Language of document : ECLI:EU:C:2018:938

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 novembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac – Directive 2014/40/UE – Article 1er, sous c), et article 17 – Interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral – Validité »

Dans l’affaire C‑151/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni], par décision du 9 mars 2017, parvenue à la Cour le 24 mars 2017, dans la procédure

Swedish Match AB

contre

Secretary of State for Health,

en présence de :

New Nicotine Alliance,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.–C. Bonichot, E. Regan, C. G. Fernlund et S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 janvier 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Swedish Match AB, par M. P. Tridimas, barrister, ainsi que par Me M. Johansson, advokat,

–        pour New Nicotine Alliance, par M. P. Diamond, barrister,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon, en qualité d’agent, assisté de M. I. Rogers, QC,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement norvégien, par Mme M. Reinertsen Norum, en qualité d’agent, assistée de M. K. Moen, advocate,

–        pour le Parlement européen, par M. A. Tamás et Mme I. McDowell, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Simm et E. Karlsson ainsi que par M. A. Norberg, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. L. Flynn et J. Tomkin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 avril 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Swedish Match AB au Secretary of State for Health (secrétaire d’État à la Santé, Royaume-Uni) au sujet de la légalité de l’interdiction de la production et de la fourniture du tabac à usage oral au Royaume-Uni.

 Le cadre juridique

3        Le considérant 32 de la directive 2014/40 énonce :

« La directive 89/622/CEE du Conseil[, du 13 novembre 1989, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d’étiquetage des produits de tabac (JO 1989, L 359, p. 1),] a interdit la vente dans les États membres de certains tabacs à usage oral. La directive 2001/37/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2001, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac – Déclaration de la Commission (JO 2001, L 194, p. 26),] a réaffirmé cette interdiction. L’article 151 de l’[acte relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1),] accorde à la Suède une dérogation à l’interdiction. L’interdiction de la vente de tabac à usage oral devrait être maintenue afin d’empêcher l’introduction dans l’Union (à l’exception de la Suède) de ce produit qui entraîne une dépendance et a des effets indésirables sur la santé humaine. Pour les autres produits du tabac sans combustion qui ne sont pas produits pour le marché de masse, des dispositions strictes en matière d’étiquetage et certaines dispositions concernant leurs ingrédients sont jugées suffisantes pour contenir leur expansion sur le marché au-delà de leur usage traditionnel. »

4        L’article 1er de la directive 2014/40 prévoit :

« La présente directive a pour objectif le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant :

[...]

c)      l’interdiction de mettre sur le marché les produits du tabac à usage oral ;

[...] »

5        L’article 2 de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

5)      “produit du tabac sans combustion”, un produit du tabac ne faisant appel à aucun processus de combustion, notamment le tabac à mâcher, à priser et à usage oral ;

[...]

8)      “tabac à usage oral”, tous les produits du tabac destinés à un usage oral, à l’exception de ceux destinés à être inhalés ou mâchés, constitués intégralement ou partiellement de tabac, présentés sous forme de poudre, de particules fines ou de toute combinaison de ces formes, notamment ceux présentés en sachets-portions ou sachets poreux ;

9)      “produits du tabac à fumer”, des produits du tabac qui ne sont pas des produits du tabac sans combustion ;

[...]

14)      “nouveau produit du tabac”, un produit du tabac qui :

a)      ne relève d’aucune des catégories suivantes : cigarette, tabac à rouler, tabac à pipe, tabac à pipe à eau, cigare, cigarillo, tabac à mâcher, tabac à priser ou tabac à usage oral ; et

b)      est mis sur le marché après le 19 mais 2014 ;

[...] »

6        L’article 17 de ladite directive, intitulé « Tabac à usage oral », énonce :

« Les États membres interdisent la mise sur le marché du tabac à usage oral, sans préjudice des dispositions de l’article 151 de l’acte d’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède. »

7        L’article 19, paragraphe 1, de la directive 2014/40, intitulé « Notification des nouveaux produits du tabac », se lit comme suit :

« Les États membres font obligation aux fabricants et aux importateurs de nouveaux produits du tabac de soumettre une notification aux autorités compétentes des États membres concernant tout nouveau produit du tabac qu’ils ont l’intention de mettre sur le marché nation[al] concern[é]. [...] »

