’agissait en réalité d’une stratégie dilatoire de la part de Lundbeck (voir considérants 549 à 552 de la décision attaquée). De plus, au mois de mai 2002, Lundbeck a appris que les requérantes avaient introduit en Inde deux demandes de brevet et, après avoir analysé les schémas de réaction des requérantes, elle a considéré que ces demandes pouvaient être en conflit avec les brevets sur l’amide et sur l’iode (voir considérants 560 à 564 de la décision attaquée).

91      Enfin, même à la suite de la signature de l’accord litigieux, Lundbeck ne s’est jamais plainte d’avoir été victime d’une ruse, mais, comme cela résulte du considérant 206 de la décision attaquée, s’est réjouie, au mois de décembre 2002, d’avoir obtenu le report du lancement du citalopram générique, attendu pour le premier trimestre de 2002, ce qui créait des conditions positives pour le développement des ventes de son nouveau médicament, le Cipralex (voir point 11 ci-dessus). Elle a même voulu proroger cet accord jusqu’au 31 décembre 2003 par la signature de l’addendum, le 19 février 2003. Or, en l’absence de toute preuve à cette fin, il n’est pas crédible que les requérantes aient pu leurrer Lundbeck pendant une aussi longue période.

92      Par ailleurs, en ce qui concerne le fait que le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 a été rédigé par Lundbeck, il doit être observé que cette circonstance n’a pas d’incidence sur sa valeur probante. En effet, l’accord litigieux a été considéré comme étant une infraction par objet commise non seulement par les requérantes, mais également par Lundbeck. Dès lors, il s’agit d’un document désavantageux également à l’égard de cette dernière.

93      En outre, ce compte rendu précède la conclusion de l’accord litigieux et le début de l’enquête de la Commission, si bien qu’il a été rédigé in tempore non suspecto.

94      À cet égard, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains à la date à laquelle l’accord litigieux a été conclu (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée). En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les évènements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de cet accord. D’autre part, les parties à cet accord ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure l’accord litigieux.

95      C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission s’est placée au moment où cet accord a été conclu pour évaluer la situation concurrentielle entre les requérantes et Lundbeck, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs peuvent également être pris en compte pour autant qu’ils permettent de mieux établir quelle était la position de ces entreprises à l’époque, de confirmer ou d’infirmer les thèses de celles-ci à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à l’accord litigieux.

96      Dès lors, il y a lieu de retenir que le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 est un élément de preuve très pertinent sur lequel la Commission pouvait à juste titre se fonder.

97      En second lieu, il convient de noter que la Commission a tenu compte également d’autres éléments, dont le fait que les brevets originaires avaient expiré.

98      S’agissant du brevet originaire sur l’IPA, il doit être relevé que, ainsi que la Commission l’a mis en évidence notamment au considérant 127 de la décision attaquée, où elle a cité un extrait du plan d’activité de Lundbeck pour l’année 1999, celle-ci craignait que les entreprises de génériques pussent entrer sur le marché avec du citalopram en concurrençant le Cipramil après l’expiration dudit brevet.

99      De même, ainsi que cela résulte notamment des considérants 150 et 634 de la décision attaquée, en réponse à des questions de la Commission antérieures à l’envoi de la communication des griefs, Lundbeck a reconnu que, après l’expiration des brevets originaires, les entreprises de génériques auraient pu produire du citalopram en suivant les procédés visés par ceux-ci, bien qu’ils ne fussent pas très efficients.

100    Le fait que, dans la réponse à la communication des griefs, Lundbeck soit revenue sur cette position n’est pas susceptible de remettre en cause la force probante de ces éléments, un tel revirement ayant été effectué in tempore suspecto (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, EU:T:2008:255, point 509).

101    En outre, il résulte des documents cités aux considérants 382 et 482 ainsi qu’à la note en bas de page n° 1640 de la décision attaquée que Tiefenbacher estimait qu’il était possible de produire du citalopram selon un procédé correspondant à l’un de ceux visés par les brevets originaires.

102    De même, il ressort du considérant 158 de la décision attaquée que, dans le cadre du litige opposant une autre entreprise de génériques à Lundbeck, un conseiller de cette dernière a reconnu que Matrix utilisait l’un des procédés visés par lesdits brevets « de manière plus efficace que ce qu[’ils avaient] pensé qu’[elle] pourrait le faire ». Cela démontre qu’il était possible de produire du citalopram générique en se fondant sur les procédés visés par lesdits brevets, même si celui-ci pouvait éventuellement être de moindre qualité ou être plus difficile à produire à une échelle industrielle qu’en utilisant les procédés couverts par les nouveaux brevets de Lundbeck.

103    En tout état de cause, même s’il n’était pas possible d’utiliser à l’échelle industrielle les procédés visés par les brevets originaires, il restait possible d’adapter ces procédés afin de les rendre plus efficaces. À cet égard, il résulte du considérant 150 de la décision attaquée que Lundbeck a admis que, au cours de la période comprise entre 2002 et 2004, il existait plusieurs procédés pour produire le citalopram qui étaient différents de celui visé par le brevet sur la cristallisation.

104    Au vu de ces évaluations provenant d’entreprises expérimentées dans le secteur économique concerné, la Commission pouvait à juste titre considérer que l’expiration des brevets originaires était un facteur important dans le cadre de l’appréciation de la concurrence potentielle. Le fait, à le supposer avéré, qu’aucune entreprise de génériques n’ait demandé d’AMM concernant du citalopram produit selon les procédés visés par ces derniers brevets ne remet pas en cause ce constat, mais signifie, tout au plus, que ces entreprises préféraient travailler avec du citalopram produit selon des procédés plus rentables.

105    S’agissant plus spécifiquement des démarches entreprises par les requérantes pour préparer leur entrée sur le marché avec leur citalopram générique, premièrement, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 550 à 552 et 1091 de la décision attaquée, les requérantes avaient commencé à développer un procédé pour produire du citalopram déjà en janvier 2001 et avaient été en contact avec Lundbeck afin de devenir un fournisseur d’IPA pour cette dernière, qui rencontrait des difficultés à en produire suffisamment. Il résulte du document cité aux considérants 552 et 1091 de la décision attaquée que, lorsque, en juillet 2001, Lundbeck les a informées qu’elle ne souhaitait pas acheter les 400 kg d’IPA qu’elles lui avaient proposés, les requérantes en étaient particulièrement déçues au motif que, pendant toute la période précédente, au cours de laquelle Lundbeck leur avait fait croire avoir un intérêt pour leur IPA, elles avaient délibérément renoncé à d’autres possibilités qui se présentaient.

106    Deuxièmement, aux considérants 566 et 1092 de la décision attaquée, la Commission a retenu, tout d’abord, que les requérantes avaient fourni des données techniques concernant leur IPA à un client potentiel en Italie au mois de décembre 2001, suivies, au premier semestre de 2002, par l’envoi de 16 kg d’IPA. Ensuite, en janvier 2002, un client potentiel en France avait également reçu des données techniques. Enfin, en 2002, les requérantes avaient envoyé une petite quantité d’IPA à un client potentiel suédois.

107    Troisièmement, aux considérants 554, 557 et 1093 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les requérantes avaient eu des contacts avec l’entreprise de génériques dont la société faîtière était Arrow Group A/S (ci-après « Arrow »), d’abord en janvier, puis en avril 2002. Ces contacts se sont terminés par une offre concrète à Arrow portant sur la vente de 500 à 1000 kg d’IPA.

108    Quatrièmement, il doit être rappelé que la Commission a également relevé, au considérant 1094 de la décision attaquée, que, le 14 juin 2002, soit deux jours avant de conclure l’accord litigieux, les requérantes avaient déposé, auprès de la Medicines Control Agency [agence de contrôle des médicaments du Royaume-Uni, laquelle a été absorbée, en 2003, par la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (agence de régulation des médicaments et des produits de protection de la santé du Royaume-Uni) (ci-après, de manière globale, l’« autorité du Royaume-Uni compétente »)], la fiche maîtresse du médicament (Drug Master File) de leur IPA, qui pouvait constituer la base pour le dépôt d’une demande d’AMM auprès de cette autorité.

109    Enfin, il y a lieu d’observer que, comme la Commission l’a mis en avant au considérant 584 de la décision attaquée, en juillet 2002, les requérantes ont vendu une petite quantité de leur IPA au client italien avec lequel elles avaient été en contact quelques mois plus tôt (voir point 106 ci-dessus). Or, dès lors que les requérantes étaient en mesure de vendre une petite quantité d’IPA juste après la conclusion de l’accord litigieux, elles disposaient à tout le moins d’une possibilité réelle et concrète de le faire auparavant. Par ailleurs, il convient de noter que, à supposer même que, ainsi que les requérantes l’ont soutenu lors de l’audience, en faisant référence à leur réponse à la communication des griefs, l’envoi d’une petite quantité d’IPA à un client potentiel ne constitue pas une véritable vente, mais revient plutôt à la fourniture d’un échantillon, une telle démarche, qui est préparatoire à de véritables ventes, relève de la concurrence potentielle. L’argument des requérantes selon lequel l’envoi d’échantillons visait seulement à « appâter » des clients potentiels et n’était donc pas une démarche concurrentielle ignore la différence entre la concurrence potentielle et la concurrence effective.

110    Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, d’une part, le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 est un élément disposant d’une valeur probante très élevée et, d’autre part, la Commission a apprécié l’existence d’une concurrence potentielle sur la base non seulement de ce compte rendu, mais également d’autres éléments de preuves pertinents.

111    Dès lors, les arguments des requérantes doivent être rejetés.

 Sur le délai nécessaire afin que l’IPA des requérantes soit couvert par une AMM

112    Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission, en dépit de leurs déclarations reprises dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, n’aurait pas dû considérer qu’elles disposaient de la possibilité d’obtenir, dans un délai de huit mois, une AMM pour du citalopram générique produit selon leurs procédés. Elles n’auraient pas non plus pu faire en sorte, dans un délai de trois à quatre mois, qu’une AMM déjà existante appartenant à d’autres entreprises de génériques fût étendue audit citalopram générique, dès lors qu’une telle extension n’aurait été possible qu’à la suite d’une modification d’importance majeure de cette AMM, dite de « type II », au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 541/95 de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par l’autorité compétente d’un État membre (JO L 55, p. 7) (ci-après la « modification de type II »). En réalité ces délais auraient été bien plus longs, ainsi que le démontrerait le fait qu’elles n’ont obtenu une AMM qu’en janvier 2004, c’est-à-dire après l’expiration de l’accord litigieux. Ainsi, à défaut de ventes possibles de leur part, ledit accord n’aurait pu restreindre aucune concurrence.

113    La Commission conteste les arguments des requérantes.

114    À titre liminaire, il y a lieu d’observer que les considérations exposées aux points 77 à 110 ci-dessus permettent de rejeter ces arguments comme inopérants.

115    En effet, d’une part, il a été établi que les démarches que les requérantes ont accomplies pour préparer leur entrée sur le marché avec du citalopram générique, y compris en ce qui concerne le processus nécessaire pour obtenir des AMM, étaient pertinentes aux fins de l’appréciation de la concurrence potentielle. D’autre part, ces démarches ont été prises au sérieux par Lundbeck, qui a décidé de conclure un accord avec les requérantes, qu’elle percevait comme une menace concurrentielle en ce qui concerne la vente du citalopram.

116    Dans ces circonstances, il importe peu de savoir si les procédures nécessaires pour que ces AMM soient concédées pouvaient aboutir dans les délais envisagés par les requérantes, tels qu’ils résultent notamment du compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, ou plus tard.

117    À cet égard, à supposer même que les requérantes aient sous-estimé la durée de la période nécessaire pour obtenir une AMM, premièrement, il convient de noter que Lundbeck a néanmoins ressenti une pression concurrentielle exercée de la part de celles-ci, au point qu’elle a cru être dans son intérêt de les payer pour limiter, voire exclure, leur accès au marché pendant la période pertinente.

118    Deuxièmement, ce paiement a forcément rendu moins pressant le besoin des requérantes d’accélérer au maximum la procédure pour la délivrance d’une AMM, dès lors que, par la conclusion de l’accord litigieux, elles s’étaient garanti des bénéfices importants à leur échelle, en contrepartie de cette limitation ou exclusion. Le fait que, en raison d’un « reformatage » du dossier, invoqué par les requérantes, celles-ci aient déposé leur demande d’AMM en août 2002, alors que, selon les constatations de la Commission figurant à la note en bas de page n° 1887 de la décision attaquée, tous les résultats des tests pertinents avaient été transmis depuis l’Inde en juin, confirme qu’elles n’étaient plus particulièrement pressées d’obtenir une AMM, après la conclusion de l’accord litigieux.

119    Troisièmement, si l’aboutissement de cette procédure est indispensable pour qu’une concurrence effective puisse exister, le chemin pour y parvenir, lorsqu’il est emprunté par une entreprise préparant sérieusement, depuis longtemps, son entrée sur le marché, relève de la concurrence potentielle, bien qu’il puisse en réalité requérir une période plus étendue que celle envisagée par les intéressés.

