Language of document : ECLI:EU:C:2014:2363

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 novembre 2014 (*)

«Pourvoi – Ententes – Marché du verre plat dans l’Espace économique européen (EEE) – Fixation des prix – Calcul du montant de l’amende – Prise en compte des ventes internes des entreprises – Délai raisonnable – Recevabilité de pièces produites en vue de l’audience du Tribunal»

Dans l’affaire C‑580/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 décembre 2012,

Guardian Industries Corp., établie à Dover (États-Unis),

Guardian Europe Sàrl, établie à Dudelange (Luxembourg),

représentées par Me F. Louis, avocat, ainsi que par Mes H.‑G. Kamann et S. Völcker, Rechtsanwälte, mandatés par M. O’Daly, solicitor,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. A. Dawes et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 décembre 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl (ci-après, ensemble, «Guardian») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (T‑82/08, EU:T:2012:494, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2007) 5791 final de la Commission, du 28 novembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39165 – Verre plat) (ci-après la «décision litigieuse»), en tant qu’elle les concerne, et à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.

 Le cadre juridique

 Le règlement (CE) no 1/2003

2        Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit à son article 23, paragraphes 2 et 3:

«2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81 CE] ou [82 CE], ou

b)      elles contreviennent à une décision ordonnant des mesures provisoires prises au titre de l’article 8, ou

c)      elles ne respectent pas un engagement rendu obligatoire par décision en vertu de l’article 9.

Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

Lorsque l’infraction d’une association porte sur les activités de ses membres, l’amende ne peut dépasser 10 % de la somme du chiffre d’affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association.

3.      Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

3        L’article 31 dudit règlement dispose:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.»

 Les instructions au greffier

4        Les instructions au greffier du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 5 juillet 2007 (JO L 232, p. 1), telles que modifiées le 17 mai 2010 (JO L 170, p. 53, ci-après «les instructions au greffier»), énoncent à leur article 11:

«1.      Le greffier fixe les délais prévus par le règlement de procédure, conformément aux délégations qu’il a reçues du président.

2.      Les pièces qui parviennent au greffe après l’expiration du délai fixé pour leur dépôt ne peuvent être acceptées qu’avec l’autorisation du président.

3.      Le greffier peut proroger les délais fixés, conformément aux délégations qu’il a reçues du président; le cas échéant, il soumet au président des propositions relatives à la prorogation des délais.

Les demandes de prorogation de délais doivent être dûment motivées et présentées en temps utile avant l’expiration du délai fixé. Un délai ne peut être prorogé plus d’une fois que pour des motifs exceptionnels.»

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

5        Il ressort des points 1 à 10 de l’arrêt attaqué que, dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que les entreprises Guardian, Asahi Glass, Pilkington et Saint-Gobain ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE consistant en la fixation des prix dans le secteur du verre plat au sein de l’Espace économique européen (EEE). S’agissant de l’entreprise Guardian, la Commission a constaté cette infraction pour la période allant du 20 avril 2004 au 22 février 2005 et a infligé solidairement à ce titre une amende d’un montant de 148 millions d’euros aux sociétés Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

6        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 février 2008, Guardian a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction de l’amende infligée par la Commission.

7        À l’appui de ses conclusions en annulation, Guardian a invoqué un moyen unique tiré d’erreurs de fait relatives à la durée de sa participation à l’entente et à la dimension géographique de celle-ci.

8        Les conclusions tendant à la réduction de l’amende reposaient sur trois moyens. Le premier moyen visait à tirer les conséquences du moyen tendant à obtenir l’annulation partielle de la décision litigieuse. Par son deuxième moyen, Guardian invoquait la violation du principe de non-discrimination et de l’obligation de motivation. Quant au troisième moyen, il était tiré d’une erreur d’appréciation du rôle de Guardian dans l’entente en cause et de la violation du principe de non-discrimination.

9        Le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

10      À titre liminaire, par les motifs exposés aux points 19 à 22 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les arguments invoqués par Guardian pour contester la recevabilité d’une lettre produite par la Commission le 10 février 2012 (ci-après la «lettre du 10 février 2012»).

11      Le Tribunal a rejeté les conclusions aux fins d’annulation de la décision litigieuse par les motifs exposés aux points 28 à 93 de l’arrêt attaqué. Les conclusions tendant à la réduction de l’amende ont été rejetées par les motifs exposés aux points 94 à 124 de l’arrêt attaqué.