8        L’article 24, paragraphe 3, de cette directive est ainsi libellé :

« Un État membre peut également interdire une certaine catégorie de produits du tabac ou de produits connexes pour des motifs relatifs à la situation spécifique dudit État membre et à condition que ces dispositions soient justifiées par la nécessité de protéger la santé publique, compte tenu du niveau élevé de protection de la santé humaine qu’assure la présente directive. Ces dispositions nationales sont notifiées à la Commission, accompagnées des motifs justifiant leur instauration. Dans un délai de six mois à compter de la date de réception de la notification prévue au présent paragraphe, la Commission approuve ou rejette les dispositions nationales après avoir déterminé si elles sont ou non justifiées, nécessaires et proportionnées au vu de leur objectif, compte tenu du niveau élevé de protection de la santé humaine qu’assure la présente directive, ou si elles constituent ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée du commerce entre les États membres. En l’absence de décision de la Commission dans ce délai de six mois, les dispositions nationales sont réputées approuvées. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

9        Swedish Match est une société à responsabilité limitée établie en Suède qui commercialise principalement des produits du tabac sans combustion, notamment ceux de type « snus ».

10      Le 30 juin 2016, Swedish Match a introduit un recours auprès des juridictions du Royaume-Uni aux fins de contester la légalité de l’article 17 des Tobacco and Related Products Regulations 2016 (arrêté de 2016 sur le tabac et les produits connexes), qui a transposé dans la législation du Royaume-Uni l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40, et qui dispose que « [n]ul ne peut produire ni distribuer du tabac à usage oral ».

11      Dans le cadre de ce recours, Swedish Match met en cause la validité, au regard du principe de non-discrimination, de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40, en raison de la différence de traitement qu’ils instituent entre, d’un côté, les produits du tabac à usage oral, dont la mise sur le marché est interdite, et, de l’autre côté, les autres produits du tabac sans combustion, les nouveaux produits du tabac, les cigarettes et les autres produits du tabac à fumer, ainsi que les cigarettes électroniques, dont la consommation n’est pas prohibée. En outre, l’interdiction des produits du tabac à usage oral ne pourrait être justifiée par des motifs de santé publique dès lors que les données scientifiques actuelles, non disponibles à l’époque de l’adoption de la directive 92/41/CEE du Conseil, du 15 mai 1992, modifiant la directive 89/622 (JO 1992, L 158, p. 30), démontrent que ces produits se situent en bas de l’échelle des risques en ce qui concerne les effets nocifs sur la santé par rapport à d’autres produits du tabac sans combustion. Par ailleurs, aucune donnée ne corroborerait l’idée que la consommation des produits du tabac à usage oral serait une « passerelle » qui conduirait à fumer du tabac. L’interdiction ne pourrait pas davantage être justifiée par la nouveauté du snus, dès lors que les nouveaux produits du tabac ne sont pas interdits par la directive 2014/40, au sens de son article 2, point 14, en dépit de l’absence de données scientifiques à cet égard et de l’existence, chez ces produits, d’effets éventuellement nocifs pour la santé. Ne saurait constituer non plus une justification de la discrimination que subissent les produits du tabac à usage oral le fait que ceux-ci sont destinés au grand public, dans la mesure où les autres produits relevant de ladite directive, notamment les autres produits du tabac sans combustion, les cigarettes électroniques et les nouveaux produits du tabac, sont également destinés au grand public.

12      Par ailleurs, Swedish Match fait valoir que l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral est contraire au principe de proportionnalité, dès lors que ni les considérants de la directive 2014/40, ni l’analyse d’impact du 19 décembre 2012, établie par la Commission et accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes [SWD(2012) 452 final, p. 49 et suivantes] (ci-après l’« analyse d’impact »), ni aucun autre document n’établiraient en quoi une telle interdiction est nécessaire et appropriée au regard d’un quelconque objectif légitime. À ce titre, le principe de précaution ne saurait être invoqué, puisque ladite interdiction n’est pas cohérente avec l’autorisation de mise sur le marché des autres produits du tabac, dont la toxicité serait, pourtant, selon les données scientifiques actuelles, plus élevée.