120    En tout état de cause, en premier lieu, il convient de relever que, selon l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2001/83, les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la durée de la procédure pour l’octroi d’une AMM n’excède pas un délai de 210 jours à compter de la présentation d’une demande valide. Ainsi, dans l’hypothèse où les requérantes auraient présenté une demande contenant toutes les précisions nécessaires, les autorités compétentes auraient dû la traiter dans un délai même plus bref que celui de huit mois mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002.

121    Les requérantes soutiennent, certes, que le délai de 210 jours prévu par l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2001/83 est suspendu lorsque l’autorité compétente considère qu’une demande n’est pas valable et invite l’entreprise concernée à lui soumettre des informations complémentaires et font valoir qu’aucune des procédures d’octroi relatives aux quatorze demandes d’AMM qu’elles ont introduites entre 2002 et 2004 auprès de l’autorité du Royaume-Uni compétente n’a duré moins d’un an et que certaines ont nécessité plusieurs années.

122    Cependant, il y a lieu d’observer que les requérantes sont seules responsables du caractère plus ou moins complet des demandes d’AMM qu’elles introduisent.

123    À cet égard, il résulte de la réponse d’une autre entreprise de génériques à une question posée par la Commission pendant la procédure administrative, produite devant le Tribunal, que le délai prévu pour l’octroi d’une AMM concernant du citalopram générique se situait entre sept et huit mois.

124    De plus, lorsqu’elle a rédigé le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, Lundbeck n’a pas inséré de remarque pour indiquer que le délai de huit mois envisagé par les requérantes n’était pas réaliste.

125    Il s’ensuit que les requérantes disposaient d’une possibilité réelle et concrète d’obtenir une AMM pendant la période pertinente, ce qui suffisait, dans les circonstances de l’espèce, pour exercer une pression concurrentielle sur Lundbeck.

126    En second lieu, il doit être rappelé que les requérantes admettent qu’elles disposaient également de la possibilité d’acheter une AMM existante ou de vendre leur IPA à une entreprise de génériques disposant déjà d’une AMM, ces deux options nécessitant cependant que ces AMM soient soumises à une modification de type II.

127    S’il est vrai que les requérantes soutiennent qu’elles n’étaient pas intéressées par de telles hypothèses, il y a cependant lieu de constater que, ainsi que cela a été relevé aux points 105 à 107 et 109 ci-dessus, avant de conclure l’accord litigieux, les requérantes avaient effectué plusieurs démarches pour vendre leur IPA, et non pour vendre des produits finis réalisés à partir de celui-ci. Le fait que la vente de produits finis puisse avoir été plus rentable n’empêche pas de considérer que la vente de l’IPA était une possibilité réelle et concrète pour les requérantes de concurrencer Lundbeck, ainsi que cela avait été mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002.

128    En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la modification de type II nécessaire à cette fin aurait pris plus longtemps que la période de trois à quatre mois mentionnée dans ledit compte rendu, premièrement, il y a lieu de noter qu’un tel délai correspond, en substance, à celui que les requérantes ont indiqué dans leur réponse à la communication des griefs. À ce propos, il est évident qu’elles n’avaient aucune raison de « bluffer » la Commission, comme il est allégué.

129    Deuxièmement, un tel délai coïncide avec celui que, selon un document interne figurant au dossier de la Commission et produit devant le Tribunal, Lundbeck avait envisagé à l’égard d’une modification de type II qu’une autre entreprise de génériques aurait pu introduire.

130    Troisièmement, ainsi que la Commission l’a mis en avant dans la note en bas de page n° 1885 de la décision attaquée, ledit délai est compatible avec les statistiques de l’autorité du Royaume-Uni compétente concernant la durée des procédures ayant trait à des modifications de type II, que la Commission a produites devant le Tribunal, dont il découle que, entre mars 2001 et février 2002, la plupart de ces procédures étaient menées à bien dans une période de 90 jours.

131    À cet égard, il est certes vrai que, comme cela résulte des explications introductives de ces statistiques, ladite période a été calculée à partir du dépôt d’une demande complète, sans tenir compte des suspensions dues à des demandes d’informations supplémentaires, ce que les parties ont d’ailleurs reconnu dans leurs réponses écrites à une question du Tribunal.

132    Toutefois, ainsi que la Commission l’a mis en exergue en réponse à la question susmentionnée, l’autorité du Royaume-Uni compétente a confirmé que, pendant la période visée par les statistiques en cause, 50 % des demandes de modifications de type II soumises avaient été traitées dans un délai maximal de 90 jours. En effet, dans 40 % des cas, aucune demande d’informations supplémentaires n’avait été émise et, dans 10 % des cas, l’envoi d’une telle demande n’avait pas rallongé la procédure au-delà dudit délai.

133    Ces statistiques confirment donc qu’il existait une possibilité réelle et concrète de modifier une AMM existante afin qu’elle visât le citalopram produit selon les procédés des requérantes dans un délai de l’ordre de celui mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, dès lors que leur demande de modification pouvait rentrer dans l’une des hypothèses visées au point 132 ci-dessus.

134    Par ailleurs, il doit être noté que, si les explications fournies par l’autorité du Royaume-Uni compétente datent d’après la signature de l’accord litigieux et même d’après l’adoption de la décision attaquée, étant donné qu’elles ont été établies aux fins de la procédure devant le Tribunal, elles se réfèrent à la situation qui prévalait à l’époque des négociations de l’accord litigieux et apportent des précisions en ce qui concerne l’interprétation d’éléments figurant dans la décision attaquée. Ainsi, ces explications peuvent être prises en considération aux conditions visées au point 95 ci-dessus.

135    Quatrièmement, les requérantes elles-mêmes, en réponse à la question écrite du Tribunal susmentionnée, ont invoqué des statistiques de l’Agence européenne des médicaments (EMA), portant sur les années 2002 et 2003, dont il résulte que moins d’un tiers des demandes de modification de type II étaient traitées dans un délai supérieur à 120 jours. Ces statistiques confirment, aux conditions visées au point 95 ci-dessus, que le délai envisagé dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 était une possibilité réelle et concrète qui permettait, dans les circonstances de l’espèce, d’exercer une pression concurrentielle sur Lundbeck.

136    Par ailleurs, le fait que les requérantes avaient déjà pris contact avec plusieurs autres entreprises de génériques qui pouvaient avoir un intérêt pour leur IPA prive de toute crédibilité leurs arguments, avancés notamment en réponse à une question écrite du Tribunal, selon lesquels (voir points 105 à 107, 109 et 127 ci-dessus) le délai nécessaire pour obtenir une modification de type II devrait être augmenté pour tenir compte du temps qui leur était nécessaire pour repérer des partenaires commerciaux disposant d’une AMM susceptible de faire l’objet d’une telle modification.

137    Eu égard aux considérations qui précèdent, il doit être conclu que les arguments des requérantes concernant le délai nécessaire pour obtenir une AMM sont inopérants (voir points 114 à 119 ci-dessus) et, en tout état de cause, non fondés, dès lors qu’ils ne remettent pas en question le fait que le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 mentionnait des possibilités réelles et concrètes d’obtenir une AMM permettant de lancer sur le marché le citalopram produit selon le procédé des requérantes.

 Sur la présomption de validité des brevets sur l’amide et sur l’iode

138    Les requérantes font valoir qu’elles nourrissaient d’importantes incertitudes au sujet de la compatibilité de leur procédé avec les brevets sur l’amide et sur l’iode, qui bénéficieraient d’une présomption de validité. Ainsi, la Commission n’aurait pas prouvé que, à défaut de conclure l’accord litigieux, elles seraient entrées sur le marché à leurs risques et périls.

139    La Commission conteste les arguments des requérantes.

140    À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a certes reconnu que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, Rec, EU:C:1974:114, point 9). Cependant, elle a également établi que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par les dispositions de l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (voir, en ce sens, arrêt Centrafarm et de Peijper, précité, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

141    De même, la Cour a établi que, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, EU:C:1986:75, point 26). Par la même occasion, la Cour a précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité de celui-ci (arrêt Windsurfing International/Commission, précité, EU:C:1986:75, point 92).

142    À la lumière des principes découlant de cette jurisprudence, il y a lieu d’observer que la présomption de validité dont bénéficie tout brevet ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. Dès lors, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée « à risque » n’étant pas illégale en soi. Par ailleurs, il eût été possible, en cas d’action en contrefaçon intentée par Lundbeck contre les entreprises de génériques, que ces dernières contestent la validité du brevet dont se prévalait Lundbeck, par le biais d’une action reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé invoqué, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 76 de la décision attaquée. Par exemple, il ressort des éléments de preuve figurant aux considérants 157 et 745 de la décision attaquée que Lundbeck estimait elle-même cette probabilité à hauteur de 50 à 60 % en ce qui concerne le brevet sur la cristallisation.

143    Ainsi, il y a lieu d’examiner la question de savoir si la Commission a prouvé que les requérantes, après avoir effectué de nombreuses démarches afin de préparer leur entrée dans un futur proche sur le marché avec du citalopram dans plusieurs pays de l’EEE (voir points 90, 105 à 107 et 109 ci-dessus), étaient prêtes, lors de la conclusion de l’accord litigieux, à courir les risques que cette entrée comportait, si Lundbeck ne les avait pas payées pour rester en dehors du marché, en leur garantissant par là même un retour sur les investissements déjà consentis, et ce sans qu’elles aient à courir le moindre risque.

144    À cet égard, premièrement, il convient de noter que les requérantes elles-mêmes admettent que, avant la conclusion de l’accord litigieux, elles estimaient avoir des possibilités de l’emporter en cas de contentieux les opposant à Lundbeck, dans le cadre d’une éventuelle action en contrefaçon fondée sur les brevets sur l’amide et sur l’iode. S’il peut être accepté qu’elles n’aient pas eu de certitudes à ce sujet, il doit néanmoins être rappelé que, tant lors de la réunion du 17 avril 2002 que dans le préambule de l’accord litigieux, elles ont soutenu que leurs procédés ne violaient pas les brevets de Lundbeck. En particulier, il convient de noter que, ainsi que cela résulte notamment des huitième et neuvième considérants de l’accord litigieux, les requérantes n’ont jamais admis que les procédés qu’elles utilisaient, qui correspondaient à leurs demandes de brevet en Inde, violaient les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, mais voulaient éviter des litiges dont l’issue ne pouvait pas être prévue avec une certitude absolue.

145    Deuxièmement, il convient d’observer que la circonstance selon laquelle, en l’espèce, Lundbeck a accepté de conclure un accord prévoyant des paiements de sa part en faveur des requérantes constitue un élément de preuve pertinent qui, en combinaison avec les autres éléments mentionnés ci-dessus, permet d’établir que Lundbeck n’était pas sûre de l’emporter en cas de contentieux. Les requérantes admettent d’ailleurs qu’il existait une incertitude sur ce point, bien qu’elles fassent valoir que cette incertitude ne suffisait pas pour établir qu’elles étaient des concurrents potentiels de Lundbeck. Ces considérations, qui sont conformes aux principes découlant de la jurisprudence rappelée au point 63 ci-dessus, permettent de rejeter l’argument des requérantes, évoqué formellement dans le cadre du troisième moyen, mais qu’il convient de traiter à présent, par lequel elles contestent que le fait que Lundbeck leur a payé un montant total équivalent à 12,7 millions d’euros permet de conclure que celle-ci doutait d’obtenir gain de cause dans le cadre d’actions en justice visant à démontrer que le citalopram des requérantes contrefaisait ses brevets sur l’amide et sur l’iode et à confirmer la validité de ceux-ci.

146    À cet égard, il est certes vrai que Lundbeck, dès janvier 2002, avait commencé à introduire des actions en justice contre des entreprises de génériques, ainsi que le font valoir les requérantes. Toutefois, il s’agissait, comme le souligne la Commission, de réagir à des entrées sur le marché avec des IPA produits prétendument en violation du brevet sur la cristallisation, ainsi que cela résulte du considérant 185 de la décision attaquée, alors que les procédés utilisés par les requérantes étaient susceptibles de contrefaire uniquement les brevets sur l’amide et sur l’iode. En tout état de cause, mis à part le fait qu’il n’était pas certain que Lundbeck demandât des injonctions à l’encontre des requérantes, encore était-il moins certain que, même dans une telle hypothèse, elle obtînt de telles injonctions. En effet, ainsi que cela résulte dudit considérant ainsi que des notes en bas de pages nos 389 et 390 de la décision attaquée, plusieurs demandes de mesures provisoires introduites par Lundbeck contre d’autres entreprises de génériques avaient été déboutées.

147    Troisièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel elles étaient particulièrement inquiètes du brevet sur l’iode au motif qu’il n’avait pas encore été concédé et qu’elles n’en connaissaient donc pas encore la portée exacte, il y a lieu d’observer, à l’instar de la Commission, que, pour cette même raison, les requérantes ne pouvaient pas être sûres du fait que ce brevet serait délivré et que leurs procédés violeraient ce brevet.

148    Quatrièmement, ainsi que cela résulte notamment du considérant 1105 de la décision attaquée, avant et après la conclusion de l’accord litigieux, les requérantes ont soutenu auprès de tiers que leurs procédés ne violaient pas les brevets de Lundbeck. Or, il n’est pas crédible qu’elles aient délibérément donné de fausses informations à leurs clients potentiels dans le but de les convaincre d’acheter leur IPA. En effet, un tel comportement les aurait exposées à des actions en dommages-intérêts de la part de ces clients. De plus, l’un d’eux avait reçu de la part des requérantes toute la documentation nécessaire pour étayer le fait que leurs procédés n’étaient pas infractionnels.