 Les conclusions des parties

12      Guardian demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal a confirmé la décision litigieuse excluant la prise en compte des ventes réalisées entre les sociétés d’un même groupe (ci-après les «ventes internes») pour le calcul des amendes infligées aux autres destinataires de cette décision;

–        de réduire de 37 % le montant de l’amende qui lui a été infligée;

–        d’annuler l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal a jugé recevable la lettre du 10 février 2012, de la déclarer irrecevable et, partant, de retirer cette lettre du dossier;

–        de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée à concurrence d’un minimum de 25 % en vue de remédier à la circonstance que le Tribunal n’a pas respecté son droit à un recours juridictionnel effectif dans un délai raisonnable, et

–        de condamner la Commission aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure devant le Tribunal.

13      La Commission demande à la Cour:

–        à titre principal, de rejeter le pourvoi;

–        à titre subsidiaire, de rejeter la demande de réduction de l’amende, et

–        de condamner Guardian aux dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.

 Sur le pourvoi

14      À l’appui de ses conclusions, Guardian invoque trois moyens qu’il convient d’examiner dans un ordre différent de celui dans lequel ils ont été présentés.

 Sur le moyen tiré de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable

 Argumentation des parties

15      Guardian fait valoir que la durée de la procédure devant le Tribunal constitue une violation du droit fondamental à un procès équitable dans un délai raisonnable, visé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), une telle violation justifiant une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision litigieuse. Guardian a précisé, lors de l’audience, qu’elle entendait modifier ses conclusions à la lumière des arrêts Gascogne Sack Deutschland/Commission (C‑40/12 P, EU:C:2013:768), Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771) et Groupe Gascogne/Commission (C‑58/12 P, EU:C:2013:770). Guardian demande ainsi à la Cour de déclarer excessif le délai dans lequel le Tribunal a instruit l’affaire en première instance.

16      Après avoir indiqué, lors de l’audience, qu’elle retirait ses objections à la recevabilité du présent moyen, la Commission considère, sur le fond, qu’une réduction du montant de l’amende ne serait pas appropriée et invite la Cour, le cas échéant, à préciser les critères permettant de déterminer s’il y a eu violation du principe du délai raisonnable.

 Appréciation de la Cour

17      Il y a lieu de rappeler qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif (arrêt Gascogne Sack Deutschland/Commission, EU:C:2013:768, point 89).

18      Il s’ensuit qu’une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même (arrêt Gascogne Sack Deutschland/Commission, EU:C:2013:768, point 90).

19      Il appartient dès lors au Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, de se prononcer, le cas échéant, sur de telles demandes d’indemnité, en statuant dans une formation différente de celle qui a eu à connaître du litige ayant donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée et en appliquant les critères définis aux points 91 à 95 de l’arrêt Gascogne Sack Deutschland/Commission (EU:C:2013:768).

20      Cela étant, dès lors qu’il est manifeste en l’espèce, sans que soit nécessaire la production par les parties d’éléments à cet égard, que le Tribunal a violé de manière suffisamment caractérisée son obligation de juger l’affaire dans un délai raisonnable, la Cour peut le relever. En l’occurrence, la durée de la procédure devant le Tribunal, à savoir près de quatre ans et sept mois, laquelle comporte, en particulier, une période de plus de trois ans et cinq mois qui s’est écoulée entre la fin de la procédure écrite, intervenue après le dépôt du mémoire en défense de la Commission et l’ouverture de la procédure orale, ne peut être justifiée par aucune des circonstances propres à l’affaire ayant donné lieu au présent litige.

21      Il résulte toutefois des considérations exposées aux points 17 à 19 ci-dessus que le moyen tiré de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense et du principe de l’égalité des armes

 Argumentation des parties

22      Ce moyen est dirigé contre les points 21 et 22 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a déclaré recevable la lettre du 10 février 2012 adressée à ce dernier par la Commission.

23      Envoyée le dernier jour ouvrable avant celui de l’audience, cette lettre, selon Guardian, énonce pour la première fois la position de la Commission concernant les modalités de calcul de la réduction du montant de l’amende. Cette lettre contiendrait des éléments nouveaux et aurait été déposée sans autorisation préalable du Tribunal ni justification.