13      Ensuite, l’interdiction totale des produits du tabac à usage oral, en ce qu’elle ne tiendrait pas compte des circonstances propres à chaque État membre, ne serait pas conforme au principe de subsidiarité. Cette approche ne serait pas nécessaire, comme le mettrait en évidence le fait que la directive 2014/40 elle-même laisse aux États membres une certaine latitude dans l’adoption de leur réglementation concernant les autres produits du tabac.

14      En outre, ni la directive 2014/40 ni son contexte n’expliciteraient les raisons pour lesquelles les produits du tabac à usage oral font l’objet d’une discrimination par rapport aux autres produits du tabac sans combustion, aux cigarettes électroniques, aux nouveaux produits du tabac et aux cigarettes. Dès lors, le législateur de l’Union n’aurait pas satisfait à l’obligation de motivation, prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

15      L’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral constituerait également une restriction injustifiée à la libre circulation des marchandises, puisqu’elle ne serait pas conforme aux principes de non–discrimination et de proportionnalité ainsi qu’à l’obligation de motivation.

16      Par ailleurs, outre le fait que la Cour n’aurait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40, Swedish Match fait valoir que l’arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match (C‑210/03, EU:C:2004:802), ne serait pas applicable à l’affaire au principal, dès lors que les données scientifiques récentes concernant les prétendus effets nocifs des produits du tabac à usage oral contrediraient les énonciations de cet arrêt, que les régimes mis en place par la directive 2014/40 présenteraient des différences significatives par rapport à ceux instaurés par la directive 2001/37 et, enfin, que le marché des produits du tabac aurait connu de profonds changements depuis ledit arrêt.

17      En défense, le secrétaire d’État à la Santé considère qu’il y a lieu de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle concernant la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40, en expliquant, en particulier, que seule la Cour est habilitée à invalider une directive ou une partie de celle-ci.

18      Autorisée à intervenir dans la procédure au principal, la New Nicotine Alliance, association enregistrée dont l’objet est de promouvoir la santé publique en réduisant les méfaits du tabac (ci-après la « NNA »), soutient devant la juridiction de renvoi que l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral est contraire au principe de proportionnalité et méconnaît les articles 1er, 7 et 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En effet, une telle interdiction serait inadéquate pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique, dès lors qu’elle priverait les consommateurs souhaitant éviter de consommer des cigarettes et des autres produits du tabac à fumer de la possibilité de se tourner vers un produit moins toxique, comme le démontreraient à cet effet le succès des cigarettes électroniques ainsi que les données scientifiques sur les effets nocifs du tabac en Suède. Or, le snus ferait partie, avec d’autres produits réduisant les méfaits du tabac, déjà disponibles au Royaume-Uni, d’une stratégie cohérente de réduction de ces méfaits.

19      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« L’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive [2014/40] sont-ils invalides pour :

I.      méconnaissance du principe général du droit de l’Union de non–discrimination ;

II.      méconnaissance du principe général du droit de l’Union de proportionnalité ;

III.      méconnaissance de l’article 5, paragraphe 3, TUE et du principe de subsidiarité du droit de l’Union ;

IV.      méconnaissance de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE ;

V.      méconnaissance des articles 34 et 35 TFUE, et

VI.      méconnaissance des articles 1er, 7 et 35 de la [Charte] ? »

 Sur la question préjudicielle

20      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard des principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et de subsidiarité, de l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, des articles 34 et 35 TFUE ainsi que des articles 1er, 7 et 35 de la Charte.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe d’égalité de traitement

21      La juridiction de renvoi pose la question de savoir si la directive 2014/40 méconnaît le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle interdit la mise sur le marché des produits du tabac à usage oral tout en autorisant la commercialisation des autres produits du tabac sans combustion, des cigarettes, des cigarettes électroniques et des nouveaux produits du tabac.

22      Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 7 mars 2017, RPO, C‑390/15, EU:C:2017:174, point 41).

23      À cet égard, il convient de rappeler que la question de la méconnaissance du principe d’égalité de traitement en raison de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, prévue par la directive 2001/37, a déjà fait l’objet des arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match (C‑210/03, EU:C:2004:802), et du 14 décembre 2004, Arnold André (C‑434/02, EU:C:2004:800).