149    Cinquièmement, s’il est vrai qu’une entrée sur le marché à leurs risques et périls exposait les requérantes à l’éventualité de devoir payer des dommages-intérêts à Lundbeck, il est également vrai qu’une entrée rapide sur le marché aurait pu comporter des bénéfices élevés. Dans la mesure où les requérantes avaient depuis longtemps commencé à préparer leur entrée sur le marché et où elles n’avaient pas arrêté leurs démarches à cette fin au moment de la signature de l’accord litigieux, il ne peut pas être considéré que, à défaut de la conclusion de celui-ci et de recevoir les paiements qui y étaient prévus, elles auraient renoncé à leur projet.

150    Sixièmement, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission s’est fondée uniquement sur des éléments subjectifs. En effet, c’est sur la base principalement de documents remontant, notamment, à la période antérieure à la conclusion de l’accord litigieux, du texte de celui-ci et du comportement suivi par les parties audit accord que la Commission a apprécié la question de savoir si les requérantes disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché (voir points 82 à 110 ci-dessus). Par ailleurs, en tout état de cause, la prise en compte d’éléments subjectifs, tels que la perception de Lundbeck, pourvu qu’elle puisse être établie sur la base de preuves objectives, est conforme à la jurisprudence (voir points 63 et 64 ci-dessus).

151    Au vu de ces considérations, il y a lieu de rejeter les présents arguments des requérantes.

 Sur les autres arguments des requérantes

152    En premier lieu, les requérantes font valoir que, même après la période pertinente, elles ont préféré conclure un accord de licence avec Lundbeck plutôt que d’entrer sur le marché avec leur propre produit, ce qui confirmerait leur craintes concernant l’infraction des brevets sur l’amide et sur l’iode.

153    La Commission conteste cet argument.

154    Premièrement, il convient de noter que l’accord de licence invoqué par les requérantes est postérieur à la conclusion de l’accord litigieux, si bien qu’il ne peut être pris en compte en tant qu’élément de preuve que dans les conditions mentionnées au point 95 ci-dessus.

155    Deuxièmement, ainsi que le fait observer la Commission, le fait que, en janvier 2004, les requérantes aient pu demander une licence à Lundbeck portant sur le brevet sur l’iode ne signifie pas que, en raison de la crainte d’enfreindre ledit brevet, elles ne pouvaient pas intégrer le marché plus tôt, au lieu de conclure l’accord litigieux. En effet, ledit brevet n’a été concédé que le 23 mars 2003. En outre, la Commission précise que, en janvier 2004, les requérantes avaient menacé d’introduire une action en justice concernant le brevet sur l’iode au Royaume-Uni, ainsi que cela résulte des documents produits par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal. Dans ces circonstances, les requérantes pouvaient estimer que Lundbeck aurait accepté de leur concéder une licence à un prix réduit, qui leur aurait permis de se mettre à l’abri, à faible coût, de tout risque de violation potentielle du brevet sur l’iode.

156    Dès lors, l’accord de licence invoqué par les requérantes n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle les requérantes étaient des concurrents potentiels de Lundbeck au moment de la conclusion de l’accord litigieux.

157    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que le fait que, après l’expiration de l’accord litigieux, elles aient attendu encore cinq mois avant d’entrer sur le marché démontre qu’elles n’étaient pas en mesure de le faire au moment où elles ont signé cet accord. Selon elles, la Commission n’a pas prouvé que, en raison de ce dernier, elles avaient avancé moins rapidement dans la préparation de leur entrée.

158    La Commission conteste ces arguments.

159    Il doit être noté que les arguments soulevés par les requérantes confondent les notions de concurrence potentielle et de concurrence effective, si bien qu’ils peuvent être rejetés en vertu des considérations exposées aux points 77 à 81 ci-dessus.

160    Dans le prolongement du raisonnement exposé aux points 77 à 81 ci-dessus, il convient d’observer que, comme le fait remarquer à juste titre la Commission, en l’absence de l’accord litigieux, les requérantes auraient pu chercher, en 2002, à faire partie des premières entreprises de génériques qui vendaient du citalopram générique, en tant qu’acteurs économiques rationnels attirés par la perspective des bénéfices importants qui étaient liés à une telle entrée précoce. À cet égard, les requérantes elles-mêmes, dans leur réponse à la communication des griefs, ont admis que, après l’expiration de l’accord litigieux (le 31 décembre 2003), d’autres entreprises de génériques avaient déjà acquis 80 % du marché, ce qui avait pour corollaire que le niveau de rentabilité de la version générique du citalopram était bien inférieur à celui de 2002, ainsi que la Commission l’a mis en avant au considérant 211 de la décision attaquée. Cette baisse de rentabilité a fortement réduit l’incitation des requérantes à intégrer le marché aussi rapidement que possible après la fin de l’accord.

161    Dès lors, la date d’entrée effective sur le marché des requérantes n’est pas une indication fiable de l’existence d’une concurrence potentielle au moment de la conclusion de l’accord litigieux, si bien que le présent argument peut être rejeté.

162    Étant donné que les considérations développées ci-dessus suffisent pour considérer que les requérantes avaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché avec leur IPA dans un délai suffisamment court pour qu’elles puissent être qualifiées de concurrents potentiels de Lundbeck, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur leurs arguments concernant la possibilité qu’elles développent d’autres procédés.

163    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’interprétation de l’accord litigieux

164    Dans le cadre du troisième moyen, les requérantes critiquent, notamment, l’interprétation prétendument large de l’accord litigieux retenue dans la décision attaquée, selon laquelle celui-ci a permis à Lundbeck, en contrepartie de paiements élevés, d’obtenir bien plus que ce qu’elle aurait pu obtenir en application de ses brevets sur l’amide et sur l’iode.

165    La Commission conteste les arguments des requérantes.

166    Il y a lieu de commencer l’examen du présent moyen en rappelant que les obligations assumées par les requérantes en vertu de l’accord litigieux sont celles figurant au point 1.1, qui est libellé comme suit :

« Sous réserve des conditions et des paiements de la part de Lundbeck prévus dans [cet accord], Ranbaxy Laboratories ne revendique aucun droit sur la [d]emande de [b]revet [visée dans le préambule] ou sur toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories et annule, arrête et renonce à la fabrication ou à la vente de produits pharmaceutiques basés sur celles-ci [notamment dans l’EEE] pendant la durée de cet accord […] »

167    Notamment au considérant 1121 de la décision attaquée, la Commission a interprété les stipulations du point 1.1 en ce sens que les requérantes s’étaient engagées, pendant la période pertinente, à ne pas produire et à ne pas vendre de citalopram, que ce fût sous forme d’IPA ou de médicament et quel que fût le procédé qu’elles utilisaient.

168    Les requérantes soutiennent que cette interprétation est erronée et que les obligations résultant du point 1.1 donnent lieu à la même situation que celle qui aurait prévalu si Lundbeck avait introduit des actions en justice contre les requérantes sur la base de ses brevets et qu’elle avait toujours obtenu gain de cause.

169    En particulier, elles font valoir que la Commission n’a pas tenu suffisamment compte du fait que l’accord litigieux était soumis au droit suédois et que celle-ci a mal interprété les expressions « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories » et « produits pharmaceutiques » qui figuraient au point 1.1.

 Sur l’incidence du fait que l’accord litigieux est soumis au droit suédois

170    Selon les requérantes, la Commission n’a pas tenu compte des principes juridiques du droit suédois en matière d’interprétation des contrats, alors que l’accord litigieux est soumis à ce droit. Toute interprétation de contrat s’appuierait, en droit suédois, sur le texte lui-même, ainsi que sur le préambule et sur l’intention des parties. Une attention particulière devrait être portée à la signification qui, dans le secteur et dans la réglementation concernés, est normalement attribuée aux termes utilisés dans le contrat à interpréter.

171    La Commission conteste les arguments des requérantes.

172    Premièrement, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 222 et jurisprudence citée) sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (voir point 73 ci-dessus).

173    Deuxièmement, il y a lieu d’observer que, selon l’avis d’un cabinet d’avocats suédois produit par les requérantes en application du droit suédois, le point de départ de toute interprétation est le texte de l’accord lui-même, les termes utilisés devant être pris dans leur contexte et étant précisé que l’intention des parties peut être pertinente. S’il est vrai que cet avis mentionne la possibilité que, pour tenir compte des intentions des parties, un texte soit interprété à l’encontre de son libellé, il ajoute toutefois qu’un tel critère d’interprétation est très rarement appliqué. De plus, il y a lieu de noter que, dans les circonstances de l’espèce, il est évident que les parties ont, à présent, tout intérêt à présenter l’accord litigieux sous un jour réduisant la probabilité qu’il constitue une restriction de la concurrence.

174    C’est au vu de ces principes, dont la Commission ne conteste pas le bien-fondé, qu’il convient d’examiner les arguments des requérantes concernant l’interprétation des deux expressions mentionnées ci-après.

 Sur la signification de l’expression « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories »

175    Notamment aux considérants 1131 à 1137 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’expression « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories » couvrait non seulement la méthode dont les requérantes disposaient lors de la conclusion de l’accord litigieux, mais également celles qu’elles auraient pu développer par la suite, pendant la période pertinente.

176    Les requérantes contestent cette interprétation et font valoir que ladite expression ne vise que les procédés dont elles disposaient déjà lors de la conclusion de l’accord litigieux.

177    En ce qui concerne le libellé dudit point, il convient de noter que l’emploi de l’expression « toute méthode » permet, à elle seule, de considérer qu’il ne s’agissait pas seulement des méthodes que les requérantes utilisaient déjà lorsqu’elles ont signé cet accord et que les méthodes qu’elles auraient pu développer par la suite étaient également visées, ainsi que l’a retenu la Commission dans la décision attaquée.

178    Il convient toutefois de vérifier si d’autres éléments découlant de l’accord litigieux lui-même ou du contexte dans lequel il est intervenu infirment ladite interprétation.

179    À ce sujet, premièrement, les requérantes font observer que le préambule mentionne les demandes de brevet qu’elles avaient déposées en Inde (troisième considérant) ainsi que la conviction de Lundbeck, fondée sur les résultats de certains tests de laboratoires, que ces demandes concernaient des procédés pour produire le citalopram qui violaient ses brevets sur l’amide et sur l’iode (cinquième à septième considérants).

180    Toutefois, il s’agit là d’éléments qui expliquent le contexte dans lequel l’accord litigieux est intervenu, mais qui ne suffisent pas pour remettre en cause le fait que, au vu de son libellé clair, le point 1.1 ne contient pas de limitations concernant les procédés visées par les obligations que les requérantes ont acceptées. Or, si les parties à cet accord avaient voulu limiter la portée de celles-ci aux procédés correspondant aux demandes de brevet des requérantes, elles auraient pu choisir un libellé adapté à cette fin, au lieu d’en choisir un très large, mais qui devrait voir sa portée réduite par une interprétation à la lumière du préambule.

181    Deuxièmement, le contexte dans lequel l’accord litigieux a été conclu confirme l’interprétation du point 1.1 retenue au point 177 ci-dessus. En effet, comme la Commission l’a, en substance, relevé notamment aux considérants 130 à 132, 140, 204 et 206 de la décision attaquée, sans être contredite par les requérantes, Lundbeck voulait retarder l’entrée du citalopram générique sur le marché, afin de créer les meilleurs conditions pour le lancement de son nouveau médicament contenant un IPA protégé par un brevet, c’est-à-dire le Cipralex (voir point 11 ci-dessus).

182    Au vu de cet objectif, il n’est pas envisageable que Lundbeck ait accepté de payer aux requérantes les montants prévus dans l’accord litigieux, si celui-ci leur avait permis de produire et de vendre du citalopram générique au moyen d’autres procédés que ceux visés par leurs demandes de brevet déposées en Inde. En réalité, Lundbeck n’aurait pas conclu un accord onéreux si celui-ci n’avait pas comporté la certitude que les requérantes restassent en dehors du marché avec leur citalopram générique pendant la période pertinente, au cours de laquelle elle voulait commencer à commercialiser le Cipralex.

183    S’il est vrai que les requérantes ne partageaient pas l’objectif de Lundbeck concernant le Cipralex, il n’en reste pas moins qu’elles ne pouvaient pas l’ignorer et, surtout, qu’elles avaient clairement un intérêt à obtenir de Lundbeck des montants certains plutôt que d’affronter les risques que leur entrée sur le marché aurait comportés, comme toute opération commerciale.

184    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que les obligations acceptées par les requérantes aux termes du point 1.1, lus à la lumière également de leur contexte, n’étaient pas limitées au citalopram produit selon les procédés qu’elles utilisaient à l’époque de la signature de l’accord litigieux.

185    Dès lors, il y a lieu de rejeter les arguments avancés par les requérantes, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de la constatation de la Commission figurant au considérant 1133 de la décision attaquée selon laquelle le membre de phrase « pendant la durée de cet accord », qui figure à la fin de la longue phrase de l’accord litigieux citée au point 166 ci-dessus, se réfère à l’expression « toute méthode utilisée par Ranbaxy Laboratories », ce que les requérantes contestent.