24      Guardian souligne que, bien que cette lettre ait été déposée tardivement, le Tribunal, au point 22 de l’arrêt attaqué, l’a déclarée recevable compte tenu, d’une part, de son «contenu» et, d’autre part, «du fait que celle-ci a été transmise [à Guardian], qui [a] donc pu présenter [ses] observations à son sujet lors de l’audience». Guardian estime que cette appréciation est contraire à l’article 11, paragraphe 3, des instructions au greffier.

25      Le principe de l’égalité des armes et le respect du principe du contradictoire exigeraient que les débats lors de l’audience se limitent aux éléments du dossier qui ont pu être débattus par écrit. La simple possibilité d’être entendu au cours de celle-ci au sujet des pièces produites tardivement ne permettrait pas de respecter les droits de la défense. Conformément à sa jurisprudence en la matière, le Tribunal aurait dû déclarer irrecevable la lettre du 10 février 2012 (arrêts Solvay/Commission, T‑30/91, EU:T:1995:115, points 83 et 101; BASF/Commission, T‑175/95, EU:T:1999:99, point 46, et AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 27).

26      Guardian fait valoir que le point 22 de l’arrêt attaqué ne contient aucune motivation permettant de connaître les raisons pour lesquelles la recevabilité de ladite lettre a été admise, notamment au regard du contenu de celle-ci.

27      En conséquence, Guardian estime que la décision du Tribunal, audit point 22, de verser au dossier la lettre du 10 février 2012 doit être annulée et elle invite la Cour à déclarer cette lettre irrecevable.

28      La Commission soutient que ce moyen est inopérant. En effet, faute pour Guardian de démontrer que, en l’absence de la lettre du 10 février 2012, le Tribunal serait parvenu à une conclusion différente quant au montant de l’amende qui a été infligée à cette entreprise, ce moyen serait dépourvu de pertinence.

29      En tout état de cause, selon la Commission, ledit moyen n’est pas fondé. Elle fait valoir que, en raison de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal peut tenir compte d’éléments factuels produits tardivement, sous réserve du respect du principe du contradictoire. Or, celui-ci aurait été respecté en l’espèce, puisque Guardian a été en mesure de s’exprimer quant au contenu de ladite lettre lors de l’audience, mais elle a choisi de ne pas le faire. La Commission fait observer que Guardian disposait d’un délai de trois jours avant l’audience pour commenter cette lettre ou demander au Tribunal soit de déposer des observations écrites, soit de reporter l’audience.

 Appréciation de la Cour

30      Il y a lieu de rappeler que le principe du respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union. Ce serait violer ce principe que de fonder une décision juridictionnelle sur des faits et des documents dont les parties elles-mêmes, ou l’une d’entre elles, n’ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position (arrêt Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, EU:C:1961:5, 156).

31      Le principe d’égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable et a pour but d’assurer l’équilibre entre les parties à la procédure, en garantissant que tout document fourni à la juridiction puisse être évalué et contesté par toute partie à la procédure, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (arrêt Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, points 71 et 72).

32      Dans sa lettre du 10 février 2012, la Commission a souhaité répliquer à une lettre adressée, en vue de la préparation de l’audience, par Guardian au Tribunal concernant le calcul de l’amende et transmettre à ce dernier certaines indications chiffrées sur lesquelles elle s’était appuyée pour calculer les chiffres d’affaires sur le marché pertinent des quatre entreprises destinataires de la décision litigieuse. La Commission a précisé, sur la base de ces éléments, que, dans l’hypothèse où le Tribunal accorderait une réduction du montant de l’amende, cette réduction ne devrait pas excéder 30 %.

33      Il est constant que Guardian a reçu une copie de cette lettre le 10 février 2012. Elle a ainsi disposé de trois jours pour prendre connaissance de son contenu avant l’audience. En raison de la nature et du contenu de cette lettre, un tel délai ne peut pas être considéré comme exagérément bref, et ce indépendamment du fait que le Tribunal aurait méconnu les dispositions de l’article 11, paragraphe 3, des instructions au greffier. En outre, il est constant que Guardian n’a ni demandé au Tribunal de commenter cette lettre par écrit ni sollicité un report de l’audience. Enfin, au cours de l’audience, Guardian a pu faire valoir ses arguments relatifs tant à la recevabilité de cette lettre qu’à son contenu.