24      Dans ces arrêts, la Cour a jugé que la situation particulière dans laquelle se trouvaient les produits du tabac à usage oral visés à l’article 2 de la directive 2001/37 autorisait un traitement différent de ceux-ci sans que puisse être utilement invoquée une violation du principe de non-discrimination. En effet, elle a considéré que ces produits, alors même qu’ils ne seraient pas fondamentalement différents, dans leur composition ou même de par leur destination, des produits du tabac destinés à être mâchés, ne se trouvaient pas dans la même situation que ces derniers produits en raison du fait que les produits du tabac à usage oral faisant l’objet de l’interdiction prévue à l’article 8 bis de la directive 89/622 et reprise à l’article 8 de la directive 2001/37 étaient nouveaux sur le marché des États membres visés par cette mesure (arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 71, et du 14 décembre 2004, Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 69).

25      Or, à la suite du prononcé desdits arrêts, le législateur de l’Union n’a adopté aucune mesure autorisant la mise sur le marché des États membres visés à l’article 17 de la directive 2014/40 des produits du tabac à usage oral.

26      Ainsi, dans l’hypothèse où ces produits seraient introduits sur ce marché, ils resteraient encore nouveaux par rapport à d’autres produits du tabac sans combustion et aux produits du tabac à fumer, en ce compris les cigarettes, et auraient ainsi un caractère attractif pour les jeunes.

27      Par ailleurs, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 73 de ses conclusions, il découle de l’analyse d’impact, non contestée sur ce point, que les produits du tabac sans combustion autres que ceux à usage oral ne représentent que des marchés de niche dont le potentiel d’expansion est limité en raison, notamment, de leur méthode de production coûteuse et en partie artisanale. En revanche, les produits du tabac à usage oral ont un grand potentiel d’expansion, ce que confirment d’ailleurs les fabricants de ces produits.

28      Partant, de telles circonstances particulières autorisaient un traitement différent des produits du tabac à usage oral par rapport à la fois aux autres produits du tabac sans combustion et aux cigarettes, sans que puisse être utilement invoquée une violation du principe d’égalité de traitement.

29      En ce qui concerne la prétendue méconnaissance du principe d’égalité de traitement en raison d’un traitement moins favorable des produits du tabac à usage oral par rapport aux cigarettes électroniques, la Cour a déjà constaté que ces dernières revêtent des caractéristiques objectives différentes de celles des produits du tabac en général et, partant, ne se trouvent pas dans la même situation que les produits du tabac (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14, EU:C:2016:324, points 36 et 42).

30      Il s’ensuit que le principe d’égalité de traitement ne saurait être méconnu en raison du fait que la catégorie particulière que constituent les produits du tabac à usage oral fait l’objet d’un traitement différent par rapport à cette autre catégorie que sont les cigarettes électroniques.

31      Quant à la prétendue méconnaissance du principe d’égalité de traitement en raison d’un traitement moins favorable des produits du tabac à usage oral par rapport aux nouveaux produits du tabac, il convient de faire observer que l’article 2, paragraphe 14, de la directive 2014/40 définit le « nouveau produit du tabac » comme étant un produit du tabac qui, mis sur le marché après le 19 mai 2014, ne relève d’aucune des catégories suivantes, à savoir cigarette, tabac à rouler, tabac à pipe, tabac à pipe à eau, cigare, cigarillo, tabac à mâcher, tabac à priser ou tabac à usage oral.

32      Dès lors, et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 75 de ses conclusions, compte tenu de leur date de mise sur le marché, les effets des nouveaux produits du tabac sur la santé publique ne pouvaient, par définition, être observés ou étudiés au moment de l’adoption de la directive 2014/40, alors que les effets des produits du tabac à usage oral étaient, à cette date, suffisamment identifiés et étayés scientifiquement. S’il est vrai que le législateur de l’Union a fait entrer ces premiers produits dans le champ d’application de cette directive, c’est aux fins que ceux-ci fassent l’objet d’études relatives à leurs effets sur la santé et sur les habitudes de consommation, conformément à l’article 19 de ladite directive.

33      Ainsi, dès lors qu’ils avaient fait l’objet de plusieurs études scientifiques, les produits du tabac à usage oral ne pouvaient, lorsque la directive 2014/40 a été adoptée, être considérés comme étant nouveaux dans la même mesure que les nouveaux produits du tabac visés à l’article 2, paragraphe 14, de cette directive.