 Sur la signification de l’expression « produits pharmaceutiques »

186    Aux considérants 1125 à 1130 de la décision attaquée, la Commission, en rejetant un argument avancé par les requérantes en réponse à la communication des griefs, a interprété l’expression « produits pharmaceutiques », figurant au point 1.1, en ce sens qu’elle incluait non seulement les produits finis à base de citalopram, mais également cet IPA lui-même et les produits en vrac le contenant.

187    Les requérantes contestent cette interprétation en se référant au préambule, qui permettrait de comprendre que le terme « citalopram » est utilisé pour se référer à l’IPA, alors que les termes « produits pharmaceutiques » se réfèrent aux produits finis contenant cet IPA.

188    À cet égard, premièrement, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, il convient de noter que, si les parties à l’accord litigieux avaient voulu limiter l’engagement des requérantes aux seuls produits finis, elles l’auraient explicitement écrit.

189    Deuxièmement, il ne résulte pas de la décision attaquée que Lundbeck ait considéré que l’expression « produits pharmaceutiques », figurant au point 1.1, avait la portée limitée que les requérantes cherchent à lui attribuer.

190    Troisièmement, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 568 de la décision attaquée, le 14 juin 2002, Lundbeck a envoyé aux requérantes, qui avaient déjà signé l’accord litigieux le 11 juin 2002, une lettre d’accompagnement à cet accord (ci-après la « lettre d’accompagnement »), qui était libellée comme suit :

« L’accord est signé par Lundbeck et renvoyé à Ranbaxy sous la condition explicite que le terme ‘produits pharmaceutiques’ couvre également le vrac (bulk) et tout autre forme contenant l’ingrédient actif et que les produits livrés à Ranbaxy en vertu du [point] 1.3 sont seulement pour la vente au Royaume-Uni. »

191    Les requérantes ont signé la lettre d’accompagnement le 17 juin 2002, après que Lundbeck eut signé l’accord litigieux le 16 juin 2002.

192    La lettre d’accompagnement avait donc pour objectif de rendre encore plus explicite le fait que les obligations acceptées par les requérantes en vertu de l’accord litigieux couvrait également le citalopram en vrac (bulk) et sous toute autre forme contenant l’IPA en cause. Or, il y a lieu de retenir qu’une formulation aussi large inclut également l’IPA lui-même.

193    De plus, s’il est vrai que la signification des termes « produit en vrac » (bulk products) dans le secteur pharmaceutique peut se référer à des produits finis non emballés, ainsi que le soutiennent les requérantes, il n’en reste pas moins que le terme « vrac » peut être utilisé pour se référer à un IPA, ainsi que cela résulte notamment de la lettre que Lundbeck a envoyée aux requérantes le 14 janvier 2001, produite devant le Tribunal, et du site Internet des requérantes elles-mêmes, ainsi que la Commission l’a mentionné dans ses écritures devant le Tribunal, sans être démentie par celles-ci.

194    Quatrièmement, l’interprétation de l’expression « produits pharmaceutiques » proposée par les requérantes n’est pas utilement étayée par leur argument selon lequel elles ont vendu ou cherché à vendre leur IPA pendant la période pertinente, tout en confirmant à Lundbeck qu’elles avaient respecté l’accord litigieux, ce qui permettrait de conclure que celui-ci ne leur imposait pas d’obligation concernant l’IPA.

195    Sur ce point, il est certes vrai que, ainsi que la Commission l’a admis au considérant 584 de la décision attaquée, au mois de juillet 2002, c’est-à-dire pendant la période pertinente, les requérantes ont vendu à une entreprise italienne 2,5 kg de leur IPA. Cependant, ainsi que le met en avant, à juste titre, la Commission, tout d’abord, cette quantité est extrêmement réduite au regard des 500 kg d’IPA dont les requérantes disposaient lors de la conclusion de l’accord litigieux. Ensuite, cette vente a eu lieu peu après la signature de cet accord, si bien qu’il est tout à fait envisageable qu’un délégué commercial des requérantes ait honoré une commande passée auparavant. Enfin, et surtout, les requérantes ont dissimulé cette vente à Lundbeck, étant donné que, dans le courriel du 25 octobre 2002 cité au considérant 577 de la décision attaquée, elles ont écrit à Lundbeck ce qui suit :

« Ceci est pour confirmer que nous n’avons vendu aucun citalopram, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, après juin [20]02. »

196    À cet égard, il convient de noter que les requérantes ne sont aucunement crédibles lorsqu’elles soutiennent que, dans le cadre de ce courriel, le terme « citalopram » doit s’entendre comme signifiant « produits finis contenant du citalopram » et qu’il existe dès lors une cohérence entre l’information fournie à Lundbeck et leur comportement. En effet, cette signification du terme citalopram proposée par les requérantes est en contradiction avec celle qu’elles invoquent lorsque ce terme est utilisé au sein de l’accord litigieux, où il signifierait « IPA », et non « produits finis » (voir point 186 ci-dessus).

197    Quant au fait que les requérantes ont eu des contacts avec Arrow, qui pouvait être intéressée par l’achat de leur IPA, il convient de noter que la plupart de ces contacts ont eu lieu avant la période pertinente, ainsi que cela résulte des considérants 554, 557 et 1093 de la décision attaquée. De surcroît, force est de constater que, en réalité, les requérantes n’ont pas vendu d’IPA à Arrow et n’ont pas expliqué la raison pour laquelle ces contacts n’avaient pas abouti. Par ailleurs, il convient également de tenir compte du fait qu’Arrow avait elle aussi conclu un accord avec Lundbeck, visant à limiter son entrée sur le marché avec du citalopram générique.

198    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur en considérant que l’expression « produits pharmaceutiques », figurant au point 1.1 , devait être interprétée en ce sens qu’elle visait le citalopram sous quelque forme que ce soit.

199    Dès lors, ces arguments des requérantes doivent être rejetés.

200    Les autres arguments que les requérantes invoquent dans le cadre du présent moyen, au sujet des paiements prévus par l’accord litigieux, ont été en partie rejetés lors de l’examen du deuxième moyen (voir point 145 ci-dessus) et seront examinés, pour le surplus, dans le contexte du premier moyen. En effet, étant donné qu’ils ont trait, en substance, au rôle des paiements prévus dans l’accord litigieux et aux prétendus effets procompétitifs de celui-ci, ils soulèvent des questions inhérentes à l’existence, en l’espèce, d’une restriction par objet au sens de l’article 101 TFUE, ce qui fait précisément l’objet dudit moyen.

201    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen, sous réserve de l’examen des arguments mentionnés au point 200 ci-dessus.

 Sur le premier moyen, tiré du fait que l’accord litigieux ne constitue pas une restriction par objet

202    Les requérantes font valoir que, compte tenu notamment du caractère prétendument pénal des sanctions prévues par le droit de la concurrence de l’Union et des droits fondamentaux qui doivent être respectés dans ce domaine, la notion de restriction par objet doit être interprétée de manière stricte et être ainsi appliquée uniquement aux comportements dont l’effet anticoncurrentiel est patent sur la base de l’expérience antérieure. La nécessité d’une telle interprétation stricte s’expliquerait par le fait que la qualification d’un accord de restriction par objet donnerait lieu à un renversement de la charge de la preuve, et même à une présomption irréfragable sur le plan pratique. L’accord litigieux ne relèverait pas de cette notion, si bien que la Commission aurait dû en apprécier les effets avant de considérer qu’il était contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

203    Dans leur réponse écrite à la question du Tribunal portant sur l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), les requérantes ont insisté sur le fait que ledit arrêt confirmait la nécessité d’interpréter la notion de restriction par objet de manière stricte et de ne l’appliquer qu’à des accords dont la nature anticoncurrentielle effective, et non seulement potentielle, serait aisément identifiable, sur la base de l’expérience précédemment acquise, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

204    La Commission conteste les arguments des requérantes.

205    Avant d’examiner plus en détail les arguments des requérantes, il y a lieu de formuler des observations liminaires relatives, notamment, à l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), et de rappeler brièvement l’analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, effectuée dans la décision attaquée.

  Observations liminaires

206    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit ce qui suit :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

207    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359 et 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

208    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 207 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

209    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

210    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 207 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

211    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 207 supra, EU:C:2013:160, point 36, et CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 53).

212    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 207 supra, EU:C:2013:160, point 37, et CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 54).

 Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

213    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords en cause constituaient des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords.

214    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords en cause avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires avaient expiré avant la conclusion de ces accords, mais que Lundbeck avait entre-temps obtenu ou demandé plusieurs brevets de procédé, dont ceux sur la cristallisation, sur l’amide et sur l’iode. La Commission a observé, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties à un accord en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci à son titulaire (considérant 638 de la décision attaquée).

215    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords amiables en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé ») (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

216    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords en cause entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché du citalopram générique produit par un procédé jugé par les parties à ceux-ci comme contrefaisant potentiellement ces brevets, sans viser tout citalopram générique, ces accords seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

217    En d’autres termes, selon la Commission, les accords en cause avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties à ces accords, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé prévu qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

218    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de cette disposition, en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

219    En ce qui concerne plus spécifiquement la qualification de l’accord litigieux, les principaux éléments sur lesquels la Commission s’est fondée sont ceux mentionnés au point 29 ci-dessus.

220    C’est à la lumière des principes et des considérations qui viennent d’être exposés qu’il y a lieu d’examiner si, comme le font valoir les requérantes, la Commission a commis des erreurs en concluant que l’accord litigieux était une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

 Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

221    Il convient de rappeler qu’il résulte de l’examen des deuxième et troisième moyens que, d’une part, par l’accord litigieux, les requérantes s’étaient engagées à ne pas entrer sur le marché pendant la période pertinente et, d’autre part, les requérantes étaient des concurrents potentiels de Lundbeck, en dépit des brevets de procédé que celle-ci avait obtenus ou demandés.

222    Or, ainsi que la Commission l’a pertinemment mis en exergue aux considérants 1300, 1331, 1332, 1338, 1361 et 1362 de la décision attaquée, il s’agit là, en substance, d’un accord d’exclusion du marché. Un tel accord se rapproche largement de deux exemples d’accords particulièrement restrictifs visés par la liste non exhaustive contenue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, c’est-à-dire ceux y figurant sous b) et c) (voir point 206 ci-dessus), puisqu’une exclusion du marché est une forme extrême de la volonté de se répartir un marché et de limiter la production.

223    Dès lors, la Commission, qui supporte la charge de la preuve selon la jurisprudence rappelée aux points 65 à 72 ci-dessus, disposait d’éléments suffisants pour qualifier l’accord litigieux de restriction par objet, à moins que d’autres éléments ayant trait à ses objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, ne lui eussent permis d’exclure que celui-ci fût suffisamment nocif pour la concurrence.

224    Il est certes vrai que, comme l’avancent les requérantes, à cette fin, dans la décision attaquée, la Commission s’est référée à l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), qui avait à tort conclu que la notion de restriction par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive.

225    Néanmoins, la Commission s’est également appuyée sur la jurisprudence précédente, que l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), n’a pas remise en cause.

226    Certes, dans l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a rejeté l’analyse du Tribunal effectuée dans l’arrêt CB/Commission, point 224 supra (EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. En effet, elle a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 58).

227    Cependant, il n’en découle pas que la Commission était obligée d’examiner les effets de l’accord litigieux si elle était en mesure d’établir, à suffisance de droit, que celui-ci pouvait être considéré de par son contenu, la portée de ses dispositions et ses objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme suffisamment nocif pour la concurrence (voir points 209 à 211 ci-dessus).

228    Enfin, il y a lieu d’observer que les requérantes font valoir à tort que la notion de restriction de la concurrence par objet donne lieu à une présomption irréfragable. En effet, il résulte de la jurisprudence que l’article 101, paragraphe 3, TFUE, aux termes duquel certains accords ou pratiques concertées entre entreprises peuvent être regardés comme compatibles avec le marché intérieur, a vocation à s’appliquer également à de telles restrictions (voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C‑439/09, Rec, EU:C:2011:649, point 59, et du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T‑17/93, Rec, EU:T:1994:89, point 85).

229    Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner si, comme le soutiennent les requérantes, les conclusions auxquelles la Commission est parvenue en ce qui concerne le contexte dans lequel l’accord litigieux était intervenu remettent en cause la qualification de celui-ci telle que retenue dans la décision attaquée.

–       Sur la qualification de l’accord litigieux de règlement amiable

230    Les requérantes affirment que l’accord litigieux, qui viserait à régler à l’amiable un différend réel entre elles et Lundbeck, doit être considéré comme une manière alternative d’exercer le droit fondamental de faire valoir des droits en justice. Les incertitudes que la décision attaquée créerait quant à la compatibilité de tels accords avec le droit de la concurrence décourageraient le recours à ces formes de règlement amiable, en dépit de leur rationalité des points de vue commercial et économique, et imposeraient de facto aux entreprises de génériques une obligation de contester des brevets qui bénéficieraient pourtant d’une présomption de validité et qui pourraient être déclarés contrefaits par leurs médicaments. Or, dans une telle hypothèse, ces entreprises devraient payer des indemnités colossales et des frais de justice élevés.

231    La Commission conteste les arguments des requérantes.

232    Premièrement, il convient d’observer qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 209 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée). De même, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15).