34      Il résulte de ces éléments que Guardian n’a pas établi que le Tribunal a violé les droits de la défense ou enfreint le principe de l’égalité des armes en ne veillant pas à ce qu’elle dispose d’un délai suffisant pour prendre connaissance de la lettre du 10 février 2012 et faire état de sa position par écrit au sujet de celle-ci (voir, par analogie, arrêt Corus UK/Commission, C‑199/99 P, EU:C:2003:531, point 25).

35      Dans de telles conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 22 de l’arrêt attaqué que, «[c]ompte tenu du contenu de cette lettre et du fait que celle-ci a été transmise [à Guardian], qui [a] donc pu présenter [ses] observations à son sujet lors de l’audience, il y a lieu de considérer le document en cause comme recevable».

36      Il s’ensuit que ce moyen n’étant pas fondé, il doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation

 Argumentation des parties

37      Guardian soutient que le Tribunal, aux points 104 à 106 de l’arrêt attaqué, a enfreint le principe d’égalité de traitement. Il aurait refusé d’admettre que, lors du calcul de l’amende, les ventes internes doivent être prises en compte au même titre que les ventes à des tiers.

38      Le Tribunal aurait ainsi méconnu une jurisprudence et une pratique décisionnelle constantes, ayant pour raison d’être la nécessité d’éviter toute discrimination entre les entreprises qui sont intégrées verticalement et celles qui ne le sont pas. Une telle égalité de traitement s’imposerait à la Commission tant en vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65 paragraphe 5 [CA] (JO 1998, C 9, p. 3) que des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les «lignes directrices de 2006»).

39      Guardian reproche au Tribunal de ne pas avoir exposé les raisons pour lesquelles il s’est écarté de cette jurisprudence constante. Selon elle, le Tribunal s’est limité à affirmer, au point 104 de l’arrêt attaqué, que «[l]’existence d’un comportement anticoncurrentiel n’[a] été établie que pour les ventes à des clients indépendants».

40      Outre le fait que le Tribunal aurait dénaturé le libellé du considérant 377 de la décision litigieuse, ladite affirmation serait dépourvue de pertinence. Il importerait peu de savoir si l’entente couvrait également les ventes internes. En effet, selon Guardian, le point crucial est qu’une entreprise intégrée verticalement peut tirer un avantage concurrentiel de la vente des produits visés par l’entente comme de celle des produits dont ils constituent des intrants. Selon Guardian, la Commission n’a jamais, par le passé, démontré l’existence d’un tel avantage et la Cour aurait admis qu’exclure les ventes internes reviendrait «nécessairement» à avantager les producteurs intégrés verticalement (arrêt KNP BT/Commission, C‑248/98 P, EU:C:2000:625, point 62). Néanmoins, au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé qu’il n’a pas été établi que les entreprises intégrées verticalement ont tiré un tel avantage concurrentiel de l’infraction.

41      Guardian étant la seule entreprise non intégrée verticalement ayant participé à l’infraction, elle estime que l’unique moyen de rétablir l’égalité de traitement consiste à réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée, à concurrence de 37 %, un tel pourcentage correspondant à la part des ventes internes par rapport au volume total de celles effectuées sur le marché pertinent.

42      La Commission estime que ce moyen n’est pas fondé.

43      En premier lieu, la Commission soutient que le Tribunal n’a commis aucune dénaturation de la décision litigieuse ni aucune erreur de droit en constatant que l’infraction se rapporte uniquement aux ventes à des tiers indépendants. Elle estime, dès lors, que seules ces ventes peuvent servir de base au calcul du montant de l’amende.

44      En deuxième lieu, la Commission conteste l’allégation selon laquelle la jurisprudence lui imposerait de tenir compte des ventes internes lors du calcul des amendes. Cette allégation reposerait sur l’idée selon laquelle les producteurs intégrés verticalement retireraient nécessairement un avantage concurrentiel sur les marchés en aval de celui de l’entente. Cette idée serait erronée, car l’existence d’un avantage concurrentiel tiré de l’exercice d’une entente en amont dépend d’une multitude de facteurs et doit s’apprécier au cas par cas.