34      Dans ces circonstances, l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne méconnaissent pas le principe d’égalité de traitement.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe de proportionnalité

35      À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante de la Cour, que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 85).

36      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans un domaine comme celui en cause où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14, EU:C:2016:324, point 49).

37      Quant aux appréciations des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes qui sont nécessaires pour apprécier le caractère proportionnel de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, il convient de rappeler que le juge de l’Union ne peut substituer son appréciation de ces éléments à celle du législateur à qui le traité FUE a conféré cette tâche. Le large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, points 150 et 151).

38      En outre, le législateur de l’Union doit tenir compte du principe de précaution, conformément auquel, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (arrêt du 9 juin 2016, Pesce e.a., C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

39      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe de proportionnalité.

40      En l’occurrence, il y a lieu de relever que la directive 2014/40 poursuit, selon son article 1er, un double objectif, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes (arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 80).

41      En ce qui concerne l’objectif consistant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes, il découle de l’analyse d’impact (pages 62 et suivantes) que la Commission a considéré les différentes options politiques concernant les différents produits du tabac, ceux à usage oral inclus. Elle a en particulier examiné la possibilité de lever l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral à la lumière des nouvelles études scientifiques quant à la nocivité de ces produits pour la santé et des données concernant les habitudes de consommation des produits du tabac dans les pays qui autorisent la commercialisation des produits du tabac à usage oral.

42      À cet égard, la Commission a relevé, tout d’abord, que, même si, selon des études scientifiques, les produits du tabac sans combustion sont moins dangereux pour la santé que ceux avec combustion, il reste que les produits du tabac sans combustion contiennent tous des cancérogènes, qu’il n’est pas établi scientifiquement que le dosage de ces cancérogènes dans les produits du tabac à usage oral soit de nature à diminuer le risque du cancer, qu’ils accroissent le risque d’infarctus myocardique mortel et que, selon certaines indications, leur usage serait associé aux complications en cours de grossesse.

43      Ensuite, la Commission a fait observer que les études suggérant que le snus peut faciliter le sevrage tabagique reposent majoritairement sur des données issues de l’observation empirique et, par suite, ne peuvent être regardées comme étant concluantes.

44      En outre, la Commission a également souligné que l’effet de la décision de lever l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral sur les politiques de contrôle de la consommation des produits du tabac serait de nature à inciter des personnes jusqu’alors non consommatrices de produits du tabac, en particulier des jeunes, à le devenir et que, partant, une telle décision emporterait certains risques en matière de santé publique.

45      En conséquence, ayant ainsi tenu compte de l’ensemble des études scientifiques citées dans l’analyse d’impact, la Commission a considéré que le principe de précaution justifiait le maintien de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral.

46      Pour contester la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe de proportionnalité, Swedish Match et la NNA se réfèrent, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, à des études scientifiques récentes qui, de leur point de vue, mettraient en évidence le fait que les produits du tabac à usage oral, notamment ceux du type « snus », présentent une faible nocivité par rapport aux autres produits du tabac, qu’ils créent moins de dépendance que ceux-ci et qu’ils rendent plus aisé le sevrage tabagique. En particulier, Swedish Match et la NNA soulignent, en s’appuyant sur des observations faites en Suède et en Norvège, que la consommation du snus a tendance à remplacer celle des produits du tabac à fumer, et non à s’ajouter à celle-ci, et qu’elle n’aurait pas un effet de passerelle vers ces derniers.

47      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que le législateur de l’Union a pu, sur la base d’études scientifiques et conformément au large pouvoir d’appréciation dont il dispose à cet égard ainsi qu’au principe de précaution, conclure, dans le respect de la jurisprudence citée aux points 36 et 38 du présent arrêt, à l’incertitude de l’efficacité des produits du tabac à usage oral en tant qu’aide au sevrage dans l’hypothèse d’une levée de l’interdiction de mise sur le marché de ces produits, et à l’existence de risques pour la santé publique, tel le risque d’un effet de passerelle, en raison, notamment, de l’attrait desdits produits chez les jeunes.

48      En effet, en ce qui concerne l’aptitude de la mesure d’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral à atteindre l’objectif consistant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, il convient de rappeler que cette aptitude ne saurait être appréciée au regard uniquement d’une seule catégorie de consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 176).