233    Deuxièmement, il y a lieu de noter que l’accord litigieux n’a réglé aucun litige. En effet, bien que, conformément au point 1.4 de l’accord litigieux, Lundbeck et les requérantes se soient engagées à ne pas introduire d’actions en justice l’une contre l’autre fondées sur n’importe quel brevet visé précédemment dans l’accord litigieux lui-même, cet engagement n’était valable que pendant la période pertinente. En revanche, nulle part dans ledit accord il n’a été prévu que Lundbeck ne s’opposerait pas à l’entrée des requérantes sur le marché après la période pertinente. Cela est d’ailleurs confirmé par la déclaration de Lundbeck reprise au considérant 80 de la décision attaquée, dont il résulte que celle-ci n’estimait pas que les accords en cause, dont l’accord litigieux, mettaient fin à un litige.

234    Troisièmement, il doit être rappelé que, lors de l’examen du troisième moyen, il a été établi que l’accord litigieux avait une portée bien plus étendue que celle des éventuelles actions en justice que Lundbeck aurait pu introduire à l’encontre des requérantes.

235    En tout état de cause, il convient de noter que, à supposer même que le point 1.1, au vu notamment de son contexte, doive être interprété en ce sens que, comme le soutiennent les requérantes, la portée des limitations de leur comportement sur le marché qui en résultaient coïncidait avec la situation qui aurait prévalu si Lundbeck avait introduit des actions en justice à leur égard sur la base de ses brevets et avait toujours obtenu gain de cause, cette circonstance ne signifierait pas que l’accord litigieux ne pourrait pas être qualifié de restriction par objet.

236    En effet, même dans cette hypothèse, les requérantes n’en seraient pas moins des concurrents potentiels de Lundbeck et elles auraient accepté des limitations importantes à leur autonomie commerciale, en contrepartie d’un paiement de la part de celle-ci, fixé en tenant compte des profits attendus en cas d’entrée sur le marché avec le citalopram générique produit selon les procédés dont elles disposaient lors de la conclusion de cet accord, et ce en dépit de l’incertitude qui existait quant à l’issue de l’éventuel contentieux opposant les requérantes et Lundbeck (voir, notamment, points 140 à 150, 216 et 217 ci-dessus).

237    À cet égard, il convient de noter que rien ne prouve que le montant des paiements prévus dans l’accord litigieux ait été établi en tenant compte des coûts qu’aurait comportés un contentieux sur la question de savoir si les procédés des requérantes violaient les brevets sur l’amide et sur l’iode et si ceux-ci étaient valides. Bien au contraire, les profits escomptés par les requérantes ont été un élément déterminant à ce sujet.

238    Si les requérantes soutiennent que l’importance du montant versé par Lundbeck a été établi sur la base d’un exercice de répartition des risques, elles admettent néanmoins ne disposer d’aucune preuve concernant ledit exercice de répartition des risques, prétendument du fait de la longue durée de la procédure.

239    En tout état de cause, lors de l’audience, les requérantes ont fait valoir que le montant de 9,5 millions de USD résultant du point 1.3 de l’accord litigieux et du point 2.0 de son addendum (voir point 15, troisième tiret, ci-dessus) avait été fixé sur la base de facteurs objectifs, tels que les dommages-intérêts auxquels les parties à cet accord auraient été exposées à la suite d’un contentieux en matière de brevets. Or, l’importance de ces dommages-intérêts dépendait nécessairement de celle des profits que ledit groupe aurait pu réaliser par ses ventes de citalopram générique.

240    Également lors de l’audience, les requérantes ont avancé que les profits qu’elles auraient pu obtenir en entrant sur le marché étaient bien plus élevés que la somme de 2 millions de USD mentionnée au considérant 1157 de la décision attaquée en ce qui concerne les 500 kg d’IPA dont elles disposaient déjà, dès lors qu’elles auraient pu facilement produire de l’IPA supplémentaire.

241    Il convient de noter que ces arguments des requérantes, s’ils permettent de douter du fait que le montant de 9,5 millions de USD payé par Lundbeck dépassait largement leurs profits escomptés en cas d’entrée sur le marché, ne remettent toutefois aucunement en cause l’existence d’un lien étroit entre ces profits et ledit montant, lien que la Commission a mentionné au considérant 1158 de la décision attaquée. En effet, la Commission y a souligné que le montant payé par Lundbeck avait probablement été influencé par le fait que les requérantes disposaient d’une capacité de production de citalopram dans le monde entier s’élevant à 4,5 tonnes par an.

242    Quatrièmement, il convient de rappeler que la Commission n’a pas constaté que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant semblait correspondre aux bénéfices escomptés par l’entreprise de génériques, suffisait pour établir une violation des règles du traité sur la libre concurrence en l’espèce. Au contraire, la Commission a estimé que des accords amiables contenant certains paiements, même inversés, n’étaient pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, tant que de tels paiements étaient liés à la force du brevet concerné, telle que perçue par chacune des parties, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab Ltd, avec laquelle Lundbeck avait conclu un accord amiable, qui n’avait pas été considéré comme problématique, alors même qu’il impliquait un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab avait eu lieu en échange d’un engagement de celle-ci à ne pas demander de dommages-intérêts devant les juridictions compétentes et en échange du fait que Lundbeck avait renoncé à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, le paiement inversé avait effectivement eu pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

243    S’il est vrai que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les mêmes parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une entreprise de génériques, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné à ce que Lundbeck versât des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck eut finalement décidé de régler son litige avec Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à obtenir des dommages-intérêts, ce qui avait nécessité d’obtenir au préalable l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck avait préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement à l’accord litigieux, le paiement inversé effectué par Lundbeck ne constituait pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement à ne pas entraver l’entrée sur le marché des génériques.

244    Or, rien de tel ne s’est produit en l’espèce. Partant, la Commission pouvait sanctionner l’accord litigieux sans que cela revînt à exclure toute possibilité que des litiges en matière de brevet fussent réglés à l’amiable, de manière compatible avec le droit de la concurrence.

245    Dans ces circonstances, les arguments des requérantes doivent être rejetés.

–       Sur le prétendu caractère procompétitif de l’accord litigieux

246    Les requérantes font valoir que l’accord litigieux avait un caractère procompétitif, étant donné qu’il prévoyait qu’elles distribuassent le Cipramil de Lundbeck (voir point 15, quatrième tiret, ci-dessus), en tant que produit fini, ce qui permettait aux requérantes de développer des relations avec les grossistes et à Lundbeck d’augmenter les ventes de son produit.

247    À ce sujet, il y a lieu de rappeler que les requérantes sont devenues des distributeurs du Cipramil et ont bénéficié d’une remise de 40 % sur l’achat de celui-ci, en vertu du point 1.3 de l’accord litigieux, c’est-à-dire la même stipulation que celle qui prévoyait les paiements qui constituaient la contrepartie des obligations décrites au point 1.1.

248    Dès lors, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, il ne s’agit aucunement d’un accord de distribution distinct, ayant un caractère procompétitif. En effet, les stipulations sur la distribution faisaient partie intégrante de l’accord litigieux et servaient à compléter la récompense revenant aux requérantes du fait qu’elles s’abstiendraient de produire et de vendre leur propre citalopram pendant la période pertinente, ainsi que Lundbeck l’a admis, selon les documents cités aux considérants 576 et 1152 de la décision attaquée.

249    Par ailleurs, il importe peu que des remises puissent être courantes dans le secteur pharmaceutique, étant donné que celle en cause n’a pas été concédée dans des conditions de concurrence normales. De plus, les requérantes n’expliquent pas quelle pourrait être la raison, autre que la contrepartie des obligations prévues au point 1.1, pour laquelle Lundbeck leur a cédé 10 % de ses ventes de Cipramil au Royaume-Uni, à un prix inférieur de 40 % au prix hors usine de Lundbeck, ce qui constituait une perte pour celle-ci de 3 millions de GBP.

250    Dans ces circonstances, il ne peut pas être considéré que l’accord litigieux avait un caractère procompétitif.

251    Il s’ensuit que les arguments des requérantes ne sont pas fondés.

–       Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

252    Les requérantes contestent le fait que les circonstances de l’espèce puissent être assimilées, comme l’a fait la Commission dans la décision attaquée, à celles qui caractérisaient l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 209 supra (EU:C:2008:643) (ci-après l’« affaire BIDS »). En effet, dans cette dernière affaire, aucune incertitude n’aurait existé sur le fait que les parties à l’accord dont il s’agissait étaient des concurrents ou que la nature objective de celui-ci était de restreindre la concurrence. En revanche, dans la présente affaire, les parties à l’accord litigieux n’auraient pas été des concurrents potentiels, en raison des brevets de Lundbeck, qui bénéficiaient d’une présomption de validité, et du fait que les requérantes ne disposaient pas d’une AMM. Cette absence de concurrence potentielle serait confirmée par le fait que les requérantes n’avaient commencé à vendre leur citalopram que cinq mois après l’expiration de la période pertinente.

253    La Commission conteste les arguments des requérantes.

254    Il convient de rappeler que, aux considérants 657 et 658 de la décision attaquée, la Commission a constaté une analogie entre les accords dont il s’agissait dans l’affaire BIDS et les accords en cause, dont l’accord litigieux.

255    Cette constatation de la Commission doit être approuvée.

256    En effet, ainsi que cela résulte notamment du point 8 de l’arrêt BIDS, point 209 supra (EU:C:2008:643), les entreprises actives sur le marché de la transformation de la viande bovine en Irlande avaient créé un mécanisme en vertu duquel certaines entreprises s’engageaient à rester en dehors dudit marché pendant deux ans en contrepartie de paiements de la part des entreprises qui restaient sur ce marché. Une dynamique analogue s’est produite en l’espèce par la conclusion de l’accord litigieux, en vertu duquel la principale, voire la seule, entreprise présente sur le marché avec du citalopram dans les pays concernés par cet accord a payé les requérantes, qui étaient des concurrents potentiels, afin que celles-ci restassent en dehors du marché pendant une période donnée.

257    Il s’ensuit que, tant dans l’affaire BIDS que dans la présente affaire, il s’agissait d’accords qui avaient limité la faculté d’opérateurs économiques qui se trouvaient dans une situation de concurrence de déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 209 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

258    Certes, à la différence des circonstances qui prévalaient dans l’affaire BIDS, l’accord litigieux a été conclu dans un contexte où Lundbeck possédait des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits les contrefaisant. Il y a lieu de rappeler, néanmoins, que, en l’espèce, l’existence des brevets Lundbeck, notamment ceux sur l’amide et sur l’iode, ne s’opposait pas à ce que les requérantes pussent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen. De même, il est vrai que, dans l’affaire BIDS, les entreprises en cause étaient des concurrents actuels, dans la mesure où il s’agissait de faire sortir du marché concerné des entreprises qui y étaient déjà présentes, alors que, en l’espèce, Lundbeck et les requérantes étaient des concurrents potentiels. Toutefois, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle.

259    En outre, il convient de rappeler que, aux points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a, en substance, mis en exergue le fait que les accords visés par l’affaire BIDS modifiaient la structure du marché et présentaient un degré de nocivité tel qu’ils pouvaient être qualifiés de restriction par objet, alors que tel n’était pas le cas du comportement dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), qui consistait dans l’obligation faite à des banques de payer une redevance ou de limiter leurs activités d’émission de cartes bancaires.

260    À cet égard, il doit être relevé que, à supposer même que les points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), puissent être lus en ce sens que la modification de la structure du marché est une condition sine qua non pour constater l’existence d’une restriction par objet, l’accord litigieux a affecté la structure du marché concerné, dès lors qu’il visait à retarder l’entrée des requérantes sur celui-ci, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions favorables pour lancer le Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil dans le traitement de nombreux patients (voir points 11, 91 et 181 ci-dessus).

261    Par conséquent, c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué par analogie la jurisprudence issue de l’arrêt BIDS, point 209 supra (EU:C:2008:643), si bien que le présent argument des requérantes doit être rejeté.

262    Par ailleurs, les autres arguments des requérantes concernant le manque d’une AMM et la date de leur entrée sur le marché après la période pertinente ont déjà été rejetés dans le cadre du deuxième moyen (voir points 112 à 137 ci-dessus).

–       Sur les intentions des parties à l’accord litigieux

263    Les requérantes font valoir que, pour parvenir à la qualification de l’accord litigieux de restriction par objet, la Commission a attribué une importance excessive à l’intention subjective des parties lors de la conclusion de celui-ci, tandis que la question de savoir si un accord comporte une telle restriction devrait être évaluée de manière objective. Selon les requérantes, s’il est vrai que l’intention subjective des parties peut confirmer l’existence d’une restriction par objet, elle ne peut cependant pas devenir le facteur déterminant à cette fin. Or, en l’espèce, la Commission aurait considéré que les limitations au comportement des requérantes découlant de l’accord litigieux étaient des restrictions par objet au motif que celles-ci n’étaient pas le résultat des appréciations de la force des brevets en cause faites indépendamment par les parties, mais représentaient la contrepartie des paiements que Lundbeck s’était engagée à effectuer, en partageant avec les requérantes les profits dont elle bénéficiait grâce à son monopole dans la vente du citalopram. Un tel critère subjectif donnerait lieu à d’importantes incertitudes et ne pourrait donc pas être utilisé pour établir si un règlement amiable dans le secteur pharmaceutique constitue une restriction par objet.