45      En tout état de cause, la jurisprudence n’interdirait pas et n’exigerait pas non plus de tenir compte des ventes internes (arrêts KNP BT/Commission, EU:C:2000:625, point 62; Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, EU:C:2006:328, points 102 et 103; Europa Carton/Commission, T‑304/94, EU:T:1998:89, point 123; KNP BT/Commission, T‑309/94, EU:T:1998:91, point 112; Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, EU:T:2002:72, point 358; Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, EU:T:2005:220, point 260; Daiichi Pharmaceutical/Commission, T‑26/02, EU:T:2006:75, points 57, 63 et 64, ainsi que BST/Commission, T‑452/05, EU:T:2010:167, point 82).

46      La Commission indique que, en principe, elle tient compte des ventes internes si elle dispose d’indices suffisants pour étayer la conclusion selon laquelle un avantage concurrentiel a été obtenu ou lorsque l’entente porte expressément sur les ventes internes [décision de la Commission C(2010) 8761 final, du 8 décembre 2010, dans l’affaire COMP/39.309 – LCD].

47      Cependant, il existerait des cas dans lesquels elle n’aurait pas tenu compte des ventes internes [voir décisions de la Commission C(2009) 7601 final, du 7 octobre 2009, dans l’affaire COMP/39.129 – Transformateurs de puissance, et C(2011) 7436 final, du 19 octobre 2011, dans l’affaire COMP/39.605 – Verre pour tubes cathodiques].

48      En revanche, lorsque, comme dans le présent litige, rien n’indique avec certitude que l’entente portait également sur les ventes internes ou que les participants actifs en aval profitaient d’un avantage indirect, la Commission estime qu’elle ne peut être légalement tenue de prendre en compte les ventes internes. Imposer une telle obligation à cette institution limiterait le pouvoir discrétionnaire dont cette dernière dispose en matière d’amende et risquerait d’alourdir substantiellement le montant des amendes sans qu’il soit nécessaire d’établir que l’entente exerce effectivement une influence sur les ventes internes ou en aval. Une telle obligation pourrait engendrer une discrimination entre les différents participants à une infraction en raison seulement de la forme de leur structure d’entreprise.

49      Selon la Commission, il n’y a pas lieu de considérer qu’elle doit toujours examiner si les ventes internes sont liées à une infraction, pour autant qu’elle adopte une approche cohérente à l’égard de toutes les entreprises impliquées dans une même entente.

50      En troisième lieu, la Commission soutient que Guardian n’a nullement fait l’objet d’une discrimination. Par conséquent, elle considère que cette entreprise n’a droit à aucune réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision litigieuse. Le fait que la prise en compte des ventes internes aurait pu conduire à des amendes plus élevées pour les autres participants à l’entente ne saurait justifier une réduction de l’amende infligée à Guardian. Le montant de cette amende serait approprié, proportionné et conforme aux lignes directrices de 2006. Il refléterait le poids économique de cette entreprise dans l’infraction. Afin d’assurer un effet dissuasif de l’amende, la Commission rappelle qu’elle a majoré le montant de l’amende mise à la charge de Saint-Gobain de 30 % afin de refléter au mieux le fait qu’il s’agissait d’un producteur intégré verticalement.

 Appréciation de la Cour

51      Il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 de la Charte. Il ressort d’une jurisprudence constante que ledit principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir notamment arrêt Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, EU:C:2010:512, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée).

52      L’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003 prévoit que, pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

53      La Commission doit apprécier, dans chaque cas d’espèce et au vu de son contexte ainsi que des objectifs poursuivis par le régime de sanctions établi par le règlement no 1/2003, l’impact recherché sur l’entreprise concernée, notamment en tenant compte d’un chiffre d’affaires qui reflète la situation économique réelle de celle-ci durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise (arrêt Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 25).

54      Selon la jurisprudence constante de la Cour, il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 121; Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 243, ainsi que Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, EU:C:2006:328, point 100).

55      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 laisse à la Commission une marge d’appréciation, il en limite néanmoins l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels celle-ci doit se tenir. Ainsi, d’une part, le montant de l’amende susceptible d’être infligée à une entreprise connaît un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être mis à la charge d’une entreprise donnée est déterminable à l’avance. D’autre part, l’exercice de ce pouvoir d’appréciation est également limité par les règles de conduite que la Commission s’est elle-même imposées, notamment dans les lignes directrices de 2006 (voir, en ce sens, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 58).