49      Étant donné que, dans l’hypothèse d’une levée de l’interdiction de la mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, les effets positifs seraient incertains pour la santé des consommateurs désireux d’utiliser ces produits comme aide au sevrage et que, en outre, il existerait des risques pour la santé des autres consommateurs, particulièrement pour les jeunes, exigeant l’adoption, conformément au principe de précaution, de mesures restrictives, l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne sauraient être considérés comme étant manifestement inappropriés pour assurer un niveau élevé de santé publique.

50      À l’inverse, des mesures moins contraignantes, telles que celles prévues pour les autres produits du tabac dans la directive 2014/40, notamment le renforcement des avertissements sanitaires et l’interdiction du tabac aromatisé, n’apparaissent pas comme étant également aptes à atteindre l’objectif poursuivi.

51      En effet, en raison tant du grand potentiel de croissance du marché des produits du tabac à usage oral, confirmé par les fabricants eux-mêmes de ces produits, que de l’introduction d’environnements sans fumée, lesdits produits sont particulièrement susceptibles d’inciter des personnes jusqu’alors non consommatrices de produits du tabac, en particulier des jeunes, à le devenir.

52      Par ailleurs, les produits du tabac à usage oral présentent une dangerosité particulière pour les mineurs en raison du fait que leur consommation est difficilement perceptible. En effet, elle consiste habituellement à placer le produit entre la gencive et la lèvre supérieure et à le garder en place (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2004, Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 19).

53      Dès lors, l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique.

54      Par ailleurs, selon la jurisprudence constante, l’objectif de protection de la santé revêt une importance prépondérante par rapport aux intérêts d’ordre économique (arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 99 et jurisprudence citée), l’importance de cet objectif étant susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même d’une ampleur considérable (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 81 ainsi que jurisprudence citée). Or, en l’occurrence, à supposer même qu’il existe un grand potentiel de croissance du marché des produits du tabac à usage oral, les conséquences économiques résultant de l’interdiction de mise sur le marché de tels produits demeurent, en tout état de cause, incertaines, puisque, au moment de l’adoption de la directive 2014/40, ces produits n’étaient pas présents sur le marché des États membres visés à l’article 17 de la directive 2014/40.

55      Pour ce qui est de l’objectif, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, il y a lieu de relever que la mesure d’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral prévue par ces dispositions est également apte à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes.

56      En effet, la Cour a fait observer au point 37 de son arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match (C‑210/03, EU:C:2004:802), qu’il existait, au moment de l’adoption de la directive 92/41, des divergences entre les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres visant à arrêter l’expansion de la consommation de produits nocifs pour la santé, qui étaient nouveaux sur le marché des États membres et qui étaient réputés être particulièrement attractifs pour les jeunes.

57      De même que la Cour a relevé dans ce même arrêt que le contexte réglementaire n’avait pas changé lors de l’adoption de la directive 2001/37, laquelle avait également interdit la mise sur le marché des produits du tabac à usage oral (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 40), il convient de faire observer que ce contexte était également le même lors de l’adoption de la directive 2014/40.

58      En effet, les produits du tabac à usage oral demeurent nocifs pour la santé, ont un caractère addictif et sont attractifs pour les jeunes. En outre, comme il a été constaté au point 26 du présent arrêt, ils représenteraient, en cas de mise sur le marché, des nouveaux produits pour les consommateurs. Or un tel contexte est toujours susceptible d’induire les États membres à adopter des dispositions législatives, réglementaires et administratives diverses visant à mettre fin à l’expansion de la consommation de produits du tabac à usage oral.

59      En outre, en ce qui concerne plus particulièrement l’allégation de Swedish Match selon laquelle l’autorisation donnée à la commercialisation des autres produits du tabac et des produits connexes démontrerait le caractère disproportionné de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de l’Union n’est apte à réaliser l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2017, Fries, C‑190/16, EU:C:2017:513, point 48).

60      À cet égard, il ressort du point 34 du présent arrêt que l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne méconnaissent pas le principe d’égalité de traitement du fait du traitement différent réservé aux produits du tabac à usage oral par rapport à celui prévu pour les autres produits du tabac et les produits connexes.