264    La Commission conteste les arguments des requérantes.

265    À cet égard, d’une part, il doit être rappelé que la jurisprudence sur la notion de restriction par objet admet la prise en compte de l’intention des parties à un accord (voir point 212 ci-dessus), tant que la conclusion de la Commission repose également sur des éléments objectifs.

266    D’autre part, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, l’accord litigieux a été considéré comme comportant une restriction de la concurrence par objet en raison de ses objectifs, de son contenu et du contexte dans lequel il avait été conclu. À cette fin, ainsi que cela résulte de l’examen des deuxième et troisième moyens, la Commission s’est notamment fondée sur des éléments de preuve objectifs, relatifs à des déclarations et à des comportements des parties à cet accord, datant, notamment, d’avant la signature de celui-ci et intervenus donc in tempore non suspecto.

267    Dès lors, les arguments des requérantes doivent être rejetés.

–       Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

268    Les requérantes font valoir que la Commission a eu besoin d’une période de dix ans pour décider que les accords en cause, dont l’accord litigieux, constituaient des restrictions par objet, ce qui serait incompatible avec le caractère patent que ces restrictions doivent avoir. Du reste, la Commission elle-même aurait considéré que de tels accords, qui étaient couramment utilisés depuis longtemps dans l’EEE sans qu’elle fût intervenue, se trouvaient dans une « zone grise », ainsi que cela résulterait d’un communiqué de presse du KFST, du 28 janvier 2004 (ci-après le « communiqué de presse du KSFT »). La portée de la notion de restriction par objet aurait donc été vague à l’époque de la conclusion de l’accord litigieux, si bien que les requérantes n’auraient pas pu comprendre que celui-ci comportait une telle restriction.

269    La Commission conteste les arguments des requérantes.

270    À cet égard, il doit être relevé que, bien avant la date de la conclusion de l’accord litigieux, la jurisprudence s’était prononcée sur l’application du droit de la concurrence dans des domaines caractérisés par la présence de droits de propriété intellectuelle, ainsi que cela résulte notamment des considérations exposées aux points 140, 141 et 232 ci-dessus.

271    Au demeurant, il y a lieu d’observer que Lundbeck était consciente du fait que sa conduite était à tout le moins susceptible de poser des problèmes du point de vue du droit de la concurrence. En effet, elle l’a admis dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 (voir point 86 ci-dessus) ainsi que dans le courriel cité au considérant 188 de la décision attaquée. Cette perception était partagée, par exemple, par l’entreprise de génériques mentionnée au considérant 190 de la décision attaquée. Dès lors, il n’est pas crédible que les requérantes n’aient pas compris que leur comportement posait problème au regard dudit droit.

272    Par ailleurs, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 37 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 37 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

273    En ce qui concerne plus spécifiquement le communiqué de presse du KFST, invoqué par les requérantes, s’il est vrai que ce document fait référence à l’opinion de la Commission quant au caractère anticoncurrentiel des accords en cause, dont l’accord litigieux, il convient de constater qu’il ne s’agit pas d’un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services, mais d’un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence.

274    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les autorités nationales de la concurrence ne peuvent pas faire naître auprès des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreint pas l’article 101 TFUE, dès lors que celles-ci ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence de violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 42 et jurisprudence citée).

275    En outre, ce document précise clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des entreprises de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique.

276    Or, c’est précisément à l’issue de cette enquête, qui lui a permis de se faire une idée plus précise du fonctionnement des accords amiables dans le domaine pharmaceutique, que la Commission a ouvert une procédure sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’encontre de Lundbeck et des entreprises de génériques telles que les requérantes.

277    Enfin et en tout état de cause, il ressort également du communiqué de presse du KFST que tous les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels.

278    Les requérantes ne sauraient donc prétendre que la Commission aurait changé d’avis et que cela l’empêcherait d’appliquer la notion de restriction par objet à l’accord litigieux, dans la mesure où c’est précisément à l’issue d’une enquête approfondie du secteur pharmaceutique que la Commission a pu peaufiner son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent un paiement inversé important.

279    Il s’ensuit que, déjà à l’époque de la conclusion de l’accord litigieux, il était établi que le titulaire d’un brevet n’était pas en droit de payer un concurrent potentiel pour que celui-ci renonçât à plusieurs voire à toutes possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché en contrepartie d’un montant payé par ledit titulaire et fixé en tenant compte des profits escomptés par ce concurrent en cas d’entrée sur le marché. A fortiori, au moment de l’édiction de la décision attaquée, la Commission pouvait considérer qu’il résultait de l’expérience que des accords tels que ceux en cause pouvaient être des restrictions par objet, pourvu que l’examen de sa part du contexte juridique et économique dans lesquels ils avaient été conclus ne s’opposât pas à une telle constatation.

280    Les présents arguments des requérantes doivent donc être rejetés.

–       Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

281    Les requérantes invoquent, en substance, la violation du principe de protection de la confiance légitime, dès lors que la Commission n’aurait pas respecté les lignes directrices sur l’applicabilité de l’article [101 TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2). Celles-ci contiendraient une liste exhaustive des formes de collusion pouvant relever des restrictions par objet, laquelle ne se référerait aucunement à des accords tels que ceux visés dans la décision attaquée.

282    La Commission conteste les arguments des requérantes.

283    Il suffit d’observer, à l’instar de la Commission, que ces lignes directrices ne visaient pas à fournir de définition contraignante et exhaustive des restrictions par objet, mais présentaient seulement des exemples de celles-ci, notamment aux points 18, 25 et 188. Par ailleurs, lesdits points 18 et 25 se réfèrent à des accords visant à se répartir les clients et à limiter la production, auxquels l’accord litigieux s’apparente largement. En effet, l’exclusion d’un concurrent potentiel du marché est une forme extrême de la volonté de se répartir les clients et de limiter la production.

284    Dès lors, la Commission n’a pas violé le principe de protection de la confiance légitime, si bien que les arguments des requérantes ne sauraient prospérer.

–       Sur le refus de Lundbeck d’acheter l’IPA des requérantes

285    Les requérantes soutiennent que, au vu de la situation dans laquelle elles se trouvaient et surtout du fait que Lundbeck leur avait fait croire avoir un intérêt pour leur IPA, alors que tel n’était pas le cas, la seule solution commercialement sensée qui leur restait était de conclure l’accord litigieux.

286    La Commission conteste les arguments des requérantes.

287    Il doit être observé que, au vu des circonstances de l’espèce mises en exergue dans le cadre de l’examen des deuxième et troisième moyens, il ne saurait être considéré que, après que Lundbeck eut dévoilé qu’elle n’était pas intéressée par l’achat de l’IPA des requérantes (voir point 90 ci-dessus), la seule option ouverte à celles-ci consistait à parvenir à un accord qui les empêchait d’entrer sur le marché avec leur citalopram pendant une période donnée, sans garantie de ne pas être poursuivies pour contrefaçon par la suite, et ce en échange de paiements inversés dont le montant dépassait ou à tout le moins correspondait aux profits espérés par elles en cas d’entrée sur le marché.

288    En effet, d’une part, en tant que concurrents potentiels de Lundbeck, les requérantes disposaient d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché. Elles auraient donc pu poursuivre leurs efforts afin de vendre elles-mêmes leur médicament générique ou de devenir les fournisseurs d’IPA d’autres entreprises de génériques. D’autre part, elles auraient pu conclure avec Lundbeck un accord qui ne restreignait pas la concurrence.

289    Par ailleurs, s’il est vrai que l’accord litigieux a constitué une solution avantageuse tant pour les requérantes que pour Lundbeck, il convient de rappeler que la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse s’avérer être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73, et Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220, point 211).

290    Partant, ces arguments ne sauraient prospérer.

–       Sur la jurisprudence américaine

291    Les requérantes se réfèrent à l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis d’Amérique) du 17 juin 2013 [affaire Federal Trade Commission v. Actavis, 570 U. S. (2013)] (ci-après l’« arrêt Actavis »), dans lequel cette juridiction aurait refusé de considérer qu’un accord comparable à l’accord litigieux pût être qualifié de violation « per se » au sens du droit de la concurrence des États-Unis, qui correspondrait au concept de restriction par objet en droit de l’Union, et aurait établi la nécessité d’évaluer cet accord en appliquant une « règle de raison » (rule of reason), ce qui correspondrait à une analyse de ses effets anticoncurrentiels.

292    La Commission conteste les arguments des requérantes.

293    Ces arguments doivent être rejetés.

294    En effet, à supposer même que la lecture de l’arrêt Actavis, point 291 supra, effectuée par les requérantes soit fondée et que l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée ne corresponde pas à celle adoptée par les autorités américaines, il a déjà été jugé qu’une position adoptée par le droit américain ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union et qu’une violation du droit américain ne constitue pas, en tant que telle, un vice susceptible d’entraîner l’illégalité d’une décision adoptée sur le fondement du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, point 1407).

295    En tout état de cause, l’arrêt contenant l’avis majoritaire de la Supreme Court of the United States dans l’affaire Actavis (arrêt Actavis, point 291 supra) – et non l’opinion dissidente du juge Roberts – établit clairement que le fait qu’un accord relève du champ d’application d’un brevet n’exclut pas que cet accord puisse faire l’objet d’une action « antitrust ». La notion de restriction par objet n’existant pas en droit américain et n’étant pas comparable à la règle « per se » en raison de la possibilité de justifier une telle restriction sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, il n’est pas exact d’assimiler la « rule of reason » en droit américain à l’examen des effets en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, comme le proposent les requérantes. Par ailleurs, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, la décision attaquée ne s’appuie pas sur des présomptions, mais sur une analyse des accords, de leur contenu et de leur contexte, avant de conclure qu’ils restreignent la concurrence par leur objet même.

296    À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter tant le premier moyen que les arguments du troisième moyen qui ont été examinés dans le cadre de celui-ci, relatifs au rôle des paiements prévus dans l’accord litigieux et aux prétendus effets procompétitifs de celui-ci. Par ailleurs, l’argument, qu’elles avancent à nouveau dans ce contexte, relatif à un prétendu « coup de bluff » de leur part à l’égard de Lundbeck doit être écarté en vertu des considérations exposées aux points 63, 64 et 84 à 111 ci-dessus.

 Sur le quatrième moyen, tiré du caractère injustifié et disproportionné de l’amende

297    Par leur quatrième moyen, invoqué à titre subsidiaire, les requérantes invitent le Tribunal à constater que l’amende qui leur a été imposée a un caractère injustifié et disproportionné, si bien qu’elle devrait être réduite à zéro ou, à titre encore plus subsidiaire, à un montant inférieur à celui établi par la Commission dans la décision attaquée.

298    Le présent moyen se compose, en substance, de trois branches, tirées, la première, du caractère nouveau de la décision attaquée ainsi que de la violation des principes de sécurité juridique, de légalité des peines, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime, la deuxième, de la violation des lignes directrices de 2006 et, la troisième, de la durée déraisonnable de l’enquête.

299    Avant d’examiner ces branches, il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, Rec, EU:T:2014:92, point 156).

300    Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause (arrêts InnoLux/Commission, point 299 supra, EU:T:2014:92, point 157, et du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, Rec, EU:T:2014:1049, point 352).

301    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, Rec, EU:C:2011:816, point 131).

 Sur la première branche, tirée du caractère nouveau de la décision attaquée ainsi que de la violation des principes de sécurité juridique, de légalité des peines, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime

302    Par la première branche du présent moyen, les requérantes font valoir que la Commission n’aurait pas dû leur imposer d’amende ou, tout au plus, aurait dû se limiter à une amende symbolique, étant donné que, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, il existait une importante ambigüité juridique au regard des accords de règlement amiable prévoyant des paiements inversés. L’interprétation prétendument extensive et nouvelle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE effectuée dans la décision attaquée violerait les principes de sécurité juridique, de légalité des peines (nulla poena sine lege), de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime.

303    La Commission conteste les arguments des requérantes.

304    Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, les principes de légalité des peines et de sécurité juridique ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 73 supra, EU:C:2014:2062, points 147 et 148 et jurisprudence citée).

305    À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires et que la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 219).

306    Par ailleurs, s’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt Schenker & Co. e.a., point 274 supra, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée).

307    En l’espèce, il résulte de l’examen du troisième moyen (voir notamment points 268 à 280 ci-dessus) qu’il n’existait pas d’insécurité juridique quant à la possibilité de qualifier de restriction par objet un accord ayant les caractéristiques de l’accord litigieux et étant intervenu dans le contexte de celui-ci.

308    Dès lors que les requérantes ne pouvaient pas ignorer que la conclusion de l’accord litigieux était problématique au regard du droit de la concurrence, le présent argument doit être rejeté.

309    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation des requérantes fondée sur certains précédents dans lesquels des entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence ont bénéficié d’une réduction du montant de l’amende du fait qu’elles ne pouvaient pas savoir avec certitude que leur conduite était anticoncurrentielle.