56      Aux termes du point 13 des lignes directrices de 2006, «[e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE». Ces mêmes lignes directrices précisent, à leur point 6, que «la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [de celle-ci] est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction».

57      Il s’ensuit que le point 13 des lignes directrices de 2006 a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle-ci. Par conséquent, si la notion de valeur des ventes visée à ce point 13 ne saurait, certes, s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent pas du champ d’application de l’entente reprochée, il serait toutefois porté atteinte à l’objectif poursuivi par cette disposition si cette notion devait être entendue comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par cette entente (arrêt Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 76).

58      Une telle limitation aurait, en outre, pour effet de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction commise par une entreprise donnée, dès lors que le seul fait qu’un nombre limité de preuves directes des ventes réellement affectées par l’entente a été trouvé conduirait à infliger au final une amende sans relation réelle avec le champ d’application de l’entente en cause. Une telle prime au secret porterait également atteinte à l’objectif de poursuite et de sanction efficace des infractions à l’article 81 CE et, partant, ne saurait être admise (arrêt Team Relocations e.a./Commission, EU:C:2013:464, point 77).

59      En tout état de cause, il convient de souligner que la partie du chiffre d’affaires global provenant de la vente des produits qui font l’objet de l’infraction est la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction. Il n’y a donc pas lieu d’opérer une distinction parmi ces ventes selon qu’elles ont été effectuées avec des tiers indépendants ou avec des entités appartenant à une même entreprise. Ne pas tenir compte de la valeur des ventes relevant de cette dernière catégorie reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les sociétés intégrées verticalement en leur permettant d’échapper à une sanction proportionnée à leur importance sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt KNP BT/Commission, EU:C:2000:625, point 62).

60      En effet, outre le bénéfice qui peut être attendu d’un accord de fixation horizontale des prix lors des ventes à des tiers indépendants, les entreprises intégrées verticalement peuvent également tirer profit d’un tel accord sur le marché en aval des produits transformés dans la composition desquels entrent les produits faisant l’objet de l’infraction, et ce à deux titres différents. Soit ces entreprises répercutent les majorations du prix des intrants qui résultent de l’objet de l’infraction sur celui des produits transformés, soit elles ne les répercutent pas, ce qui revient alors à leur conférer un avantage de coût par rapport à leurs concurrents qui se procurent ces mêmes intrants sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction.

61      C’est la raison pour laquelle, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 28 à 34 de ses conclusions, les juridictions de l’Union ont toujours rejeté les moyens par lesquels des producteurs intégrés verticalement ont cherché à obtenir que leurs ventes internes soient exclues du chiffre d’affaires servant de base au calcul de leur amende (arrêt KNP BT/Commission, EU:C:2000:625, point 62; voir également arrêts Europa Carton/Commission, EU:T:1998:89, point 128; KNP BT/Commission, EU:T:1998:91, point 112; Lögstör Rör/Commission, EU:T:2002:72, points 360 à 363, ainsi que Tokai Carbon e.a./Commission, EU:T:2005:220, point 260).

62      Enfin, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une même infraction à l’article 81 CE (voir arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 58).

63      Ainsi qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, aux fins de l’appréciation de la part du chiffre d’affaires global provenant de la vente des produits qui font l’objet de l’infraction, il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre les ventes internes et celles effectuées à des tiers indépendants. Il s’ensuit que, pour la détermination de ce chiffre d’affaires, les entreprises intégrées verticalement se trouvent dans une situation comparable à celle des producteurs non intégrés verticalement. Ces deux types d’entreprises doivent donc être traités de manière égale. Exclure les ventes internes du chiffre d’affaires pertinent reviendrait à favoriser les premières en réduisant leur poids relatif dans l’infraction au détriment des autres, et ce sur la base d’un critère sans rapport avec l’objectif poursuivi lors de la détermination de ce chiffre d’affaires et qui consiste à refléter l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de chacune des entreprises qui ont pris part à celle-ci.