61      Partant, l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 n’entraînent pas d’inconvénients manifestement disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

62      Il résulte des considérations précédentes que ces dispositions ne comportent pas des restrictions disproportionnées par rapport au double objectif poursuivi par la directive 2014/40, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes et à garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine.

63      Partant, il convient de constater que lesdites dispositions ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe de subsidiarité

64      Il ressort de la décision de renvoi que Swedish Match conteste la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard du principe de subsidiarité, en raison du fait que l’interdiction générale et absolue de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral prive les États membres de toute latitude dans leur réglementation et impose un régime uniforme, sans considération des circonstances particulières propres aux États membres, à l’exception du Royaume de Suède. D’ailleurs, selon Swedish Match, une telle approche n’était pas nécessaire, ainsi que le met en évidence la possibilité accordée à chaque État membre, en vertu de l’article 24, paragraphe 3, de cette directive, d’interdire, pour des motifs relatifs à sa situation spécifique, telle ou telle catégorie de produits du tabac ou de produits connexes.

65      Il convient de rappeler que le principe de subsidiarité est énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, en vertu duquel l’Union n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union. Le protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité UE et au traité FUE établit par ailleurs, à son article 5, des lignes directrices pour déterminer si ces conditions sont remplies (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 215).

66      En l’occurrence, s’agissant d’un domaine, tel que l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur, qui n’est pas au nombre de ceux dans lesquels l’Union dispose d’une compétence exclusive, il convient de vérifier si l’objectif que la directive 2014/40 poursuit pouvait être mieux atteint au niveau de l’Union (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 219).

67      À cet égard, ainsi qu’il a été mentionné au point 40 du présent arrêt, la directive 2014/40 poursuit un double objectif, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 220).

68      Or, à supposer même que le second volet de cet objectif puisse être mieux atteint au niveau des États membres, il n’en demeure pas moins que la poursuite de cet objectif à un tel niveau serait susceptible de consolider, sinon d’engendrer, des situations dans lesquelles, comme il a été mentionné au point 58 du présent arrêt, certains États membres autorisent la mise sur le marché de produits du tabac à usage oral, alors que d’autres l’interdisent, allant ainsi à l’exact opposé de l’objectif premier de la directive 2014/40, à savoir l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 221).

69      Il résulte de l’interdépendance des deux objectifs visés par ladite directive que le législateur de l’Union pouvait légitimement estimer que son action devait comporter l’instauration d’un régime de mise sur le marché de l’Union des produits du tabac à usage oral et que, en raison de cette interdépendance, ce double objectif pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 222).

70      S’agissant de l’allégation selon laquelle l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2014/40 démontre que les objectifs de cette directive pourraient être atteints de manière suffisante par les États membres, il convient de faire observer que cette disposition reconnaît à chaque État membre la faculté d’interdire une certaine catégorie de produits du tabac ou de produits connexes pour des motifs relatifs à la situation spécifique dudit État membre et à condition que ces dispositions soient justifiées par la nécessité de protéger la santé publique, la Commission ayant toutefois compétence pour approuver ou rejeter ces dispositions nationales après avoir déterminé si elles sont ou non justifiées, nécessaires et proportionnées au vu de leur objectif, compte tenu du niveau élevé de protection de la santé humaine qu’assure ladite directive, ou si elles constituent ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée du commerce entre les États membres.

71      À cet égard, il convient de rappeler que les auteurs du traité ont voulu conférer au législateur de l’Union, en fonction du contexte général et des circonstances spécifiques de la matière à harmoniser, une marge d’appréciation quant à la technique de rapprochement la plus appropriée afin d’aboutir au résultat souhaité, notamment dans des domaines qui se caractérisent par des particularités techniques complexes. Le législateur de l’Union pourrait donc, dans l’exercice de cette marge d’appréciation, ne procéder à une harmonisation que par étapes et n’exiger qu’une suppression progressive des mesures unilatérales prises par les États membres (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 63).

72      En fonction des circonstances, les mesures visées à l’article 114, paragraphe 1, TFUE peuvent consister à obliger l’ensemble des États membres à autoriser la commercialisation du ou des produits concernés, à assortir une telle obligation d’autorisation de certaines conditions, voire à interdire, provisoirement ou définitivement, la commercialisation d’un ou de certains produits (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 64).