310    Premièrement, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec, EU:C:1991:286), il y a lieu d’observer que la Cour, pour accorder une réduction de 25 %, n’a pas seulement tenu compte de la nouveauté de l’infraction en cause, mais également d’autres facteurs, en particulier du fait que celle-ci n’avait pas influencé de façon significative les parts de marché des entreprises concernées (point 163 dudit arrêt). Or, de telles considérations ne sont pas applicables en l’espèce. De plus, l’infraction pertinente dans ladite affaire avait trait à un abus de position dominante du fait de l’application de « prix prédateurs », c’est-à-dire à un comportement dont le caractère illégal n’est pas aussi évident que celui consistant à exclure un concurrent du marché en contrepartie d’un paiement.

311    Deuxièmement, eu égard à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 79 supra (EU:C:2012:770), il suffit de rappeler que, selon la Cour, même si la Commission et les juridictions de l’Union n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur un comportement comme celui ayant caractérisé les abus de position dominante dont il s’agissait, l’entreprise concernée était consciente de la nature fortement anticoncurrentielle de son comportement et aurait dû s’attendre à ce que celui-ci soit incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt AstraZeneca/Commission, point 79 supra, EU:C:2012:770, point 164). Dès lors, aucune réduction du montant de l’amende ne devait être accordée. Ce même raisonnement s’applique en l’espèce, puisque ni Lundbeck ni les requérantes n’ignoraient (ou ne pouvaient raisonnablement ignorer), le caractère anticoncurrentiel de leur comportement (voir point 271 ci-dessus).

312    Troisièmement, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission (T‑301/04, Rec, EU:T:2009:317), il y a lieu de constater que cet arrêt ne traite pas de la question de la non-imposition d’amende dont il s’agissait dans la décision C (2004) 1958 final de la Commission, du 2 juin 2004, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] [affaire COMP/38.096 – Clearstream (compensation et règlement)]. Dès lors, les requérantes ne peuvent pas s’appuyer sur ledit arrêt, mais seulement sur cette décision. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement n° 1/2003 et dans les lignes directrices applicables. Ainsi, des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (voir, en ce sens, arrêts E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 58 supra, EU:T:2012:332, points 260 à 262, et du 27 février 2014, LG Display et LG Display Taiwan/Commission, T‑128/11, EU:T:2014:88, point 143). Or, en l’espèce, les données circonstancielles de l’affaire ayant donné lieu à la décision susmentionnée, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, ne sont pas comparables à celles de l’espèce, de sorte que ladite décision n’est pas pertinente aux fins d’apprécier le caractère justifié et proportionné de l’amende.

313    Au vu des considérations qui précèdent, la présente branche doit être rejetée.

 Sur la deuxième branche, tirée de la violation des lignes directrices de 2006

314    Dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas respecté les lignes directrices de 2006 lorsqu’elle a établi le montant de l’amende qu’elle leur a infligée.

315    En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles elle s’est écartée de la méthode générale prévue dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné. De plus, la Commission n’aurait pas dû se fonder sur des considérations tenant à un objectif de dissuasion générale, compte tenu du fait que, jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, des accords de règlement amiable comportant des paiements inversés n’avaient pas été considérés comme étant anticoncurrentiels.

316    La Commission conteste les arguments des requérantes.

317    Sur ce point, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été observé au point 30 ci-dessus, la Commission a utilisé deux méthodes différentes pour calculer, d’une part, le montant de l’amende à infliger à Lundbeck et, d’autre part, le montant des amendes à infliger aux entreprises de génériques, dont les requérantes.

318    En effet, s’agissant de Lundbeck, la Commission a utilisé la méthode générale prévue dans les lignes directrices de 2006 et a ainsi calculé le montant de base à partir d’une proportion de la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par celle-ci, liées directement ou indirectement aux infractions commises, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE (paragraphes 13 et 19 desdites lignes directrices). La proposition retenue a été de 10 ou 11 %, selon la portée géographique des accords en cause.

319    S’agissant des requérantes, comme, du reste, des autres entreprises de génériques concernées, la Commission a relevé que, en raison de l’accord litigieux, celles-ci n’avaient pratiquement pas vendu de citalopram pendant la période pertinente et a donc considéré qu’il était nécessaire d’avoir recours au paragraphe 37 des lignes directrices de 2006, selon lequel les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier qu’elle s’écarte de la méthodologie générale.

320    La méthode appliquée aux requérantes a donc consisté à utiliser en tant que montant de base la valeur totale des sommes que celles-ci avaient obtenues de Lundbeck, soit 11,5 millions d’euros (voir point 32 ci-dessus).

321    Il ne peut pas être sérieusement contesté que, eu égard à l’absence de ventes sur le marché par les requérantes, la Commission devait s’écarter de la méthode générale.

322    De même, il doit être observé que la méthode utilisée par la Commission en l’espèce à l’égard des requérantes a permis de leur retirer les bénéfices que la conclusion de l’accord litigieux leur avait permis d’obtenir.

323    Par ailleurs, à supposer que, par l’application de cette méthode, la Commission ait fixé l’amende infligée aux requérantes à un montant dépassant lesdits bénéfices, il y a lieu de relever que le but d’une amende n’est pas simplement d’éliminer les bénéfices qu’une entreprise a tirés de son comportement anticoncurrentiel, mais également celui de dissuader cette entreprise et d’autres entreprises de s’adonner à de tels comportements. Ainsi, même dans cette hypothèse, le montant de l’amende retenu par la Commission n’en serait pas pour autant disproportionné.

324    Enfin, il résulte des considérations exposées aux points 268 à 280 et 304 à 307 ci-dessus qu’il n’existait pas d’insécurité juridique quant à la possibilité de qualifier d’infraction par objet un accord tel que l’accord litigieux. Partant, la prémisse sur laquelle est fondé le grief des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas dû poursuivre, en l’espèce, un but de dissuasion générale est erronée.

325    Dès lors, les arguments des requérantes ne sauraient prospérer.

326    En deuxième lieu, les requérantes contestent le bien-fondé du choix de la Commission de calculer le montant de base de cette amende selon une méthode fondée sur la hauteur des montants que Lundbeck leur avait versés. En effet, tout d’abord, la Commission aurait inclus dans son calcul un montant de 3 millions de GBP du fait de la remise dont elles avaient bénéficié sur l’achat du Cipramil de Lundbeck qu’elles distribuaient. Or, une telle remise sur le prix hors usine serait d’usage dans les relations commerciales, ainsi que le démontreraient d’autres accords de distribution conclus par les requérantes, et ne ferait donc pas partie du profit que celles-ci ont tiré de l’accord litigieux, compte tenu également de leurs coûts de distribution.

327    La Commission conteste les arguments des requérantes.

328    À cet égard, il convient de renvoyer aux considérations exposées aux points 246 à 251 ci-dessus. De plus, il y a lieu de noter que le fait que les requérantes aient bénéficié de remises également dans le cadre de la distribution d’autres médicaments n’est pas susceptible d’altérer le fait que ladite remise faisait partie de la récompense que les requérantes avaient obtenue en échange des obligations assumées en vertu du point 1.1.

329    Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du considérant 1373 et de la note en bas de page n° 2264 de la décision attaquée ainsi que de la réponse écrite de la Commission à une question du Tribunal, il a été tenu compte des coûts de distribution exposés par les requérantes lors du calcul du montant de l’amende. En effet, la Commission a appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celles-ci découlant de la distribution du Cipramil, qui était de 8,5 millions de GBP. Étant donné que les requérantes ne disposaient pas de preuves concernant la hauteur de leurs coûts de distribution et que, dans leur réponse à la communication des griefs, elles s’étaient limitées à affirmer que ces coûts s’élevaient à une proportion comprise entre 15 et 25 % de la valeur de leurs ventes de Cipramil, la Commission a choisi un pourcentage se situant entre ceux souhaités par les requérantes et celui, de 1 %, correspondant aux coûts de distribution de Lundbeck, selon les informations que cette dernière avait fournies à cet égard pendant la procédure administrative au sujet de ses propres ventes. Dès lors que le chiffre d’affaires pertinent s’élevait à 8,5 millions de GBP (considérant 585 de la décision attaquée), équivalant à 12,3 millions d’euros, la Commission a soustrait 1,23 million d’euros au montant total que Lundbeck avait transféré aux requérantes en vertu de l’accord litigieux, soit 12,7 millions d’euros. Le montant de base de l’amende infligée aux requérantes a ainsi été fixé, après arrondissement, à 11,5 millions d’euros.

330    Il convient de noter que les requérantes ne remettent pas en cause ces calculs, mais se limitent à faire valoir qu’elles ne disposent pas de données plus précises sur leurs coûts de distribution, en raison de la durée de la procédure.

331    Au vu de ces considérations, les arguments des requérantes doivent être rejetés.

332    En troisième lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que leur rôle dans la prétendue infraction a été passif et secondaire et que Lundbeck les avait induites en erreur, en les privant d’autres options viables.

333    La Commission conteste les arguments des requérantes.

334    Il convient de souligner que, même en faisant abstraction du fait que la participation passive à une infraction n’est pas une circonstance atténuante au sens des lignes directrices de 2006, comme le met en exergue à juste titre la Commission, ce sont les requérantes qui ont demandé à Lundbeck de passer un accord, ainsi que cela résulte notamment du considérant 558 de la décision attaquée. En tout état de cause, il doit être noté que tant les requérantes que Lundbeck avaient un intérêt à conclure l’accord litigieux, qui leur permettait de se répartir la rente de monopole de Lundbeck sur les ventes du citalopram et d’éviter les risques inhérents à l’entrée des requérantes sur les marchés.

335    Enfin, le fait que Lundbeck puisse avoir induit les requérantes en erreur ne saurait justifier leur décision de participer à un accord anticoncurrentiel ou constituer une circonstance atténuante.

336    Il s’ensuit que les arguments des requérantes ne sont pas fondés.

337    En quatrième lieu, selon les requérantes, la Commission n’a pas pris en considération le fait que l’accord litigieux ne concernait que les brevets sur l’amide et sur l’iode, lesquels auraient une importance secondaire par rapport au brevet sur la cristallisation.

338    La Commission conteste les arguments des requérantes.

339    À cet égard, il suffit de noter que, comme le fait remarquer la Commission, la décision attaquée, notamment aux considérants 563, 564, 1109, 1111, 1113 à 1115, 1135 et 1136 ainsi qu’aux notes en bas de page nos 295 et 1027, apporte toutes les explications nécessaires pour comprendre que la possible violation des brevets sur l’amide et sur l’iode par les procédés dont les requérantes disposaient lors de la conclusion de l’accord litigieux était à l’origine des négociations ayant conduit à la signature de celui-ci, bien que la portée des restrictions qui y étaient contenues dépassât celles pouvant découler de ces brevets. Le fait que la décision attaquée se réfère plus souvent au brevet sur la cristallisation ne remet pas en question ce constat et s’explique par le fait que les autres accords en cause étaient liés à ce dernier brevet, qui était invoqué également dans le cadre d’actions en justice au sein de l’EEE.

340    Partant, le présent argument doit être rejeté.

341    En cinquième lieu, selon les requérantes, la Commission s’est méprise lorsqu’elle a estimé que l’accord litigieux avait été mis en œuvre, en dépit de leur comportement prétendument concurrentiel sur le marché pendant la période pertinente. De même, la Commission aurait omis de tirer les conséquences de l’absence d’effets dudit accord, à tout le moins en ce qui concerne la possibilité pour les requérantes de vendre du citalopram sous forme d’IPA.

342    La Commission conteste les arguments des requérantes.

343    Sur ce point, il doit être observé que la Commission ne s’est pas fondée sur la mise en œuvre de l’accord pour fixer le montant de l’amende à infliger notamment aux requérantes, ainsi que cela résulte du considérant 1361 de la décision attaquée, mais qu’elle a suivi une méthode différente, au vu des circonstances de l’espèce. Comme il a été remarqué aux points 316 à 324 ci-dessus, cette méthode était appropriée.

344    Par conséquent le présent argument n’est pas fondé.

345    En sixième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission leur a infligé une amende disproportionnée par rapport à la durée de la période pertinente et que, en tout état de cause, cette durée devrait être raccourcie en raison du délai minimal nécessaire pour qu’elles puissent obtenir une AMM.

346    La Commission conteste les arguments des requérantes.

347    À ce sujet, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que les montants que Lundbeck avait versés aux requérantes reflétaient la valeur des restrictions qu’elles avaient acceptées pendant la période pertinente. Par ailleurs, dès lors que ces restrictions avaient trait à la concurrence potentielle et que cette dernière pouvait exister indépendamment de l’obtention d’une AMM, il n’y a aucune raison de réduire le montant de l’amende pour tenir compte du fait que les requérantes ne pouvaient pas entrer sur le marché dès le début de la période pertinente.

348    Dès lors, ces arguments ne sauraient prospérer.

349    En septième lieu, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait que les autorités publiques du Royaume-Uni encourageaient la conclusion de règlements amiables.

350    La Commission conteste ces arguments.

351    Sur ce point, il suffit de noter que, comme le fait pertinemment observer la Commission, les autorités du Royaume-Uni n’ont jamais encouragé la conclusion de règlements amiables contraires à l’article 101 TFUE et que, en tout état de cause, l’accord litigieux ne mettait fin à aucun différend, dès lors que Lundbeck ne s’était aucunement engagée à ne pas poursuivre les requérantes si elles entraient sur le marché avec leur citalopram à l’issue de la période pertinente.