64      En l’occurrence, le Tribunal a jugé aux points 104 à 106 de l’arrêt attaqué:

«104       En l’espèce, la Commission a considéré que les accords anticoncurrentiels portaient sur les ventes de verre plat à des clients indépendants (considérant 377 de la décision [litigieuse]) et elle a donc utilisé ces ventes afin de calculer le montant de base des amendes (considérant 41, tableau no 1, et considérant 470 de la décision [litigieuse]). La Commission a, dès lors, exclu du calcul de l’amende les ventes de verre plat destiné à être transformé par une division de l’entreprise ou par une société du même groupe. L’existence d’un comportement anticoncurrentiel n’ayant été établie que pour les ventes à des clients indépendants, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir exclu du calcul de l’amende les ventes internes des membres de l’entente verticalement intégrés. Il ne saurait, en outre, lui être fait grief de ne pas avoir motivé l’exclusion desdites ventes du calcul de l’amende.

105      Par ailleurs, comme l’a fait valoir la Commission, il n’a pas été établi que les membres de l’entente verticalement intégrés qui fournissaient les produits concernés aux divisions de la même entreprise ou à des sociétés faisant partie du même groupe d’entreprises aient tiré un profit indirect de l’augmentation de prix accordée ni que l’augmentation des prix sur le marché en amont se soit traduite par un avantage concurrentiel sur le marché en aval du verre plat transformé.

106      Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait méconnu le principe de non-discrimination en excluant les ventes internes du calcul de l’amende, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt [...] BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, [EU:T:1998:93], point 309, et la jurisprudence citée). En l’espèce, dans la mesure où la Commission a considéré que les arrangements anticoncurrentiels ne visaient que le prix du verre plat facturé aux clients indépendants, l’exclusion des ventes internes du calcul de l’amende dans le cas des membres de l’entente verticalement intégrés l’a uniquement conduite à traiter différemment des situations objectivement différentes. Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir méconnu le principe de non-discrimination.»

65      En statuant ainsi, le Tribunal a méconnu les principes jurisprudentiels rappelés aux points 52 à 63 du présent arrêt.

66      Dans ces conditions, le moyen invoqué par Guardian au soutien de son pourvoi, en tant qu’il est tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, doit être accueilli, et ce sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur ce même moyen en tant qu’il porte sur la violation par le Tribunal de l’obligation de motivation. En conséquence, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a rejeté le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination en ce qui concerne le calcul du montant de l’amende et en tant qu’il a condamné Guardian aux dépens.

 Sur le recours devant le Tribunal

67      Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce. En effet, la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le recours.

68      Il convient néanmoins de préciser l’étendue du contrôle de la Cour. Le Tribunal, pour les motifs exposés aux points 28 à 93 de l’arrêt attaqué, a rejeté les conclusions en annulation de la décision litigieuse. Dès lors que Guardian n’a pas contesté ces appréciations dans le cadre de son pourvoi, elles sont devenues définitives. Il appartient donc à la Cour d’examiner le litige en tant seulement qu’il porte sur le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation concernant le calcul du montant de l’amende invoqué au soutien des conclusions tendant à la réduction de celui-ci.

69      Le deuxième moyen soulevé par Guardian dans son recours devant le Tribunal afin d’obtenir la réduction du montant de l’amende vise à réparer l’inégalité de traitement résultant de l’exclusion des ventes internes pour le calcul de cette amende. Pour les motifs énoncés aux points 52 à 66 du présent arrêt, il y a lieu de constater que la Commission, en procédant à une telle exclusion, a enfreint le principe d’égalité de traitement.

70      À cet égard, il convient de relever qu’il ressortait du point 41 de la communication des griefs que, parmi les quatre entreprises destinataires de la décision litigieuse, Guardian disposait de la plus faible part du marché pertinent, estimée entre 10 % et 20 %. Celle détenue par Saint-Gobain, comprise entre 20 % et 30 %, était la plus forte. En revanche, au stade de la décision litigieuse, cet ordre a été inversé, Saint-Gobain détenant alors la plus faible part du marché, soit entre 10 % et 20 %, et Guardian la plus forte, à savoir 25 %, sans pour autant que la décision litigieuse contienne une explication sur les raisons d’une modification aussi importante de la base de calcul de l’amende. L’exclusion des ventes internes a donc conduit à réduire le poids relatif de Saint-Gobain dans l’infraction et à accroître corrélativement celui de Guardian.