73      Or, en ayant interdit la mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, tout en autorisant la commercialisation des autres produits du tabac, le législateur de l’Union doit être regardé comme ayant procédé à une harmonisation par étape des produits du tabac.

74      L’article 24, paragraphe 3, de la directive 2014/40 porte ainsi sur un aspect qui n’a pas fait l’objet des mesures d’harmonisation arrêtées par celle-ci (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 90).

75      Partant, cette disposition ne saurait, en tant que telle, démontrer que les objectifs de cette directive pourraient être atteints de manière suffisante par les États membres.

76      Il s’ensuit que l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne méconnaissent pas le principe de subsidiarité.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE

77      Il ressort de la décision de renvoi que Swedish Match soutient que la directive 2014/40 ne fournit aucune explication spécifique et cohérente de l’interdiction sélective des produits du tabac à usage oral et ajoute qu’une telle explication ne ressort pas non plus clairement du contexte de cette directive.

78      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 58).

79      Il ressort également d’une jurisprudence constante que la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et que, s’agissant d’actes à portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Dans ce contexte, la Cour a précisé, notamment, qu’il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 59).

80      En l’occurrence, le considérant 32 de la directive 2014/40 ainsi que l’analyse d’impact contiennent les éléments faisant apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission à l’origine de l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral.

81      En particulier, le considérant 32 de la directive 2014/40 expose que l’interdiction de la vente de tabac à usage oral devrait être maintenue afin d’empêcher l’introduction dans l’Union (à l’exception de la Suède) de ce produit qui entraîne une dépendance et a des effets indésirables sur la santé humaine, et renvoie à la motivation figurant dans les directive 89/622 et 2001/37, lesquelles exposent clairement, ainsi que la Cour l’a déjà constaté (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 65), les motifs à l’origine de cette interdiction.

82      Dans ces conditions, ces éléments permettant de connaître les justifications de la mesure d’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle, la directive 2014/40 satisfait à l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard des articles 34 et 35 TFUE

83      Il ressort de la décision de renvoi que Swedish Match prétend que l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 sont contraires aux articles 34 et 35 TFUE en raison de la méconnaissance par ceux-ci des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que de l’obligation de motivation.

84      À cet égard, s’il est vrai que l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral constitue une restriction, au sens des articles 34 et 35 TFUE, une telle restriction s’avère, ainsi qu’il a été constaté précédemment, justifiée par des raisons de protection de la santé publique, ne méconnaît pas les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité et satisfait à l’obligation de motivation.

85      Partant, l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne sont pas invalides au regard des articles 34 et 35 TFUE.

 Sur la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40 au regard des articles 1er, 7 et 35 de la Charte

86      Il découle de la décision de renvoi que Swedish Match et la NNA font valoir que l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 méconnaissent les articles 1er, 7 et 35 de la Charte dès lors que l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral prive les individus désireux de cesser de fumer de l’usage de produits qui seraient bénéfiques pour leur santé.

87      À cet égard, selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

88      En l’occurrence, quand bien même, comme le soutiennent Swedish Match et la NNA, l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 limiteraient des droits fondamentaux, une telle limitation serait prévue par la loi, respecterait le contenu essentiel desdits droits et serait conforme au principe de proportionnalité.

89      À cet égard, s’agissant du respect du contenu essentiel des droits fondamentaux, force est de constater que la mesure d’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac à usage oral, prévue à l’article 1er, sous c), et à l’article 17 de la directive 2014/40 vise non pas à limiter le droit à la santé, mais, bien au contraire, à concrétiser ce droit et, dès lors, à assurer un niveau élevé de protection de la santé pour l’ensemble des consommateurs, en ne privant pas entièrement les personnes désireuses de cesser de consommer du choix des produits qui leur seraient bénéfiques à cette fin.

90      Ces dispositions, ainsi qu’il a été constaté au point 63 du présent arrêt, ne méconnaissent pas non plus le principe de proportionnalité.

91      Dans ces conditions, il convient de constater que l’article 1er, sous c), et l’article 17 de la directive 2014/40 ne sont pas invalides au regard des articles 1er, 7 et 35 de la Charte.

92      Il résulte de tout ce qui précède que l’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40.

 Sur les dépens

93      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 1er, sous c), et de l’article 17 de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.