352    Il y a donc lieu de rejeter cet argument ainsi que la présente branche du quatrième moyen dans son ensemble.

 Sur la troisième branche, tirée de la durée déraisonnable de l’enquête

353    Par la troisième branche du présent moyen, les requérantes soutiennent que la longue durée de l’enquête menée par la Commission pour parvenir à l’adoption de la décision attaquée aurait dû donner lieu à une réduction du montant de l’amende plus élevée que celle de 10 % accordée par la Commission.

354    À cet égard, elles font valoir que, si la Commission les avait déjà prévenues avant 2010 (voir point 22 ci-dessus), comme elle l’a fait s’agissant de Lundbeck, du fait qu’elle était en train d’enquêter sur l’accord litigieux, elles auraient pu garder des éléments de preuve utiles pour leur défense, dont elles ne disposaient plus au moment où elles ont appris que la Commission avait ouvert une enquête les concernant. En particulier, les requérantes signalent que la grande majorité de leurs employés impliqués dans la procédure ayant abouti à la conclusion de l’accord litigieux avait déjà quitté l’entreprise en 2010. S’agissant des employés encore présents, ceux-ci n’auraient plus été en mesure de se rappeler de manière détaillée les événements de l’époque.

355    Par ailleurs, les requérantes soutiennent qu’aucun manque de diligence ne peut leur être reproché du fait de ne pas avoir conservé des éléments de preuve utiles pour démontrer leur innocence pendant une période plus longue que celle de six ans prévue par les dispositions du Royaume-Uni prétendument pertinentes. À cet égard, elles précisent que la Commission, qui nie la pertinence du communiqué de presse du KFST en ce qui concerne le manque de clarté juridique invoqué par les requérantes, ne peut pas s’appuyer sur ce document pour soutenir qu’elles pouvaient se douter de ce que les autorités de la concurrence examineraient l’accord litigieux.

356    La Commission conteste les arguments des requérantes.

357    Il y a lieu de rappeler que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite de la procédure administrative en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont les juridictions de l’Union assurent le respect (voir arrêt du 19 décembre 2012, Bavaria/Commission, C‑445/11 P, EU:C:2012:828, point 77 et jurisprudence citée).

358    Il est également de jurisprudence constante que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte dans lequel elle s’inscrit, des différentes étapes procédurales qui ont été suivies, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec, EU:C:2002:582, point 187, et du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec, EU:T:2003:249, point 230).

359    En outre, il y a lieu de rappeler que le dépassement d’un délai raisonnable, à le supposer établi, ne justifierait pas nécessairement l’annulation de la décision attaquée. En effet, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation que, dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement n° 1/2003 (voir arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec, EU:T:2008:211, point 227 et jurisprudence citée).

360    Il convient de relever également que, selon la jurisprudence, aux fins de l’application du principe du délai raisonnable, une distinction doit être opérée entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs (ci-après la « première phase ») et celle correspondant au reste de la procédure administrative (ci-après la « seconde phase »), chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre. La première phase, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde phase, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec, EU:C:2006:593, points 42 et 43).

361    À cet égard, il a été jugé que la durée excessive de la première phase peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci sont invoqués dans la seconde phase, en raison de l’écoulement du temps et de la difficulté qui en résulte de recueillir des éléments à décharge. Il importe, toutefois, dans un tel cas, que les entreprises concernées démontrent de manière suffisamment précise qu’elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission en précisant quels sont les documents ou les témoignages qu’elles ne pourraient plus solliciter et les raisons pour lesquelles cela serait de nature à compromettre leur défense (voir, en ce sens, arrêts Technische Unie/Commission, point 360 supra, EU:C:2006:593, points 54 et 60 à 71, et du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec, EU:C:2011:190, point 118).

362    De même, selon la jurisprudence, ces entreprises doivent indiquer de manière circonstanciée, sinon les éléments de preuve spécifiques disparus, à tout le moins les incidents, évènements ou circonstances qui les ont empêchées, pendant la période considérée, de se conformer à leur obligation de diligence et qui ont entraîné la prétendue disparition des éléments de preuve auxquels elles font allusion. En effet, ce n’est qu’en examinant de telles indications spécifiques que le juge de l’Union peut apprécier si une entreprise a démontré à suffisance de droit qu’elle a éprouvé les difficultés invoquées pour se défendre contre les allégations de la Commission en raison d’une durée excessive de la procédure administrative ou si, au contraire, lesdites difficultés résultent d’une méconnaissance de ses obligations de diligence (arrêt ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., point 361 supra, EU:C:2011:190, points 120 à 122).

363    Pour appliquer ces principes au cas d’espèce, il convient de commencer par rappeler ci-après la séquence des principaux évènements ayant mené, le 19 juin 2013, à l’adoption de la décision attaquée, tels qu’ils résultent notamment du point 2.1 de celle-ci :

–        en octobre 2003, la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords en cause, par le biais d’informations communiquées par le KFST ;

–        en janvier 2005, la Commission a procédé à des inspections au Danemark, en Italie et en Hongrie, dans les locaux de Lundbeck principalement ;

–        en 2006, des demandes de renseignements ont été adressées aux autorités de la concurrence de l’ensemble des États membres ainsi qu’à Lundbeck et à une entreprise de génériques ;

–        en 2007, la Commission a examiné les réponses à ces demandes et a établi une position préliminaire sur les pratiques de Lundbeck et des autres entreprises impliquées ;

–        en janvier 2008, la Commission a décidé de commencer une enquête sectorielle dans le domaine pharmaceutique, qui s’est close par l’adoption d’un rapport final le 8 juillet 2009 (voir points 19 et 20 ci-dessus) ;

–        en décembre 2009, la Commission a effectué de nouvelles inspections dans les locaux de Lundbeck Italia SpA et d’entreprises italiennes de génériques ;

–        le 7 janvier 2010, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre de Lundbeck ;

–        le 12 mars 2010, la Commission a communiqué aux requérantes l’existence de l’enquête ;

–        le 24 juillet 2012, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre notamment des requérantes et a envoyé la communication des griefs à celles-ci et à Lundbeck.

364    S’agissant de la seconde phase, il suffit de constater que celle-ci a duré moins d’un an à l’égard des requérantes, ce qui ne saurait être considéré comme excessif.

365    S’agissant de la première phase, il convient d’observer que celle-ci a débuté, à l’égard des requérantes, au mois de mars 2010, lorsque la Commission a pris les premières mesures impliquant le reproche qu’elles aient commis une infraction, et qu’elle s’est clôturée le 24 juillet 2012, date de la communication des griefs. Or, une telle durée n’est pas déraisonnable.

366    Premièrement, dans la mesure où les requérantes fondent leur moyen sur la date à laquelle la Commission a eu connaissance pour la première fois de l’accord litigieux pour établir que celle-ci a méconnu son obligation d’adopter une décision dans un délai raisonnable et a ainsi violé leurs droits de la défense, il importe de souligner qu’une telle approche n’est nullement suivie par la jurisprudence, qui prend comme point de départ la date des premières mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 360 supra, EU:C:2006:593, point 43).

367    Par ailleurs, il convient de noter que, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, la prescription court, pour les infractions continues, comme en l’espèce, à compter du jour où l’infraction a pris fin. En application de l’article 25, paragraphes 3 et 4 dudit règlement, des demandes de renseignements, l’engagement d’une procédure et l’envoi d’une communication des griefs interrompent la prescription, et ce pour tous les participants à une infraction. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption en étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte, de sorte que la Commission ne saurait, sous peine que la prescription ne soit acquise, retarder indéfiniment sa décision quant aux amendes.

368    Or, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais de prescription dans le respect desquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec, EU:T:2003:76, point 324 et jurisprudence citée).

369    Deuxièmement, il convient de noter que la durée de la première phase, à supposer qu’elle puisse être calculée à compter de la fin de l’infraction comme le proposent les requérantes, serait de presque sept ans à l’égard des requérantes. Or, une telle durée peut être justifiée par les circonstances particulières de l’espèce, dont il ressort que, en plus des nombreuses demandes de renseignements qu’elle a adressées aux entreprises concernées, la Commission a estimé nécessaire d’effectuer une enquête sectorielle afin d’analyser l’ensemble des pratiques concernant les règlements amiables dans le domaine pharmaceutique et d’obtenir une vue détaillée du paysage concurrentiel dans ce secteur. Ainsi, l’ensemble de la procédure concernant spécifiquement les accords en cause n’a été caractérisée par aucune période d’inactivité prolongée qui ne trouve sa justification dans les besoins de la Commission d’effectuer une enquête plus générale dans le secteur concerné.

370    Troisièmement, s’agissant du communiqué de presse du KFST, qui aurait laissé penser, selon les requérantes, que la Commission n’entamerait aucune poursuite les concernant, il y a lieu d’observer que, au vu des considérations exposées aux points 273 à 278 ci-dessus à cet égard, les requérantes ne sauraient valablement prétendre qu’un tel communiqué les a incitées à ne pas prendre de mesures pour assurer leur défense, et encore moins qu’une telle incitation, à la supposer établie, est imputable à la Commission et à la durée excessive de la procédure administrative devant elle.

371    Quatrièmement, il convient de relever que les requérantes se limitent à invoquer de manière générale qu’elles auraient pu produire des courriers électroniques internes et d’autres documents, la correspondance de l’époque avec Lundbeck, les ordres du jour et comptes rendus des réunions qui ont eu lieu à l’époque des faits et des déclarations de leurs employés.

372    À cet égard, à supposer que, par leurs allégations, les requérantes aient réuni les conditions de précision et de spécificité requises par la jurisprudence rappelée au point 361 ci-dessus, il y a lieu de constater que, au vu du communiqué de presse du KFST et de l’enquête de secteur que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union (voir point 367 ci-dessus), indépendamment des délais éventuellement en vigueur selon les droits des États membres.

373    Or, la diligence relève des conditions requises par la jurisprudence (voir point 362 ci-dessus) afin qu’une partie puisse utilement invoquer la violation de ses droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure.

374    À défaut d’explications par les requérantes de la survenance d’événements particuliers et autres que le simple écoulement du temps pour justifier l’égarement des documents en question, leur argument ne saurait être accueilli.

375    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la présente branche, en ce qu’elle vise à l’annulation de la décision attaquée.

376    Par ailleurs, à supposer, d’une part, que la présente branche puisse être interprétée comme visant également à obtenir du Tribunal qu’il réduise le montant de l’amende infligée aux requérantes indépendamment de l’existence d’une illégalité justifiant l’annulation de la décision attaquée et, d’autre part, que la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, EU:C:2014:301, points 106 et 107) puisse être interprétée comme ne s’opposant pas à la possibilité même de réformer à la baisse le montant d’une amende dans l’exercice de la compétence de pleine juridiction, pour sanctionner uniquement une violation des droits de la défense, il convient de noter que la Commission a déjà tenu compte de la durée de la procédure administrative et a ainsi octroyé une réduction de 10 % des montants des amendes à infliger aux requérantes et aux autres destinataires de la décision attaquée (voir point 33 ci-dessus). Dès lors, le Tribunal estime, en exerçant sa compétence de pleine juridiction, qu’il n’est en tout état de cause pas opportun de réduire ultérieurement le montant de l’amende dont les requérantes sont redevables.

377    À la lumière des considérations qui précèdent, la présente branche doit être rejetée également en ce qui concerne l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction, de même que le quatrième moyen dans son ensemble.

378    Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé et l’examen de leurs arguments au soutien de leur demande de réformation de celle-ci n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de l’amende effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

379    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sun Pharmaceuticals Industries Ltd et Ranbaxy (UK) Ltd sont condamnées aux dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Sociétés en cause dans la présente affaire

Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

Accord conclu par Lundbeck avec Ranbaxy Laboratories

Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le deuxième moyen, tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la concurrence potentielle

Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

Principes et jurisprudence applicables

– Concurrence potentielle

– Charge de la preuve

– Portée du contrôle exercé par le Tribunal

Sur l’aspect temporel de la concurrence potentielle

Sur le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 et les autres éléments de preuve utilisés par la Commission

Sur le délai nécessaire afin que l’IPA des requérantes soit couvert par une AMM

Sur la présomption de validité des brevets sur l’amide et sur l’iode

Sur les autres arguments des requérantes

Sur le troisième moyen, tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’interprétation de l’accord litigieux

Sur l’incidence du fait que l’accord litigieux est soumis au droit suédois

Sur la signification de l’expression « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories »

Sur la signification de l’expression « produits pharmaceutiques »

Sur le premier moyen, tiré du fait que l’accord litigieux ne constitue pas une restriction par objet

Observations liminaires

Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

– Sur la qualification de l’accord litigieux de règlement amiable

– Sur le prétendu caractère procompétitif de l’accord litigieux

– Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

– Sur les intentions des parties à l’accord litigieux

– Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

– Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

– Sur le refus de Lundbeck d’acheter l’IPA des requérantes

– Sur la jurisprudence américaine

Sur le quatrième moyen, tiré du caractère injustifié et disproportionné de l’amende

Sur la première branche, tirée du caractère nouveau de la décision attaquée ainsi que de la violation des principes de sécurité juridique, de légalité des peines, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime

Sur la deuxième branche, tirée de la violation des lignes directrices de 2006

Sur la troisième branche, tirée de la durée déraisonnable de l’enquête

Sur les dépens


1* Langue de procédure : l’anglais.