71      À cet égard, l’argument de la Commission selon lequel le montant de l’amende mise à la charge de Saint-Gobain aurait été majoré de 30 % afin de refléter au mieux le fait qu’il s’agissait d’un producteur intégré verticalement ne saurait être retenu. En effet, selon le considérant 519 de la décision litigieuse, la majoration en cause a été imposée à Saint-Gobain aux fins de conférer à l’amende un caractère suffisamment dissuasif, notamment eu égard à sa «plus grande présence dans le secteur du verre» et à «son chiffre d’affaires [qui], en termes absolus, est nettement plus important que celui des autres».

72      Le deuxième moyen soulevé par Guardian devant le Tribunal afin d’obtenir la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par la Commission doit donc être déclaré fondé.

73      Il y a lieu dès lors de statuer, en application de la compétence de pleine juridiction reconnue à la Cour par l’article 31 du règlement no 1/2003, sur le montant de l’amende qui doit être mise à la charge de Guardian (arrêts Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 79, et Alliance One International/Commission, C‑679/11 P, EU:C:2013:606, point 104).

74      À cet égard, il importe de rappeler que l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 dispose que, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. En outre, il ressort du paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce même article 23 que, pour chaque entreprise participant à l’infraction, l’amende ne peut excéder 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

75      S’il appartient à la Cour, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en la matière, d’apprécier elle-même les circonstances de l’espèce et le type d’infraction en cause afin de déterminer le montant de l’amende, l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, EU:C:2012:778, point 80).

76      S’agissant de la réduction du montant de l’amende, les parties s’opposent tant sur son principe que sur sa quantification.

77      En premier lieu, la Commission estime que le fait que la prise en compte des ventes internes aurait conduit à des amendes plus élevées pour les autres participants à l’entente ne permet pas de réduire l’amende infligée à Guardian, ce que cette dernière conteste.

78      À cet égard, il suffit de relever que la Cour ayant constaté l’illégalité de la décision litigieuse, elle peut, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende (voir arrêts Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 61, ainsi que Otis e.a., EU:C:2012:684, point 62). Cette compétence est exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (voir, en ce sens, arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86 et jurisprudence citée). Dès lors, l’argument susvisé de la Commission doit être rejeté.

79      En second lieu, les parties s’opposent quant au taux de réduction à appliquer à l’amende afin de compenser l’inégalité de traitement qui résulte de l’exclusion des ventes internes du calcul du montant de l’amende. Guardian estime, en comparant les données figurant dans la décision litigieuse à celles de la communication des griefs, qu’il convient de réduire ce montant à concurrence de 37 %. La Commission, dans sa lettre du 10 février 2012, considère que la réduction ne saurait excéder 30 %. Elle fait valoir que les données sur lesquelles Guardian fonde ses calculs incluent les ventes de certains types de verre qui figuraient dans la communication des griefs mais qui n’ont pas été inclus dans la décision litigieuse.

80      Dans ces conditions, au regard de l’ensemble des circonstances de fait et de droit de l’espèce, il y a lieu de réduire de 30 % le montant de l’amende infligée à Guardian à l’article 2 de la décision litigieuse et de fixer ce montant à la somme de 103 600 000 euros.

 Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

82      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

83      Conformément à l’article 138, paragraphe 3, dudit règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

84      Dès lors qu’il est partiellement fait droit au pourvoi de Guardian, il convient de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du présent pourvoi, la moitié de ceux exposés par Guardian dans le cadre de ces deux procédures. Guardian supportera la moitié de ses propres dépens afférents à celles-ci.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (T‑82/08, EU:T:2012:494) est annulé en tant qu’il a rejeté le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination en ce qui concerne le calcul du montant de l’amende infligée solidairement à Guardian Industries Corp. et à Guardian Europe Sàrl et condamné ces dernières à supporter les dépens.

2)      L’article 2 de la décision C(2007) 5791 final de la Commission, du 28 novembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39165 – Verre plat), est annulé en tant qu’il fixe le montant de l’amende infligée solidairement à Guardian Industries Corp. et à Guardian Europe Sàrl à la somme de 148 000 000 euros.

3)      Le montant de l’amende infligée solidairement à Guardian Industries Corp. et à Guardian Europe Sàrl en raison de l’infraction constatée à l’article 1er de ladite décision est fixé à la somme de 103 600 000 euros.

4)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

5)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi, la moitié de ceux exposés par Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl dans le cadre de ces deux procédures.

6)      Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl supportent la moitié de leurs propres dépens afférents auxdites procédures.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.